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Il est des écrivains forgés à l'aune du mystère et de l'énigme, aux biographies entremêlant auto-fiction pétillante et sordide réalité, dont le biographe aurait bien du mal à séparer le vrai du faux, tant le "mensonge", ou plutôt l'arrangement avec la réalité, génère de situations, d'écritures, d'influences, et d'exégèses. "Le couple Henneberg présente ce qu’on appelle une énigme littéraire.", écrivit Lorris Murail, et en effet pose un véritable petit casse-tête éditorial.
Mais tout d'abord, présentons ce qui fût leur premier roman de Science-Fiction, que nous vous proposons aujourd'hui au format epub, téléchargeable comme à l’accoutumée en cliquant sur la couverture ci-contre, "La naissance des dieux".
Quatrième de couverture Éditions Métal, collection série 2000 (1954)
« Ainsi, prononça Gœtz, avec une solennité étrange, nous serions venus... au cinquième jour de la création ! Nous verrons naître les apparences et les formes... Nous ne procréerons pas : quoi qu'en dise notre camarade, — il est impossible de faire un enfant au brouillard... »
Et pourtant...
A l'aube de toute religion et de toute histoire, il y a les héros et les dieux. Une théorie moderne veut que les planètes subissent des cycles géologiques : tout chaos est suivi d'une Genèse. Nietzsche a parlé de l’Éternel Retour : Ea-Ohannès des Summériens qui débarqua « d'un poisson d'argent », les bâtisseurs du Sphynx de Guizeh, les Olympiens d'Homère et les Niebelungen, furent des hommes comme nous.
Les trois Terriens échappés à une des fins de leur globe : le Savant, l'Astronaute et le Poète créeront donc, dans le sang, les larmes et le rire aussi — car les dieux rient ! — une vie sur GEA, la mystérieuse planète où palpite une brume-mère. Ils peupleront la forêt de félins et les gouffres de monstres, donneront les lois aux para-hominiens et livreront le combat des Anges. Ils aimeront aussi, car Géa révérera la Vierge-Chasseresse et l'antique Vénus. Et un dernier survivant de l’Ère Atomique leur révélera le secret du monde nouveau.
Une rigoureuse hypothèse philosophique sert de base à une épopée. Un souffle wagnérien passe sur les hauteurs où chevauche la Chasse des Morts. Les mythes de l'Hellade revivent sous le soleil rose de Géa, dans sa couronne d'astéroïdes.
Telle est « LA NAISSANCE DES DIEUX ».
Autre quatrième de couverture, celui figurant sur l'édition de la Librairie des Champs-Élysées, collection "Le
masque Science-Fiction" n°51, Février 1977, correspondant à l'édition que nous vous proposons ici.
Il leva les cils et vit la bête qui dansait sur le hamac.
Une montagne de chair grise, à trompe courte, à demi émergée du néant reniflait grotesquement.
Les monstres étaient en pleine création, parfois ils s'effaçaient, puis reprenaient corps avec une netteté effroyable. Le brouillard vivant était monté comme une marée, il s'insinuait dans ses narines, entrait dans ses poumons, et Gœtz se sentait sans forces, écrasé, réduit à l'état d'éponge. Il allait mourir. Géa le dévorait comme une mante monstrueuse.
Ce roman, le premier de Charles HENNEBERG (1899-1959) surprit par son souffle épique et sa splendeur baroque. Il valut à son auteur le prix « Rosny Ainé ».
A propos du Grand Prix du roman d'anticipation scientifique Rosny-Aîné
Bien qu'il
existât un Prix International d'Anticipation Scientifique, qui fût remis en 1954 à
Londres à Theodore Sturgeon pour "Les plus qu'humains", ce Grand Prix Rosny-Aîné du roman d'anticipation scientifique, dont le champ lexical fleure bon les années 50, détonne par son manque de notoriété. (Un prix Rosny-Aîné existe bien, mais il récompense un roman et une nouvelle et ce depuis... 1980 !)
Une note sur l'incontournable encyclopédie en ligne Noosfère nous informe sur ce "Grand Prix" :
Ce prix n'est relié en aucune manière au prix Rosny aîné décerné à la convention française de science-fiction depuis 1979. Il s'agissait d'un prix spécifique aux éditions Métal. Le seul lauréat en est le roman de Charles Henneberg, dans la catégorie "Grand prix du roman d'anticipation scientifique".
D'entrée de jeu, nous voilà
confrontés à une sorte de charade : un auteur inconnu (Charles Henneberg), une
maison d'édition naissante (les éditions MÉTAL), un Grand Prix orphelin d'éventuelles autres catégories, voire "mort-né"... Le tout contextualisé par les débuts d'une collection
(la collection Série 2000, exclusivement réservée à des auteurs français, inaugure sa maison d'éditions en mars 1954)…
Que savons-nous de ce 14 Octobre 1954, jour de la cérémonie de remise du Grand Prix Rosny-Aîné du roman d'anticipation scientifique ? Nous citons ici le n°12 de Fiction, daté de Novembre 1954 :
CHARLES HENNEBERG
lauréat du Grand Prix du Roman d’Anticipation Scientifique - Prix Rosny AînéM. Groetz, directeur des Éditions Métal et fondateur du Grand prix du Roman d’Anticipation Scientifique, avait réuni, le 14 octobre dernier, au restaurant de l’Aérogare des Invalides, les membres du jury de ce prix en vue de son attribution.
Ce jury, présidé par M. Louis Chéneau, délégué général du Congrès International du Progrès Scientifique, était composé de :
MM. René Audubert, Professeur d’Électrochimie à la Sorbonne ; Jacques Bergier, Membre de l’Académie des Sciences de New-York, Physicien ; Jean Birgé, Directeur Littéraire des Éditions Métal ; Robert Borel-Rosny, homme de lettres et petit-fils de Rosny Aîné ; Austin Fairbanks, Ingénieur-Conseil ; Dr Hunwald, Professeur d’Anthropologie ; Charles Martin, Attaché de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique ; Igor B. Maslowski, critique littéraire ; Pierre de Latil, homme de lettres, spécialiste de la cybernétique ; Maurice Renault, Directeur de la revue « Fiction ».
Après un premier tour de scrutin qui donnait 4 voix à « La Naissance des dieux », de Charles Henneberg, 3 voix à « Les Étoiles ne s’en foutent pas », de Pierre Versins, 2 voix à « Les Atlantes du Ciel », de Y.-F.-J. Long, et 2 voix à « L’Homme, cette maladie », de Claude Yelnick, une majorité se forma rapidement au second tour sur le nom de M. Charles Henneberg, auteur de « La Naissance des dieux », véritable épopée wagnérienne qui révèle des dons incontestables d’écrivain chez son auteur ; celui-ci l’emporta par 9 voix sur 11.
À l’issue du déjeuner qui a suivi le vote, la charmante vedette de la scène et de l’écran, Mlle Jeanne Moreau, présidente d’honneur de cette réunion, a remis à l’heureux lauréat un chèque de 250.000 francs, montant de ce prix.
M. Charles Henneberg « cumule », en peu de temps, car il vient de remporter, il y a quelques semaines, le 2e prix au Grand Prix de la Nouvelle Policière 1954, créé par « Mystère-Magazine » et « La Revue Internationale de Criminologie », de Genève, pour sa nouvelle : « Du sang sur les roses ».
Le grand Prix du roman d’Anticipation scientifique (prix Rosny aîné) fut décerné le jeudi 14 octobre 1954 dans le restaurant de l’aéroport des Invalides. Créé en début d’année il avait été annoncé par voie de presse et par un encart inséré dans les quelques livres publiés jusque-là par les Éditions Métal. Les manuscrits devaient être remis en deux exemplaires avant le 15 mai.
À l’instar des quelques rares autres prix de l’époque, cette récompense était une initiative devant faciliter la promotion des auteurs de l’éditeur Métal. Dans ce cas précis, un jury composé de personnalités éminentes du monde littéraire et scientifique lui conférant un certain sérieux, qu’on en juge : Jean Birgé, directeur littéraire des Éditions Métal, Robert Borel-Rosny, homme de lettres et petit-fils de J.-H. Rosny aîné, sous les auspices duquel il fut placé, Igor B. Maslowski, critique littéraire, Maurice Renault, directeur de la revue Fiction, et agent littéraire, Pierre de Latil, écrivain et spécialiste en cybernétique, Charles-Noël Martin, attaché de recherches au CNRS, René Audubert, professeur d’électrochimie à la Sorbonne, Austin Fairbanks, ingénieur-conseil, le Dr Henwald, Professeur au Collège philosophique et à l’école d’Anthropologie, Louis Chéreau, Président du Congrès pour le progrès scientifique et technique, qui allait présider le jury du Grand Prix et Jacques Bergier, membre de l’Académie des Sciences de New-York et physicien. Au premier tour "La Naissance des Dieux" de Charles Henneberg remportait quatre voix, "Les Étoiles ne s’en foutent pas" de Pierre Versins trois voix, "Les Atlantes du ciel" de Y.-F.-J. Long deux voix, et "L’Homme cette maladie" de Claude Yelnick deux voix. Un second tour mit tout le monde d’accord sur "La Naissance des Dieux", « véritable épopée wagnerienne qui révèle des dons incontestables d’écrivain chez son auteur », ainsi que le rapportait dans son numéro de novembre la jeune revue Fiction.
En fait, ce qui avait fasciné les membres du jury, c’était la poésie et le lyrisme qui se dégageait du roman d’Henneberg ; les amateurs pensèrent aussi que le pari d’Henneberg était pratiquement gagné, puisqu’il arrivait à se hisser au niveau des meilleurs écrivains américains des années cinquante. L’avenir ne devait pas les décevoir.
Deux hommes avaient joué un rôle considérable dans cette affaire : Charles Henneberg lui-même, et Jacques Bergier.
Pour la première fois dans les pages de la revue, plus précisément dans le n°28 de Fiction de Mars 1956, paraîtra une nouvelle de Charles Henneberg, "La sentinelle". On pourra y lire la note suivante :Les actualités cinématographiques de cette semaine-là nous donnent les temps forts de la cérémonie de remise du prix. En premier, la table des membres du jury nous est présentée : on y voit beaucoup de gens qui discutent avec passion. Jacques Bergier s’adresse à Maurice Renault et à Jean Birgé qui tient la maquette du roman sorti tout frais des presses et que l’on vient de distribuer sur le coup de 15 heures à tous les participants. Puis les images nous montrent Charles Henneberg, alors que celui-ci reçoit un chèque de 250 000 francs des mains d’une jeune actrice, Jeanne Moreau. En réalité. Charles Henneberg est ému à plus d’un titre, d’abord parce qu’il fait face à la foule des journalistes qui s’apprêtent à le bombarder de questions et ensuite parce qu’il sait une vérité qu’il ne peut divulguer.
Les journaux de l’époque font écho à cette cérémonie et laissent entrevoir que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles apparaissent.
Charles Henneberg a la cinquantaine. Il porte des lunettes d’écaille et moustache, et lorsqu’on lui demande sa nationalité, il répond : « Je suis légionnaire. » Il est aussi écrivain, car il a déjà publié : Trois Légionnaires et Le Sabre de l’Islam qui sont des souvenirs militaires…
Ainsi s’exprime le journaliste Pierre Joly dans Paris-Normandie daté du lendemain.
Christian Guy, de Paris-Presse (16 octobre), est plus précis et nous en apprend un peu plus :
On se précipita. Le lauréat, qui ne s’attendait pas à un tel honneur, était déjà là et tirait de sa serviette une pile de notices biographiques qu’il distribuait à tout venant. « Prenez et lisez, ceci est ma vie… Vous saurez tout sur moi. »
C’était vrai. On sut que M. Henneberg avait déjà publié deux volumes de souvenirs de légionnaires sous le nom de Dominique Hennemont. On apprit aussi que le roman d’évasion lui paraissait « trop étroit » et qu’il avait cherché un genre susceptible de faire « éclater » le cadre du roman conventionnel et de « traiter librement » toute expérience humaine : « Le lauréat, dit-il, est un homme qui parle peu et réfléchit beaucoup. Mais ma notice biographique vous dira tout. »
Un autre journal, L’Écho d’Oran, ajoute dans son titre « Charles Henneberg lauréat du Prix de la “Science-fiction” a mûri sa pensée pendant ses dix-sept ans de Légion étrangère » et donne des informations plus intéressantes dans un court paragraphe : « Ancien combattant de Bir-Hakeim et d’El-Alamein, Charles Henneberg est actuellement secrétaire administratif de l’Association des Médaillés militaires. »
Pour clore cette petite revue de presse, citons le journal Le Médaillé militaire (novembre 1954, n° 323) qui rend compte sous la plume d’Antoine et Pierre Grillet de l’attribution du grand prix à leur directeur des services administratifs.
Charles Henneberg verra cinq de ses nouvelles paraître dans les pages de Fiction et de Galaxie avant sa mort, qui survient abruptement en 1959. Alain Dorémieux rendra hommage à Charles Henneberg en ces termes, dans le n°66 de Fiction :Les amateurs de S. F. connaissent le nom de Charles Henneberg depuis « La naissance des dieux », le roman français le plus original dans le genre depuis ces dernières années (éd. Métal, Grand Prix du Roman d’Anticipation scientifique 1954). Cet ouvrage est assez peu ordinaire pour donner matière à discussion, mais même ses détracteurs, ceux que ses données rebutent ou irritent, pourraient difficilement nier ses brillantes qualités : beauté de l’imagination, richesse des idées, grandeur du souffle épique. C’est de toute manière un livre qu’on se doit d’avoir lu – et pour notre part nous le plaçons à un rang élevé dans notre échelle des valeurs.
Les lecteurs de « Mystère-Magazine », par ailleurs, ont fait connaissance avec Charles Henneberg grâce à deux histoires criminelles assez inoubliables, dont la première lui valut un second prix au concours de nouvelles de la revue en 1954. La présence de son nom dans « Fiction » s’imposait. Il nous a donné à cet effet une nouvelle aussi singulière et envoûtante que son roman. La S.F. signée Henneberg n’est pas de celle qu’on lit couramment. Raison de plus pour la saluer avec ardeur !
ADIEU À CHARLES HENNEBERGAlain DorémieuxNos lecteurs apprendront avec regret le décès de Charles Henneberg, survenu le 21 mars dernier, à la suite d'une embolie. Avec lui, disparaît un de nos auteurs les plus en vue, dont vous aviez notamment pu lire dans « Fiction » les nouvelles : « La sentinelle » (n° 28) ; « L'évasion » (n° 39) ; « Les non-humains » (n° 56) ; « La fusée fantôme » (n° 60).Une semaine avant sa mort, il nous écrivait encore une lettre où il nous confiait ses derniers projets littéraires. Notre réponse s'est croisée avec celle qui nous annonçait sa fin brutale.Celle-ci l'a surpris alors que son activité littéraire était en pleine effervescence. Depuis quelque temps, il semblait avoir mieux pris conscience de ses dons et avoir maîtrisé son style. Il laisse des manuscrits de romans, de nombreuses nouvelles inédites. Il y avait un profond progrès entre ce roman admirable mais imparfait qu'était « La naissance des dieux », et les derniers textes que j'ai pu lire de lui.Je l'ai reçu plusieurs fois dans mon bureau, à « Fiction ». C'était un homme à la moustache grisonnante, à la raideur un peu militaire que démentaient la bonté du regard et l'extrême courtoisie des manières. Il avait servi des années dans la Légion et était blessé de guerre. Le russe était sa langue maternelle. Il s'exprimait dans un français châtié et très légèrement hésitant, presque sans accent.Avec des gestes méthodiques, précis, il sortait de sa serviette pour me les remettre ses manuscrits peuplés de visions fantastiques et de personnages fabuleux, qu'on s'étonnait de voir surgis de sa plume.Il était arrivé en France il y a une douzaine d'années, ne connaissant personne. En collaboration avec sa femme, russe comme lui et journaliste, il avait commencé à faire paraître des recueils de souvenirs, des nouvelles, des romans. Cette collaboration était devenue étroite, au point que le nom de Charles Henneberg recouvrait maintenant un authentique tandem, à l'image de ceux dont Henry Kuttner et Catherine Moore nous ont laissé le plus solide exemple. Sa veuve nous a fait part de son intention de mener à bien seule leurs projets communs. Ainsi, on ne cesserait pas encore de voir imprimé le nom de Henneberg.Espérons-le, car sa disparition totale laisserait un vide. Lors d'une réunion d'auteurs amis, il y a quelques mois, quelqu'un faisait remarquer en guise de boutade que « l'élite de la science-fiction française était réunie là ». Quelqu'un d'autre (Sternberg, je crois) ajouta : « Non, il manque Henneberg. » Cette place qu'il avait acquise, elle lui appartenait en propre ; il ne se confondait avec personne. Il savait donner à la science-fiction un ton poétique ou épique, et l'élargir à des dimensions cosmiques. Surtout, il avait mieux que tout autre réussi la difficile fusion entre le fantastique traditionnel et la science-fiction. Son thème favori était la rencontre avec les monstres antiques et légendaires dans les galaxies futures. Il en tirait des effets qui n'avaient pas d'égal depuis Catherine Moore.Notre numéro spécial, à paraître le 5 mai, était sous presse quand nous avons appris son décès. Vous y trouverez bien sûr une nouvelle de lui, une de ses plus belles peut-être à ce jour. D'autres suivront dans l'avenir, car nous lui avions retenu plusieurs manuscrits. Vous pourrez y juger de l'achèvement auquel avait abouti sa formule. Ensuite… nous souhaitons qu'il survive, comme sa femme en a exprimé le désir, et que, pour reprendre ce qu'elle nous a dit, « ce soit toujours Charles Henneberg ».
Voici la première des nouvelles posthumes que nous avons à publier de Charles Henneberg, qui nous en avait remis les manuscrits peu de temps avant sa mort.
(…) Comme nous l'avons déjà dit, « Charles Henneberg » était en fait un tandem. C'était sa femme et lui qui écrivaient en commun, à l'égal du couple Henry Kuttner - Katherine Moore. Nous savons que sa femme a l'intention de continuer seule dans la voie où ils s'étaient engagés. Notre espoir – que beaucoup de lecteurs partageront, nous en sommes sûrs – est donc maintenant que le nom de Henneberg se perpétue, et que nous puissions lire dans quelque temps les histoires que signera, seule, Nathalie Henneberg…
"Comme nous l'avons déjà dit", du moins comme le laissait entendre Dorémieux dans son élégie - Nathalie était passée dans les termes de collaboratrice à partenaire de tandem. Des allusions plus franches existent peut-être au sein des pages de Mystère Magazine qui publiait les nouvelles policières de Charles Henneberg. Quoi qu'il en soit, voilà qu'entre en scène le nom (ou plutôt le prénom !) de Nathalie Henneberg. Difficilement, car les romans seront édités encore quelques temps sous le seul nom de Charles ("La rosée du soleil" - Le rayon fantastique n°65, 08/1959 ; "Les dieux verts" - Le rayon fantastique n°83, 05/1961), puis N. - Ch. Henneberg ("La forteresse perdue" - Le rayon fantastique n°94, 03/1962 ; "Le sang des astres" - Le rayon fantastique n°116, 08/1963 ; "La plaie" - Le rayon fantastique n°122-123, 05/1964). Il faudra attendre pour Nathalie Henneberg l'édition de ses nouvelles fantastiques chez Christian Bourgois en 1971 ("L'opale entydre", 05/1971) pour voir enfin son seul nom paraître.
La polémique de la paternité des œuvres du "couple" Henneberg sera parfois même assez cruelle, comme en témoigne cette critique à l'occasion de l'édition d'un roman paru en épisodes au sein de Fiction en 1959 ("Le mur de la lumière" - Albin Michel 1972, paru sous le titre "An premier, ère spatiale" dans les numéros 71, 72 et 73 de Fiction entre Octobre et Décembre 1959) :
"Mais pourquoi, aujourd'hui, avoir effacé de la couverture de ce superbe ouvrage le prénom de « Charles » Henneberg, alors que le texte de présentation de la revue, en 1959, précisait nettement qu'il s'agissait d'une œuvre posthume ? Une préoccupation mercantile, liant cette suppression — le copyright porte « Nathalie-Charles Henneberg » — au changement du titre — "An premier, ère spatiale" devenant dans l'aventure "Le mur de la lumière" — espérait-elle faire croire à un inédit ?" (Pierre MARLSON, in Fiction 228, 12/1972).
C'est dans le Fiction n°81 d'Août 1960 que commence à poindre la nécessité de rendre à César/Nathalie ce qui lui appartient. On notera toutefois qu'il faut y préparer le lectorat :
"Il y a un an nous était enlevé Charles Henneberg, et avec sa disparition, était brisé un tandem littéraire qui se classait en tête de la science-fiction française. Mais aujourd’hui, sa femme poursuit seule leur œuvre commune, comme nous l’avions laissé espérer.
En lisant cette première histoire signée d’elle, nos lecteurs se rendront compte que c’est le « style Henneberg » qui continue. Comme beaucoup d’auteurs, et des plus grands, Nathalie et Charles Henneberg étaient prisonniers de l’univers enfanté par eux, et c’est cet univers qui se développe avec toujours plus d’envergure au fil de leurs récits. (…) Les faisceaux de thèmes qui s’y entrecroisent en sont caractéristiques. Ainsi que l’ambiance qu’il faut bien qualifier de wagnérienne.
Pourtant, il s’y mêle quelque chose d’un peu hagard, de démentiel, qui n’était pas apparu aussi nettement jusqu’ici dans l’œuvre d’Henneberg. Il semble que l’équilibre entre le rêve et le cauchemar qui avait toujours existé dans cette œuvre soit en train de basculer du côté du cauchemar. Cette nouvelle est à lire en abandonnant la logique, en se laissant hanter par les évocations qu’elle charrie."
Par la suite, au sein de Fiction, peut-être sous l'impulsion de Dorémieux ou de Jacques Bergier, on justifiera l'œuvre de Nathalie comme continuation de celle de Charles par des termes choisis, comme "le plus pur style Henneberg" (Fiction n°86), ou l'absurde formule "Nathalie Charles-Henneberg sous sa signature" (Fiction n°93), puis l'on présentera ses nouveaux romans sous son seul nom, contredisant les informations éditoriales des livres mêmes (comme pour "Les dieux verts" crédité du nom de Charles, mais présenté comme le nouveau roman de Nathalie dans le Fiction n°97).
Difficile reconstruction d'une œuvre féminine, de sa reconnaissance surtout, quand elle fût inaugurée et légitimée par une récompense. Il faudra attendre "Des ailes, dans la nuit…", dans le Fiction n°109, pour la voir créditée de son seul prénom. Il faut dire que le style en est fantastique, et non plus science-fiction. Depuis Mary Shelley, on tolèrerait qu'une femme se pique de ce genre littéraire, pétri d'imaginaire, quand il est plus ardu pour une femme de faire sa place dans le milieu pragmatique, scientifique, rigoureux de la science-fiction. Ses nouvelles touchant à ce genre-là seront d'ailleurs encore quelques temps signées Nathalie-Charles, et longtemps sera rappelé sa position de continuatrice de l'œuvre du mâle.
"Depuis qu’elle s’est attachée à continuer l’œuvre de son mari, Nathalie Charles Henneberg a révélé un élan, un style et un pouvoir visionnaire qui font d’elle un des plus originaux et des plus attachants auteurs de science-fiction écrivant en français. Il serait loisible de chercher comment cette sensibilité féminine distingue les romans signés N. Ch. Henneberg de ceux écrits par Ch. Henneberg : on trouverait peut-être un caractère plus diffus aux circonstances de l’action, ainsi qu’une réceptivité plus prononcée à l’égard des perceptions sensorielles. Mais il importe surtout de souligner, à propos de ce "Sang des astres", l’éclatante confirmation de la personnalisé de l’auteur." (Démètre Ioakimidis, in Fiction n°123).
Mais peu à peu, la vérité se dévoile, comme s'il s'agissait d'initiation, d'un secret partagé par les intimes d'un cercle littéraire dont serait exclus les béotiens lecteurs, phallocrates par postulat et conservateurs par préjugés des éditeurs. Voici par exemple comment le lectorat est préparé à une nouvelle de Nathalie Henneberg, dans le Fiction spécial n°5 (Avril 1964) :
"Si vous désapprouvez en science-fiction l’usage du pathétique, si vous êtes rebelle à l’hyperromantisme, insensible aux ambiances mythiques et aux émotions surhumaines, si en conclusion vous n’admettez pas que l’univers d’un écrivain puisse avoir l’ampleur d’un opéra wagnérien, en ce cas nous vous plaignons, car vous vous privez des joies que dispense un récit de Nathalie Henneberg."
Peut-être est-ce George W. Barlow - qui écrivit quelques critiques dans Fiction au cours des années 70 - qui entrouvre le passage au rétablissement de la vérité, dans sa note sur la réédition de "La naissance des dieux" (in Fiction n°278, 03/1977) :
" Publié en 1954 aux éditions METAL (sous la seule signature de son mari, dont l'aide lui avait été précieuse, notamment pour la paléontologie), ce premier roman de science-fiction de Nathalie Henneberg présente déjà les caractéristiques de toute l'œuvre : une prodigieuse érudition (notamment pour les noms de fleurs... et de démons) ; un style qui, selon les scènes, a tantôt la préciosité parnassienne, tantôt la vigueur hugolienne, jusque dans la beauté de l'horreur et le mariage du sublime et du grotesque ; enfin cette conviction, partagée avec Catherine Moore, que « chaque mythe a son fond de vérité ». Exilés d'une société décadente, une poignée d'hommes et de femmes très typés fait face au « Chaos de la Genèse », et en fait surgir des êtres humains ou monstrueux au gré de leurs fantasmes, de leurs luttes, de leurs amours, qui prennent dès lors une dimension olympienne et une portée éternelle. Unissant la mythologie antique aux prévisions d'avenir, ce poème épique en prose est animé d'un grand souffle romantique qui tranche avec les halètements sifflants plus communs aujourd'hui. "
Mais l'autofiction construite ce 14 octobre 1954 pour la remise du Prix Rosny-aîné aura la vie dure. En témoignent L'"Histoire de la Science-Fiction moderne" de Jacques Sadoul, pourtant très érudit, ou un article publié dans le n°288 de Fiction et signé Lorris Murail, datant respectivement de 1975 et de 1978. Sadoul tout d'abord :
" Le livre le plus marquant publié par les éditions Métal fut sans conteste "La naissance des dieux", de Charles Henneberg qui reçut le Grand Prix du roman d'anticipation scientifique (prix décerné par son éditeur et qui resta sans suite). Charles Henneberg, né en 1899, et mort en 1959, est d'origine allemande. Ce fut un baroudeur – il fut légionnaire entre autres activités – et l'on sent parfaitement, dans "La naissance des dieux", son mépris de l'intellectuel par rapport au soldat ou à l'astronaute. (…) Son thème est celui d'une fin du monde à laquelle seulement trois hommes échappent : un savant, un astronaute et un poète. Ils se retrouvent sur une planète inconnue qu'ils baptisent Géa et qui semble privée de vie, à l'exception d'une sorte de brouillard animé. Le poète ne tarde pas à s'apercevoir que, par la seule puissance de son esprit, il peut susciter des formes vivantes dans le brouillard.En accord avec l'idéologie de l'auteur, le savant et l'astronaute créent les bêtes et les hommes, le poète crée les monstres. Et l'œuvre s'achève dans une vision apocalyptique où passe un souffle wagnérien. Naturellement le poète, c'est-à-dire l'intelligence, sera vaincu par l'astronaute, c'est-à-dire la force. Mais "La naissance des dieux" ne se limite pas à cette aventure : Henneberg a adroitement mêlé à l'intrigue des thèmes venus aussi bien de la mythologie grecque que des légendes nordiques (ce qui n'est pas toujours très cohérent) qui donnent une résonance plus profonde à son œuvre. "
Exit Nathalie, qui n'est même pas prise en compte. Un peu plus loin dans le même ouvrage, on peut lire :
" C'est alors que paraissent plusieurs ouvrages signés Nathalie-Charles Henneberg, dont un-au moins, "La rosée du soleil", avait été rédigé avant la mort de Charles Henneberg. Sa veuve, dont on ignorait jusqu'alors l'existence, déclara qu'elle avait toujours collaboré avec son mari et que c'était elle qui rédigeait les textes définitifs de leurs œuvres ; elle allait donc continuer seule l'œuvre entreprise. Une grande partie des amateurs se réjouirent de la nouvelle et reportèrent l'admiration qu'ils avaient pour Charles sur Nathalie. Mais un nombre au moins égal, estimant que le style de l'épouse n'avait qu'un lointain rapport avec celui de Henneberg dans son meilleur livre, "La naissance des dieux", la rejeta. Personnellement, je considère Charles et Nathalie Henneberg comme deux écrivains distincts. Même si Mme Henneberg rédigeait les romans de son mari, l'influence de celui-ci leur conférait un ton très différent de ceux écrits par son épouse seule (c'est pourquoi je regrette que le roman "An premier ère spatiale", publié en 1959 dans Fiction, sous la seule signature de Charles Henneberg, ait été réédité (en 1973 sous le titre : "Le mur de la lumière") sous le seul nom de Nathalie Henneberg, ce qui peut créer une confusion dans l'esprit des amateurs.). Charles avait pour lui le sens de l'épique, du mouvement et l'invention au niveau du scénario, Nathalie a pour elle une langue beaucoup plus riche et un talent poétique certain qui s'expriment d'ailleurs mieux dans le fantastique que dans la S-F proprement dite."
Et puis encore, pour finir :
" En fait les romans de Charles Henneberg n'étaient pas assez écrits et ceux de sa femme le sont trop."
Voyons ce qu'en dit Murail, à l'occasion de la sortie du roman "La plaie" (Mars 1978) :
NATHALIE HENNEBERG (1917-1977).
" Née en 1917 à Batoum (ville d’U.R.S.S., capitale de la république d’Adjarie, sur la mer Noire, presque à la frontière turque), Nathalie Henneberg vient de mourir à Paris. Elle était usée par les maladies, vivait très abandonnée, et l’on n’eût pu croire qu’il s’agissait là d’une femme de soixante ans seulement. Personne, m’a-t-on dit, n’est venu réclamer son corps qui repose donc désormais dans une fosse commune. C’est à ce même âge de soixante ans que mourut son mari, Charles Henneberg, en 1959.
Le couple Henneberg présente ce qu’on appelle une énigme littéraire. Comme la plupart des couples écrivant, d’ailleurs, car on ne sait jamais exactement quelle est la part de l’un et la part de l’autre. Il arrive que l’un soit styliste et l’autre scénariste, l’un dialoguiste et l’autre paysager, l’un le chef et l’autre l’employé, l’un l’écrivain, l’autre le commerçant ; il arrive aussi que deux esprits se mêlent et forment ensemble les mots et les idées. La particularité des Henneberg est que l’on ne trouve apparemment pas d’ouvrages signés Charles et Nathalie Henneberg, alors qu’on s’accorde généralement à estimer qu’ils travaillèrent longtemps ensemble. À cela deux exceptions, deux anomalies plutôt : "An premier, ère spatiale" fut publié en 1959 dans Fiction sous le seul nom de Charles puis réédité en 1972 par Albin Michel sous le seul nom de Nathalie (avec le titre : "Le Mur de la lumière") ; d’autre part, "Les Dieux verts", dans l’édition originale du Rayon Fantastique, porte le nom de Charles sur la couverture, de Nathalie Charles sur la tranche et la page de garde tandis que la seconde édition (le Masque) l’attribue à Charles seul sur la couverture et la tranche, mais à Nathalie et Charles sur la page de garde. (Si Nathalie a souvent fait suivre son prénom de celui de son mari après la mort de ce dernier, c’est probablement pour des raisons extra-littéraires ; cela n’implique pas qu’il ait collaboré à toutes les œuvres signées Nathalie-Charles). On a, en fait, l’impression qu’éditeurs ou critiques sont plus influencés par leurs goûts que par leur désir de vérité, concédant plus à l’un qu’à l’autre selon leurs préférences. Voici, en tout cas, et en s’en tenant aux principaux romans, la répartition qui semble la plus probable : "La Naissance des dieux", "Le Chant des astronautes", "An premier, ère spatiale", et "La Rosée du soleil" sont de Charles Henneberg. La contribution de sa femme y est difficile à évaluer. On peut avancer qu’elle a crû au fil des années et a porté essentiellement sur l’écriture qui, d’ailleurs, évolue et s’améliore.
Les ouvrages ultérieurs parurent bien après la mort de Charles. Il est cependant possible qu’il ait laissé certains des scénarios, notamment pour "Les Dieux verts" et "La Forteresse perdue". Cela est moins probable pour "Le Sang des astres" et a fortiori pour "La Plaie" et sa suite, "Le Dieu foudroyé". Nathalie est sans doute aussi l’auteur unique des nouvelles du recueil "L’Opale entydre".
Jacques Van Herp et Jacques Sadoul sont de ceux qui accordent volontiers un rôle prééminent à Charles Henneberg. Le premier, à qui l’on doit la réédition de plusieurs des titres mentionnés plus haut, dans la collection du Masque, écrit, en effet : « À sa mort Charles Henneberg laissait divers manuscrits inachevés. Ils furent complétés par sa femme, qui collaborait déjà avec lui dès le début ». Quant à Jacques Sadoul, dans son Histoire de la science-fiction, il cite le nom de Charles en huit occasions, celui de Nathalie deux fois seulement. Il commente abondamment "La Naissance des dieux", mais expédie en trois lignes "La Plaie", conjointement au "Sang des astres", considérant que ces romans « ne manquent pas de qualités – sens épique et poésie – mais sont écrits avec une surcharge de mots précieux et rares qui rend leur lecture souvent irritante. » Tout à l’inverse, Jacques Bergier glorifie généralement la seule Nathalie Henneberg. Pour Tolkien, écrit-il dans sa préface à "L’Opale entydre", « une véritable œuvre littéraire est un sous-univers complet et fonctionnant selon ses propres lois. Les écrivains capables d’atteindre ce niveau pourraient être appelés des écrivains magiques (…). Nathalie Henneberg, parmi les écrivains français contemporains, est la seule à mériter ce titre ». (…) Jusqu’alors, et malgré une personnalité certaine, Nathalie a écrit sous la double influence d’un mari dont elle a poursuivi l’œuvre et d’une science-fiction totalement accaparée par des écrivains occidentaux. "
(Nathalie Henneberg (1914 - 1977) et Notes sur "La Plaie" de Lorris MURAIL, Fiction n° 288, mars 1978)
C'est sans doute l'écrivain Charles MOREAU qui, dans ses articles accompagnant la réédition de "L'opale entydre" chez Terre de Brume en 2006 sous le titre "Des ailes dans la nuit et autres nouvelles", rétablira une vérité plus simple : l'influence du mystificateur Jacques Bergier, d'origine russe tout comme Nathalie Henneberg.
" (...) elle rencontre Jacques Bergier qui la prend sous son aile. Comme elle, il est d’origine russe et il vient de rentrer des camps nazis. Il lui parle de la science-fiction et des pulps qu’il lisait avant-guerre. Elle propose son premier roman à André Martel, mais l’heure est aux soucoupes volantes, on le lui refuse et on lui préfère Lucien Prioly. Chez Martel, on n’a jamais lu pareille histoire. "La Naissance des Dieux" est un roman-fleuve où l’âme russe de Nathalie est peut-être encadrée par son mari, mais rien n’est moins sûr, même si Jacques Sadoul – dans son Histoire de la science-fiction moderne – semble en être convaincu. Mais cette épopée sort bien tout entière de l’imagination de Nathalie. « Faire une boulette » pour commettre une erreur est peut-être à porter au crédit de son légionnaire d’époux. En fait, Nathalie est encore sous l’influence de son passé et des événements qu’elle a vécus. Et son orthographe qu’elle ne surveille pas assez, lui joue des tours, alors qu’elle écrit en transe : tout lui vient comme un torrent. Bisiaux a corrigé ses nouvelles et non son époux. C’est alors qu’intervient le lancement d’une nouvelle collection de science-fiction, la « Série 2000 », aux éditions Métal, où ne seront publiés que des auteurs français. Fin 1953, un concours de romans de science-fiction est ouvert. L’annonce en est faite dans les premiers volumes de la collection par un encart qui indique la composition du jury. Bergier en fait partie. Il prévient Nathalie dans le courant de l’année 1953. Elle doit réviser son roman et le couper pour qu’il cadre avec les autres volumes déjà achetés et qui paraîtront dès le début de l’année 1954. Bergier le juge excellent. Disposant de peu de moyens, Nathalie Henneberg fait circuler à la fois la première version et celle, abrégée, de La Naissance des Dieux. Ainsi Charles-Noël Martin (1923-2005) se souvenait d’avoir lu un roman bien meilleur, plus fourni et plus important que le volume des éditions Métal qu’il recevra lors de la remise du Prix Rosny aîné à Charles Henneberg, le 14 octobre 1954. Car Nathalie est presque contrainte d’y envoyer Charles : les éditeurs ne croient pas qu’elle soit capable d’écrire les romans qu’elle leur soumet et, dernier problème, elle souffre d’un dérèglement thyroïdien et a beaucoup grossi. Avec la complicité de Jacques Bergier qui adore ce genre d’affaire, elle monte le scénario et Charles devient écrivain. Il sera son représentant jusqu’à sa mort en 1959, sans que nul ne s’en doute. (…) Mystère publie [ses nouvelles] sous la direction d’Alain Dorémieux qui ne se doute de rien. Il aime le travail de Nathalie qu’il croit écrit par Charles Henneberg et il ira jusqu’à publier presque intégralement la notice distribuée aux journalistes présents le 14 octobre 1954 dans le numéro spécial de l’année.
Citons encore ce passage :
Le 14 octobre 1954, seuls deux hommes étaient au courant de ce que recouvrait cette fameuse remise du Grand prix du roman d’Anticipation scientifique. Mieux, ils l’avaient organisée presque de bout en bout, sauf bien sûr en ce qui concerne la décision du jury. Mais si tous les journalistes présents acceptèrent les dires de Charles Henneberg, l’un d’eux pourtant approcha la vérité. Le lendemain de la remise du prix, René Saulières, journaliste au Midi libre, rendit compte de l’événement d’une manière détaillée. Il fut probablement le seul qui questionna Charles Henneberg un peu plus en profondeur que les autres.
« … M. Charles Henneberg qui a l’allure timide d’un petit professeur de sciences naturelles (c’est sa formation), n’a pas oublié, par sa naturalisation française, en 1929, l’œuvre wagnérienne. Le titre de son roman couronné, La Naissance des Dieux est une réminiscence. Avec sa femme d’origine russe, il a écrit deux livres : Les Trois Légionnaires et Le Sabre de l’Islam, signés Dominique Hennemont, de même qu’une nouvelle, « Du sang sur les roses », qui présenté au concours de la nouvelle policière organisée par Mystère magazine a obtenu le second prix 1954… »
Charles Henneberg avait donc écrit ses deux romans en collaboration avec son épouse… Si René Saulières demanda à Charles Henneberg s’il en avait été de même pour La Naissance des Dieux, son article ne le mentionne pas !
En fait, dès avant 1950, Nathalie était déjà plongée dans la rédaction de ces deux livres qui faisaient appel à ses souvenirs de guerre comme à ceux de son époux.
Deux ans plus tard, Nathalie avait trouvé son premier éditeur : André Martel, éclectique éditeur basé à Givors.
Quand parut au début de l’année 1952, le premier roman signé Dominique Hennemont, il est certain que Charles Henneberg âgé de 52 ans n’avait jamais rien écrit de sa vie, à l’exception de travaux administratifs que lui avait confiés la Légion. Par ailleurs, les deux romans sur la Légion restent muets sur le début de la carrière de Charles, et onze ans ce n’est pas rien, même si on les a vécus avec un certain état d’esprit.
Nathalie avait la plume plus facile que celle de son époux : elle avait été enseignante, journaliste de l’émigration russe et correspondante de guerre en Syrie depuis 1941. Mais avait-elle trempé seule dans la rédaction du fameux grand prix ?
Une première réponse vient à l’esprit si l’on considère les deux premiers romans signés Dominique Hennemont, qu’elle a rédigés seule. Si Charles est intervenu dans leur rédaction, c’est seulement en tant qu’informateur. En outre, la brillante première partie de sa carrière aurait pu donner matière à bien des histoires et il n’en a rien été. Charles n’est pas un écrivain et n’a pas cette imagination créatrice qui est le propre d’une âme slave et celle de Nathalie, qui a toujours écrit dès sa plus tendre enfance.
Pour conclure ce long article, nous vous invitons donc à la lecture d'un roman écrit en français par une russe sous le nom de son mari d'origine allemande, gratifié d'un prix qui ne se renouvellera pas, mais qui pourtant marquera durablement par son style unique les auteurs français qui suivront, comme Stefan Wul, Michel Demuth ou Gérard Klein. Nous espérons, quant à nous, avoir aidé à rétablir une injustice, démasqué une mystification jugée en son temps nécessaire, mais résolument d'un autre temps, celui d'un machisme éditorial que l'on souhaiterait bien absolument révolu en notre temps.
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Nathalie HENNEBERG |
BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE
NATHALIE C. HENNEBERG
(Publié in "Des ailes dans la nuit", Terre de Brume 2006)
1950
1952
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1975
1976
1977
1999
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