29 novembre, 2023

Fiction n°053 – Avril 1958

Pour la première fois, Jean-Claude Forest marque de son inimitable patte la couverture de Fiction – ce mois-ci avec une novella originale signée Ivan Efremov.


On clique droit sur Forest !

Sommaire du Numéro 53 :


NOUVELLES

 

1 - Damon KNIGHT, En scène ! (You're Another, 1955), pages 3 à 31, nouvelle, trad. Roger DURAND

2 - Robert SILVERBERG, La Sangsue (Warm Man, 1957), pages 32 à 42, nouvelle, trad. Suzanne RONDARD

3 - Gérard KLEIN, Le Visiteur, pages 43 à 46, nouvelle

4 - Robert SHECKLEY, Amour & Cie (Pilgrimage to Earth / Love, Incorporated, 1956), pages 47 à 58, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX

5 - Mildred CLINGERMAN, La Sève de l'arbre (The wild wood, 1957), pages 59 à 67, nouvelle, trad. Yves RIVIÈRE

6 - Michel EHRWEIN, La Harpe, pages 68 à 72, nouvelle *

7 - Arthur Bertram CHANDLER, En cage (The Cage, 1957), pages 73 à 83, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH *

8 - Ivan EFRÉMOV, L'Ombre du passé, pages 84 à 117, nouvelle, trad. Harald LUSTERNIK

CHRONIQUES


9 - M. POLETTI, Entretien avec Ivan Efremov, pages 120 à 121, entretien avec Ivan EFRÉMOV

10 - Jacques BERGIER, L'Anticipation en U.R.S.S., pages 122 à 123, article

11 - N. RAZGOVOROV, En style « marronnier », pages 124 à 126, article

12 - Jean-Jacques BRIDENNE, Du temps où les bébés-lunes étaient encore dans les choux, pages 127 à 129, article

13 - Forrest J. ACKERMAN, La Science-fiction américaine en deuil (Henry Kuttner Obit / Tragedy of 1958, 1958), pages 130 à 131, article

14 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 133 à 137, critique(s)

15 - F. HODA, Résurrection de Frankenstein, pages 139 à 140, article

16 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 141 à 142, article

 

* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

On pourra penser au "Truman show" avec En scène !, de Damon KNIGHT, nouvelle toutefois un peu trop longuette pour le propos défendu. Correct toutefois.

Robert SILVERBERG prodigieux, au vu de son jeune âge, et de la maturité de style qui l’accompagne, avec La sangsue, une très belle nouvelle qui renouvelle le thème du télépathe qu'il développera encore à l'avenir. Un classique.

Poésie en prose pour Gérard KLEIN qui s'amuse de et avec les mots, dans Le visiteur.

La Terre est différente, mes amis. Vous autres, vous êtes spécialisés dans l'agriculture ? Eh bien, la Terre, elle, est spécialisée dans des choses aussi merveilleusement inutiles que la folie, la beauté, la guerre, l'intoxication, l'horreur et tout le reste à l'avenant, et les gens viennent de partout dans l'espace pour avoir des échantillons de ces produits-là.

Après « Le langage de l’amour » (in Galaxie n°47), Robert SHECKLEY traite encore une fois de la nature de l'amour, dans Amour et Cie ; après l'avoir légiféré, il en fait un marché qui n'a d'authentique que sa courte temporalité. Bien mené.

Mildred CLINGERMAN nous étonne dans La sève de l’arbre, en explorant un des thèmes sans doute des plus intéressants du fantastique, mais si difficile à manier : la dépersonnalisation, ici en plus réhaussé par une l’unité d'un point de vue sidéré. Le tout dans un conte de Noël sans mièvrerie.

Un nouveau venu qui fera aussi partie de l’équipe d’auteurs de la revue Satellite : Michel EHRWEIN, qui visite les quinconces du temps en mouvement dans une bluette fantastique : La harpe. Délicat mais un peu creux.

Arthur BERTRAM CHANDLER nous propose dans En cage une sympathique histoire de naufragés qui pourra rappeler "Le péril bleu" de Maurice Renard, avec une chute rapide et inattendue, bien que parfaitement logique.

Le gros morceau de ce numéro réside dans L’ombre du passé, par le peu traduit Ivan EFREMOV. Une très belle novella, dans un style simple et efficace, riche en descriptions préhistoriques et en épisodes de franches camaraderies toutes soviétiques.



On aura su apprécier le talent particulier d’Henry KUTTNER, seul ou en binôme avec sa femme Catherine MOORE. Hélas, comme le dit l’adage,
ce sont es meilleurs qui partent les premiers, du moins leur départ souvent prématuré nous laisse un goût amer d’inachevé. C’est le critique et éditeur Forrest Ackermann qui lui rend ici hommage.

 

LA SCIENCE-FICTION AMÉRICAINE EN DEUIL.

par FORREST ACKERMANN.

 

L'un des plus riches et des plus féconds écrivains de la science-fiction américaine, Henry Kuttner, est mort le 3 février dernier. Henry Kuttner était un phénomène littéraire ; il écrivait sous près de vingt pseudonymes, tels que Lewis Padgett, Lawrence O'Donnell, C.H. Liddell, Paul Edmonds, Keith Hammond, Hudson Hastings, Kelvin Kent, etc. Les plus célèbres de ses ouvrages étaient « The fairy chessmen », « Tomorrow and tomorrow », « Robots have no tails », « A gnome there was », « Mutant », « Ahead of time ». Une partie de son œuvre fut écrite en collaboration avec sa femme, le grand auteur fantastique Catherine Moore. Ce fut lui qui eut l'honneur d'inaugurer la S.F. américaine dans notre pays, lorsque le « Mercure de France » publia dans son numéro de juin 1953 une de ses nouvelles les plus fameuses, signée Lewis Padgett : « Tout smouales étaient les borogoves » (précédemment reprise dans l'anthologie « Univers de la science-fiction », au Club des Libraires de France). « Fiction » avait publié, dans son numéro de janvier dernier, une remarquable nouvelle de Henry Kuttner et Catherine Moore : « La machine à deux mains ». Nous vous en présenterons une autre, peut-être plus exceptionnelle encore, dans notre numéro du mois prochain, en hommage à l'écrivain disparu. Il faut déplorer à cette occasion que l'œuvre de Kuttner soit à ce point inconnue des lecteurs français. On peut espérer – on doit espérer – que nos éditeurs de science-fiction s'aviseront de le découvrir et de le révéler définitivement auprès des amateurs de notre pays. 

 

Vous lirez ci-dessous l'article que Forrest Ackermann, le spécialiste numéro un de la science-fiction aux États-Unis, nous a câblé aussitôt après la mort d'Henry Kuttner, et que nous reproduisons en exclusivité.

 

 Nous avons assisté à l'événement, mais nous étions incapables d'y croire. Aucun de nous ne voulait y croire. Aucun de nous n'y croit vraiment encore. Vingt-quatre heures après cet enterrement qui nous parut inconcevable, le seul sentiment qui persiste en moi est qu'il s'agit là d'une des pires catastrophes qui aient frappé le monde de la science-fiction, du plus grand désastre qui s'y soit produit depuis la mort prématurée de Stanley Weinbaum. Kuttner avait à peine plus de quarante ans.

 

Nous tous, qui habitions comme lui sur la côte Ouest, avons sans doute été plus personnellement frappés encore que tous ceux qui l'admiraient dans le reste du pays. Cette mort soudaine nous laisse désemparés. En emmenant Ray Bradbury en voiture à l'enterrement, je le vis donner libre cours à son chagrin, tandis que l'emplissaient son admiration et sa gratitude envers Henry Kuttner. Ce dernier s'était montré d'une générosité immense à son égard, me confia-t-il, en venant en aide à l'écrivain débutant qu'il avait été. La réaction de Leigh Brackett au téléphone fut la même : elle exprima tout ce qu'elle devait depuis ses débuts à Kuttner.

 

C'est le 3 février que sa femme, Catherine Moore Kuttner, le découvrit au lit, où il avait succombé à une imprévisible crise cardiaque. Moins de quarante huit heures plus tard, se déroulait la cérémonie funèbre, à laquelle assistaient notamment Edmond Hamilton et sa femme Leigh Brackett, Ray Bradbury, Richard Matheson, A.E. Van Vogt, Charles Beaumont, William Campbell Gault, Stuart Palmer, ainsi que de nombreux amis et admirateurs de l'écrivain. Leur réaction à tous était unanime : un incroyable malheur s'était produit. 

 

Henry Kuttner était un homme modeste, qui fuyait la publicité. Il ne m'avait pas laissé lui rendre l'hommage qui lui était dû, jadis, quand j'avais voulu lui consacrer un de mes articles sur les « Maîtres du Fantastique » dans la revue « Famous Fantastic Mysteries ». Sa femme et lui, avec la réserve qui les caractérisait, avaient récemment refusé d'être Invités d'Honneur à la Convention Mondiale de la Science-Fiction qui devait se tenir en 1957 à Londres. Il y aurait des pages d'éloges à consacrer à Henry Kuttner, mais par respect pour sa personnalité et pour les volontés de sa femme, je me contenterai de dire ceci pour terminer :

 

« Merci, Henry Kuttner, en tant qu'amateur de S.F., pour les années de merveilleuses lectures que vous m'avez procurées et que vous me procurerez encore ; en tant qu'homme, vous me manquerez pour le restant de mes jours ; et vous, chère et unique Catherine, pleine de bonté et de dévouement, recevez de moi tout ce qui peut apporter le réconfort. »

22 novembre, 2023

Fiction n°052 – Mars 1958

Quelques découvertes anglo-saxonnes au milieu d’un très bon niveau de SF française, dans un jeu de cache-cache aux pseudonymes, pour ce numéro du Printemps 1958.

 

Un clic droit et ça fuse ! 

Sommaire du Numéro 52 :


NOUVELLES

 

1 - Yves GANDON, Vie et métamorphoses de Peter Finch, pages 3 à 28, nouvelle

2 - Alan NELSON, Avec des gants... (The shopdropper, 1955), pages 29 à 38, nouvelle, trad. Roger DURAND

3 - Daniel MEAUROIX, La Nuit du Vert-Galant, pages 39 à 43, nouvelle

4 - Jane ROBERTS, Le Temple (The canvas pyramid, 1957), pages 44 à 54, nouvelle, trad. Evelyne GEORGES *

5 - Arthur C. CLARKE, Les Idées dangereuses (Security Check / The Intruders, 1956), pages 55 à 58, nouvelle, trad. Eve DESSARRE

6 - Poul ANDERSON, Un travail de romain ! (Survival Technique, 1957), pages 59 à 73, nouvelle, trad. Roger DURAND

7 - Christopher WOOD, La Proie (Mrs. Dalrymple's cat, 1953), pages 74 à 80, nouvelle, trad. Evelyne GEORGES *

8 - Fredric BROWN, Un homme d'expédition (Expedition, 1957), pages 81 à 82, nouvelle, trad. Roger DURAND

9 - François PAGERY, Le Cavalier au centipède, pages 83 à 104, nouvelle

10 - Mildred CLINGERMAN, Le Rêve (First lesson, 1956), pages 105 à 114, nouvelle, trad. Janine VILLARS *

 

CHRONIQUES


11 - Jacques VAN HERP, Abraham Merritt ou le voyage au pays des dieux, pages 118 à 122, article

12 - René-Marill ALBERES & Jean-Jacques BRIDENNE, A propos d'un article de "Combat" : La Science-Fiction est elle une littérature stéréotypée ?, pages 125 à 125, article

13 - Jacques BERGIER & Alain DORÉMIEUX & Gérard KLEIN & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 127 à 133, critique(s)

14 - (non mentionné), Un nouveau prix de Science Fiction, pages 135 à 135, article

15 - F. HODA, Films mineurs, pages 136 à 137, article

16 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 139 à 141, article

 

* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

 

 

Vie et métamorphoses de Peter Finch, par Yves Gandon, pourrait être du Maurice Renard, si ce n'était que le but visé n'est que de décrire de l'intérieur les sensations du règne du vivant. Les applications maléfiques du transfert de conscience seront, elles, laissées aux bons soins du Docteur Lerne.

On retrouve avec plaisir le Dr Departure de la nouvelle "Narapoia" (Fiction n°38) dans Avec des gants..., par Alan Nelson, dans une boutade légère et sans prétention.

Caché sous l’anagramme de Daniel MEAUROIX, Alain Dorémieux joue à pasticher Jean-Louis Bouquet, dans La nuit du Vert-Galant, pour un résultat très en deçà cependant, moins travaillé même que ses autres nouvelles publiées jusqu'alors. Est-ce la raison du pseudonyme ?

Le temple, par Jane Roberts, est un conte qui pourrait rappeler le « Nyarlathotep » de Lovecraft. Mais ici, la morale en est bien chrétienne, en ramenant les tartuffes à leur rang. Intéressant style, cependant.

Dans Les idées dangereuses, Arthur C. Clarke, toujours à son aise dans la concision, évoque les Men in black chers à ce sacré Jimmy. Jubilatoire !

Formes variées pour Un travail de romain !, nouvelle plutôt humoristique – où l’on retrouve un Poul Anderson étonnant et toujours bon novelliste. La loi d'équivalence (que reprendra William Tenn dans « Winthrop aimait trop le XXVème Siècle », in Galaxie n°50) permet de varier la situation classique du voyage dans le temps : ce sont ici ceux du passé qui voyagent dans notre "présent".

On se rappelle de la nouvelle « Le sourire du sphinx » de William Temple (dans l’anthologie « Escale dans l'infini »).  La proie, par Christopher Wood, jouit d’une belle construction et parlera à tous ceux qui sont persuadés que les chats occupent la véritable place de maîtres de ce monde.

On ne pourra qu'apprécier Un homme d'expédition, bonne blague à double détente de Fredric Brown, toujours aussi virtuose dans les formes ultra courte.

François Pagery a déjà traduit pour le Fiction n°46 la nouvelle de McIntosh « Des hommes et des loups ». Il s'agit en réalité d'un pseudonyme collectif utilisé par Patrice Rondard, Gérard Klein et Richard Chomet, qui sont de l'équipe de la revue Satellite. Ici, c’est Gérard Klein seul qui signe Le cavalier au centipède, très belle nouvelles riche en réflexions sur l'héroïsme, les valeurs qui s'y rattachent, les progrès et ceux qui les déclenchent. De très belles descriptions aussi, et une vie extraterrestre riche en imagination.

Le rêve, par Mildred Clingerman, ou : quand la foi devient un ensemble de rituels magiques abscons. Une nouvelle fantastique assez bien ficelée sur ce qui échappe à l'entendement.

15 novembre, 2023

Fiction n°051 – Février 1958

Un inédit de Gore Vidal et une célébration à Jacques Sternberg marquent ce numéro, agrémenté de textes de grande qualité signés Poul Anderson, Jean Ray, ou encore Charles L. Fontenay.

 

Un clic droit on ne peut plus mécanique !

Sommaire du Numéro 51 :


NOUVELLES

 

1 - Gore VIDAL, Visite à une petite planète (Visit to a small planet, 1957), pages 3 à 31, nouvelle, trad. Roger DURAND *

2 - Poul ANDERSON, Le Bout de la route (Journeys End, 1957), pages 32 à 40, nouvelle, trad. Bruno MARTIN

3 - Jacques STERNBERG, Partir, c'est mourir un peu moins..., pages 41 à 50, nouvelle

4 - Charles Louis FONTENAY, Lâchez tout ! (Up, 1957), pages 51 à 74, nouvelle, trad. Roger DURAND

5 - Julia VERLANGER, Les Derniers jours, pages 75 à 81, nouvelle

6 - R. V. CASSIL, Guerre dans les airs (The war in the air, 1956), pages 82 à 95, nouvelle, trad. Janine VILLARS *

7 - Jean RAY, La Choucroute, pages 96 à 101, nouvelle

8 - Gordon Rupert DICKSON, La Semaine de huit jours (Zeepsday, 1956), pages 102 à 117, nouvelle, trad. Evelyne GEORGES *

 

CHRONIQUES


9 - G. Harry STINE, Pourquoi nous avons perdu la course au satellite, pages 118 à 121, article, trad. Janine VILLARS *

10 - Gérard KLEIN, Jacques Sternberg ou le héros écŒuré, pages 122 à 129, article *

11 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 131 à 136, critique(s)

12 - F. HODA, Les Dimensions de l'amour, pages 137 à 138, article

13 - Jacques PINTURAULT, L'Âge d'or du cinéma fantastique : l'expressionisme allemand, pages 139 à 143, article *

 

* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Ce Fiction 51 s’ouvre sur une forme dialoguée (plutôt rare, mais dont on retrouvera pourtant un deuxième exemple dans le même numéro), présentée comme une forme théâtrale – mais qui est plutôt adaptée à une diffusion télévisée : Visite à une petite planète, par l’iconoclaste et touche à tout Gore Vidal. Un être d'outre espace y fait office de mauvais génie, et l’on pourrait s’en amuser ; mais les dialogues sont par trop explicatifs et les décors réduits à quelques intérieurs... on aurait attendu mieux d'une publication de Gore Vidal, qui signe ici une intrigue engoncée dans sa forme de script pour la télé. L'unique intérêt est peut-être de nous permettre d'entrevoir à quoi ressemblaient les créations tv d'alors, cependant la forme aurait sans doute gagné en subtilité une fois adaptée en nouvelle.

On poursuit avec Poul Anderson présenté comme « l’auteur maison » de Fiction. Certes, à cette époque, Fiction détient les trois quart de ses publications contre un quart pour Galaxie. Rien d'étonnant puisqu'une grande partie de ses nouvelles furent initialement publiées par « The magazine  of  fantasy & science fiction » (le « vaisseau mère » du Fiction français). Peut-être la présence insistante d’Anderson irritera certains lecteurs de la revue, car dès le mois suivant va s'installer une polémique chez les lecteurs de Fiction au sujet de Poul Anderson... Le bout de la route est pourtant une nouvelle d’un style et d’un traitement différents de ce que nous ont proposé Fiction ou Galaxie jusqu’à présent. Il y est question de la grande solitude du télépathe ; Anderson reprend ce thème en axant son récit sur le surcroit d'empathie que donnerait à l'espèce humaine un tel don s’il était universellement distribué... Mais est-on jamais prêt, même en relation symbiotique amoureuse, à livrer son intimité, et plus particulièrement ses hontes à autrui ? On repensera à la nouvelle de Galouye "L'asile" in Fiction n°44.

La revue Bifrost, pour son numéro 75 spécial Poul Anderson, en proposera une nouvelle traduction en Juillet 2014. A l’occasion de cette publication, on pourra y lire la nouvelle introduite en ces termes :

Cette nouvelle figure parmi celles de son auteur qui furent souvent reprises en anthologie – aux États-unis, bien sûr, mais aussi en France, où on ne compte pas moins de trois rééditions, dont une dans un ouvrage aux prétentions didactiques. Il faut dire qu’elle illustre à merveille le personnage du mutant télépathe. Publiée en 1957, elle échappa à l’Astounding de John W. Campbell, pourtant à l’époque toqué de pouvoirs psi, peut-être à cause de sa tonalité plutôt amère. Son titre fait référence à une citation de Shakespeare, extraite de La Nuit des roisTout voyage s’arrête au rendez-vous d’amour », dans la traduction de François-Victor Hugo). Signalons aux amateurs d’intertextualité que cette phrase sert de leitmotiv au célèbre roman de Shirley Jackson, Maison hantée, paru deux ans plus tard – Jackson connaissait bien The Magazine of Fantasy and Science Fiction, où du reste elle publia quelques nouvelles –, un roman où il est aussi question de deux esprits qui communiquent par la pensée, qui s’attirent et se repoussent… avec une tout autre conclusion.

Et son influence ne s’arrête pas là : « J’ai lu ce texte quand il est sorti et il m’a fait très forte impression. […] Il faisait sûrement partie des éléments dont je disposais quand j’ai écrit L’Oreille interne », déclara Robert Silverberg en 2009. Un texte essentiel, donc.

Mais c’est bien Jacques Sternberg la vedette de ce numéro, avec une très bonne nouvelle et un article dithyrambique de Gérard Klein le concernant (voir notre page dédiée). Dans Partir, c'est mourir un peu moins…Sternberg est grinçant comme jamais, et évoque celui qui survit à tout, même à la peine de mort ; et son point de vue désabusé développe même une résistance à la mort.

De la qualité encore, avec Lâchez tout ! de Charles L. Fontenay. Il s’agit d’un épisode des tout débuts de la conquête de Mars, bien documenté et vraisemblable, révélé avec une extraordinaire découverte, dans un style toutefois différent de "La soie et la chanson"  (in Fiction n° 47) mais tout aussi bon.

Les derniers jours est un récit post apocalyptique comme Julia Verlanger sait en faire, qui rappelle l'ambiance des nouvelles de Ward Moore comme le constate Fiction. Manque peut-être un peu d'intrigue et de fond.

Dans Guerre dans les airs, R.V. Cassill invente sans le nommer un nouveau type d'extra sensorialité : la psychocénesthésie... À moins qu'il ne s'agisse d'identification projective un peu poussée. Le moins qu'on puisse en dire est que l'auteur n'est pas tendre envers ses créations. Atypique et à découvrir.

Un grand classique, et Fiction aura contribué à la faire connaître, avec La choucroute de l’admirable Jean Ray, où - puisque c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures - Jean Ray actualise le "mythe de Tantale", non sans humour.

Seconde nouvelle sous une forme dialoguée, mai ici avec davantage d’à propos : c’est La semaine de huit jours, première nouvelle de Gordon R. Dickson à paraître au sommaire de Fiction. On y reconnait l'humour à froid de Dickson, pour une histoire un peu bavarde malgré tout, bien qu’intéressante.

On se souvient de  « La route est ouverte » par Lee Correy (in Fiction n°50), dont on savait qu’il s’agissait du pseudonyme d’un ingénieur en aéronautique. C’est maintenant cet ingénieur, G. Harry STINE, qui parle dans Pourquoi nous avons perdu la course au satellite, à propos du lancement de Spoutnik d’Octobre 1957. Voilà un article intéressant, et un point de vue certainement à contre-courant pour son époque. Mais la nouvelle du mois précédent était toutefois plus approfondie.


Parmi les articles, on notera dans les Glanes interstellaires la portée de l’effet Spoutnik. 

Ouverture du Musée Jules Verne

Ce n'est pas un hasard si cette inauguration s'est produite au moment où le lancement des Spoutniks a ouvert l'âge des voyages dans l'Espace : la Cosmonautique est née du périple circumterrestre d'une petite sphère de métal dont le bip… bip… bip… annonce pour bientôt l'annexion de la lune comme banlieue de la Terre.

(…)

L'Ère du Progrès ne fait que commencer ; cybernétique, astrophysique, stéréotronique, œuvres d'art spatiodynamiques, voilà autant de mots qui ne connaissent pas tous encore l'honneur d'une définition dans le dictionnaire et qui doivent gagner bientôt leur place dans le langage courant.

Progrès... technique. Un mois auparavant, des nouvelles de la même revue démarquaient bien le progrès technologique et le progrès social et humain, et leur déséquilibre allant croissant.

Le musée Jules Verne, quant à lui, situé dans le palais Berlitz à Paris (lieu d’exposition pourtant de sinistre mémoire au regard de ce qui y fut présenté fin 1941) n’y perdurera pas. Un autre musée dédié à ce père de la SF verra le jour à Nantes en 1978.

Par ailleurs, et si Spoutnik ouvre la voie à un intérêt plus concret pour la science-fiction chez un lectorat jusqu’ici béotien en la matière, on peut noter que les années qui vont suivre marquent un espace éditorial en souffrance. La revue Galaxie disparaîtra courant 1959, et Fiction ne suffira plus à fournir des plages de publications à une éventuelle science-fiction française émergente. En témoigne cet appel (ou plutôt "non-appel") :

PLUS DE MANUSCRITS, S. V. P. !

Depuis le lancement de « Fiction », près de 800 nouvelles françaises nous ont été soumises en vue d'une publication éventuelle. À l'heure actuelle, plus de 70 de ces nouvelles sont retenues pour nos numéros à venir. À raison de 2 ou 3 par numéro – chiffre maximum que nous observons – nous sommes couverts en manuscrits français pour plus de deux ans à l'avance. Il est donc inutile de nous soumettre de nouveaux manuscrits, dont nous ne serions même pas en mesure d'assurer la publication. Nous prions tous les auteurs de bien vouloir tenir compte de cet avis et nous nous excusons d'avance de ne pas leur répondre ou cas où ils nous communiqueraient quand même leurs récits.

11 novembre, 2023

Cadeau bonus : « E=mc2» - Pierre Boulle 1957

En ce 11 Novembre 2023, nous célébrons la paix si menacée entre les peuples, avec ce partage d’un recueil de nouvelles de Pierre Boulle, datant de 1957 : "E=MC2".

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C’est dans l’intersection des horreurs passées de la Seconde Guerre Mondiale et d’une Guerre Froide nourrissant une anxiété mondiale croissante, que Boulle propose ce recueil de 4 nouvelles, croisant des regards sur les avancées scientifiques de son époque (la conquête spatiale et les applications physiques de la Théorie d’Einstein sur la relativité) et la part qui échappe encore et toujours à la science : la croyance, voire la crédulité, en des phénomènes surnaturels.

« E=MC2 » a été recensé deux fois (ça n’est pas si courant) dans les numéros 42 et 43 de la revue Fiction. Tout d’abord par Igor B. Maslowski :

   " On se souvient certainement d'un recueil de récits d'A.S., « Les contes de l'absurde », dont j'avais fait l'éloge il y a quelque quatre ans et qui valut à son auteur le Grand Prix de la Nouvelle 1953. Pierre Boulle récidive aujourd'hui en nous offrant un volume de quatre contes et nouvelles, « E = mc2 », dont trois se rattachent à la SF humoristique et philosophique, cependant que le quatrième, d'un sujet plus noble, examine un cas de conscience.

 Dans « Les Luniens », Boulle nous narre comment un jour Russes et Américains se rencontrent sur la face de la Lune que nous ne voyons pas et, se prenant mutuellement pour les indigènes du satellite, procèdent à une étude détaillée et admirative des us et coutumes réciproques ; admiration qui ne dure que jusqu'au moment où la vérité est décelée.

 Dans « L'amour et la pesanteur », l'auteur nous décrit par la bouche du principal intéressé, le jeune marié, les péripéties d'une nuit de noces à bord d'un satellite artificiel démuni de pesanteur.

 Dans « Le roman d'une idée », il nous présente d'une façon ironiquement cruelle ce qu'aurait pu donner l'énergie atomique si elle avait été employée à des fins non militaires.

 Dans « Le miracle », enfin, nous voyons un prêtre qui, en ayant provoqué un, avec pour effet secondaire la conversion d'un athée, perd lui-même la foi, ne pouvant logiquement expliquer l'événement.

 Sans être aussi réussi que « Les contes de l'absurde », « E = mc2 » est un recueil qu'on lit avec grand plaisir (je fais des réserves sur le style « paysan » d'« Amour et pesanteur » qui alourdit la narration) et qu'on médite (« Amour » excepté). Voilà de l'anticipation scientifique typiquement française, voltairienne. Quand l'auteur nous donnera-t-il un grand roman de SF ? "

(Igor B. Maslowski, in La revue des livresFiction n°42, Mai1957)

Dans la même rubrique, Jacques Bergier ajoute son éloge le mois suivant, comme pour augmenter l’intérêt des lecteurs, et en prenant le parti de défendre l’aspect « essai » de l’ensemble des nouvelles. (Attention : divulgachage).

" Autre ouvrage remarquable, qui à mon avis mérite aussi bien d'être traité comme un essai que comme un recueil de nouvelles : « E = Mc2 », de Pierre Boulle (dont I. B. Maslowski a déjà parlé par ailleurs le mois dernier).

 On peut trouver peut-être, sur le plan littéraire, l'affabulation de ces nouvelles un peu mince et certains incidents invraisemblables. Mais, considéré comme essai et comme satire sociale, je trouve ce livre excellent. La première nouvelle en particulier : « Les Luniens », et la dernière : « E = Mc2 », sont des excursions étonnantes dans des mondes possibles. 

 Je ne sais pas si Pierre Boulle connaît assez la science-fiction pour avoir le concept des univers parallèles au nôtre, où les événements ont évolué d'une autre façon. Il en décrit en tout cas un proprement merveilleux dans le récit « E = Mc2 ».

 Il s'agit d'un univers où l'application de la formule d'Einstein aux bombes A et H n'a jamais été réalisée. Par contre on a réalisé l'application inverse : la conversion de l'énergie cosmique en matière.

 Einstein et quelque autre savant réussissent à canaliser l'énergie des rayons cosmiques et à faire apparaître à partir du néant des fleurs d'uranium. Ces fleurs tombent sur… Hiroshima avec des résultats tout aussi catastrophiques que la bombe A. Ce petit chef-d'œuvre d'ironie à lui seul justifie largement l'achat de ce livre."

(Jacques Bergier, in La revue des livres, Fiction n°43 – Juin1957) 

Ce qualificatif d’essai, pour Bergier, semble plutôt désigner la part philosophique des nouvelles, comme si la littérature d’imagination ne pouvait être prise de prime abord au sérieux, comme pour dire : « Il s’agit de science-fiction, mais pas d’un simple récit de distraction ou d’évasion, mais plutôt d’une réflexion sur ce qu’il advient si…, ou ce qui aurait pu advenir. »

Ce n’est pas la première fois qu’on peut noter cette ambigüité chez Bergier, sans doute plus attiré par ce que le domaine spéculatif peut apporter aux sciences qu’aux aspects littéraires des genres de l’imaginaire. Néanmoins, lorsque Bergier évoque le thème des « mondes parallèles », on reconnait bien le genre décrit comme étant plutôt celui de « l’uchronie ».

Renvoyons gentiment à Bergier son observation sur la connaissance « scientifictionnesque » de Boulle (« Nous ne savons pas si Jacques Bergier connaît assez la science-fiction pour avoir le concept des univers parallèles au nôtre, où les événements ont évolué d'une autre façon ») tant il est vrai que cette catégorie de fictions scientifiques était encore à l’époque assez rare (bien que le mot ait été forgé en 1857 par le philosophe Charles Renouvrier). On retiendra dans la littérature « Autant en emporte le temps » de Ward Moore, qui date de 1953 mais ne sera traduit qu’en 1977 en France.

Mais revenons à Pierre Boulle ; cette dernière nouvelle du recueil (« E=MC2 ou le roman d’une idée ») sort du lot par son traitement, et, en n’explicitant pas son statut d’histoire parallèle, « uchronique », plonge le lecteur dans un trouble qui va grandissant.

En inversant l'application atomique et guerrière de la formule d'Einstein, Pierre Boulle imagine dans cette uchronie que l’on donne à Einstein la possibilité de transformer non pas la matière en énergie (destructrice), mais l’énergie cosmique (les radiations naturelles émanant principalement du Soleil) en matière. La conclusion rappellera la nouvelle de Robert Sheckley "La Clé laxienne" (voir Galaxie n°16), sans son humour toutefois, du fait de la terrible réalité de la destruction d'Hiroshima.

Des trois autres nouvelles, deux traitent de conquête spatiale. Sans doute faut-il rappeler que cette année 1957 est très marquée par le lancement réussi du premier satellite artificiel « Spoutnik » (suivi de près par Spoutnik II avec à son bord la célèbre chienne Laïka). Lorsque parait le recueil de Pierre Boulle, le projet soviétique n’a pas encore abouti, mais des rumeurs persistantes rappellent sans cesse l’imminence des premières satellisations. Voilà bien un sujet tout trouvé de spéculation à court terme – et Boulle de s’en donner à cœur joie avec « Amour et pesanteur - Histoire dédiée aux esprits passionnés de science-fiction » (et son sous-titre qui rappelle qu’on a encore besoin de prendre des pincettes avec le lectorat quand il s’agit d’imaginer la potentielle réalité de demain).

Traité sur un mode tout aussi humoristique, mais plus grave toutefois par le fond, « Les luniens » évoque les clivages politiques entre les deux blocs dominants qui se dessinent dans l’organisation des nations durant ce début de Guerre Froide. Ici, c’est la conquête du territoire de la Lune qui permet aux américains et aux soviétiques de considérer leurs idéologies respectives avec un regard neuf. Voyons le point de vue américain tout d’abord :

« Si on s’élève au-dessus des détails, pour considérer dans sa généralité l’esprit organisateur lunien, on constate d’ailleurs qu’il y a entre eux et nous des analogies remarquables. Notre grand principe de management, par exemple, celui-là même qui est inscrit en lettres d’or à l’entrée de nos grandes administrations : « Trusted until sacked », c’est-à-dire : « Donnez à vos hommes de grandes responsabilités, et faites-leur confiance, jusqu’à ce que vous les flanquiez à la porte », eh bien, gentlemen du C.S.I., c’est lui qui préside à toutes les entreprises des Luniens. Ils l’appliquent à la gestion même de l’État. Leurs hommes politiques ont des pouvoirs étendus jusqu’à ce qu’ils cessent de donner satisfaction. Alors, ils sont immédiatement liquidés, comme nos ingénieurs incapables ou nos administrateurs maladroits. Cette règle, dont nous nous croyions les inventeurs, elle est appliquée intégralement sur l’autre face de la Lune, par des êtres audacieux, qui n’hésitent pas à tirer toutes les conséquences bénéfiques d’une idée juste. » (« Les luniens » - chapitre 3 – extrait)

Et maintenant le pendant soviétique :

« Notre idéal communiste, camarades, selon lequel tous les Biens d’intérêt public doivent être collectifs, et que nous éprouvons parfois des difficultés à transposer dans la pratique, cet idéal est réalisé intégralement ici même, sur l’autre face de la Lune. Mais surtout ce qui nous a rendu muets d’admiration, c’est la beauté du procédé par lequel ce résultat est obtenu. Il consiste en ceci : les fonds nécessaires au lancement ou au développement d’une entreprise quelconque sont divisés en parts ; en parts assez faibles pour être à la portée de toutes les bourses ; en parts appelées actions. (Notez en passant la puissance suggestive de ce terme.) Ces actions peuvent être souscrites, le sont effectivement par tout individu qui désire avoir un intérêt dans l’entreprise. Ainsi l’ouvrier, ainsi le plus modeste des manœuvres, ainsi le paysan sont automatiquement propriétaires de leur usine, de leur chantier ou de leur terrain, et participent aux bénéfices de leur exploitation. Ainsi est réalisé le grand principe communiste. » (« Les luniens » - chapitre 4, extrait)

En bref, Pierre Boulle met le doigt sur ce qui rassemble est et ouest : la justification d’une économie de marché par une idéologie de gestion des masses laborieuses. Mais la confrontation des idéologies dans une tacite acceptation laissera entendre qu'il pourrait exister un terrain d'entente hors des dogmes. Quand la vérité éclatera, le clivage idéologique reprendra ses droits non sans l’amertume d’un beau gâchis.

Tout comme « Les luniens » joue avec les dogmes politiques, « Le miracle », (ce miracle, qui ne provoque en moi aucun élan ! comme le dit son principal protagoniste) pointe les positions dogmatiques de la science et de la religion, qui se considèrent l’une l’autre en chiens de faïence. Boulle décrit bien ici les mécanismes de société qui font des réussites jugées improbables par la science, qualifiées donc de miraculeuses, des messages éventuels de Dieu. Toutefois, Boulle rappelle que juger d'un miracle n'est pas donné à celui qui le fait.

Pour approfondir votre lecture de Pierre Boulle dans le champ de la science-fiction française, nous ne pouvons que vos conseiller la lecture de la très complète étude publiée dans le cadre de la revue universitaire Res Futurae, et son numéro 6 consacré à cet auteur (https://resf.hypotheses.org/2945) .

08 novembre, 2023

Galaxie (1ère série) n°050 – Janvier 1958

Un festival d'auteurs de premier ordre pour ce premier Galaxie de l'année 1958, avec des nouvelles pour la plupart jamais reprises ailleurs - "Vive l'aventure !" de Robert Sheckley en tête.

Clic droit sur la Lune ! Roger !

Sommaire du Numéro 50 :


1 - Raymond E. BANKS, Bohémiens de l'espace (Payload, 1957), pages 3 à 18, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD

2 - Robert ABERNATHY, Les Révoltés (One of Them?, 1956), pages 19 à 27, nouvelle, trad. (non mentionné)

3 - Daniel F. GALOUYE, « Prenez, je vous en prie !... » (If Money, 1957), pages 28 à 46, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Peter BOWMAN *

4 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 47 à 48, courrier

5 - Gordon Rupert DICKSON, D'un danger à un pire... (Robots Are Nice?, 1957), pages 49 à 58, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Dick FRANCIS *

6 - Albert FERLIN, Un commando de Mars, pages 59 à 73, nouvelle *

7 - Robert SHECKLEY, Vive l'aventure ! (Morning After, 1957), pages 74 à 97, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Peter BOWMAN *

8 - Cyril M. KORNBLUTH & Frederik POHL, La Tribu des loups (2ème partie) (Wolfbane, 1957), pages 98 à 115, roman, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD

9 - William TENN, Winthrop aimait trop le XXVe siècle (Winthrop Was Stubborn / Time Waits for Winthrop, 1957), pages 116 à 131, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Virgil FINLAY *

10 - Fredric BROWN, Le Dernier Martien (The Last Martian, 1950), pages 133 à 136, nouvelle, trad. (non mentionné)

11 - Jimmy GUIEU, Les Soucoupes volantes, pages 137 à 138, chronique

12 - Jacques SADOUL, Le Vieillard de nos rêves, pages 139 à 143, nouvelle *

13 - (non mentionné), Saviez-vous que…, pages 144 à 144, notes


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Bohémiens de l’espace est une nouvelle de Raymond E. Banks malheureusement sans trop d'intérêt, où la SF n'est qu’un décor ; la dure loi des affaires gouverne le récit sans vraiment d'imagination.

Il n’en est pas de même pour Les révoltés : Robert Abernathy y entretient sciemment la confusion entre androïde et être vivant de synthèse, comme pour insister sur l'aspect mécanique de la fabrication du vivant. Bien entendu, on sent qu’il y manque quelque chose ; sans doute Abernathy qualifierait-il d'âme cette part sensible qui échappe à l'ingénierie - comme l'atteste une très pertinente référence au livre de Job – mais plutôt que de verser dans un catéchisme, il nous laisse plus subtilement entendre que cette part d'humanité consiste finalement à donner une histoire à l'individu, à l’individuer par sa « fiction » personnelle.

Comment considérer la colonisation d'un monde où tout est offert jusqu'à l'absurde ? Avec Prenez, je vous en prie !.., Daniel F. Galouye reprend à son compte le style Sheckley : humoristique, rusé, et déroutant pour ses protagonistes jusqu’à l’effarement.

Dans le roman "Erewhon" (1872), Samuel Butler imaginait déjà un mouvement humain massif de révolte contre les machines. Frank Herbert en reprendra la moelle pour adjoindre un "djihad butlérien" au contexte galactique de "Dune". Nous en avons ici, avec D'un danger à un pire, par Gordon R. Dickson, une vision un peu candide, certes, mais qui pourrait en effet advenir si le sentiment d'indépendance humaine tendait à être étouffé. N'est-ce pas ?

Depuis plus de quatre ans, combien en ai-je lu de ces entrefilets : « Les habitants de… ont aperçu vers minuit moins le quart une lueur se déplaçant au-dessus de l’horizon, à très grande vitesse. Étant donné le lieu d’apparition et le sens de déplacement du mobile, il ne pouvait s’agir d’un aérolithe…» etc…

De plus, toute une littérature s’est construite sur le sujet, et les gens s’y complaisent.

— Qu’est-ce que cela peut bien vous faire ? disait Torrie.

Évidemment ! Les gens ont le droit d’écrire des bouquins stupides, que d’autres ont le droit de lire.

Un philosophe n’a-t-il pas dit, au surplus, que cette histoire de soucoupes volantes était nécessaire pour remplacer les vieilles légendes impuissantes, de nos jours, à contenir l’angoisse métaphysique qui nous étreint. Tous les moyens sont bons pour y échapper : le whisky pour les uns ; pour d’autres, les histoires idiotes…

Outre ce sacré clin d'oeil à ce sacré Jimmy (qui fait l’incipit de la nouvelle) - et tout en évoquant au passage un texte remarquable de Roland Barthes (publié dans sa rubrique "Petite mythologie du mois" dans les Lettres Nouvelles) - Albert Ferlin, déjà remarqué dans le Galaxie n°46, nous propose dans le jubilatoire Un commando de Mars le récit d’une résistance à l'envahisseur, avec des cotés "hard science" fort intéressants.

 « À quoi bon travailler quand il suffit de voter pour assurer sa subsistance ? ». Voilà le point de départ, vite dépassé, de Vive l’aventure ! On pensera ensuite et sans doute à « Planète à gogos » de Pohl et Kornbluth, mais ici, Robert Sheckley brouille les lignes comme pour passer allègrement d'un thème à l'autre, avec un foisonnement de situations qu’un écrivaillon aurait délayé sans scrupule en romans.

A propos de Frederik Pohl et Cyril M. Kornbluth, la seconde partie de La tribu des loups va beaucoup trop vite en péripéties - là où tout un contexte social et galactique avait été soigneusement élaboré dans la première. En réalité, le roman initial a été sévèrement mutilé – « Galaxie » sera longtemps critiquée pour avoir abusé de ces pratiques éditoriales.

Des lois d'équivalence pour les voyages temporels : William Tenn emprunte à Poul Anderson (voir  Fiction n° 52) ce pré requis tout à fait plausible, dont il donne dans Winthrop aimait trop le XXVe Siècle un exemple a contrario. Il y a là de quoi développer toute une série de nouvelles, à l'instar des "Robots" d'Asimov.

Toujours concis, Fredric Brown joue avec brio dans Le dernier martien sur les représentations et les ficelles implicites du récit. Son histoire rappelle aussi celle de Louis-Auguste Cyparis, l'unique survivant de l'éruption de la Montagne Pelée en 1902.

 (…) il existe en France des milliers de personnes qui, sur la base des faits, croient aux S.V., et qui espèrent que des êtres venus d’autres planètes – peut-être d’autres systèmes solaires – ne surveillent point notre Terre pour l’asservir, mais pour la faire accéder à une civilisation supérieure, faite de plus de sagesse et de plus de bonté.

Ce sacré Jimmy (Guieu) n'imagine rien tant qu'une politique de colonisation extraterrestre en donnant foi à d'hypothétiques arguments civilisateurs (où seuls les naïfs donneraient dans le panneau). Quand on se souvient de son passé de maquisard dans les réseaux de la Résistance, on lui accordera l'excuse d'avoir un peu vieilli...

Jacques Sadoul, qui deviendra plus tard Monsieur « J’ai Lu », mais ici tout jeune encore, pétrit son récit Le vieillard de nos rêves tout en mépris pour la suprématie de la tekné, mais avec des mains par trop molles. Là où l'on aurait aimé un peu de cruauté façon Leiber, Sadoul conclut sur une farce un peu mièvre. On reparlera de l’éditeur, de l’anthologiste, du critique, on oubliera l’auteur…


La rubrique « Saviez-vous que… » nous livre encore ses petites perles de candeur des années 50.

…SAVIEZ-VOUS QUE … aucune conversation secrète n’échappe aux micros électroniques ?

IL existe plusieurs sortes de ces appareils ultra-sensibles, dont l’usage commence à se répandre en Californie d’une façon fort préjudiciable aux confidences.

Le plus étonnant de tous est le « fusil microphonique ». Il suffit de le pointer dans la direction voulue pour entendre des conversations, même à voix basse, tenues à plusieurs centaines de mètres. La seule protection contre cette oreille indiscrète est de fermer soigneusement les fenêtres.

Mais il est d’autres « espions » qui s’introduisent à domicile et ne sont pas toujours faciles à déceler sans recherches approfondies. Ainsi, l’enregistreur de poche, qui peut tenir dans une serviette et recueillir une audition de cinq heures sur bande magnétique… ou le micro sans fil, muni d’un appareil émetteur, et plus minuscule encore, puisqu’il se dissimule dans un paquet de cigarettes. Par ce dernier système, il est possible de capter des paroles prononcées à voix basse dans une pièce de dimensions moyennes et de les retransmettre par radio à un poste d’écoute distant de plusieurs centaines de mètres.

D’ores et déjà, les micro-électroniques seraient utilisés par plusieurs grandes sociétés pour surprendre les entretiens privés entre les membres de leur personnel. Certains commerçants s’en serviraient pour connaître les impressions échangées par leurs acheteurs éventuels et prévenir ainsi leurs objections.

Les auteurs gais trouveront peut-être là une mine de gags, mais n’y a-t-il pas aussi de quoi vouer le monde entier au mutisme ?…

Quid de l’espionnage ? Qui n’y avait pas pensé ?... "Gag à l'Ambassade" !


Dans la série « Alors là, mon cher, vous êtes en pleine science-fiction !»

…SAVIEZ-VOUS QUE… les Américains avaient inventé la publicité odorante ?

LE premier exemple de ce nouveau procédé de vente est un numéro de septembre du New York Post sur lequel s’étale une boite de fraises rutilantes… dont l’alléchant parfum, reproduit chimiquement, envahit les narines du lecteur.

D’autre part, on annonce que les rues new yorkaises seront bientôt embaumées par des pneus imprégnés d’essence de pins ; que l’encre prendra l’arôme de certains fruits, tandis que les robustes relents des engrais se « travestiront », à la campagne, en un frais parfum de menthe.

Dans un autre registre, la même rubrique nous rappelle que les principes de datation au Carbone 14 ne sont pas si vieux :

…SAVIEZ-VOUS QUE…

 

…la détection du radiocarbone dans la nature était une source précieuse de découvertes archéologiques ?

 

LES recherches se basent sur le fait que le radiocarbone, ou C 14, est uniformément réparti dans le monde, et que sa production est toujours égale depuis des millénaires. Si bien que toute substance organique renferme, mêlée aux carbones 12 et 13 stables qui la constituent, une certaine proportion de ce carbone 14 radio-actif qui se désintègre très lentement pour se transformer en azote 14.

Si l’on sait que la « période » du radiocarbone, c’est-à-dire le temps qu’il met pour se détruire de moitié, est de 5.600 ans environ, et que le C 14 contenu dans un gramme de matière organique fraîche donne environ seize chocs à la minute au compteur de radiations atomiques, il est aisé de calculer l’âge de tout vestige animal ou végétal. 

Bien entendu, de telles détections nécessitent un appareillage extrêmement sensible et une technique très approfondie. Une minutieuse purification chimique est nécessaire pour obtenir du carbone très pur. D’autre part, les rayons cosmiques et les corps radio-actifs naturels provoquent un brouillage gênant le comptage des chocs issus du C 14, qui deviennent plus faibles avec le temps. Aussi, ne peut-on, actuellement, déceler la présence du radiocarbone au-delà d’une période de 35.000 ans, ce qui n’est déjà pas mal !

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