Des oeufs, des pactes, mais pas d'oeufs de pacte pour ce numéro de Noël 1955 !
Sommaire du Numéro 25 :
NOUVELLES
1 - Zenna
HENDERSON, Les Isolés (Gilead, 1940), pages 3 à 28, nouvelle, trad. (non
mentionné)
2 - Yves
DARTOIS, Le Foulard qui remuait (The Expert, 1955), pages 29 à 39, nouvelle
3 - Robert
ABERNATHY, Un homme contre la ville (Single Combat, 1955), pages 40 à 49,
nouvelle, trad. (non mentionné)
4 - Philippe
CURVAL, L'Œuf d'Elduo (1955), pages 50 à 58, nouvelle
5 - Idris
SEABRIGHT, L'Œuf du mois (An Egg a Month from All Over, 1952), pages 58 à
65, nouvelle, trad. (non mentionné)
6 - Richard
MATHESON, Journal d'un monstre (Born of Man and Woman, 1950), pages 66 à
70, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX
7 - AnthonyBOUCHER & Miriam
Allen DEFORD, Un monde aux cieux dormant... (Mary Celestial, 1955), pages
71 à 86, nouvelle, trad. (non mentionné)
8 - Y.F.J.LONG, L'Envoyé extraordinaire, pages 87 à 93, nouvelle
9 - Frank
GRUBER, Le Treizième étage (The Thirteenth Floor, 1949), pages 94 à 108,
nouvelle, trad. (non mentionné)
CHRONIQUES
10 - F. HODA, La Critique des revues, pages 109 à 109, critique(s)
11 - (non
mentionné), Résultats du "concours de Préférences", pages 110 à 111,
chronique
12 - Jacques
BERGIER & Alain DORÉMIEUX & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !,
pages 112 à 115, critique(s)
13 - Jean-Jacques
BRIDENNE, Le Capitaine Danrit. L'utopiste de la guerre, pages 119 à 121,
article
14 - F. HODA, Un
constructeur de l'Etrange : La plus belle conquête de cheval, pages 122 à 123,
article
15 - (non mentionné),
Table des récits parus dans « Fiction », pages 128 à 128, index
Zenna HENDERSON
ouvre la voie avec Les isolés (Gilead
- 1954), une belle nouvelle sur les difficultés des migrations, qui vient
poursuivre Les rescapés. En un sens
aussi, Henderson préfigure les idéaux des communautés hippies à venir.
Œufs brouillés, servis
par deux : L'oeuf d'Elduo par Philippe CURVAL (1955), et L’œuf du mois (An egg a month from all
over) par Idris SEABRIGHT (1952). Et
puisque Fiction juxtapose ces deux nouvelles, n'ayons pas de scrupule à les
comparer : l'œuf de Curval est meilleur ...
Plus sérieusement, dans
le grand récit familial de la SF française, nous assistons ici aux débuts de
Philippe Tronche dit Philippe Curval.
Dans la lignée de Jacques Sternberg, il réalisera tout d'abord un certain nombre
de couvertures pour Fiction (les Beaux Arts sont même son cheval de bataille précédent : il
avait participé au décorum de l'exposition "Présence du futur" en
décembre 1953 à la Librairie parisienne La Balance dont il était aussi le secrétaire).
Devenu écrivain, une longue carrière s'ouvre à lui : de nos jours presque centenaire, il
continue toujours d'écrire et figure incontestablement parmi les grands noms de
la science-fiction française.
Autre grand nom pour
une nouvelle devenue classique : Journal
d'un monstre (Born of man and woman) par Richard MATHESON (1950). Dommage que le texte d'introduction dans
la revue "divulgache" un peu le plaisir de comprendre cette nouvelle
par soi-même.
Après les deux œufs,
les deux pactes : Un monde aux cieux
dormant... (Mary Celestial) par Miriam
ALLEN deFORD et Anthony BOUCHER
(1955), qui n'est jamais qu'un conte fantastique sur un pacte avec un démon, l'ensemble
déguisé en S.F. ; et L'envoyé
extraordinaire par Y. F. J. LONG
(1955), où ce même thème du commerce avec le démon se retourne en erreur d'appréciation. Peu
d'intérêt toutefois.
Le treizième étage
(The thirteenth floor) par Frank GRUBER
(1948), un auteur et scénariste plus connu des lecteurs de polars et
d'aventures westerns, est somme toute une histoire de paradoxe temporel, assez
charmante, dans l'univers des grands magasins.
Nous noterons la
parution de la 3ème Table des récits de Fiction, reprenant les sommaires par
ordre alphabétique d'auteur des numéros 20 à 25. Vous en trouverez l'équivalent
ici, enrichi des publications de Galaxie, sous l'appellation "Les auteurs publiés dans Fiction et
Galaxie".
Nous ne résistons pas à
l'envie d'ajouter une goutte de zuzotou dans le schmuel : la "critique des revues" fait
état du numéro 2 de la revue "Bizarre", pour laquelle Thomas OWEN a
composé un article "Jean Ray, l’insaisissable". Ne boudons pas notre plaisir, ce (court) article, qui
l'air de ne pas y toucher construit "le mythe Jean Ray", nous vous le
proposons en BONUS en clic-cliquant ici ! Si ! Si !
Deux extrait de ce numéro 25 à
présent. Le premier est une petite brève faisant écho à celle parue dans le
numéro précédent (voir ici), au sujet des projets de
satellites artificiels (Ah ! qu'il devait faire doux dans l'espace sans toute
cette couche d'acier inoxydable !) Le second traite d'un auteur montant en cette
fin d'année 1955.
Entrée
de l’anticipation dans l’histoire.
Le
premier thème de « science-fiction » à passer, si l’on ose dire, « dans le
domaine public », sera de toute évidence celui des satellites artificiels. Cela
fait trente ans que les auteurs américains se sont plu à les imaginer… et
maintenant l’anticipation se rapproche de plus en plus de la vérité de demain.
Les satellites artificiels sont en effet devenus très à la mode depuis quelque
temps, et de façon officielle. Les U.S.A. avaient déjà donné tous les détails
sur le lancement, dans quelques années, de « leur » premier satellite : la
fusée Viking. Voici que les Pays-Bas, à leur tour, en projettent la réplique.
La course est engagée… première étape vers une future conquête.
…
Mais les satellites artificiels, hélas ! sont maintenant démodés en S.-F. Ils
sont au rang des antiquités… On y reste encore si près de la Terre !…
*
A l'en croire, c'est la revue
Fiction qui a introduit Richard Matheson en France. Même si, en effet, ce
numéro 25 de Décembre 1955 publie sa toute première nouvelle ("Journal d'un monstre"),
rappelons que Matheson a déjà vu à ce moment-là trois autres de ses récits
publiés dans Galaxie (les numéros 3, 12 et 13, précédent Fiction de plus d'un an sur ce terrain).
Voici toutefois narré le fabuleux destin du Journal
d'un monstre, en ouverture à la nouvelle.
« Journal d’un monstre » est le
premier à paraître d’une série de récits que nous avons en réserve de Richard
Matheson et qui devraient faire de celui-ci une des grandes vedettes de« Fiction ». Mais
le conte a une histoire qui vaut d’être retracée, en même temps que celle de la
carrière de l’auteur.
« Born
of man and woman » (titre original) parut dans notre édition américaine
en 1950 ; son auteur n’avait jamais rien eu de publié
auparavant ; il était âgé seulement de vingt-trois ans. Aussitôt après
cette parution, les lettres de lecteurs affluèrent pour saluer le
« frisson nouveau » que leur avait communiqué ce coup de maître d’un
débutant. En peu de temps, ce dernier devint le plus populaire des
« auteurs d’une seule histoire » de la revue. Six mois après, il
avait vendu une douzaine de récits à autant de magazines de S.-F. et de
fantastique sur le seul renom et l’élan acquis par ce lancement. Un an après,« Born
of man and woman » était repris dans l’anthologie permanente des
meilleures histoires de S. F. de l’année – distinction rarissime pour une
première œuvre publiée. L’année suivante, Richard Matheson collaborait de façon
régulière à la plupart des grands magazines du genre, dont évidemment « Fantasy
and Science Fiction » qui l’avait révélé. En 1953,
« Born of man and woman » reparaissait au sommaire de la plus
extraordinaire anthologie deS.-F. et de fantastique de ces dernières
années : « Children of wonder », recueil d’histoires
ayant des enfants pour héros. Le nom de Matheson, par ailleurs, se retrouvait
dans neuf anthologies sur dix, et il était déjà célébré de part et d’autre, à
vingt-cinq ans, comme un des maîtres de la littérature qu’il illustrait. Entre
temps, l’inépuisable« Born of man and woman » était réédité en
librairie de façon définitive en donnant son titre au premier recueil de
nouvelles de Matheson, mi-partie inédit. Enfin, en1954, venait la
consécration de son premier roman, l’admirable « I am
legend », qui vient de paraître en France sous le titre « Je
suis une légende ».
Nous
avons tenu à entrer dans les détails pour souligner ce cas exceptionnel :
un écrivain à qui un récit de quelques pages a suffi pour s’imposer d’emblée,
tout en servant de tremplin à une ascension fulgurante et un précoce triomphe.
Dick Matheson a déjà dispensé à son public tant de splendeurs qu’on en
viendrait presque à craindre qu’il use trop vite ses réserves, qu’il brûle la
chandelle par les deux bouts ! De telles réussites météoriques, comme on
en voit aux U.S.A., surprennent toujours un peu dans la vieille Europe où l’on
a l’esprit plus « rassis »… Mais l’avenir est à Dick Matheson et à
ceux de sa génération !
En
attendant, il y a ses nouvelles, dont « Fiction »vous offrira
des exemples parmi les plus remarquables. Il y a cette œuvre rare et
hallucinante qu’est « I am legend ». Et il y a aussi, dans
un genre moins important, le récent second roman de
Matheson, « Someone is bleeding », où il s’est, on dirait
presque diverti, à accomplir une brillante démonstration de style en
faisant semblant d’écrire un policier « noir ». Ce roman,
rappelons-le aux amateurs qui l’ignoreraient, a déjà paru en France,
malheureusement non précédé de la réputation de l’auteur et perdu de façon
anonyme parmi la production de la « Série Noire », qui l’a publié
avant les vacances sous le titre (bizarre !) « Les seins de
glace ». Le « guide » de notre
bulletin « Cellules Grises », en recommandant sa lecture,
l’a qualifié avec justesse de « cauchemar en forme de roman ». C’est
un ouvrage inquiétant, malsain, halluciné, qui est au roman noir de série ce
qu’un poignard empoisonné est à un couteau de cuisine… Il est à interdire aux
âmes sensibles et à conseiller à ceux qui aiment en littérature les recettes
nouvelles, les plats exotiques, les cuisines mijotées avec des aromates
inconnus aux saveurs acérées.
Le
talent de Richard Matheson est en effet essentiellement un talent morbide.
Selon certains, cet énoncé de fait devrait entraîner un jugement de valeur,
morbide devenant synonyme de faisandé, pernicieux et décadent. Mais l’existence
d’une œuvre n’a rien à voir avec ses mobiles psychologiques. Poe, Kafka et
Lovecraft ont été des écrivains morbides et c’est pourquoi leur œuvre est ce
qu’elle est. Il n’y a pas d’autre problème."