27 juillet, 2022

Fiction n°018 – Mai 1955

De grands classiques du fantastique côtoient quelques agréables récits de Science-Fiction pour un numéro 18 très éclectique, comme souvent avec la revue Fiction.

Qu'aurait fait Jules Verne avec un epub ?

Aurait-il cliqué sur la couverture ?

 

Sommaire du Numéro 18 :

NOUVELLES

 1 - Jean RAY, Le "Psautier de Mayence", pages 3 à 26, nouvelle

2 - Philip Maitland HUBBARD, La Bouteille à l'espace (Manuscript found in a vacuum, 1953), pages 27 à 29, nouvelle, trad. (non mentionné)

3 - Dale JENNINGS, Un chien qui rapporte (The Gingerbread Man, 1954), pages 30 à 33, nouvelle, trad. (non mentionné)

4 - Fitz-James O'BRIEN, La Chambre perdue (The lost room, 1858), pages 34 à 47, nouvelle, trad. (non mentionné)

5 - Mildred CLINGERMAN, Dites-nous, grand-mère... (Minister without portfolio, 1952), pages 48 à 55, nouvelle, trad. (non mentionné)

6 - Randall GARRETT, Ressources infinies (Infinite Resources, 1954), pages 56 à 60, nouvelle, trad. (non mentionné)

7 - Gil MADEC, Le Contretype, pages 61 à 73, nouvelle

8 - Robert ABERNATHY, Recommencement (Heirs Apparent, 1954), pages 74 à 93, nouvelle, trad. (non mentionné)

9 - Robert SHECKLEY, Tu seras sorcier ! (The Accountant, 1954), pages 94 à 102, nouvelle, trad. (non mentionné)

10 - T. S. WATT, La Pêche et son péché... (Visitors from Venus, 1954), pages 103 à 105, nouvelle, trad. (non mentionné)

11 - Danièle LUCAIRE, Quelle planète étrange !..., pages 106 à 108, nouvelle

 

CHRONIQUES

12 - Jacques BERGIER & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 109 à 113, critique(s)

13 - Alain DORÉMIEUX, "Marianne de ma jeunesse" ou la nostalgie du "Grand Meaulnes", pages 114 à 115, article

14 - F. HODA, Mais où sont les vampires d'antan ?..., pages 117 à 119, article

15 - Jean-Jacques BRIDENNE, Un disciple de Jules Verne. André Laurie et la "science-fcition" d'hier, pages 121 à 123, article

16 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 125 à 125, courrier

17 - (non mentionné), Le Cinquantenaire de la mort de Jules Verne, pages 126 à 126, article 

 

Rapport du PreFeG (Juillet 2022)

  • Relecture
  • Corrections orthographiques et grammaticales
  • Ajout du sommaire (inexistant dans l'epub d'origine, mais présent dans la revue).
  • Ajout de nombreuses pages de publicité (repris du scan originel)
  • Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
  • Mise en gras des titres in "Revue des livres"
  • Ajout de la note (2b) (Erratum publié dans le Fiction n°20)
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

Des classiques du fantastique, donc. On démarre sur les chapeaux de roue avec "Le psautier de Mayence" de Jean RAY. Une magnifique nouvelle, même si c'est une habitude avec cet auteur, qui pourrait entrer sans se départir dans le panthéon des récits du Mythe de Cthulhu.

En 1957, Radio Luxembourg en réalisera une adaptation radiophonique de 52 minutes. Il eest possible de l'écouter sur archive.org ICI !

"La chambre perdue" aménagée par la belle plume de Fitz James O’BRIEN nous propose une histoire au fantastique ammené graduellement et de façon subtile.

Si "Un chien qui rapporte" par Dale JENNINGS est un petit conte fantastique, sans grande envergure toutefois, "Tu seras sorcier !" par Robert SHECKLEY, par contre, nous amène à la lisière du genre, avec son trivial vu comme une force tout aussi magique que celles dont usent les démons. Nous n'en dévoilerons pas plus, mais l'on s'amusera avec Sheckley à inverser les valeurs dominantes. (On notera aussi au passage que Sheckley, d'habitude publié dans les pages de la rivale "Galaxie", mensuellement même en cette période de 1955, le sera ce mois de mai dans Fiction...)

Quelques rencontre du troisième type... ou peut-être du quatrième ? Avec "Dites-nous, grand-mère…" par Mildred CLINGERMAN (nouvelle venue mais que l'on retrouvera régulièrement), et "La pêche est son péché" par T. S. WATT (un auteur qui ne fait que passer, semblerait-il), nous voilà avec deux histoires d'incrédules à leurs façon. Pour "Quelle planète étrange !" par la jeune Danièle LUCAIRE âgée de 13 ans, nous avons une belle preuve que Montesquieu avait encore la vie longue en 1955 !

Pour finir, de la S.F. à l'état brut : dans "Ressources infinies" par Randall GARRETT (l'auteur des enquêtes de Lord Darcy, soit du steampunk avant l'heure…) l'énergie d'un univers est mise au profit d'un seul individu, sur un ton que n'aurait pas renié Sheckley ni Brown. "Le contretype" par Gil MADEC (un pseudonyme, nous informe la revue) - où la tentation du banditisme rencontre un génial inventeur... On repense bien entendu à Roger Sorez, mais aussi à William Temple, avec moins de naïveté ici que chez ce dernier toutefois, et surtout une très bonne concision du récit. Dans "Recommencement" par Robert ABERNATHY, la civilisation, se détruisant elle-même, laisse la place vacante à la barbarie - ou à un simple nomadisme pour Abernathy. On pensera à "Terre brûlée" de John Christopher, qui viendra quelques années plus tard.

Comme extrait de ce numéro 18, nous vous proposons de parcourir ici la critique de "Malpertuis" de Jean Ray, ouvrage devenu un classique incontournable de la littérature fantastique. L'auteur des lignes suivantes (Bergier ou Maslowski, ou encore Dorémieux ?) ne s'y trompe pas…

 

" Vis-à-vis de ce livre extraordinaire, il y a deux attitudes possibles : la perplexité ou l’admiration qui vous laisse bouche bée. Les lecteurs non « prédisposés » à s’abandonner à l’ivresse qu’il procure ne dépasseront pas le premier chapitre… ils le refermeront avec consternation et le fuiront avec la stupeur que vous inspirerait un animal d’une autre planète ! Avis par conséquent à ceux qui, même amateurs de fantastique, tiennent à voir conservée dans les conséquences d’un postulat une certaine part de rigueur logique – mais pourquoi le fantastique aurait-il à se soucier de logique ? Celui de « Malpertuis » échappe aux mesures, prolifère avec une exubérance de jungle vénéneuse, coupe tous les liens avec le réel, le monde diurne, la vérité concrète. Il vous plonge dans une nuit peuplée de monstres inédits, où toutes les terreurs peuvent arriver, où l’impossible est possible, où le cauchemar vous guette à chaque détour comme les apparitions dans les « trains-fantômes » des foires. C’est hallucinant, irrespirable ; on en émerge comme d’une plongée dans un bain de soufre… Bref, c’est magnifique. 
Il n’y a que Lovecraft qui vous donne pareille sensation de démesure, qui vous communique à ce point le vertige. Il est significatif à ce propos que ce soit la collection « Présence du Futur » qui, après nous avoir révélé le grand auteur américain, « lance » enfin Jean Ray dans notre pays où il était scandaleusement ignoré, sinon de quelques amateurs. Le courage paie encore ! Les lecteurs de « Fiction », eux, auront pu le découvrir en « avant-première », grâce à « La ruelle ténébreuse » ; et ils trouveront dans le présent numéro une autre de ses histoires les plus célèbres. On a souvent dit que le genre fantastique n’était viable que sous forme de nouvelle ; on pouvait le croire une fois de plus, à voir Jean Ray porter à un tel degré de perfection cette formule qui est sa préférée. Mais « Malpertuis », que nous n’avions pas lu (bien que l’édition belge date de plus de dix ans), apporte la preuve du contraire. Ce roman fantastique est une de ses réussites les plus étonnantes, ce qui n’est pas peu dire.
L’ouvrage porte en sous-titre : « Histoire d’une maison fantastique ». Discrète allusion à la cascade de phénomènes qui déferlent d’un chapitre à l’autre sur un rythme percutant ! Malpertuis est plus qu’une maison hantée ; c’est le lieu géométrique où convergent toutes les forces maléfiques issues d’un autre plan. L’auteur parle quelque part d’un « pli dans l’espace expliquant la juxtaposition de deux mondes d’essence différente, dont Malpertuis serait un abominable lieu de contact ». On reconnaît là une de ses données familières, déjà suggérée dans « La ruelle ténébreuse ». La nature de ce « second monde » nous est précisée dans les derniers chapitres. Ces explications laisseront peut-être certains lecteurs réticents. Pour nous, elles ont une simplicité dans l’évidence qui est un trait de génie. Elles referment le cercle, elles bouclent la boucle ; et pourquoi ne seraient-elles pas admissibles, dès le moment qu’on a pris le parti de tout admettre (il le faut bien !) ?
Si les divers recoupements proposés aboutissent enfin à faire jaillir une lumière, on pourra quand même faire un léger reproche à l’auteur : à propos de l’obscurité un peu hermétique du début. Tout le roman est d’ailleurs présenté comme un assemblage de plusieurs manuscrits en apparence étrangers les uns aux autres, mais dont les données s’entrecroisent (toujours comme dans « La ruelle »). Au lecteur d’avoir la tête assez solide et la résolution assez ferme pour s’aventurer dans ces méandres. Bien vite, d’ailleurs, il n’aura plus le temps de réfléchir ; il sera emporté dans le maelstrom des épouvantes qui se déchaînent sur la sinistre maison de Malpertuis – et là, on est trop passionné pour se donner seulement la peine d’essayer de comprendre ! Quant aux explications finales déjà mentionnées, elles ont le mérite de résoudre les énigmes presque comme dans un roman policier… tout en nous faisant basculer dans un fantastique à l’échelle cosmique (mais sans rapports avec celui de Lovecraft).
À le considérer de plus haut, le roman apparaît comme une synthèse de l’œuvre de Jean Ray, un « concentré » de son univers. Jamais son imagination n’a été plus fulgurante, ni le climat créé par elle plus saisissant. Ce climat, dont l’irréalité sue l’inquiétude et vous prend à la gorge, il fallait tout le talent de l’auteur pour nous imposer sa présence avec tant de force.
Il faut lire les évocations du hideux Malpertuis, de ses spirales d’escalier, de ses labyrinthes de couloirs, de son jardin pareil à un puits… Dans ce décor parfaitement impensable – au sens littéral – se meuvent des personnages aussi insolites que les silhouettes qui, dans les dessins de Gustave Doré, semblent partir à l’assaut d’un burg géant sous la lune. Ils sont incompréhensibles, mais fascinants ; leurs faits et gestes semblent être autant de symboles ordonnés en une figure dont la clé ne se dévoile que par bribes. On se sent comme entré par erreur dans un rêve qui ne vous concerne pas et obligé de le vivre.
Quant au style, on n’en finirait pas de louer ses ressources suggestives. Ce monde irrationnel ne nous est rendu parfaitement acceptable que grâce à une langue qui s’y adapte comme par mimétisme et nous en restitue l’envoûtement. Cette langue ruisselle, étincelle, charrie des pépites ; les phrases y éclatent comme des bourgeons sous trop de sève.
Il est difficile d’en dire davantage, car un tel livre ne se raconte pas. Du moins espérons-nous avoir fait sentir quelle place exceptionnelle il occupe, à une hauteur illimitée au-dessus du niveau standard des collections dites « d’épouvante » ! Au firmament du fantastique, il brille comme un météore. "

 

20 juillet, 2022

Galaxie (1ère série) n°015 – Février 1955

La conquête spatiale n'implique-t-elle pas la modification de l'humain ? Voilà l'un des thèmes déclinés dans ce numéro 15 de Galaxie.

Augmenté ou non, un colon le demeure

comme un collectionneur cliquant sur la couverture

pour obtenir son epub !

 

Sommaire du Numéro 15 :


NOUVELLES

1 - Robert SHECKLEY, Permis de maraude (Skulking Permit, 1954), pages 2 à 28, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Mel HUNTER

2 - Phillips BARBEE, La Sangsue (The Leech, 1952), pages 29 à 42, nouvelle, trad. (non mentionné)

3 - Lyn VENABLE, Le Mal du pays (Homesick, 1952), pages 43 à 48, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH

4 - Arthur SELLINGS, Ces hommes si bons... (The Age of Kindness, 1954), pages 49 à 55, nouvelle, trad. (non mentionné)

5 - Roger DEE, Mission accomplie (Assignment's End, 1954), pages 56 à 77, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Irv DOCKTOR

6 - Mark MEADOWS, Train de plaisir (Joy Ride, 1954), pages 78 à 85, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Dick FRANCIS

7 - Charles VAN DE VET, En de multiples miroirs (Wheels Within, 1952), pages 86 à 98, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par HEMS

8 - Walter Michael MILLER, Légitime défense (Command Performance, 1952), pages 99 à 112, nouvelle, trad. (non mentionné)

9 - Evelyn E. SMITH, Spécimens uniques (Collector's Item, 1954), pages 114 à 144, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH

Rapport du PreFeG (Juillet 2022)

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  • Corrections orthographiques et grammaticales
  • Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
  • Vérification et mise à jour des liens internes
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  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

L'homme d'antan, avec une vie simple et pastorale, nous est présenté comme un charmant archaïsme, et n'est en fait qu'une reconstitution dictée par des modèles coloniaux révolus. C'est "Permis de maraude" de Robert SHECKLEY - dans la série "Qui trop embrasse mal étreint", une charmante histoire de colons candides et simples confrontés à s'adapter à une guerre galactique.

Pour Lyn VENABLE (Marylin Venable, dont la nouvelle "Une question de temps" a été adaptée par elle-même pour devenir un des sommets de la série Twillight zone.) "jamais le même homme ne se baigne jamais dans le même fleuve", comme disait Héraclite. Qu'en est-il de revenir sur Terre après trente ans de voyage spatial ? Qu'il le recherche ou non, l'humain est modifié par les contraintes du voyage spatial. ("Le mal du pays")

Avec "Ces hommes si bons", de Arthur SELLINGS, là encore le voyage spatial génère une modification de l'homme... ou plutôt : nécessite un homme déjà modifié. On repensera à "Sa chance" du finlandais Oliver Saari, paru le mois précédent dans Fiction n°14 de Janvier 1955.

Evelyn E. SMITH, avec "Spécimens uniques", nous décline les mots d'ordre des colons dans toute leur splendeur : s'établir et exposer des spécimens locaux. On frôle l'absurde avec cette nouvelle amusante.

Pour les autres nouvelles : "La sangsue" de Phillips BARBEE, en réalité un pseudonyme de Robert SHECKLEY, dont deux récits sont ainsi publiés dans le même numéro, déploie un joli petit cauchemar cosmique. L'effet "mercure", considéré dans nos luttes anti terrorisme actuelles, est ici défini par l'exemple. "Solve et coagula", comme disent les alchimistes.

"Train de plaisir", de Mark MEADOWS (inconnu et sans autre occurrence), nous décrit clairement,non sans humour ni grincement de dents ce qu'on appellera dans notre 21ème Siècle la Singularité, soit le moment prédit où les intelligences artificielles prendront le pas sur les décisions humaines.

"Mission accomplie", de Roger DEE, un polar qui tourne à la S.F. , mélangeant mutants à la Sturgeon et réalités imbriquées à la Dick, et "En de pultiples miroirs", de Charles VAN DE VET, semblent avoir été écrits avec la même idée de départ. Curieux choix éditorial, qui donne malheureusement la sensation d' une redite.

Une mention spéciale à "Légitime défense", de Walter Michael MILLER, où ce remarquable auteur décline à son tour le thème du mutant, avec un point de vue adulte et élaboré, agrémenté de très belles descriptions de confusion mentale.

14 juillet, 2022

Cadeau bonus : « La naissance des dieux » - Charles (Nathalie) Henneberg - Grand Prix Rosny Aîné du roman d'anticipation scientifique 1954

Il est des écrivains forgés à l'aune du mystère et de l'énigme, aux biographies entremêlant auto-fiction pétillante et sordide réalité, dont le biographe aurait bien du mal à séparer le vrai du faux, tant le "mensonge", ou plutôt l'arrangement avec la réalité, génère de situations, d'écritures, d'influences, et d'exégèses. "Le couple Henneberg présente ce qu’on appelle une énigme littéraire.", écrivit Lorris Murail, et en effet pose un véritable petit casse-tête éditorial.

Mais tout d'abord, présentons ce qui fût leur premier roman de Science-Fiction, que nous vous proposons aujourd'hui au format epub, téléchargeable comme à l’accoutumée en cliquant sur la couverture ci-contre, "La naissance des dieux".

Quatrième de couverture Éditions Métal, collection série 2000 (1954)

« Ainsi, prononça Gœtz, avec une solennité étrange, nous serions venus... au cinquième jour de la création ! Nous verrons naître les apparences et les formes... Nous ne procréerons pas : quoi qu'en dise notre camarade, — il est impossible de faire un enfant au brouillard... »

Et pourtant...

A l'aube de toute religion et de toute histoire, il y a les héros et les dieux. Une théorie moderne veut que les planètes subissent des cycles géologiques : tout chaos est suivi d'une Genèse. Nietzsche a parlé de l’Éternel Retour : Ea-Ohannès des Summériens qui débarqua « d'un poisson d'argent », les bâtisseurs du Sphynx de Guizeh, les Olympiens d'Homère et les Niebelungen, furent des hommes comme nous.

Les trois Terriens échappés à une des fins de leur globe : le Savant, l'Astronaute et le Poète créeront donc, dans le sang, les larmes et le rire aussi — car les dieux rient ! — une vie sur GEA, la mystérieuse planète où palpite une brume-mère. Ils peupleront la forêt de félins et les gouffres de monstres, donneront les lois aux para-hominiens et livreront le combat des Anges. Ils aimeront aussi, car Géa révérera la Vierge-Chasseresse et l'antique Vénus. Et un dernier survivant de l’Ère Atomique leur révélera le secret du monde nouveau.

Une rigoureuse hypothèse philosophique sert de base à une épopée. Un souffle wagnérien passe sur les hauteurs où chevauche la Chasse des Morts. Les mythes de l'Hellade revivent sous le soleil rose de Géa, dans sa couronne d'astéroïdes.

Telle est « LA NAISSANCE DES DIEUX ».

Autre quatrième de couverture, celui figurant sur l'édition de la Librairie des Champs-Élysées, collection "Le masque Science-Fiction" n°51, Février 1977, correspondant à l'édition que nous vous proposons ici.

Il leva les cils et vit la bête qui dansait sur le hamac.

Une montagne de chair grise, à trompe courte, à demi émergée du néant reniflait grotesquement.

Les monstres étaient en pleine création, parfois ils s'effaçaient, puis reprenaient corps avec une netteté effroyable. Le brouillard vivant était monté comme une marée, il s'insinuait dans ses narines, entrait dans ses poumons, et Gœtz se sentait sans forces, écrasé, réduit à l'état d'éponge. Il allait mourir. Géa le dévorait comme une mante monstrueuse.

Ce roman, le premier de Charles HENNEBERG (1899-1959) surprit par son souffle épique et sa splendeur baroque. Il valut à son auteur le prix « Rosny Ainé ».

A propos du Grand Prix du roman d'anticipation scientifique Rosny-Aîné

Bien qu'il existât un Prix International d'Anticipation Scientifique, qui fût remis en 1954 à Londres à Theodore Sturgeon pour "Les plus qu'humains", ce Grand Prix Rosny-Aîné du roman d'anticipation scientifique, dont le champ lexical fleure bon les années 50, détonne par son manque de notoriété. (Un prix Rosny-Aîné existe bien, mais il récompense un roman et une nouvelle et ce depuis... 1980 !)

 Une note sur l'incontournable encyclopédie en ligne Noosfère nous informe sur ce "Grand Prix" :

Ce prix n'est relié en aucune manière au prix Rosny aîné décerné à la convention française de science-fiction depuis 1979. Il s'agissait d'un prix spécifique aux éditions Métal. Le seul lauréat en est le roman de Charles Henneberg, dans la catégorie "Grand prix du roman d'anticipation scientifique".

D'entrée de jeu, nous voilà confrontés à une sorte de charade : un auteur inconnu (Charles Henneberg), une maison d'édition naissante (les éditions MÉTAL), un Grand Prix orphelin d'éventuelles autres catégories, voire "mort-né"... Le tout contextualisé par les débuts d'une collection (la collection Série 2000, exclusivement réservée à des auteurs français, inaugure sa maison d'éditions en mars 1954)…

Que savons-nous de ce 14 Octobre 1954, jour de la cérémonie de remise du Grand Prix Rosny-Aîné du roman d'anticipation scientifique ? Nous citons ici le n°12 de Fiction, daté de Novembre 1954 :

CHARLES HENNEBERG
lauréat du Grand Prix du Roman d’Anticipation Scientifique - Prix Rosny Aîné

M. Groetz, directeur des Éditions Métal et fondateur du Grand prix du Roman d’Anticipation Scientifique, avait réuni, le 14 octobre dernier, au restaurant de l’Aérogare des Invalides, les membres du jury de ce prix en vue de son attribution.

Ce jury, présidé par M. Louis Chéneau, délégué général du Congrès International du Progrès Scientifique, était composé de :

MM. René Audubert, Professeur d’Électrochimie à la Sorbonne ; Jacques Bergier, Membre de l’Académie des Sciences de New-York, Physicien ; Jean Birgé, Directeur Littéraire des Éditions Métal ; Robert Borel-Rosny, homme de lettres et petit-fils de Rosny Aîné ; Austin Fairbanks, Ingénieur-Conseil ; Dr Hunwald, Professeur d’Anthropologie ; Charles Martin, Attaché de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique ; Igor B. Maslowski, critique littéraire ; Pierre de Latil, homme de lettres, spécialiste de la cybernétique ; Maurice Renault, Directeur de la revue « Fiction ».

Après un premier tour de scrutin qui donnait 4 voix à « La Naissance des dieux », de Charles Henneberg, 3 voix à « Les Étoiles ne s’en foutent pas », de Pierre Versins, 2 voix à « Les Atlantes du Ciel », de Y.-F.-J. Long, et 2 voix à « L’Homme, cette maladie », de Claude Yelnick, une majorité se forma rapidement au second tour sur le nom de M. Charles Henneberg, auteur de « La Naissance des dieux », véritable épopée wagnérienne qui révèle des dons incontestables d’écrivain chez son auteur ; celui-ci l’emporta par 9 voix sur 11.

À l’issue du déjeuner qui a suivi le vote, la charmante vedette de la scène et de l’écran, Mlle Jeanne Moreau, présidente d’honneur de cette réunion, a remis à l’heureux lauréat un chèque de 250.000 francs, montant de ce prix.

M. Charles Henneberg « cumule », en peu de temps, car il vient de remporter, il y a quelques semaines, le 2e prix au Grand Prix de la Nouvelle Policière 1954, créé par « Mystère-Magazine » et « La Revue Internationale de Criminologie », de Genève, pour sa nouvelle : « Du sang sur les roses ».

A observer la liste des nominés, on constatera que tous ont été publiés dans la collection Série 2000. Cette remise de prix prend ainsi des airs d'opération commerciale au bénéfice des Éditions Métal. Voyons ce que, rétrospectivement, en écrit Charles Moreau dans sa postface à "Des ailes dans la nuit" de Nathalie Henneberg (Terre de brume, Collection Poussière d'étoiles n°17, 09/2006)

Le grand Prix du roman d’Anticipation scientifique (prix Rosny aîné) fut décerné le jeudi 14 octobre 1954 dans le restaurant de l’aéroport des Invalides. Créé en début d’année il avait été annoncé par voie de presse et par un encart inséré dans les quelques livres publiés jusque-là par les Éditions Métal. Les manuscrits devaient être remis en deux exemplaires avant le 15 mai.

À l’instar des quelques rares autres prix de l’époque, cette récompense était une initiative devant faciliter la promotion des auteurs de l’éditeur Métal. Dans ce cas précis, un jury composé de personnalités éminentes du monde littéraire et scientifique lui conférant un certain sérieux, qu’on en juge : Jean Birgé, directeur littéraire des Éditions Métal, Robert Borel-Rosny, homme de lettres et petit-fils de J.-H. Rosny aîné, sous les auspices duquel il fut placé, Igor B. Maslowski, critique littéraire, Maurice Renault, directeur de la revue Fiction, et agent littéraire, Pierre de Latil, écrivain et spécialiste en cybernétique, Charles-Noël Martin, attaché de recherches au CNRS, René Audubert, professeur d’électrochimie à la Sorbonne, Austin Fairbanks, ingénieur-conseil, le Dr Henwald, Professeur au Collège philosophique et à l’école d’Anthropologie, Louis Chéreau, Président du Congrès pour le progrès scientifique et technique, qui allait présider le jury du Grand Prix et Jacques Bergier, membre de l’Académie des Sciences de New-York et physicien. Au premier tour "La Naissance des Dieux" de Charles Henneberg remportait quatre voix, "Les Étoiles ne s’en foutent pas" de Pierre Versins trois voix, "Les Atlantes du ciel" de Y.-F.-J. Long deux voix, et "L’Homme cette maladie" de Claude Yelnick deux voix. Un second tour mit tout le monde d’accord sur "La Naissance des Dieux", « véritable épopée wagnerienne qui révèle des dons incontestables d’écrivain chez son auteur », ainsi que le rapportait dans son numéro de novembre la jeune revue Fiction.

En fait, ce qui avait fasciné les membres du jury, c’était la poésie et le lyrisme qui se dégageait du roman d’Henneberg ; les amateurs pensèrent aussi que le pari d’Henneberg était pratiquement gagné, puisqu’il arrivait à se hisser au niveau des meilleurs écrivains américains des années cinquante. L’avenir ne devait pas les décevoir.

Deux hommes avaient joué un rôle considérable dans cette affaire : Charles Henneberg lui-même, et Jacques Bergier.

Source : INA (Séquence à 01:52)

Les actualités cinématographiques de cette semaine-là nous donnent les temps forts de la cérémonie de remise du prix. En premier, la table des membres du jury nous est présentée : on y voit beaucoup de gens qui discutent avec passion. Jacques Bergier s’adresse à Maurice Renault et à Jean Birgé qui tient la maquette du roman sorti tout frais des presses et que l’on vient de distribuer sur le coup de 15 heures à tous les participants. Puis les images nous montrent Charles Henneberg, alors que celui-ci reçoit un chèque de 250 000 francs des mains d’une jeune actrice, Jeanne Moreau. En réalité. Charles Henneberg est ému à plus d’un titre, d’abord parce qu’il fait face à la foule des journalistes qui s’apprêtent à le bombarder de questions et ensuite parce qu’il sait une vérité qu’il ne peut divulguer.

Les journaux de l’époque font écho à cette cérémonie et laissent entrevoir que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles apparaissent.

Charles Henneberg a la cinquantaine. Il porte des lunettes d’écaille et moustache, et lorsqu’on lui demande sa nationalité, il répond : « Je suis légionnaire. » Il est aussi écrivain, car il a déjà publié : Trois Légionnaires et Le Sabre de l’Islam qui sont des souvenirs militaires…

Ainsi s’exprime le journaliste Pierre Joly dans Paris-Normandie daté du lendemain.

Christian Guy, de Paris-Presse (16 octobre), est plus précis et nous en apprend un peu plus :

On se précipita. Le lauréat, qui ne s’attendait pas à un tel honneur, était déjà là et tirait de sa serviette une pile de notices biographiques qu’il distribuait à tout venant. « Prenez et lisez, ceci est ma vie… Vous saurez tout sur moi. »

C’était vrai. On sut que M. Henneberg avait déjà publié deux volumes de souvenirs de légionnaires sous le nom de Dominique Hennemont. On apprit aussi que le roman d’évasion lui paraissait « trop étroit » et qu’il avait cherché un genre susceptible de faire « éclater » le cadre du roman conventionnel et de « traiter librement » toute expérience humaine : « Le lauréat, dit-il, est un homme qui parle peu et réfléchit beaucoup. Mais ma notice biographique vous dira tout. »

Un autre journal, L’Écho d’Oran, ajoute dans son titre « Charles Henneberg lauréat du Prix de la “Science-fiction” a mûri sa pensée pendant ses dix-sept ans de Légion étrangère » et donne des informations plus intéressantes dans un court paragraphe : « Ancien combattant de Bir-Hakeim et d’El-Alamein, Charles Henneberg est actuellement secrétaire administratif de l’Association des Médaillés militaires. » 

Pour clore cette petite revue de presse, citons le journal Le Médaillé militaire (novembre 1954, n° 323) qui rend compte sous la plume d’Antoine et Pierre Grillet de l’attribution du grand prix à leur directeur des services administratifs.

Pour la première fois dans les pages de la revue, plus précisément dans le n°28 de Fiction de Mars 1956, paraîtra une nouvelle de Charles Henneberg, "La sentinelle". On pourra y lire la note suivante :

Les amateurs de S. F. connaissent le nom de Charles Henneberg depuis « La naissance des dieux », le roman français le plus original dans le genre depuis ces dernières années (éd. Métal, Grand Prix du Roman d’Anticipation scientifique 1954). Cet ouvrage est assez peu ordinaire pour donner matière à discussion, mais même ses détracteurs, ceux que ses données rebutent ou irritent, pourraient difficilement nier ses brillantes qualités : beauté de l’imagination, richesse des idées, grandeur du souffle épique. C’est de toute manière un livre qu’on se doit d’avoir lu – et pour notre part nous le plaçons à un rang élevé dans notre échelle des valeurs.

Les lecteurs de « Mystère-Magazine », par ailleurs, ont fait connaissance avec Charles Henneberg grâce à deux histoires criminelles assez inoubliables, dont la première lui valut un second prix au concours de nouvelles de la revue en 1954. La présence de son nom dans « Fiction » s’imposait. Il nous a donné à cet effet une nouvelle aussi singulière et envoûtante que son roman. La S.F. signée Henneberg n’est pas de celle qu’on lit couramment. Raison de plus pour la saluer avec ardeur !

Charles Henneberg verra cinq de ses nouvelles paraître dans les pages de Fiction et de Galaxie avant sa mort, qui survient abruptement en 1959. Dès lors, officiellement, c'est sa femme Nathalie qui sera en charge d'être son "exécuteur testamentaire", comme en témoigne cette note parue dans le Fiction n°68 de Juillet 1959 :

Voici la première des nouvelles posthumes que nous avons à publier de Charles Henneberg, qui nous en avait remis les manuscrits peu de temps avant sa mort.

(…) Comme nous l'avons déjà dit, « Charles Henneberg » était en fait un tandem. C'était sa femme et lui qui écrivaient en commun, à l'égal du couple Henry Kuttner - Katherine Moore. Nous savons que sa femme a l'intention de continuer seule dans la voie où ils s'étaient engagés. Notre espoir – que beaucoup de lecteurs partageront, nous en sommes sûrs – est donc maintenant que le nom de Henneberg se perpétue, et que nous puissions lire dans quelque temps les histoires que signera, seule, Nathalie Henneberg… 

"Comme nous l'avons déjà dit", c'est peut-être au sein des pages de Mystère Magazine qui publiait les nouvelles policières de Charles Henneberg. Voilà qu'entre en scène le nom de Nathalie Henneberg. Car les romans seront édités encore quelques temps sous le seul nom de Charles ("La rosée du soleil" - Le rayon fantastique n°65, 08/1959 ; "Les dieux verts" - Le rayon fantastique n°83, 05/1961), puis N. - Ch. Henneberg ("La forteresse perdue" - Le rayon fantastique n°94, 03/1962 ; "Le sang des astres" - Le rayon fantastique n°116, 08/1963 ; "La plaie" - Le rayon fantastique n°122-123, 05/1964). Il faudra attendre pour Nathalie Henneberg l'édition de ses nouvelles fantastiques chez Christian Bourgois en 1971 ("L'opale entydre", 05/1971) pour voir enfin son seul nom paraître.

La polémique de la paternité des œuvres du "couple" Henneberg sera parfois même assez cruelle, comme en témoigne cette critique à l'occasion de l'édition d'un roman paru en épisodes au sein de Fiction en 1959 ("Le mur de la lumière" - Albin Michel 1972, paru sous le titre "An premier, ère spatiale" dans les numéros 71, 72 et 73 de Fiction entre Octobre et Décembre 1959) :

"Mais pourquoi, aujourd'hui, avoir effacé de la couverture de ce superbe ouvrage le prénom de « Charles » Henneberg, alors que le texte de présentation de la revue, en 1959, précisait nettement qu'il s'agissait d'une œuvre posthume ? Une préoccupation mercantile, liant cette suppression — le copyright porte « Nathalie-Charles Henneberg » — au changement du titre — "An premier, ère spatiale" devenant dans l'aventure "Le mur de la lumière" — espérait-elle faire croire à un inédit ?" (Pierre MARLSON, in Fiction 228, 12/1972).

C'est dans le Fiction n°81 d'Août 1960 que commence à poindre la nécessité de rendre à César/Nathalie ce qui lui appartient. On notera toutefois qu'il faut y préparer le lectorat :

"Il y a un an nous était enlevé Charles Henneberg, et avec sa disparition, était brisé un tandem littéraire qui se classait en tête de la science-fiction française. Mais aujourd’hui, sa femme poursuit seule leur œuvre commune, comme nous l’avions laissé espérer.

En lisant cette première histoire signée d’elle, nos lecteurs se rendront compte que c’est le « style Henneberg » qui continue. Comme beaucoup d’auteurs, et des plus grands, Nathalie et Charles Henneberg étaient prisonniers de l’univers enfanté par eux, et c’est cet univers qui se développe avec toujours plus d’envergure au fil de leurs récits. (…) Les faisceaux de thèmes qui s’y entrecroisent en sont caractéristiques. Ainsi que l’ambiance qu’il faut bien qualifier de wagnérienne.

Pourtant, il s’y mêle quelque chose d’un peu hagard, de démentiel, qui n’était pas apparu aussi nettement jusqu’ici dans l’œuvre d’Henneberg. Il semble que l’équilibre entre le rêve et le cauchemar qui avait toujours existé dans cette œuvre soit en train de basculer du côté du cauchemar. Cette nouvelle est à lire en abandonnant la logique, en se laissant hanter par les évocations qu’elle charrie."

Par la suite, au sein de Fiction, peut-être sous l'impulsion de Dorémieux ou de Jacques Bergier, on justifiera l'œuvre de Nathalie comme continuation de celle de Charles par des termes choisis, comme "le plus pur style Henneberg" (Fiction n°86), ou l'absurde formule "Nathalie Charles-Henneberg sous sa signature" (Fiction n°93), puis l'on présentera ses nouveaux romans sous son seul nom, contredisant les informations éditoriales des livres mêmes (comme pour "Les dieux verts" crédité du nom de Charles, mais présenté comme le nouveau roman de Nathalie dans le Fiction n°97).

Difficile reconstruction d'une œuvre féminine, de sa reconnaissance surtout, quand elle fût inaugurée et légitimée par une récompense. Il faudra attendre "Des ailes, dans la nuit…", dans le Fiction n°109, pour la voir créditée de son seul prénom. Il faut dire que le style en est fantastique, et non plus science-fiction. Depuis Mary Shelley, on tolèrerait qu'une femme se pique de ce genre littéraire, pétri d'imaginaire, quand il est plus ardu pour une femme de faire sa place dans le milieu pragmatique, scientifique, rigoureux de la science-fiction. Ses nouvelles touchant à ce genre-là seront d'ailleurs encore quelques temps signées Nathalie-Charles, et longtemps sera rappelé sa position de continuatrice de l'œuvre du mâle.

"Depuis qu’elle s’est attachée à continuer l’œuvre de son mari, Nathalie Charles Henneberg a révélé un élan, un style et un pouvoir visionnaire qui font d’elle un des plus originaux et des plus attachants auteurs de science-fiction écrivant en français. Il serait loisible de chercher comment cette sensibilité féminine distingue les romans signés N. Ch. Henneberg de ceux écrits par Ch. Henneberg : on trouverait peut-être un caractère plus diffus aux circonstances de l’action, ainsi qu’une réceptivité plus prononcée à l’égard des perceptions sensorielles. Mais il importe surtout de souligner, à propos de ce "Sang des astres", l’éclatante confirmation de la personnalisé de l’auteur." (Démètre Ioakimidis, in Fiction n°123).

Mais peu à peu, la vérité se dévoile, comme s'il s'agissait d'initiation, d'un secret partagé par les intimes d'un cercle littéraire dont serait exclus les béotiens lecteurs, phallocrates par postulat et conservateurs par préjugés des éditeurs. Voici par exemple comment le lectorat est préparé à une nouvelle de Nathalie Henneberg, dans le Fiction spécial n°5 (Avril 1964) :

"Si vous désapprouvez en science-fiction l’usage du pathétique, si vous êtes rebelle à l’hyperromantisme, insensible aux ambiances mythiques et aux émotions surhumaines, si en conclusion vous n’admettez pas que l’univers d’un écrivain puisse avoir l’ampleur d’un opéra wagnérien, en ce cas nous vous plaignons, car vous vous privez des joies que dispense un récit de Nathalie Henneberg."

Peut-être est-ce George W. Barlow - qui écrivit quelques critiques dans Fiction au cours des années 70 - qui entrouvre le passage au rétablissement de la vérité, dans sa note sur la réédition de "La naissance des dieux"  (in Fiction n°278, 03/1977) :

" Publié en 1954 aux éditions METAL (sous la seule signature de son mari, dont l'aide lui avait été précieuse, notamment pour la paléontologie), ce premier roman de science-fiction de Nathalie Henneberg présente déjà les caractéristiques de toute l'œuvre : une prodigieuse érudition (notamment pour les noms de fleurs... et de démons) ; un style qui, selon les scènes, a tantôt la préciosité parnassienne, tantôt la vigueur hugolienne, jusque dans la beauté de l'horreur et le mariage du sublime et du grotesque ; enfin cette conviction, partagée avec Catherine Moore, que « chaque mythe a son fond de vérité ». Exilés d'une société décadente, une poignée d'hommes et de femmes très typés fait face au « Chaos de la Genèse », et en fait surgir des êtres humains ou monstrueux au gré de leurs fantasmes, de leurs luttes, de leurs amours, qui prennent dès lors une dimension olympienne et une portée éternelle. Unissant la mythologie antique aux prévisions d'avenir, ce poème épique en prose est animé d'un grand souffle romantique qui tranche avec les halètements sifflants plus communs aujourd'hui. "

Mais l'autofiction construite ce 14 octobre 1954 pour la remise du Prix Rosny-aîné aura la vie dure. En témoignent L'"Histoire de la Science-Fiction moderne" de Jacques Sadoul, pourtant très érudit, ou un article publié dans le n°288 de Fiction et signé Lorris Murail, datant respectivement de 1975 et de 1978. Sadoul tout d'abord :

" Le livre le plus marquant publié par les éditions Métal fut sans conteste "La naissance des dieux", de Charles Henneberg qui reçut le Grand Prix du roman d'anticipation scientifique (prix décerné par son éditeur et qui resta sans suite). Charles Henneberg, né en 1899, et mort en 1959, est d'origine allemande. Ce fut un baroudeur – il fut légionnaire entre autres activités – et l'on sent parfaitement, dans "La naissance des dieux", son mépris de l'intellectuel par rapport au soldat ou à l'astronaute. (…) Son thème est celui d'une fin du monde à laquelle seulement trois hommes échappent : un savant, un astronaute et un poète. Ils se retrouvent sur une planète inconnue qu'ils baptisent Géa et qui semble privée de vie, à l'exception d'une sorte de brouillard animé. Le poète ne tarde pas à s'apercevoir que, par la seule puissance de son esprit, il peut susciter des formes vivantes dans le brouillard.

En accord avec l'idéologie de l'auteur, le savant et l'astronaute créent les bêtes et les hommes, le poète crée les monstres. Et l'œuvre s'achève dans une vision apocalyptique où passe un souffle wagnérien. Naturellement le poète, c'est-à-dire l'intelligence, sera vaincu par l'astronaute, c'est-à-dire la force. Mais "La naissance des dieux" ne se limite pas à cette aventure : Henneberg a adroitement mêlé à l'intrigue des thèmes venus aussi bien de la mythologie grecque que des légendes nordiques (ce qui n'est pas toujours très cohérent) qui donnent une résonance plus profonde à son œuvre. "

Exit Nathalie, qui n'est même pas prise en compte. Un peu plus loin dans le même ouvrage, on peut lire :

" C'est alors que paraissent plusieurs ouvrages signés Nathalie-Charles Henneberg, dont un-au moins, "La rosée du soleil", avait été rédigé avant la mort de Charles Henneberg. Sa veuve, dont on ignorait jusqu'alors l'existence, déclara qu'elle avait toujours collaboré avec son mari et que c'était elle qui rédigeait les textes définitifs de leurs œuvres ; elle allait donc continuer seule l'œuvre entreprise. Une grande partie des amateurs se réjouirent de la nouvelle et reportèrent l'admiration qu'ils avaient pour Charles sur Nathalie. Mais un nombre au moins égal, estimant que le style de l'épouse n'avait qu'un lointain rapport avec celui de Henneberg dans son meilleur livre, "La naissance des dieux", la rejeta. Personnellement, je considère Charles et Nathalie Henneberg comme deux écrivains distincts. Même si Mme Henneberg rédigeait les romans de son mari, l'influence de celui-ci leur conférait un ton très différent de ceux écrits par son épouse seule (c'est pourquoi je regrette que le roman "An premier ère spatiale", publié en 1959 dans Fiction, sous la seule signature de Charles Henneberg, ait été réédité (en 1973 sous le titre : "Le mur de la lumière") sous le seul nom de Nathalie Henneberg, ce qui peut créer une confusion dans l'esprit des amateurs.). Charles avait pour lui le sens de l'épique, du mouvement et l'invention au niveau du scénario, Nathalie a pour elle une langue beaucoup plus riche et un talent poétique certain qui s'expriment d'ailleurs mieux dans le fantastique que dans la S-F proprement dite."

Et puis encore, pour finir :

" En fait les romans de Charles Henneberg n'étaient pas assez écrits et ceux de sa femme le sont trop."

Voyons ce qu'en dit Murail, à l'occasion de la sortie du roman "La plaie" (Mars 1978) :

NATHALIE HENNEBERG (1917-1977).

" Née en 1917 à Batoum (ville d’U.R.S.S., capitale de la république d’Adjarie, sur la mer Noire, presque à la frontière turque), Nathalie Henneberg vient de mourir à Paris. Elle était usée par les maladies, vivait très abandonnée, et l’on n’eût pu croire qu’il s’agissait là d’une femme de soixante ans seulement. Personne, m’a-t-on dit, n’est venu réclamer son corps qui repose donc désormais dans une fosse commune. C’est à ce même âge de soixante ans que mourut son mari, Charles Henneberg, en 1959.

Le couple Henneberg présente ce qu’on appelle une énigme littéraire. Comme la plupart des couples écrivant, d’ailleurs, car on ne sait jamais exactement quelle est la part de l’un et la part de l’autre. Il arrive que l’un soit styliste et l’autre scénariste, l’un dialoguiste et l’autre paysager, l’un le chef et l’autre l’employé, l’un l’écrivain, l’autre le commerçant ; il arrive aussi que deux esprits se mêlent et forment ensemble les mots et les idées. La particularité des Henneberg est que l’on ne trouve apparemment pas d’ouvrages signés Charles et Nathalie Henneberg, alors qu’on s’accorde généralement à estimer qu’ils travaillèrent longtemps ensemble. À cela deux exceptions, deux anomalies plutôt : "An premier, ère spatiale" fut publié en 1959 dans Fiction sous le seul nom de Charles puis réédité en 1972 par Albin Michel sous le seul nom de Nathalie (avec le titre : "Le Mur de la lumière") ; d’autre part, "Les Dieux verts", dans l’édition originale du Rayon Fantastique, porte le nom de Charles sur la couverture, de Nathalie Charles sur la tranche et la page de garde tandis que la seconde édition (le Masque) l’attribue à Charles seul sur la couverture et la tranche, mais à Nathalie et Charles sur la page de garde. (Si Nathalie a souvent fait suivre son prénom de celui de son mari après la mort de ce dernier, c’est probablement pour des raisons extra-littéraires ; cela n’implique pas qu’il ait collaboré à toutes les œuvres signées Nathalie-Charles). On a, en fait, l’impression qu’éditeurs ou critiques sont plus influencés par leurs goûts que par leur désir de vérité, concédant plus à l’un qu’à l’autre selon leurs préférences. Voici, en tout cas, et en s’en tenant aux principaux romans, la répartition qui semble la plus probable : "La Naissance des dieux", "Le Chant des astronautes", "An premier, ère spatiale", et "La Rosée du soleil" sont de Charles Henneberg. La contribution de sa femme y est difficile à évaluer. On peut avancer qu’elle a crû au fil des années et a porté essentiellement sur l’écriture qui, d’ailleurs, évolue et s’améliore. 

Les ouvrages ultérieurs parurent bien après la mort de Charles. Il est cependant possible qu’il ait laissé certains des scénarios, notamment pour "Les Dieux verts" et "La Forteresse perdue". Cela est moins probable pour "Le Sang des astres" et a fortiori pour "La Plaie" et sa suite, "Le Dieu foudroyé". Nathalie est sans doute aussi l’auteur unique des nouvelles du recueil "L’Opale entydre"

Jacques Van Herp et Jacques Sadoul sont de ceux qui accordent volontiers un rôle prééminent à Charles Henneberg. Le premier, à qui l’on doit la réédition de plusieurs des titres mentionnés plus haut, dans la collection du Masque, écrit, en effet : « À sa mort Charles Henneberg laissait divers manuscrits inachevés. Ils furent complétés par sa femme, qui collaborait déjà avec lui dès le début ». Quant à Jacques Sadoul, dans son Histoire de la science-fiction, il cite le nom de Charles en huit occasions, celui de Nathalie deux fois seulement. Il commente abondamment "La Naissance des dieux", mais expédie en trois lignes "La Plaie", conjointement au "Sang des astres", considérant que ces romans « ne manquent pas de qualités – sens épique et poésie – mais sont écrits avec une surcharge de mots précieux et rares qui rend leur lecture souvent irritante. » Tout à l’inverse, Jacques Bergier glorifie généralement la seule Nathalie Henneberg. Pour Tolkien, écrit-il dans sa préface à "L’Opale entydre", « une véritable œuvre littéraire est un sous-univers complet et fonctionnant selon ses propres lois. Les écrivains capables d’atteindre ce niveau pourraient être appelés des écrivains magiques (…). Nathalie Henneberg, parmi les écrivains français contemporains, est la seule à mériter ce titre ». (…) Jusqu’alors, et malgré une personnalité certaine, Nathalie a écrit sous la double influence d’un mari dont elle a poursuivi l’œuvre et d’une science-fiction totalement accaparée par des écrivains occidentaux. "

(Nathalie Henneberg (1914 - 1977) et Notes sur "La Plaie" de Lorris MURAIL, Fiction n° 288, mars 1978)

C'est sans doute l'écrivain Charles Moreau qui, dans ses articles accompagnant la réédition de "L'opale entydre" chez Terre de Brume en 2006 sous le titre "Des ailes dans la nuit et autres nouvelles", rétablira une vérité plus simple : l'influence du mystificateur Jacques Bergier, d'origine russe tout comme Nathalie Henneberg.

" (...) elle rencontre Jacques Bergier qui la prend sous son aile. Comme elle, il est d’origine russe et il vient de rentrer des camps nazis. Il lui parle de la science-fiction et des pulps qu’il lisait avant-guerre. Elle propose son premier roman à André Martel, mais l’heure est aux soucoupes volantes, on le lui refuse et on lui préfère Lucien Prioly. Chez Martel, on n’a jamais lu pareille histoire. "La Naissance des Dieux" est un roman-fleuve où l’âme russe de Nathalie est peut-être encadrée par son mari, mais rien n’est moins sûr, même si Jacques Sadoul – dans son Histoire de la science-fiction moderne – semble en être convaincu. Mais cette épopée sort bien tout entière de l’imagination de Nathalie. « Faire une boulette » pour commettre une erreur est peut-être à porter au crédit de son légionnaire d’époux. En fait, Nathalie est encore sous l’influence de son passé et des événements qu’elle a vécus. Et son orthographe qu’elle ne surveille pas assez, lui joue des tours, alors qu’elle écrit en transe : tout lui vient comme un torrent. Bisiaux a corrigé ses nouvelles et non son époux. C’est alors qu’intervient le lancement d’une nouvelle collection de science-fiction, la « Série 2000 », aux éditions Métal, où ne seront publiés que des auteurs français. Fin 1953, un concours de romans de science-fiction est ouvert. L’annonce en est faite dans les premiers volumes de la collection par un encart qui indique la composition du jury. Bergier en fait partie. Il prévient Nathalie dans le courant de l’année 1953. Elle doit réviser son roman et le couper pour qu’il cadre avec les autres volumes déjà achetés et qui paraîtront dès le début de l’année 1954. Bergier le juge excellent. Disposant de peu de moyens, Nathalie Henneberg fait circuler à la fois la première version et celle, abrégée, de La Naissance des Dieux. Ainsi Charles-Noël Martin (1923-2005) se souvenait d’avoir lu un roman bien meilleur, plus fourni et plus important que le volume des éditions Métal qu’il recevra lors de la remise du Prix Rosny aîné à Charles Henneberg, le 14 octobre 1954. Car Nathalie est presque contrainte d’y envoyer Charles : les éditeurs ne croient pas qu’elle soit capable d’écrire les romans qu’elle leur soumet et, dernier problème, elle souffre d’un dérèglement thyroïdien et a beaucoup grossi. Avec la complicité de Jacques Bergier qui adore ce genre d’affaire, elle monte le scénario et Charles devient écrivain. Il sera son représentant jusqu’à sa mort en 1959, sans que nul ne s’en doute. (…) Mystère publie [ses nouvelles] sous la direction d’Alain Dorémieux qui ne se doute de rien. Il aime le travail de Nathalie qu’il croit écrit par Charles Henneberg et il ira jusqu’à publier presque intégralement la notice distribuée aux journalistes présents le 14 octobre 1954 dans le numéro spécial de l’année.

Citons encore ce passage :

Le 14 octobre 1954, seuls deux hommes étaient au courant de ce que recouvrait cette fameuse remise du Grand prix du roman d’Anticipation scientifique. Mieux, ils l’avaient organisée presque de bout en bout, sauf bien sûr en ce qui concerne la décision du jury. Mais si tous les journalistes présents acceptèrent les dires de Charles Henneberg, l’un d’eux pourtant approcha la vérité. Le lendemain de la remise du prix, René Saulières, journaliste au Midi libre, rendit compte de l’événement d’une manière détaillée. Il fut probablement le seul qui questionna Charles Henneberg un peu plus en profondeur que les autres.

« … M. Charles Henneberg qui a l’allure timide d’un petit professeur de sciences naturelles (c’est sa formation), n’a pas oublié, par sa naturalisation française, en 1929, l’œuvre wagnérienne. Le titre de son roman couronné, La Naissance des Dieux est une réminiscence. Avec sa femme d’origine russe, il a écrit deux livres : Les Trois Légionnaires et Le Sabre de l’Islam, signés Dominique Hennemont, de même qu’une nouvelle, « Du sang sur les roses », qui présenté au concours de la nouvelle policière organisée par Mystère magazine a obtenu le second prix 1954… »

Charles Henneberg avait donc écrit ses deux romans en collaboration avec son épouse… Si René Saulières demanda à Charles Henneberg s’il en avait été de même pour La Naissance des Dieux, son article ne le mentionne pas !

En fait, dès avant 1950, Nathalie était déjà plongée dans la rédaction de ces deux livres qui faisaient appel à ses souvenirs de guerre comme à ceux de son époux.

Deux ans plus tard, Nathalie avait trouvé son premier éditeur : André Martel, éclectique éditeur basé à Givors.

Quand parut au début de l’année 1952, le premier roman signé Dominique Hennemont, il est certain que Charles Henneberg âgé de 52 ans n’avait jamais rien écrit de sa vie, à l’exception de travaux administratifs que lui avait confiés la Légion. Par ailleurs, les deux romans sur la Légion restent muets sur le début de la carrière de Charles, et onze ans ce n’est pas rien, même si on les a vécus avec un certain état d’esprit.

Nathalie avait la plume plus facile que celle de son époux : elle avait été enseignante, journaliste de l’émigration russe et correspondante de guerre en Syrie depuis 1941. Mais avait-elle trempé seule dans la rédaction du fameux grand prix ?

Une première réponse vient à l’esprit si l’on considère les deux premiers romans signés Dominique Hennemont, qu’elle a rédigés seule. Si Charles est intervenu dans leur rédaction, c’est seulement en tant qu’informateur. En outre, la brillante première partie de sa carrière aurait pu donner matière à bien des histoires et il n’en a rien été. Charles n’est pas un écrivain et n’a pas cette imagination créatrice qui est le propre d’une âme slave et celle de Nathalie, qui a toujours écrit dès sa plus tendre enfance.

Pour conclure ce long article, nous vous invitons donc à la lecture d'un roman écrit en français par une russe sous le nom de son mari d'origine allemande, gratifié d'un prix qui ne se renouvellera pas, mais qui pourtant marquera durablement par son style unique les auteurs français qui suivront, comme Stefan Wul, Michel Demuth ou Gérard Klein. Nous espérons, quant à nous, avoir aidé à rétablir une injustice, démasqué une mystification jugée en son temps nécessaire, mais résolument d'un autre temps, celui d'un machisme éditorial que l'on souhaiterait bien absolument révolu en notre temps.

Retrouvez les œuvres de Nathalie Henneberg 

parues dans Fiction et Galaxie 

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Nathalie HENNEBERG
  

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