Une très jolie moisson de
textes, d’auteurs souvent peu connus en France, tels que Ward Moore ou Mack
Reynolds, mais aussi de plus notoires comme Philip K. Dick ou Jean Ray. Nous
revenons sur cet auteur remarquable dans cet article.
Sommaire
du Numéro 9 :
NOUVELLES
1 - Eando BINDER, Avis aux forcenés (A Warning to the Furious, 1953) , pages 3 à
17, nouvelle, trad. (non mentionné)
2 -
Philip K. DICK, Le Soulier qui trouva chaussure à son pied (The Short Happy
Life of the Brown Oxford and Other Classic Stories, 1954) , pages 18 à 28,
nouvelle, trad. (non mentionné)
3 -
Jerome BARRY, Le « Lait du Paradis » (The milk of Paradise, 1953) , pages 29 à
41, nouvelle, trad. (non mentionné)
4 -
Ward MOORE, Un homme jaugé (Measure of a Man, 1953) , pages 42 à 49, nouvelle,
trad. (non mentionné)
5 -
André PILJEAN, Le « Détachtout », pages 50 à 60, nouvelle
6 -
Reginald BRETNOR, Langue de chat (Cat, 1953) , pages 61 à 76, nouvelle, trad.
(non mentionné)
7 -
Jean RAY, La Ruelle ténébreuse, pages 77 à 107, nouvelle
8 -
Mack REYNOLDS, Celui qu'on n'attendait pas (The Other Alternative, 1954) ,
pages 108 à 115, nouvelle, trad. (non mentionné)
CHRONIQUES
9 -
SAMIVEL, Réalité du fantastique ?, pages 116 à 118, article
10 -
Jacques BERGIER & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 119 à 121,
critique(s)
11 -
F. HODA, Timidité excessive, pages 122 à 123, article
12 -
COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 125 à 126, courrier
Rapport du PReFeG :
- Relecture, vérification orthographique et grammaticale
- Mise au propre et noms des fichiers html
- Ajout d'un sommaire (inexistant dans l'epub d'origine)
- Ajout des notes 5b, 12 et 13.
- Vérification et mise à jour des liens internes
- Vérification des casses et remise en forme des pages
de titre
- Mise en gras les titres in Revue des Livres
- Mise à jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date
d'édition, série, collection, étiquettes)
Jean Ray, donc. Il fera l’objet d’un numéro spécial de
Fiction, (la distinction est assez rare…), le n°126 de Mai 1964. Au moment de sa
parution dans Fiction, l’auteur des plus belles enquêtes de Harry Dickson - et
d’un nombre impressionnant de nouvelles fantastiques ou parfois de
science-fiction – est pourtant bien près de sombrer dans l’oubli, faute d’éditeurs.
C’est à Maurice Renault, directeur de publication de Fiction et de Mystère-Magazine,
ainsi qu’à Roland Stragliati, que revient le mérite d’avoir relancé et
popularisé Jean Ray en France, précédant de près d’une décennie sa réédition en
poche chez Marabout.
De nos jours, de nombreux admirateurs de Jean Ray ont
réuni et mis en partage pléthore d’articles, de témoignages, de bibliographies…
Pour ce qui nous intéresse tout particulièrement ici, nous vous invitons à
consulter « Jean Ray
dans Fiction », encore une fois extrait de la mine d’or qu’est NooSFere.
Voici comment Jean Ray, et sa terrifiante nouvelle « La
ruelle ténébreuse », sont présentés dans ce numéro 9 de Fiction :
Il y a
longtemps – depuis le lancement de « Fiction », en réalité – que nous avions le
désir spécial de publier une longue histoire de Jean Ray, une histoire qui,
davantage encore que les deux contes courts jadis parus dans « Mystère-Magazine
», [n°41 : « La main de Goetz von Berlichingen » ; n°57 : « Le dernier voyageur
»] vous donnerait la mesure du talent de son auteur, un des plus
extraordinaires écrivains fantastiques de notre temps. C’est donc aujourd’hui
avec le plus vif plaisir que nous vous présentons « La ruelle ténébreuse » qui,
parmi toutes ses nouvelles, est une de celles qui nous a toujours laissé
l’impression la plus profonde. Nous ne l’avions pas eue sous les yeux depuis
des années quand, en songeant à la reproduire ici, nous en avons à nouveau pris
connaissance. Et nous avons retrouvé, en la relisant, aussi forte qu’au premier
jour, cette étonnante et lente sensation d’un envoûtement inexplicable : cette
sensation d’être soudain arraché aux limites rassurantes du réel, pour se voir
placé au seuil de l’Inconnu, de l’Inconnaissable. De l’univers étonnant de Jean
Ray, où s’interfèrent, s’abolissent ou se superposent les dimensions de
l’espace et du temps, et où la faune d’un au-delà effrayant fait de profondes
plongées dans notre monde à nous, « La ruelle ténébreuse » est une des
manifestations les plus rares (avec quelques autres nouvelles comme « Le grand
nocturne » ou, « Le psautier de Mayence », que nous espérons bien vous offrir
également un jour).
Pour
la documentation sur l’auteur lui-même, nous renverrons les lecteurs de «
Mystère-Magazine » à la biographie détaillée que nous y avons donnée de lui,
dans le numéro 41, avec « La main de Goetz von Berlichingen ». Rappelons
toutefois, à l’intention de nos autres lecteurs, que Jean Ray est belge, né à
Gand en 1887, et que sa vie a tenu du roman d’aventures, quand son métier de
marin le menait dans toutes les parties du monde. Son compatriote et ami
Steeman a dit de lui qu’il était « un des derniers pirates ».
Une
partie de son œuvre a été écrite en flamand, sous le nom de John Flanders ; ce
n’est pas celle qui a trait au fantastique, mais plutôt à l’aventure. Les
livres signés Jean Ray sont au nombre d’une dizaine et sont, pour la plupart,
des recueils de contes. Publiés en Belgique, ils sont, sauf erreur, tous plus
ou moins épuisés à l’heure actuelle. Le plus surprenant est que, traduits dans
diverses langues, ils n’aient jamais paru au catalogue d’une maison d’édition
proprement française. Leur ambiance très spéciale de cauchemar et d’irrationnel
les empêcherait évidemment d’être des best-sellers, mais si l’on considère la
médiocrité de toute une part de l’actuelle production littéraire, on ne peut
s’empêcher de dénoncer une telle carence, qui fait de Jean Ray un auteur à peu
près totalement méconnu dans notre pays. Puisse notre parole être entendue !
« La
ruelle ténébreuse », qui parut en 1932 dans un recueil intitulé « La croisière
des ombres », fut ensuite rééditée en 1943 dans « Le grand nocturne ». Gageons
que son pouvoir sur les amateurs de fantastique n’est pas près de s’éteindre.
Et puisque il en est question, nous reproduisons ce
texte de présentation de Jean Ray paru dans Mystère-Magazine (n°41, juin 1951).
A noter que l’auteur (encore anonyme) des aventures de Harry Dickson n’avait
pas encore été dévoilé comme tel…
Grâce
à l'aimable entremise d'un de nos lecteurs, M. Stragliati dont le goût prononcé
pour la littérature policière fantastique et mystérieuse se renforce d'une
solide érudition bibliographique, et qui connaît personnellement Jean Ray, nous
avons été à même de réunir sur ce singulier personnage une intéressante
documentation biographique dont nous sommes heureux de vous faire profiter.
Comme Maurice Maeterlinck, Charles van
Lerberghe, Grégoire Le Roy et Franz Hellens, Jean Ray est originaire de Gand.
Il y est né le 8 juillet 1887.
"Sous le signe noir du Cancer, de
même que mon ami Thomas Owen", dit-il. Et aussi sous le signe irrécusable
de l'Aventure : son grand-père paternel, - qui épousa une Indienne au cours de
ses voyages, - son père, ses oncles, ses cousins étaient marins. Pour
l'état-civil, Jean Ray porte un autre nom mais c'est de ses deux prénoms : Jean
et Raymond qu'il a tiré son pseudonyme.
A l'école, il fut, par excellence, -
s'il faut l'en croire, - le type même du mauvais élève et du cancre. A dix ans,
il sait à peine lire et écrire : il préfère courir les routes pieds -nus ou en
sabots, nager comme un poisson, grimper aux arbres et aux mâts, ou bien encore
livrer bataille aux autres garnements du Port.
De guerre lasse, son père le met en
pension à Pecq, dans le Tournaisis. Chose curieuse, ses maîtres wallons
comprennent sa nature aventureuse de Flamand et ne la contrarient pas.
Cependant, un beau jour, il leur fausse compagnie; et on le retrouve à Leith,
en Ecosse. Il n'y a plus qu'à s'incliner : il sera marin, comme tous ceux de sa
race. Et, dès lors, du voilier Este, en passant par l'Astrologer, - dont le
capitaine Müller l'encouragea à écrire, - et par le Fulmar, commence pour Jean
Ray une suite d'aventures étonnantes qui le mèneront sur tous les océans. S. A.
Steeman, qui le connaît bien, a dit de lui qu'il était "un des derniers
pirates" et qu'il ressemblait à "Trader Horn". J. H. Rosny aîné,
qui l'aimait beaucoup, prétendait" qu'on s'entendait à peu près aussi bien
avec lui qu'avec un tigre en colère". De fait, ses compagnons de bord
anglais l'avaient surnomrné "Tiger Jack". On le vit, au temps de la
Prohibition, faire la contrebande du rhum, sur la Rum-Row, au large des côtes
américaines, et "fréquenter", a écrit Steeman, "les gangsters
les plus célèbres". On dit même qu'il serait l'un des mystérieux
personnages dont Jean Galmot a parlé dans ce curieux roman qu'est "Quelle
étrange histoire..."
Pourtant, si vous demandez à Jean Ray
s'il a vécu, justement, d' "étranges histoires", il vous répondra
sèchement : "non", en tirant de sa pipe en terre une bouffée d'âcre
tabac de Hollande. Il aime, au reste, assez passer pour un "taiseux"...
Mais, s'il se sent en confiance, il devient un éblouissant conteur d'histoires
où les souvenirs de l'imagination se confondent, sans qu'il soit possible de
discerner leur point de jonction. Et, pour peu que vous l'y poussiez, il vous
mènera à la découverte d'un Gand secret, connu de lui seul ; d'un Gand spectral
où l'énigmatique château des comtes de Flandre, peuplé d'instruments de torture
et d'épées de justice, semble sorti tout entier d'un de ses récits ; d'un Gand
où il s'est fixé (depuis qu'il ne navigue plus), qui a fortement influencé son
oeuvre et dont il paraît impossible de le dissocier. En 1905, à dix-huit ans,
il envoie aux Annales Politiques et Littéraires un conte : "Le diable est
venu me chercher à bord". André Theuriet le lit et écrit à jean Ray. Il
l'encourage et lui promet son appui. Mais il meurt deux ans plus tard. Depuis,
Jean Ray s'est toujours tenu à l'écart du monde des lettres; et c'est le hasard
seul qui lui fit rencontrer J. H. Rosny aîné, Pierre Goemaere, Hans Heinz Ewers
et, plus tard, S. A. Steeman et Thomas Owen, dont il a préfacé "Les
Chemins Etranges". Blaise Cendrars et Michel de Ghelderode l'estiment
infiniment et il le leur rend bien ; mais ils ne se sont jamais vus.
Ses premiers contes, écrits en flamand,
paraissent dans des revues flamandes et hollandaises. Par la suite, il
collabora également à plusieurs journaux et revues : "Le Journal de
Gand", "Le Vingtième Siècle", "La Revue Franco-Belge",
"Les Amis du Livre", "Le Mercure de Flandre",
"Candide", "Wiener Journal", "Leipziger
Tagblatt", "Weird Tales" (de Chicago). Après un premier roman, « Terre
d'Aventures », dont lui-même avoue ne plus bien se souvenir, il publie, en
1925, « Contes du Whisky » qui le font connaître presque du jour au
lendemain. Ils sont traduits en plusieurs langues : en flamand, par Clovis
Baert; en anglais, Par R. T. House; en italien, par Mario Garrea; en japonais,
par Fumiko Myata; et en allemand, par Rosa Richter. Cette dernière a publié en
français, vers 1925, à Vienne, un opuscule d'environ 70 pages - aujourd'hui
introuvable - consacré à "La vie prodigieuse de Jean Ray". Un des
Contes du Whisky figure dans l'anthologie « Les Maîtres de la Peur »,
publiée chez Delagrave, en 1927, par André de Lorde et Albert Dubeux. Une
nouvelle édition des « Contes du Whisky » (remaniée) a paru en 1946 à
Bruxelles.
Après un nouvel ouvrage, « La
Croisière des Ombres », Jean Ray cède pour un temps la plume à John
Flanders (dont nous parlerons plus loin) ; puis il la reprend, de 1942 à 1947,
pour publier successivement : « Le Grand Nocturne », « Les
Cercles de l'Epouvante », « Malpertuis », « La Cité de
l'Indicible peur », « Les Derniers Contes de Canterbury » et « Le
Livre des Fantômes ». Les Editions de "La Sixaine" (Paris et
Bruxelles) ont également fait paraître il y a environ trois ans, « La Gerbe
Noire », une anthologie de "contes noirs" publiée "sous la
direction de Jean Ray". Seuls, « Terre d'Aventures », « Malpertuis »
et « La Cité de l'Indicible peur » sont des romans.
Tous les autres livres de Jean Ray sont
des recueils de contes et de nouvelles. Quelques-uns de ses récits ont été
publiés, traduits, aux Etats-Unis.
Aujourd'hui, Jean Ray est redevenu
l'écrivain flamand John Flanders. A ce titre, il collabore régulièrement au
quotidien "Het Volk" et est attaché à "La Bonne Presse"
d'Averbode, la grande maison flamande d'édition catholique. John Flanders a
écrit, et écrit encore, un nombre incalculable de contes, de nouvelles et de
petits romans. Presque tous ces ouvrages sont particulièrement destinés à la
jeunesse flamande auprès de qui John Flanders jouit d'une très large
popularité. De temps à autre, il donne également, en français, des contes à
"Tintin", ce journal d'enfants qu'apprécie fort Thomas Owen. De plus,
il s'est aussi adonné, avec succès, au reportage : "La Moisson de
l'Abîme", "Le Péril Gris", "La Vie romancée des
Bêtes", etc...
John Flanders, qui s'est surtout
spécialisé dans le récit d'aventures retrouve quelquefois son inspiration
première, et certains de ses contes parus récemment dans l'hebdomadaire flamand
" Spectator ", sont du meilleur Jean Ray. John Flanders a publié
quelques-unes de ses oeuvres en français.
Revenons à Jean Ray. Il est marié à
Nini Balta, une Bruxelloise qui fut une vedette de music-hall connue. Il a eu
une fille qui s'est essayée - comme lui - dans le reportage en publiant, en
anglais, une suite d'impressions londoniennes : "City Iights and
Dreams". Il parle et lit couramment, outre le flamand et le français,
l'allemand, l'anglais et le danois. Il affirme qu'un fantôme, "l'homme au
foulard rouge", lui est apparu cinq fois. Son chien - un dogue de Bordeaux
- s'appelle Kim, en souvenir d'un puma qu'il aima beaucoup. Il estime fort les
araignées et, au dire de Steeman, il eut autrefois un lion. Il dit ne rien
entendre à la poésie, ni à la musique, ni à la peinture. Par contre, le calcul
intégral n'a pas de secrets pour lui. Il écrivit un jour, à H. G. Wells afin de
lui démontrer que son Homme invisible - s'il avait existé - aurait été aveugle.
L'illustre écrivain lui répondit, le félicita et l'invita à venir le voir dans
sa propriété de Sandgate. Mais Jean Ray - bien qu'étant souvent en Angleterre -
n'y alla jamais. Il faut dire qu'il n'aime pas plus répondre aux invitations
qu'aux lettres. Les éditeurs le craignent, car, de temps à autre, "Tiger
Jack" réapparaît et il lui arrive d'employer avec eux la manière forte
quand ils lui doivent de l'argent. Jean Ray lit peu ; - du moins il le dit :
Shakespeare, Goethe, Dickens, le romantique bas allemand Fritz Reuter, la Bible
et les ouvrages d'hagiographie.
Tous ses livres ont été publiés en
Belgique ou par des éditeurs franco-belges; ils sont pour la plupart épuisés et
pratiquement introuvables; il est même curieux de constater qu'aucun éditeur
français n'ait jamais songé à rééditer les oeuvres de cet extraordinaire
écrivain.
Un cinéaste parisien, ami de Jean Ray,
a aussi adapté pour l'écran un de ses romans (« La Cité de l'Indicible
peur ») qui, dialogué et découpé, n'attend plus que le bon vouloir des
producteurs...
Nous avons intentionnellement choisi
parmi les récits qui composent « Les Cercles de l'Epouvante » :
"la Main de Goetz von Berlichingen" car cette nouvelle nous apparaît
comme particulièrement caractéristique de la "manière" de l'auteur.
L' "Edgar Poe belge" dit
qu'il se sent personnellement plus près d'Hoffmann que du grand Américain. Les
lecteurs de "Mystère-Magazine" jugeront...