Entrée du prolifique Harlan Ellison dans le Panthéon du PReFeG, avec sa toute première nouvelle publiée en France et restée inédite depuis - voilà qui devrait réjouir bien des collectionneurs ! On sera aussi charmé par une nouvelle de Claude Seignolle (pour sa seule parution dans la revue), occasion unique de découvrir ce conteur au style remarquable.
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Sommaire du Numéro 115 :
1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 3, bibliographie
2 - Brian ALDISS, Jusqu'en Ton sein... (A Kind of Artistry, 1962), pages 7 à 28, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE
3 - Carol EMSHWILLER, Atavisme (Adapted, 1961), pages 29 à 37, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
4 - Jacques BERGIER & André RUELLAN, Décalage, pages 38 à 41, nouvelle
5 - Robert F. YOUNG, Les Robots aiment aussi (Your Ghost Will Walk ..., 1957), pages 42 à 53, nouvelle, trad. René LATHIÈRE
6 - Suzanne MALAVAL, Ce merveilleux matin, pages 54 à 57, nouvelle
7 - Claude SEIGNOLLE, Delphine, pages 58 à 84, nouvelle
8 - Philip José FARMER, Totem et tabou (Totem and Taboo, 1954), pages 85 à 92, nouvelle, trad. René LATHIÈRE
9 - Harlan ELLISON, Paulie et la belle endormie (Paulie Charmed the Sleeping Woman, 1962), pages 93 à 97, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
10 - Julio CORTAZAR, Les Fils de la vierge (Las babas del diablo, 1959), pages 98 à 109, nouvelle, trad. Laure GUILLE
11 - Bram STOKER, La Maison du juge (The Judge's House, 1891), pages 110 à 128, nouvelle, trad. Françoise MARTENON & Roland STRAGLIATI
12 - GÉBÉ, Humour : Gébé, pages 129 à 133, portfolio *
CHRONIQUES
13 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 134 à 155, critique(s)
14 - COLLECTIF, L'Écran à quatre dimensions, pages 157 à 165, article
15 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 167 à 169, article
16 - Jacques GOIMARD, Les Bénédictins de la bande dessinée, pages 171 à 174, critique(s)
17 - (non mentionné), Table des récits parus dans « Fiction » : premier semestre 1963, pages 174 à 175, index
* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.
(Note du PReFeG : ce sera le dernier édito sous cette forme, voir notre extrait de Tribune Libre en fin d'article).
L’HISTOIRE de Derek Ende, son téméraire (et inutile) voyage vers la lointaine et hasardeuse planète Pyrylyn, Thulé des temps futurs, ses aventures avec l’étrange Masse vivante qu’il rencontre, ses rapports inhumains avec Sa Maîtresse, et les singulières expériences biologiques auxquelles celle-ci se livre : tels sont les éléments de l’épopée poétique au ton à part que nous donne Brian Aldiss, l’auteur du célèbre « Monde vert », sous le titre de « Jusqu’en Ton sein... ». C’est une des œuvres les plus marquantes de ce talentueux écrivain britannique.Les autres histoires de science-fiction de ce numéro réunissent les noms de Carol Emshwiller (« Atavisme »). Jacques Bergier et André Ruellan (« Décalage »), et Suzanne Malaval (« Ce merveilleux matin »).
Le fantastique classique est représenté par un récit typique : « Delphine » de Claude Seignolle. Philip José Farmer, abandonnant pour une fois ses préoccupations philosophiques, nous offre un conte humoristique inattendu sous sa plume : « Totem et tabou ». Et Harlan Ellison, avec « Paulie et la belle endormie », nous prouve que les spectres n’ont pas encore dit leur dernier mot.
La plus curieuse nouvelle du numéro est « Les fils de la Vierge » de Julio Cortazar : une œuvre dont les résonances, longtemps après sa lecture, n’ont pas fini de cheminer dans notre esprit.
Enfin, côté classique, nous présentons la première histoire traduite en français de Bram Stoker, le créateur de l’illustre Dracula : « La Maison du Juge »
On assiste à la décadence de l'espèce humaine et à ses multiples métamorphoses dans Jusqu'en Ton sein…, petite épopée au ton douceâtre composée par Brian Aldiss. Le pantropisme y est accompli, mais l'espèce n'en est pas plus heureuse malgré un hédonisme affiché. Toutefois, malgré un bon point de chute, l'ensemble reste un peu vain.
A travers l'allégorie d'une femme issue d'un métissage avec une autre espèce, Carol Emschwiller évoque la vie d'une personne qui enterre sa singularité sous des tombereaux d'insignifiance et de conformisme. Son mal être est palpable, obsédant, et le titre français, Atavisme, ne rend pas complètement compte de sa douloureuse résignation à "s'adapter".
On peut imaginer Jacques Bergier souffler au détour d'une conversation un sujet de nouvelle à composer. On peut admettre que André Ruellan, médecin de formation, mette son savoir au profit d'une comparaison avec une hypothétique forme de vie extraterrestre. Mais cette nouvelle Guerre des Mondes qui tourne au fiasco pour les envahisseurs - démunis car anthropocentrés - aurait peut-être gagnée à être plus en Décalage et retournée comme un gant ; c'est ici notre primitivisme et notre crasse ignorance qui nous rend vainqueurs…
(Mr Wade s'adresse à ses robots et prend pour poésie ses slogans publicitaires) :
« Votre grand défaut, » reprit Mr. Wade, « vient de votre parfaite indifférence pour un système économique qui assure cependant la prospérité et les loisirs dont l'artiste a besoin pour l'inspiration créatrice. Le premier devoir d'un poète est de rendre hommage au système sans lequel il n'y aurait pas d'art possible, et la meilleure façon pour lui de s'en acquitter est précisément d'aider à maintenir ce système. »
Les robots aiment aussi - René Lathière n'est décidément pas doué pour traduire les titres. On reconnait toutefois les grands thèmes de Robert F. Young : la critique de la société de consommation naissante et à venir, la place de la poésie dans l'épanouissement humain… Et ici robotique.
Ce merveilleux matin, par Suzanne Malaval, est une concise histoire de camp de travail forcé, mais qui nous surprend dans sa parabole : la délivrance dans la mort… Demeure le récit.
A travers la figure de Delphine, Claude Seignolle nous invite, dans un style ciselé et somptueux de sensations, à considérer le Vieux Paris populaire et ouvrier qui disparait peu à peu dans les chantiers de la modernité et de la reconstruction qui jalonnèrent les années 50 et 60. Un conte magistral de failles temporelles qui provoquent des fantômes et des paradoxes, dans l'ambiance d'un énamourement adolescent propre à soutirer des soupirs de joie et de douleur mêlées. Dommage que Fiction, malgré son admiration, ne publiât pas d'autres nouvelles de ce saisissant auteur.
Citons pour la plaisir ce que Jean Ray préfaçait dans le recueil "Histoires maléfiques" dont Delphine est extraite :
En 1910, j'ai rencontré les frères Franz et Heinz Heibel, deux octogénaires qui avaient vu brûler Hambourg en 1842.
- Un incendie allumé par des démons à tête de bête, disaient-ils, des « Wähncolfe » !
- « Währwolfinnen », précisa l'aîné, insistant sur le sexe des monstres, elles sont autrement dangereuses, car elles ne gardent pas toujours leur hideuse figure mais peuvent se changer en de très belles femmes !
J'ai dû me souvenir de l'heure passée avec les deux vieillards, des années après, quand j'écrivis La Ruelle ténébreuse, comme Claude Seignolle a dû se rappeler d'insolites rencontres, en présentant à ses lecteurs de Ce que me raconta Jacob les lycanthropes nazis, hurlant dans les nuits hantées de la monstrueuse cité hanséatique.
Claude Seignolle « aventurier de l'insolite » force les portes de l'inconnu, il ne compose pas avec les entités des ténèbres, il consent parfois à traiter avec elles, mais en maître. Sans doute parce qu'elles croient davantage en lui, que lui en elles, ce qui, d'ailleurs, serait le côté « faible » ou plutôt vulnérable des élémentals, des lémures et des larves, selon le fameux grimoire de Stein.
Les pages terribles du Bahut Noir et du Chupador peuvent faire penser à quelques-uns des romans noirs de Walpole et d'Anne Radcliffe, mais cette impression ne dure guère longtemps, car dans celles de Claude Seignolle la fiction recule rapidement à l'arrière-plan, pour faire place à la réalité de documents sans miséricorde.
Car en plein « fantastique », Claude Seignolle fait du document. (Il est du reste merveilleusement armé pour cela par son énorme érudition.)
Dans la plus grande partie de son œuvre, on se trouve soudain devant des faces réelles de la vie noire, qu'à tort ou à raison on veut infernales.
Et, ici, le terme « infernal » se présente automatiquement, car il ouvre un horizon immense à cette œuvre.
J'y reviendrai sans doute un jour, quand, devenu à mon tour un « aventurier de l'insolite », j'aurai pénétré dans l'enfer tel que Claude Seignolle le conçoit, le voit, ou, peut-être, l'installe dans notre vie.Jean Ray. Mars 1963. - Préface à Histoires maléfiques - Claude Seignolle (Marabout)
Philip José Farmer dans un ton qui ne lui ressemble guère, s'amuse avec Totem et tabou sur les métaphores animales dans un cadre réaliste. L'enjeu est minime, la nouvelle concise, et rappellera étonnamment le ton des nouvelles humoristiques de Galaxy.
Entrée de Harlan Ellison au rang des baroudeurs ; critique, anthologiste et célèbre trublion de la SF américaine. On pourra apprécier Paulie et la belle endormie, une première nouvelle qui démarre en argot chic et perd de son style en entrant dans le fantastique. La situation, toutefois, est fort bien trouvée, même si elle évoque "La belle au bois dormant" et rabaisse la femme au rang d'objet passif et narcissisant (et dont le seul acte dans cette histoire, revenir d'entre les morts, fait peur et n'obéit au final qu'à une sorte de réflexe).
« Faut que j'y aille, Johnny. Je vais y aller tout de suite, là où ils l'ont mise. Et je jouerai jusqu'à ce qu'elle sorte. Je jouerai si bien qu'elle se réveillera, Johnny, t'entends ? Ça la fera pleurer, et elle reviendra. »
Pour ceux qui la connaisse, difficile de ne pas repenser à la chanson "Réveille-toi" de Ange (1978).
Julio Cortazar "impressionne", et c'est bien là le propos inscrit dans Les fils de la Vierge. Borges utilise le livre comme allégorie de l'univers, Cortazar la photographie. On pendera au "Blow up" d'Antonioni (et à son hommage de DePalma), qui ne seront réalisés que quelques années après. Le geste fixateur du photographe ne serait pas si anodin ou mécanique. Ce serait comme un viol des lois de l'espace-temps… La violence sous-jacente est aussi bien évoquée dans la situation exposée, sans saturation à l'image. Fort bien mené.
Un jeune étudiant en mathématiques loue une chambrée et est persécuté par un rat maléfique. On pourrait croire à un résumé de "La maison de la sorcière" de Lovecraft, mais il s'agit de La maison du juge, titre emprunté à Le Fanu par Bram Stoker. Histoire assez sinistre quand la justice, humaine, divine ou surnaturelle est au service non plus du bien ou de la morale, mais d'une entité maléfique.
Dans la "Revue des livres", et à propos de la nouvelle édition des "Derniers contes de Canterbury" de Jean Ray, Jacques Van Herp lâche le morceau :
Un à un, reparaissent les ouvrages introuvables de Jean Ray. Après « Vingt-cinq histoires noires » et sa moisson d'inédits, puis « Malpertuis », voici que les Éditions Gérard ressortent les « Derniers Contes », parus en 1943. Livre important dans l'œuvre de Jean Ray, le plus complet sans doute, car toutes les facettes de son talent et de ses multiples personnalités s'y trouvent rassemblées. L'auteur anonyme de Harry Dickson, le John Flanders aux récits historiques, l'ancien flibustier de la Rum Row, l'humoriste (car Jean Ray est souvent un humoriste, et de grande classe) contant avec le plus féroce et flegmatique sérieux d'improbables histoires, et le Jean Ray des mondes intercalaires et du fantastique cosmique, tous prirent tour à tour la plume pour narrer cette nuit vécue par Tobias Weep. Ne manquent que l'auteur policier, et celui de SF, et encore…
A côté de cette confirmation sur la paternité de Harry Dickson (semi-vérité, puisque Jean Ray n'en a pas pour autant composé tous les épisodes,) (voir aussi Fiction n°81), continue toutefois de rôder cette rumeur fallacieuse à propos de "l'ancien flibustier de la Rum Row".
La même critique de Van Herp poursuit une veine déjà creusée : la comparaison de Jean Ray avec Lovecraft. Ainsi, à propos des nouvelles "Le Uhu" et "La terreur rose" :
« Le Uhu » est conté par un fou, fou d'avoir vu le Uhu, d'avoir prononcé son nom dans une maison perdue sur la lande, et aussitôt assaillie par les oiseaux. Les oiseaux, ces reptiles mal déguisés, dont les sournoises écailles sont toujours visibles sur les pattes. Après, un pas ébranle le monde :« C'était le rythme d'un pas, mais d'un pas d'une monstruosité sans pareille, la marche d'un être inouï, dont le front devait frôler les étoiles. » (p. 173).« Là-bas s'enfonçait dans l'horizon, qu'il occupait tout entier, un masque formidable… Deux yeux fixes regardaient au ras de la lande, comme un rôdeur de cauchemar guette sur la ligne de faîte d'un mur. » (p. 176).On songe à « L'appel de Cthulhu », la similitude des noms s'impose. Et pourtant Jean Ray ne connaissait pas à l'époque Lovecraft, dont l'œuvre se trouvait encore éparse dans les revues. De plus sa connaissance du fantastique est spécialement anglaise et allemande, non américaine. Uhu vient de la transposition d'un cri d'oiseau nocturne, le Uhu lui-même étant, au départ, conçu comme un dieu à tête de hibou. Il n'empêche que la simple rencontre est intéressante. À comparer les deux contes, nous touchons du doigt la différence de démarche chez les deux conteurs. Lovecraft narre par le menu la longue tension des ressorts tragiques, Jean Ray en préfère la brusque détente ; l'un s'attarde à la lente éclosion des faits, l'autre à la crise finale. Les monstres de Lovecraft se révèlent parfois décevants, pas ceux de Jean Ray. Pourquoi ? Parce que rien du Uhu n'est précisé, ni le pourquoi de ses manifestations, ni son origine, ses apparences ou ses desseins. On le sait seulement d'une démesure terrifiante, et que certaines nuits son regard barre l'horizon. Nous sommes loin des lignes nettes de Cthulhu, qui peut être combattu, dont les buts et même les moyens d'action restent définis.Même chose dans « La terreur rose ». Nous ignorerons toujours quelle est la mystérieuse entité tapie au fond de l'eau emplissant les puits de kaolin abandonnés. Nous assistons seulement à sa manifestation : le cône de lumière rose, et le châtiment de celui qui osa le troubler :« Tartlet s'était mis à grandir également. Il devenait gigantesque ; sa tête heurta un nuage et s'y enfouit, mais au fur et à mesure de cette infernale croissance, son corps devenait brumeux, vaporeux, pour n'être bientôt plus qu'une ombre démesurée. » (p. 159).
Dans la "Tribune Libre", la remarque d'un lecteur à propos des notes de la rédaction de Fiction - qui ouvraient (avant la "nouvelle formule") sur chacune de ses nouvelles, fournissent un intéressant renseignement éditorial.
Je vous reproche en particulier la suppression des quelques lignes de commentaires qui précédaient chaque nouvelle, et qui donnaient à « Fiction » un ton unique parmi les publications de la presse périodique. Plusieurs amis me l'avouèrent : ce sont ces quelques lignes introductives et explicatives, donnant déjà toute une ambiance préalable à la nouvelle, qui ont fait d'eux des amateurs de fantastique et de science-fiction, bref les lecteurs de « Fiction » qu'ils sont.) Malheureusement il semble que toute évolution de ce genre soit irréversible.
Ce à quoi la rédaction de Fiction répond :
Pas nécessairement, puisque nous sommes en train de revenir peu à peu à la formule des présentations de nouvelles, leur suppression n'ayant constitué qu'une expérience. (N.D.L.R.).
- Relecture
- Corrections orthographiques et grammaticales
- Vérification du sommaire
- Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
- Ajout de la Table des "Nouvelles des auteurs de ce numéro" telle qu'évoquée dans le sommaire sur NooSFere mais n'apparaissant pas dans le epub d'origine.
- Mise en forme des titres présentés in "Revue des livres"
- Ajout de la "Table des récits"
- Notes (1b), (5b), (11b) et (15b) ajoutées.
- Vérification et mise à jour des liens internes
- Mise au propre et noms des fichiers html
- Mise à jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)
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Prochaine publication prévue pour le mercredi 18 juin 2025 : Fiction n°116.
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