29 mars, 2023

Galaxie (1ère série) n°033 – Août 1956

Outre que la moitié de la collection de Galaxie, dans sa 1ère série, soit ce jour atteinte pour le PReFeG, ce numéro 33 fait sa couverture avec la dernière nouvelle de Philip K. Dick publiée en France dans les années 50 ; il faudra attendre 1964 avant de retrouver, mûri, cet incontournable auteur.

 

L’Autofac ne fait pas tout,

il vous reste à cliquer !

Sommaire du Numéro 33 :

1 - Philip K. DICK, Le Règne des robots (Autofac, 1955), pages 2 à 17, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH

2 - Jerome BIXBY, L'Enfer est toujours proche (Halfway to Hell, 1954), pages 19 à 38, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par KNOTH

3 - Eric Frank RUSSELL, Le Forgeur d'âmes (A Little Oil…, 1952), pages 39 à 58, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Frank Kelly FREAS

4 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 59 à 61, courrier

5 - William MORRISON, L'Arme secrète (The Weather on Mercury, 1953), pages 62 à 82, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par VIDMER

6 - Alan COGAN, Le Dessous des cartes (In the Cards, 1956), pages 83 à 101, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH

7 - Jimmy GUIEU, Les Soucoupes volantes, pages 103 à 105, chronique

8 - Evelyn E. SMITH, Le Piège de Vénus (The Venus Trap, 1956), pages 107 à 126, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Dick FRANCIS

9 - Jean LEC, Retour à zéro, pages 127 à 132, nouvelle

10 - Arthur SELLINGS, Au travers de la grille (One Across, 1956), pages 133 à 144, nouvelle, trad. (non mentionné)

 

Si Le règne des robots, par Philip K. Dick demeure une nouvelle de jeunesse, elle sort déjà du lot par la pertinence de ses spéculations (ici les machines organisées en réseau). Dick pêche néanmoins sous d'autres aspect de cette spéculation (comme de ne voir que l'aspect mécanique du robot plutôt que sa capacité à reconstituer des talents humains.)

On retrouve le thème cher à Jerome Bixby, à savoir prendre au pied de la lettre les croyances et injonctions religieuses et en faire l'absurde decorum de contes fantastiques, dans L’Enfer est toujours proche, une sympathique nouvelle.

Avec Le Forgeur d’âmes, le nouvel arrivé Eric Frank Russel propose une vision des voyages spatiaux un peu simpliste, mais son observation de la dimension humaine en fait un texte pertinent. Quel dommage cependant que le texte de présentation en dévoile tout le sel...

La particularité de Mercure, qui présente toujours la même face au Soleil, (après La rôtissoire de Mercure, par Alan E. Nourse dans le Galaxie n°30), ici vue de sa zone de crépuscule... Twillight zone qu'explore William Morrison sur un style presque polar, et des enjeux scientifiques richement documentés... Ou pas. C’est L'Arme secrète.

Amitié inter espèces pour une petite romance : Le piège de Vénus, signé Evelyn. E. Smith, moins humoristique qu'à l'accoutumée.

Dans Retour à zéro,  par un Jean Lec qui poursuit sa salve de publications, on peut lire : « la planète Kcrapanul lors de mes expéditions dans la constellation Noiprocs… » Un lecteur attentif lira Lunaparck et Scorpion ; voilà bien l’humour à la française sur l’exotisme souvent exagéré du champ sémantique des space-opéras américains. Bref : une bonne et sympathique petite nouvelle où la condescendance des êtres supérieurs se prend les pieds dans le tapis.

Stefan WUL

De façon tout à fait informelle, nous voudrions faire remarquer un point, sans doute dû au hasard mais toutefois assez troublant. Nous sommes en Août 1956. A trois mois de là dans l’avenir paraîtra le premier roman d’un remarquable météore de la science-fiction française : Stefan Wul, et son « Retour à « 0 » ». Ce titre de Jean Lec, Retour à zéro, combiné avec celui de sa nouvelle précédemment parue Un jour sur Deû, avec cet accent circonflexe préfigurant un exotisme de façade, ne pourrait-il pas avoir inspiré Wul, ou tout du moins les éditions Fleuve Noir responsable de la parution de ce premier roman d’une série de onze ? Wul a certainement lu les revues qu’étaient Galaxie et Fiction. On aura déjà remarqué une évocation de la ville de New-York sous le nom de Nyurk dans une nouvelle de Jimmy Guieu (« La fin des hommes » in Galaxie n° 30 ), et Wul écrira ce qui est souvent considéré comme son chef-d’œuvre, « Niourk », en 1957.

Encore une histoire de nouveau départ de zéro, avec Au travers de la grille par Arthur Sellings, une histoire de monde parallèle... et de ses pionniers. Nous avons beaucoup pensé à la variété des rituels de passages décrits dans la BD Philémon.

Nous avons gardé le meilleur pour la fin : les fascinations de la préscience, savoir à l'avance, érigée en possibilité domestique ! Voilà une nouvelle très intéressante que nous propose Alan Cogan, dans Le dessous des cartes. Même si Cogan laisse quelques développements de cette spéculation technique parfois dans le flou, l'ensemble est saisissant et la nouvelle mérite une place dans les anthologies. On peut y lire, par exemple :

« La police, de son côté, ne se fatiguait pas à leur donner la chasse, sachant par avance que, quoi qu’elle tentât, elle ne parviendrait guère à les arrêter avant la date prévue. »

Dick (encore lui) poussera plus avant cette utilisation de la préscience au bénéfice de la police dans son "Rapport minoritaire".

« C’était un peu comme si, ayant lu un livre, on était obligé de le relire sans fin, en en connaissant toutes les péripéties et même des bouts de dialogues. »

On retrouvera ce sentiment très semblablement développé dans "Tremblement de temps" de Kurt Vonnegut – son dernier roman (1997).

« Nous avions encore quelques amis du XXIe siècle ; eux aussi s’étaient pliés à cette nouvelle vie. »

La nouvelle est traversée régulièrement par un curieux sentiment que la vie était préférable en 1956 plutôt qu'en 2017 (où elle se situe) ...


La course à l’espace représentait un défi international de taille durant cette période. L’enjeu commence par le lancement d’un premier satellite artificiel. Ce sera Spoutnik 1, qui sera lancé avec succès en Octobre 1957. Mais cela aurait pu être… Minitrack !

…On nous parle périodiquement de satellites artificiels qui seraient lancés dans l’espace, soit par les États-Unis, soit par l’U.R.S.S., mais on ne nous donne guère de détails techniques sur ces engins.

J. TAILLEUR, Madagascar.

 VOICI déjà une précision pour le temps : le premier satellite artificiel sera lancé par les États-Unis fin septembre 1957, annonce-t-on de New-York. On commence à parler sérieusement de ses caractéristiques : une fusée à trois étages de 22 mètres de haut le véhiculerait dans l’espace jusqu’au point où il se mettrait à tourner autour de la terre suivant une orbite propre. Mais que l’on ne s’imagine pas que ses dimensions seraient comparables a celles de la Lune. Il sera gros comme un ballon de football et pèsera moins de 10 kilos. Son diamètre ne dépassera pas 25 centimètres.

Le premier étage de la fusée de propulsion brûlera jusqu’à une altitude de 53 kilomètres, puis se détachera et tombera. À ce moment, le deuxième étage, qui portera le système complet de guidage, entrera en action pour mener le satellite à une distance de 300 km, en lui faisant atteindre une vitesse horaire de 144.000 kilomètres. C’est alors que la troisième partie de la fusée interviendra – Sans toutefois que la deuxième se détache encore – pour porter l’ensemble jusqu’à la hauteur où le satellite doit commencer sa course indépendante dans l’espace. Libérée des deux derniers tronçons de son « véhicule de lancement », la boule de 25 cm, livrée à elle-même, adoptera une vitesse de 28.000 km à l’heure. Elle contiendra un émetteur de radio, baptisé Minitrack et pesant moins de 1.500 grs, qui lancera divers signaux aux postes récepteurs terrestres.

 

Un autre passage de cette rubrique « Votre courrier » choquera sans doute nos lecteurs contemporains. N’étant pas adeptes de la « cancel culture », nous l’avons laissé bien entendu tel quel dans notre epub. Voici tout de même l’extrait incriminé, qui témoigne sans doute du petit racisme ordinaire qui sévissait encore à cette époque.

…La vieille plaisanterie : « Aussi confus qu’un combat de nègres dans un tunnel » serait-elle périmée ? Il paraît qu’une nouvelle caméra prend maintenant des photos dans l’obscurité, comment est-ce possible ?

E. CLASSE, Remiremont.

Galaxie aurait en effet pu se passer de cette « vieille plaisanterie » et ne publier que la question.

22 mars, 2023

Galaxie (1ère série) n°032 – Juillet 1956

De très belles nouvelles d’auteurs rares ou inconnus en côtoient d’autres d’un niveau plus inférieur, pourtant d’auteurs plus prolifiques, dans ce numéro d’été de Galaxie.
 

Sommaire du Numéro 32 : 

1 - Maurice LIMAT, La Croisière du néant, pages 3 à 13, nouvelle
2 - Roger DEE, L'Oiseau de printemps (The Springbird, 1953), pages 15 à 28, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ernie BARTH
3 - Max TADLOCK, L'Homme qui mourut deux fois (Cause of death, 1955), pages 29 à 35, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par JOHNS
4 - Lyon Sprague DE CAMP, Ne chasse pas qui veut le dinosaure (A Gun for Dinosaur, 1956), pages 36 à 58, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH
5 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 59 à 60, courrier
6 - Phyllis Sterling SMITH, Connaissez-vous Posat ? (What is Posat?, 1951), pages 61 à 73, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed. ALEXANDER
7 - Frank Malcolm ROBINSON, Les Filles de la Terre (The Girls from Earth, 1952), pages 74 à 88, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH
8 - Edward W(illiam) LUDWIG, Un cercueil pour Jacob (A Coffin for Jacob, 1956), pages 89 à 118, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH
9 - Jimmy GUIEU, Les Soucoupes volantes, pages 119 à 121, chronique
10 - Jack McKENTY, Dormez tranquille, Dr Brinton ! (Wait for weight, 1952), pages 125 à 132, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Don SIBLEY
11 - Robert BLOCH, Vivre avec son temps (Dead-End Doctor, 1956), pages 133 à 140, nouvelle, trad. (non mentionné)
12 - Jean LEC, Une journée sur Deû, pages 141 à 144, nouvelle

Illustration de MIXI-BÉREL

 « La croisière du néant », par Maurice Limat, ressemble à une introduction de roman fleuve, avec son lot d'eau de rose et de traitre potentiel. Pas du plus bel effet, alors que le sujet - la recherche sur la téléportation - pourrait ouvrir le champ à bien des spéculations et des prospectives.

« L’oiseau de printemps », par Roger Dee, est une nouvelle fantastique, délicate et pleine d'apaisement, sur un printemps qui s'attarde.

Seule nouvelle connue en France de Max Tadlock, et c’est bien dommage, « L’homme qui mourut deux fois » nous rapporte une terrible expérience dont on ne revient pas...

« Ne chasse pas qui veut le dinosaure », par Lyon Sprague De Camp, est un bon récit de chasse, notamment dans ses descriptions de l'environnement préhistorique qui prennent un air joliment extraterrestre.

On aurait presque souhaité lire une suite à « Connaissez-vous Posat ? », par Phyllis Sterling Smith, pour voir jusqu'où cela mènerait. La nouvelle commence sur une accroche de type « Dianétique » à la Van Vogt pour finir par rappeler les Ingénieurs de la Paix du roman de Jones "Les survivants de l'infini".

Un peu inepte, et étonnant de la part de Frank M. Robinson, on aurait pu prendre « Les filles de la terre » pour une critique des arguments coloniaux – c’est en fin de compte un éloge à se laisser gouverner une vie médiocre par des gens sans scrupule.

Tout comme la nouvelle précédente, « Un cercueil pour Jacob », par Edward W. Ludwig, est une histoire de recrutement forcé, mais ce procédé est ici rendu avec plus de nuances. Et puisqu'il s'agit de navigation spatiale, que seraient ces histoires sans son lot de piraterie ? Remords et espoirs se disputent la vedette dans cette belle histoire de marginaux.

En 1956, on était encore loin d'imaginer que le premier vol habité vers la Lune serait aussi une grande cérémonie médiatique. C’est ce que montre bien (en creux) « Dormez tranquille, Dr Brinton ! », par Jack McKenty, une nouvelle toutefois de peu d'intérêt, hormis son ton humoristique.

Que faire quand on est le dernier psychanalyste en exercice et quand l'humanité se porte enfin bien ?... C’est un drôle de recyclage que nous propose Robert Bloch – dont nous saluons l’entrée au Panthéon du PReFeG - avec « Vivre avec son temps », où l’on retrouve une problématique keynesienne similaire à celle de "Plus besoin d'homme" de Clifford D. Simak (in Galaxie n°17). En voici un extrait :

« (Les robots) seront capables de fabriquer eux-mêmes des robots et de les diriger. Plus besoin, alors, d’ouvriers, d’inventeurs, comme déjà on n’a plus besoin de psychiatres, de soldats, de mineurs. Les robots seront les maîtres. Et que feront-ils des humains ? Peut-être les garderont-ils pour leur agrément, comme nous conservons certains animaux familiers. »

Pour finir, une habile et courte nouvelle qui nous rappelle la relativité de tout exotisme : « Une journée sur Deû », par le régulier Jean Lec.

21 mars, 2023

Cadeau bonus : « Encore un peu de verdure » - Ward Moore 1947 (VF 1975)

Les joies du printemps, ses canicules précoces, ses graminées allergènes, ses épandages massifs… tout ce charmant décorum est à la fête aujourd’hui 21 Mars.

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Nous ne serons pas en reste, et nous vous proposons en cadeau bonus aujourd’hui un roman tout à fait dans le ton grinçant et entêté qui a pu faire le charme de tout un pan de la science-fiction, surtout durant les années 70. Seulement voilà : « Encore un peu de verdure », le roman en question, s’il a bien été publié en France en 1975, date en réalité de 1947. Saluons ici l’acuité du regard de son auteur, Ward Moore, qui a su très tôt pressentir les soucis générés par la nécessité de rendre à la planète un rendement de production alimentaire maximum – souci né surtout des conséquences désastreuses de la Seconde Guerre Mondiale, entre autres le rationnement qui a subsisté en Europe jusqu’au seuil des années 50.

Quatrième de couverture de l’unique édition de 1975 (Denoël – Collection Présence du futur n°194) - Traduction de Jane FILLION.

 Voulez-vous devenir l'homme le plus riche du monde ? Alors répondez simplement à la personne qui a fait passer cette petite annonce : « Ai mis au point un procédé de mutation artificielle des plantes. Mettez ce procédé en application. »

     Oui, mais méfiez-vous : vous resterez peut-être seul au monde, contraint de vivre sur mer, car les herbes folles auront ravagé votre très chère Terre !


Ward Moore, dont nous avons pu apprécier le ton faussement immoral, voire cynique, dans les numéros
23 et 24 de Fiction,  est né en 1903, et/ou est élevé selon les biographies à Montreal ou dans le New Jersey. Il est déjà âgé de plus d’une quarantaine d’années quand il écrit « Encore un peu de verdure ». Son roman le plus connu, « Bring the jubilee », traduit en 1977 sous le titre « Autant en emporte le temps », est une uchronie dans laquelle le camp sudiste aurait gagné la Guerre de Sécession.

« Encore un peu de verdure », intitulé en anglais « Greener than you think » / « Plus vert que vous ne le pensez », aurait pu s’intituler « Tout pour le blé ». On y retrouve la cruauté de l’auteur de nous confronter à un narrateur dénué de moralité et d’empathie, nommé Albert Weener. L’homme, dont le parcours vers la fortune pourrait un tant soit peu être considéré comme « tiré par les cheveux », agit en fait comme une allégorie du libéralisme : tout peut, même dans l’adversité, devenir prétexte à profit. La réduction du territoire de la planète entière pousse en effet Weener à amasser des biens non plus pour en faire commerce, mais pour son usage propre.

L’invasion de « l’herbe du diable » est elle-même une allégorie d’une planète en souffrance – non pas par la destruction de la nature, mais par une nature rendue folle par les agissements de l’homme, une nature poussée à l’absurde du déploiement de sa vitalité. Pas d’idéologie, pas de politique : la vie, en effaçant toute possibilité de diversité et de singularité, équivaut à la mort de tout le reste.

Un récit cruel, donc, parfois peut-être un peu erratique, mais qui pousse en creux son lecteur à pencher vers un peu plus d’humanité, de défense de la vie à l’état de nature, et du rejet de l’uniformisation.

Le numéro 32 de Fiction, à l’occasion de la publication de sa nouvelle Cercle vicieux, évoquait le roman en ces termes :

Ward Moore fut naguère le héros d'une fausse manœuvre qu'on pourrait intituler d'un titre de série noire : « Pas de verdure pour Denoël » ! En effet, son ouvrage « Encore un peu de verdure », qui fut annoncé dans la collection « Présence du Futur », n'y a pas paru et n'y paraîtra pas pour des raisons dans lesquelles nous ne pouvons entrer ici sous peine d'excommunication…

Nous n’en savons malheureusement pas plus sur ces menaces éditoriales. Toujours est-il qu’il faudra en effet attendre 1975 pour voir le roman paraître enfin.

C’est Jean-Pierre Andrevon qui s’y collera pour la recension de l’ouvrage dans le numéro 261 de Fiction, en Septembre 1975 :

En ces temps de cataclysmes tant littéraires que cinématographiques dont on nous abreuve et qui sont signes des temps (les crises suscitent toujours des « réponses » artistiques qui amplifient, déforment, métaphorisent les phénomènes réels, en même temps qu'elles font fonction de catharsis), il est frappant de constater combien souvent la végétation est mise à contribution : Les triffides, Les fleurs de Février, Encore un peu de verdure (en attendant Terre brûlée de John Christopher, qui mijote dans l'énorme cuve gestative du C.L.A.) relatent tous des avatars de l'herbe en folie : elle devient intelligente et mobile chez Windham, elle est sensitive et hypnogène chez Harker, elle croît à une vitesse folle chez Moore, elle crève chez Christopher. A la vue de ces exemples, il serait donc tentant, pour un chroniqueur frappé, tel votre serviteur, par le démon triomphant de l'écologie, de faire le lien entre les ouvrages cités et les périls actuels qui menacent l'environnement...

Hélas ! trois fois hélas ! trois des quatre ouvrages, justement, ont une moyenne d'âge qui les rejette hors de ce champ (c'est te cas de dire !) : Encore un peu de verdure date de 1947, Les triffîdes de 1950, Terre brûlée de 1954. Seul, Les fleurs de Février accuse un copyright de 1970. Faut-il alors faire machine arrière et ne voir, dans cette prolifération végétale, qu'une pure coïncidence ? Pas davantage... Car l'ennemi qui a médiatisé les peurs diffuses de l'humanité a de tout temps été la Nature, souvent dangereuse et prompte à se révolter (ouragans, volcans, raz de marée, tremblements de terre), et la science-fiction a, depuis ses origines, accaparé cette peur, renchérissant sur elle sans forcément y chercher des justifications écologiques. A ce titre, l'herbe n'a pas d'autre signification que les calamités naturelles évoquées plus haut, elle est simplement un signe : le catalyseur du récit. Et malgré ça, ces récits de fin du monde sont parfaitement accordés à leur époque : 47, 50, 54, c'est la guerre froide et la peur atomique. C'est la peur du cataclysme en grand — qui prend ici une forme allusive, métaphorique. (…)

Encore un peu de verdure présente un développement rigoureusement linéaire : parce qu'une vieille folle, Miss Francis, a inventé une sorte de fertilisant miracle, le Métamorphosant, parce qu'un représentant de commerce sur la touche, Albert Weener, en a fait l'essai sur la pelouse miteuse d'un paisible citoyen d'un bas-quartier de Los Angeles, le monde subit une invasion contre laquelle science et technique ne peuvent rien, et périt étouffé. C'est aussi simple que cela : l'herbe des Bermudes (dite aussi herbe-du-diable), touchée par le produit de Miss Francis, devient si robuste et croît avec une telle rapidité que rien ne peut s'opposer à son avance. Los Angeles est bientôt recouverte, puis les Etats-Unis, puis le reste du monde. Aussi simple que cela, vous disais-je... Et bien plus drôle que vous ne pourriez le penser ! ! En fait, Encore un peu de verdure (Greener than you think en anglais — pour pasticher le Darker than you think de Jack Williamson) est un vrai chef-d'œuvre d'humour noir — pardon, d'humour vert ! — et, je vous le dis tout net, un vrai chef- d'œuvre tout court. L'auteur a délibérément choisi le style comédie pour nous conter sa peu banale fin du monde, écrite à la première personne par la plume de Weener lui-même qui, près de sa fin, a décidé de coucher son histoire sur le papier. Le récit de la montée de l'herbe, fait par un irresponsable égoïste et mégalomane, devient une loufoquerie colossale, une hénaurmité digne des plus beaux exemples de l'humour à l'américaine qui ne craint pas, contrairement à celui à l'anglaise qui se chausse en daim, de marcher avec de gros sabots. En l'occurrence, ces sabots sont ceux du spectacle et de la satire.

Spectacle, Encore un peu de verdure a le souffle des grandes productions cinématographiques, avec mouvements de foule, vues aériennes, technicolor, grand écran et son stéréophonique, sans oublier quelques incidentes au récit, comme cette Troisième Guerre mondiale au cours de laquelle bon nombre de divisions russes débarquées sur le sol américain (Ô scandale !) sont avalées en douceur en profondeur par l'herbe-du-diable. D'ailleurs, tout commence à Los Angeles, dont Hollywood n'est qu'un quartier : cet ancrage ne trompe pas.

Satire, le roman l'est de l'arrivisme individuel à l'américaine, et du capitalisme collectif à l'américaine, l'un suscitant l'autre (raccourci simpliste mais efficace) et les facteurs étant intégrés dans la seule personnalité de l'abominable Weener, qui fait tranquillement fortune avec la production d'un aliment de synthèse dont le brevet a été escroqué à un naïf, tandis que le monde croule, ou plutôt se rétrécit irrévocablement autour de lui. On n'oubliera pas de sitôt sa phrase favorite : Dans la limite du raisonnable, bien entendu, qui fera désormais pendant, dans les annales de la SF, au C'est la vie de Kurt Vonnegut Jr.

On croit toujours que les traductions ont épuisé le fond classique anglo-saxon. Celle du roman de Moore, qui s'est faite avec le confortable retard de 28 ans, nous prouve qu'il y a encore du fameux à glaner dans ce fond-là...

15 mars, 2023

Galaxie (1ère série) n°031 – Juin 1956

Deux nouvelles restées inédites depuis, une de Robert Sheckley et l’autre de Frederik Pohl, les deux sous pseudonymes, font que ce numéro 31 mérite le détour. L’ensemble demeure de bon goût, saupoudré d’auteurs rares aux singularités bien ancrées.

Pas si simple de clic-cliquer sur un pircuiteur…
 

Sommaire du Numéro 31 :

NOUVELLES

 

1 - James E. GUNN, La Meilleure affaire du vieux pircuiteur (The Gravity Business, 1956), pages 2 à 17, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par ASHMAN

2 - Thomas L. SHERRED, Dollars à gogo (Eye for Iniquity, 1953), pages 18 à 38, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Don SIBLEY

3 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 39 à 40, courrier

4 - Poul ANDERSON, Tire-bouchon spatial (The Corkscrew of Space, 1956), pages 41 à 50, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par JOHNS

5 - Jean LEC, La Pieuvre saturnienne, pages 51 à 73, nouvelle

6 - Finn O'DONNEVAN, La Souricière (Trap, 1956), pages 77 à 85, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par WEISS

7 - Charles SATTERFIELD, Stratagème contre les Fnits (With Redfern on Capella XII, 1955), pages 87 à 106, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par ASHMAN

8 - Jimmy GUIEU, L'Invasion de la Terre, pages 107 à 109, article

9 - John CHRISTOPHER, Le Grand saut (The Drop, 1953), pages 110 à 125, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH

10 - Bill CLOTHIER, Les Verts et les Blancs (The Semantic War, 1955), pages 127 à 134, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par WES

11 - Robert SHECKLEY, Le Retour du guerrier (Warrior's Return, 1955), pages 135 à 144, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par THOMAS

On ouvre ce numéro par La meilleure affaire du vieux pircuiteur par James E. GUNN, une petite nouvelle au ton léger et enfantin, sur une planète piège qui devient une source de capitalisation.

Dollars à gogo, par T.L.SHERRED, est une nouvelle plutôt fantastique, qui vaut surtout par le caractère bien trempé et l'aplomb de son narrateur. Quant à l’auteur, on en sait assez peu. Par exemple :

" THOMAS L. SHERRED, né en 1915, a passé l’essentiel de sa carrière professionnelle dans les services techniques de l’armée américaine, puis dans une agence de publicité. Il a commencé à écrire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La Machine à filmer le temps est son premier texte publié (dans Astounding, en 1947). Sherred a peu écrit, et sa production en S.–F. se résume à deux volumes : le recueil First Person Peculiar (1972), et un très curieux roman sur le thème de l’infiltration secrète d’extraterrestres : Alien Island (1970)." (Note reprise de La machine à filmer le temps / Les enfants de la nuit - collection Etoile double n°6 - Denoël - Mai 1984)

De l'humour et de l'hédonisme, un cocktail rare et rafraîchissant, font de Tire-bouchon spatial du Poul ANDERSON de bon cru (même si Poul est orthographié Paul dans ce numéro de Galaxie).

La pieuvre saturnienne poursuit les publications dans Galaxie d’une salve de nouvelles de Jean LEC.  La nouvelle est bien menée, et décline le thème de l'invasion par l'esprit. Jean Lec maîtrise bien ses effets et ses péripéties. Une fois n’est pas coutume, la revue se fend même d’un petit texte de présentation de l’auteur !

JEAN LEC, l’un de nos meilleurs chansonniers, a fait les beaux soirs des théâtres spécialisés de la capitale (Noctambules, Dix-Heures, Lune Rousse, etc.), et sa fameuse émission du Grenier de Montmartre demeure, depuis qu’il l’a créée (en1945), l’une des plus populaires de la radio.

Ce chansonnier fécond – 273 sketches, à ce jour, sans compter toutes ses chansons ! – est aussi un auteur fécond d’ouvrages d’anticipation. Ses deux premiers romans : L’Être multiple et La machine à franchir la mort ont paru récemment. Il vient d’en terminer deux autres : Les mutants mauves et Moi en triplicata, ainsi que plusieurs récits plus courts. GALAXIE, qui a déjà publié deux contes excellents de Jean Lec – Grains de sable et Les cinq étoiles – présente aujourd’hui La pieuvre saturnienne, une nouvelle étrange de ce brillant auteur où le présent et un futur peut-être proche se rejoignent…

A noter que les romans évoqués Les mutants mauves et Moi en triplicata n'ont jamais vu le jour.

Finn O’DONNEVAN, à la lecture de sa nouvelle La souricière, nous séduit par son humour et par son style éprouvé et efficace. Le lecteur aura de plus la joie d’alterner deux niveaux de lecture. Mais tout de même, le duo humain ne rappelle-t-il pas les personnages de Cergue et Arnaud plusieurs fois rencontrés dans les pages de Galaxie ? Cet humour, ce style à la fois simple et subtilement travaillé, ne nous évoquent-ils pas Robert SHECKLEY ? Et pour cause, il s’agit bien là d’un de ses pseudonymes.

On retrouvera cette signature à quatre autres reprises dans les pages de Galaxie, et même une ultime fois dans le « faux » numéro 66 de Galaxie que publieront en 66 exemplaires apocryphes Ellen HERZFELD & Dominique MARTEL et Francis VALÉRY en 1990.

Le PReFeG a quant à lui remis à jour la bibliographiede Robert SHECKLEY en intégrant ce fâcheux oubli.

La souricière traitait de piège, la nouvelle suivante nous invite à faire aussi attention avec les pièges à ours. Quand on sait que l’Ours est le nom donné à la page recensant tous les participants à un numéro donné d’un journal, nous aurions de quoi rire un peu jaune : signée par un autre pseudonyme, Charles SATTERFIELD, cette fois-ci désignant Frederik POHL, Stratagème contre les Fnits est malgré tout une nouvelle un peu inepte, qui ne compromet pas Pohl mais qui ne sert pas à grand chose excepté parodier la SF américaines des années 30.

Là encore, et merci pour le piège à ours, nous avons complété notre bibliographiede Frederik Pohl.

L’invasion de la Terre, par Jimmy GUIEU, n’est malheureusement pas une nouvelle, mais ouvre une rubrique qui pourra nous laisser perplexes, sur le phénomène des soucoupes volantes dans toutes ses acceptations (et ses limites argumentaires...). Nous voilà bien au cœur des années 50. Jimmy Guieu sera bien connu pour ce mélange fumeux de romanesque et de journalisme d'investigation.

Certains écrivains se prennent ainsi pour des reporters, d’autres en ont réellement les compétences mais demeurent cantonnés à la fiction. L'écologie de fond de John CHRISTOPHER, son style vif et percutant, font de sa nouvelle Le grand saut un matériau qui aurait eu de quoi faire un roman. Mais cette concision fait aussi sa force.

Les Verts et les Blancs, par Bill CLOTHIER, propose un sujet très original : un mouvement pseudo philosophique anéantit la société humaine. On notera au passage au début de la nouvelle que l'auteur nomme ce mouvement "libéralisme".

Pour finir, on retrouve Robert SHECKLEY sous son nom cette fois-ci, dans Le retour du guerrier. Un mutant revient comme un fils prodigue dans sa communauté d'origine - ou: quand Sheckley s'essaie à faire du Sturgeon... Troublant.


Les notules de la rubrique « Saviez-vous que… » dégagent ce charme très nostalgique de l’avenir vu depuis notre passé. Quelques extraits en témoignent :

Saviez-vous que … un inventeur a songé à utiliser le radar pour prévoir et empêcher les collisions d’autos, par l’intermédiaire d’un cerveau électronique ?

CET organisme est installé à l’intérieur de la voiture qu’il a mission de protéger. Il est en liaison, d’une part, avec le frein arrière et le carburateur ; d’autre part, avec un réflecteur concave placé sur le toit du véhicule.

Au foyer de ce réflecteur, trois micro-antennes projettent trois faisceaux d’ondes radio-électriques de fréquence différente. Celui du milieu a pour objet de détecter les obstacles de face, les deux autres signalent les voitures qui viennent de droite ou de gauche, de telle sorte que l’œil-radar surveille constamment toute la largeur de la route.

Lorsque l’un des trois faisceaux rencontre une masse métallique, il est immédiatement réfléchi, ce qui alerte aussitôt le cerveau électronique lequel agit automatiquement sur le carburateur et sur le frein arrière.

Telle est, du moins, la théorie. Elle est séduisante. Mais que donnera la pratique ? Permettra-t-elle de dire un jour sans plaisanter :

— Moi, je conduis les yeux fermés ?…

 

70 ans plus tard, on entrevoit même la possibilité de ne plus conduire du tout...

Un peu plus sinistre, dans la série « Spéculations sur le vivant » :

...SAVIEZ-VOUS QUE…

 …une nouvelle preuve de la possibilité de l’existence d’une végétation sur la planète Mars vient d’être établie par le savant soviétique Tikhov ?

 

CE savant a découvert, dans les montagnes Alataou, près d’Alma Alta, capitale du Zagakstan, à quelque cent kilomètres de la frontière chinoise, une plante fort rare qui reste verte et garde ses feuilles par les plus grands froids. Cette particularité est due au fait que cette plante a la propriété de capter et d’accumuler les rayons infrarouges. Elle dégage une telle chaleur que la neige fond autour de chaque plant.

D’autre part, M. Tikhov a pu constater que les rayons infrarouges, sur les surfaces martiennes que l’on suppose couvertes de végétation, sont absorbés au lieu de se refléter. La conclusion qu’il tire de ces observations est que la vie végétale existe sur ces surfaces, en dépit de leur température très basse, grâce à l’absorption par les plantes des rayons infrarouges.

 

…des escargots carnivores allaient être utilisés aux îles Hawaï pour éliminer certains de leurs congénères ?

Deux cents de ces escargots, de l’espèce carnivorous englandine rosea, ont été envoyés par avion à Honolulu pour débarrasser les paysans hawaïens des escargots africains qui ravagent leurs cultures. Selon les prévisions des instigateurs de cette astucieuse manœuvre, les « carnivores », ayant dévoré les « africains », doivent en arriver à s’exterminer entre eux jusqu’au dernier, lequel est destiné à mourir de faim.

08 mars, 2023

Fiction n°035 – Octobre 1956

Deux nouveaux auteurs d'importance font leur entrée avec ce n°35 de Fiction : Julia Verlanger côté français, et Avram Davidson pour l'Outre-Atlantique. Au comptoir des habitués, Abernathy, Sternberg, Porges et Asimov, agrémentent de leurs proses une parution de qualité, et boivent à la santé d'Agatha Christie et de Hans Christian Andersen.

 

Un clic, un nœud, un lien !

Sommaire du Numéro 35 :

1 - Robert ABERNATHY, Les Pêcheurs (The Fishers, 1954), pages 3 à 40, nouvelle, trad. Roger DURAND

2 - Arthur PORGES, On demande cobayes... (The logic of Rufus Weir, 1955), pages 41 à 47, nouvelle, trad. Roger DURAND

3 - Agatha CHRISTIE, La Vivante et la morte (The Fourth Man, 1933), pages 48 à 62, nouvelle, trad. Roger DURAND

4 - Jacques STERNBERG, Les Conquérants, pages 63 à 69, nouvelle

5 - Cleve CARTMILL, La Jeunesse à qui la veut (Youth, Anybody?, 1955), pages 70 à 75, nouvelle, trad. Roger DURAND

6 - Albert BILDER, Soleil de vie, pages 76 à 80, nouvelle

7 - Avram DAVIDSON, Le Golem (The Golem, 1955), pages 81 à 87, nouvelle, trad. Jean de KERDÉLAND

8 - Isaac ASIMOV, Ce qu'on s'amusait ! (The Fun They Had, 1954), pages 88 à 91, nouvelle, trad. Roger DURAND

9 - Julia VERLANGER, Les Bulles, pages 92 à 105, nouvelle

10 - Jacques BERGIER & Alain DORÉMIEUX & Gérard KLEIN & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 106 à 110, critique(s)

11 - (non mentionné), Service Bibliographique étranger, pages 111 à 112, article

12 - F. HODA, Le Monde de la peur, pages 113 à 114, article

13 - Jean-Jacques BRIDENNE, Un auteur oublié de S.F. : Sir Arthur Conan Doyle, pages 115 à 119, article

14 - Hans Christian ANDERSEN, Dans des milliers d'années... (Om årtusinder, 1853), pages 121 à 123, nouvelle, trad. (non mentionné)

15 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 125 à 125, article

Les pêcheurs, de Robert Abernathy, propose une intéressante suite d'introspections sur fond de colonisation mentale (qui rappelle les nouvelles de Richard Wilson). On suppute une suite possible...

Dans On demande cobayes, on retrouve l'humour cruel d'Arthur Porges, mais aussi sa facilité à élargir la pensée, ici dans un jeu de miroir inattendu.

Une nouvelle fantastique tout dans le style dialogué d'Agatha Christie : La vivante et la morte, une histoire de métempsychose.

Un très bon récit d'Histoire future, et une planète piège très originale : Les conquérants ; du très bon Jacques Sternberg, qui inspirera sans doute Michel Demuth et ses Galaxiales, dix ans plus tard...

Nous reviendrons bientôt sur l'actualité de Sternberg en ce mois d'octobre 1956, avec la recension de son roman : « La sortie est au fond de l'espace ».

La jeunesse à qui la veut est une charmante petite histoire d'écrivain... et de Diable, signée Cleve Cartmill. Deuxième nouvelle de Cartmill publiée dans Fiction, nous ne le retrouverons malheureusement plus dans ces pages, ni ailleurs traduit en France. Cet auteur talentueux est surtout connu pour sa nouvelle "Deadline" (1944), qui alerta le FBI tant les détails de conception d'une bombe atomique, que Cartmill avait déduits de ses connaissances scientifiques, se rapprochaient de la réalité. Cartmill fut soupçonné d'espionnage... à tort bien sûr. Cette nouvelle ne sera malheureusement jamais traduite en français.

Soleil de vie dévoile une planète piège de plus, par Albert Bilder, un jeune auteur français débutant qui ne renouvellera l'expérience d'être édité qu'une seule autre fois.

Le golem ouvre la conséquente bibliographie d'Avram Davidson dans les pages de Fiction (et un peu dans celles de Galaxie). Il nous propose ici, sur un ton léger et un humour tout yiddish, une belle réflexion sur l'androïde semblable au Golem de la tradition praguoise. Fiction rappelle dans sa présentation de la nouvelle que l'inventeur du mot "robot", le tchèque Karel Capek, a aussi écrit sa version du mythe dans Le golem de Prague. Mais nous n'en avons pas retrouvé trace...

On poursuit dans la légèreté avec une petite nouvelle un peu naïve, tant par le public visé (les enfants) que par l'anticipation des machines de demain (écran de télévision et cartes perforées) : Ce qu'on s'amusait, par Isaac Asimov.

On peut évoquer la candeur de l'enfance sans mettre de côté la cruauté - on pensera à un certain nombre de nouvelles de Fritz Leiber. En témoigne aussi Les bulles, de la française Julia Verlanger. Considérée de nos jours comme une pionnière du genre "post-apocalyptique" (voir "Julia Verlanger, l'exploratrice des terres sauvages" - par Serge Perraud, in Intégrale Julia Verlanger volume 1. - La terre sauvage - éditions Bragelonne), elle fait partie des rares femmes à avoir réussi à publier dans la collection Anticipation des éditions Fleuve Noir... sous le pseudonyme masculin de Gilles Thomas, cependant. Les bulles est le tout premier texte publié dans une bibliographie hélas interrompue par un décès précoce à 56 ans, en 1985.

En dehors des pages consacrées aux nouvelles, et reléguée au milieu des chroniques, Dans des milliers d'années… est une nouvelle d'Hans Christian Andersen, qui - s'il n'invente rien - a tout de même bien pressenti la consommation de masse à venir, ici à travers le tourisme. Une curiosité...

Le numéro suivant de Fiction fera paraître une nouvelle de Howard Phillips Lovecraft traduite par Alain Dorémieux : Celui d'autre part (The outsider, plus connu en France sous le titre de Je suis d'ailleurs, dans sa traduction de Yves Rivière chez Denoël - Présence du futur). La mise en ligne dans les pages du PReFeG est prévue pour le mercredi 19 avril prochain !


On se rappellera la règle éditoriale au sujet des illustrations évoquée dans le Fiction n°32 à l'occasion de son allègre transgression. Ce numéro 35 va encore plus loin dans l'audace en proposant quasiment hors-contexte et sans signature deux dessins, l'un après la nouvelle La jeunesse à qui la veut, le second après Ce qu'on s'amusait. Nous vous les proposons ici, dans l'attente d'une confirmation qu'elles pourraient être de Philippe Curval ou de Jacques Sternberg...

Plus sérieusement, on pourra lire un très étrange plaidoyer à l'ouverture de la Revue des livres de ce numéro.

Trois ouvrages de vulgarisation parus ce mois-ci sont particulièrement intéressants pour l'amateur de science-fiction. « Perspectives nouvelles en micro-physique », par Louis de Broglie (Albin Michel), est un ouvrage qui fera date, comme marquant le début d'une nouvelle orientation de la physique, retournant au déterminisme absolu. Mais ce qui est surtout intéressant à notre point de vue dans les essais groupés dans ce volume, c'est que l'illustre physicien y reconnaît l'importance en Physique de la mode, de la pression de l'opinion générale des physiciens. Il reconnaît à plusieurs reprises qu'il s'est engagé sur de fausses pistes, parce que la majorité de ses confrères exerçait plus ou moins consciemment sur lui, leur influence. Dans d'autres essais, le père de la mécanique ondulatoire nous signale de nombreux cas où la majorité des savants étaient d'accord sur une idée fausse, rendant ainsi très difficile le travail des pionniers. La situation, bien entendu, n'a guère changé.

Et c'est pourquoi il me semble que la science-fiction pourrait jouer un rôle utile en donnant asile à des idées non orthodoxes qui, ainsi, auraient une large audience et pourraient atteindre des chercheurs.

N'est-il pas très étrange de considérer la science-fiction comme purgatoire pour trop d'audace, ou d'imagination, scientifique ? A la lecture de cet extrait, on a la drôle de sensation qu'il ne faudrait pas mélanger les torchons et les serviettes, les spéculations de l'imagination avec les intuitions scientifiques. Ne serait-ce pas là condamner le genre tout entier à n'être que récréatif, écartant définitivement l'un des arguments bien connu (légitimant la science-fiction comme davantage qu'un divertissement) qui pose Jules Verne en visionnaire - ou, plus modestement, en inspirateur ? Quand Gaston Bachelard rappelait l'importance de l'imagination dans le champ de la recherche scientifique, ce n'était pourtant pas pour en faire un exercice en passant. On pourrait également douter atteindre les chercheurs par le biais d'une littérature qui s'auto-proclamerait hôtesse d'idées "non orthodoxes", pour ne pas dire farfelues.

Nous voici peut-être au seuil du schisme entre littérature et divertissement populaire qui menacera la science-fiction française tout au long de son histoire de genre. Les articles futurs d'un Gérard Klein poseront comme nécessaire à l'auteur de science-fiction une bonne culture scientifique, qu'importent ses ambitions littéraires.

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