01 septembre, 2025

Cadeau bonus : Fiction spécial n° 5 : Anthologie de la science-fiction française (Avril 1964)

Pour ce Fiction Spécial et sa cinquième édition, on notera sans doute un pessimisme moins marqué que dans le numéro de l'année précédente. Alain Dorémieux aura sans doute eu raison de la noirceur des auteurs de son écurie, que l'on retrouve presque au complet (ne manque peut-être que Gérard Klein, et Jacques Sternberg de plus en plus lointain). Le thème récurrent - parfois trop - des nouvelles ici compilées en est la résistance, le plus souvent au pouvoir, quand il devient tyrannique, ou aux contraintes des voyages spatiaux. On le comprendra : sans verser dans l'humour goguenard ou sarcastique, et loin d'être d'un optimisme béat et brillant, nous avons ici une anthologie d'un très bon niveau qui fait appel à ce que la science-fiction peut avoir de plus politique, voire de philosophique.

Comme pour toutes nos publications, un clic droit sur la couverture


Sommaire du Fiction Spécial n°5 :


1 - (non mentionné), Introduction, pages 4 à 4, introduction
2 - Nathalie HENNEBERG, Les Vacances du Cyborg, pages 5 à 33, nouvelle
3 - Michel EHRWEIN, Les Statues dormantes, pages 34 à 44, nouvelle *
4 - Claude-François CHEINISSE, La Fenêtre, pages 45 à 48, nouvelle
5 - André HARDELLET, Le Verso, pages 49 à 58, nouvelle *
6 - Michel DEMUTH, À l'est du Cygne, pages 59 à 94, nouvelle
7 - Georges GHEORGHIU, Ainsi font, font, font..., pages 95 à 101, nouvelle *
8 - André RUELLAN, Chrysalia, pages 102 à 112, nouvelle
9 - Lieutenant KIJÉ, La Couronne de sable, pages 113 à 124, nouvelle *
10 -Jean-Michel FERRER, Le Jour de Justice, pages 125 à 140, nouvelle *
11 - Philippe CURVAL, Tous les pièges de la foire, pages 141 à 154, nouvelle
12 - ARCADIUS, La Pierre, pages 155 à 159, nouvelle *
13 - Jacqueline H. OSTERRATH, Un homme sans importance, pages 160 à 175, nouvelle
14 - Pierre VERSINS, L'Enfant né pour l'espace, pages 176 à 206, nouvelle
15 - Albert FERLIN, La Question, pages 207 à 213, nouvelle *
16 - Sophie CATHALA, Poète, prends ton luth..., pages 214 à 218, nouvelle *
17 - Luc VIGAN, La Femme modèle, pages 219 à 231, nouvelle
18 - Claude VEILLOT, En un autre pays, pages 232 à 253, nouvelle
19 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 254 à 256, bibliographie

* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Note éditoriale du Fiction Spécial n°5 :

Nos numéros hors-série, dont la création remonte à cinq ans, sont maintenant devenus une institution.

Leur succès est même tel qu’à partir de 1964, leur rythme de parution devient semestriel. Après ce numéro de printemps, nous pouvons donc d’ores et déjà vous annoncer pour l’automne le Fiction Spécial n° 6, qui sera consacré à la science-fiction italienne.

En attendant de vous faire découvrir sa sœur transalpine, nous ne pouvons que témoigner, avec la présente sélection, que la science-fiction française se porte bien. Les effectifs des auteurs se renouvellent selon une saine proportion, les valeurs sûres ne déçoivent pas, et l’ensemble des récits manifeste une grande vitalité.
 
Une fois de plus, on regrettera l’absence de quelques noms : Carsac, Klein et Sternberg, notamment. Leurs occupations les empêchent pour le moment d’écrire des nouvelles. Mais cette défection est compensée par l’activité que déploient, entre autres, des auteurs comme Nathalie Henneberg, Pierre Versins, Michel Demuth, Claude Veillot, Michel Ehrwein, André Ruellan.

Comme toujours, figurent ici des noms nouveaux, ou encore peu connus. Ils feront pour beaucoup de lecteurs figure de révélation.

Comme ses devancières, cette anthologie apporte la preuve qu’il peut exister une science-fiction nationale, peu dépendante des Américains, puisant en elle-même ses propres ressources. L’histoire de la S.F. s’écrit maintenant aussi à l’échelon européen.


On retrouve dans Les vacances du Cyborg tous les thèmes récurrents de Nathalie Henneberg : non seulement l'amour comme force du destin et plus fort que la mort, entre deux êtres au service de l'humanité et pourtant différents d'eux, mais encore la destruction d'un monde, jardin d'Eden écrasé par la médiocrité d'une espèce humaine moribonde et décadente… On reconnait aussi son gout pour les mots obsolètes (parfois poussé à l'extrême du néologisme, comme en témoignent par exemple les "fougères archéptoryx"... ). Une nouveauté toutefois : ici les êtres sont devenus des "différents", par le biais d'une science qui leur promet une réversibilité vers leur humaine condition d'origine. Ce sont un cerveau protéinique et désincarné dans une machine, et un cyborg, transformé pour les besoins de la survie dans l'espace. Ils devront aussi compter sur une troisième force, animale et jalouse.

Les statues dormantes de Michel Ehrwein sont des condamnés à une perpétuelle animation suspendue, enfermés dans le récit qu'ils font de leurs crimes. Difficile de ne pas se rappeler du meurtre de Meursault dans "L'étranger" d'Albert Camus ; même ivresse dans le crime, même racisme ordinaire. C'est aussi l'aveu désordonné du meurtre assez identique à celui du "Cœur révélateur" d'Edgar Poe ( "Il est là !… Il est vivant !… Je l’ai tué, coupé en morceaux, mais il est vivant !… Vivant !… Et il s’est jeté sur moi !" ). Nous passerons sur la naïveté habituelle de Ehrwein (qui imagine ici pour les besoins de son récit une source d'énergie atomique inépuisable qui puisse se maintenir en marche des siècles après la disparition de l'homme), mais nous ne manquerons pas de nous interroger sur la nature du plaidoyer que nous sert l'auteur : la peine de mort libèrerait-elle de la culpabilité ?

La fenêtre de Claude F. Cheinisse parait mal fermée, des choses s'y engouffrent. Voilà pourtant un beau récit concis et bien mené sur un premier contact, à l'image d'Orphée tenté de revoir Eurydice. Mais en connaissant le destin tragique de l'auteur (il se suicidera après avoir tué les enfants qu'il avait eu avec Christine Renard, décédée d'un cancer quelques mois avant cette tragédie), on saisira d'autant plus en frissonnant les obsessions déjà marquées de Cheinisse.

Poète et romancier, ami de Brassens et de René Fallet, auteurs de chanson comme "Le bal chez Temporel" chanté par Guy Béart, salué par André Breton, étudié en facultés de lettres modernes, André Hardellet fut pourtant décrié dans le courant des années 70 pour outrage aux bonnes mœurs. Situé en 1971 (il s'agit bien ainsi d'anticipation) Le verso, à la façon de faire croire d'un Borges, conte une histoire de temps superposés à l'heure où la Théorie des cordes n'a pas encore "corrompu" notre perception du temp.

Une tête de pont pour une future colonisation en la personne d'un être seul, est confronté à une présence cosmique qui émet mort et hostilité à l'approche d'une planète A l'est du Cygne. Dans une nouvelle qui deviendra l'une de ses classiques, et à son époque d'écriture en plaine effervescence, Michel Demuth nous invite à partager la solitude, la nostalgie et le péril qui sont le lot de l'astrogateur solitaire qui n'a que son entendement pour comprendre une échelle cosmique qui le dépasse de loin.

Ainsi font, font, font… titre un peu abscons d'une jolie et mélancolique histoire où Georges Gheorghiu réinvente Pénélope, ses soupirants, et son Ulysse parti à la recherche du bout du monde. Et après…


André Ruellan imite Henneberg, tant dans l'emphase que dans cette intrigue d'amour et de mort mêlés. Chrysalia n'est pas d'un style aussi intéressant que lorsque Ruellan se singularise, mais demeure bien agréable tout de même.
 
Lieutenant Kijé n'invente rien avec La couronne de sable : il reprend à son compte le parcours du colonel renégat Kurtz de "Au cœur des ténèbres" de Joseph Conrad. Simplement, il le transcrit à la première personne et le transpose sur une autre planète… 

Peut-être sans le pressentir, Jean-Michel Ferrer décrit une progression vers la source du Mal dans une cité étrange faite de quartiers et de voies de circulation, qui pourrait s'apparenter à la marche des électrons dans les circuits imprimés d'un appareillage électronique, ce qu'on appellerait plus tard une Matrice. Bien avant William Gibson et son Neuromancien, Le jour de Justice peut être considéré comme une odyssée déjà très post-moderne.

" Bel saisissait pourquoi le Gouvernement l’avait envoyé sur Ganymède ; ce n’était encore qu’une conjecture, mais déjà elle se dessinait avec précision : la Foire des Sept Trônes dissimulait, sous son apparence de cité en liesse, une criminelle entreprise. Le Garde ne devinait pas le fonctionnement et le but de cette organisation, mais il savait qu’elle était hostile au Système Social Solaire. " 

Tous les pièges de la foire, étant très similaire à la nouvelle précédente de Ferrer, par l'intrigue et l'enjeu,  et jusqu'à la chute elle-même, et comme annoncé par la rédaction dans son texte de présentation, le choix volontaire de les faire se suivre donne malheureusement (au détriment de Philippe Curval) le sentiment d'une redite. Seul le cadre de Fête foraine décadente parvient à en sauver l'intérêt. 

Petite plongée dans la solitude du voyageur spatial au long cours, avec les phases hallucinatoires qui s'ensuivent.  ; La pierre est un bien joli récit bien concis d'Arcadius


La rédaction écrit sur l'autrice de Un homme sans importance : " Jacqueline Osterrath nous offre ici un excellent exemple de cette science-fiction « rose », que seul peut concevoir un tempérament féminin. " Voilà tout de même une réflexion machiste, d'autant que Fiction compte beaucoup de ses meilleurs textes (ou traductions !) signés d'autrice talentueuses. 
Pour la nouvelle proprement dite, dont le héros, écrivain amateur, s'appelle Ferlin, comme l'auteur réel présenté plus loin dans l'anthologie, on pourrait se demander si Osterrath a choisi intentionnellement ou non ce patronyme. L'extrait suivant jette le trouble : " il y avait lu sans plaisir que le « ferlin » était, en vieux français, le plus petit poids dont se servaient les orfèvres et les monnayeurs : ce petit poids était devenu, par la suite, un surnom de marchand ou un sobriquet d’homme très petit ou insignifiant. Janvier se sentait fier d’avoir pu, pour sa part, faire mentir ce patronyme. " 
L'histoire est assez charmante, avec une once de rebondissement et un récit aux personnages bien tempérés. Mas l'ensemble est un peu gratuit, toutefois.

L'enfant né pour l'espace est un mutant, le seul de notre espèce à pouvoir ressentir la grande souffrance d'autrui et à la prendre pour lui. Cela coïncide avec la conquête de l'espace et la grande souffrance que subissent les premiers astronautes, tout soumis qu'ils sont à l'accélération et aux radiations. Ce récit de Pierre Versins fait état des différentes étapes de cette conquête et de l'utilisation des pouvoirs de ce mutant pour pousser au-delà de l'humainement supportable le potentiel des astronautes. Bien entendu, dans un contexte hiérarchique et militaire, cela ne va pas sans stratégie, bluff, et manipulation… 

Dernière nouvelle publiée d'Albert Ferlin, donc, avocat puis journaliste. La qualité de ses récits fait qu'il aurait bien mérité son recueil s'il avait écrit davantage. La question  traite encore d'une traque de L'ennemi, mais il s'agit cette fois de la chasse que pratique le pouvoir envers les indésirables. Et d'une Justice mécanisée et imparable.

Poète, prends ton luth…  de Sophie Cathala évoque un texte qui rend fou, comme l'est " Le Roi en jaune ", ou qui comme ici pousse au suicide. Bien entendu, chacun peut se croire supérieur à tous ceux qui ont succombé, et vouloir s'y frotter à son tour… Une bonne nouvelle sarcastique.

" Suis moi, je te fuis, fuis moi je te suis ", tel est l'adage qui se rapproche le plus de La femme modèle, un conte amoral. Son auteur, Luc Vigan, est un pseudonyme utilisé tant par Alain Dorémieux que par Gérard Klein, mais aussi par André Ruellan ou Philippe Curval. A l'instar d'un Jean-Michel Ferrer inventé pour masquer les doublons de parutions du prolifique Michel Demuth, tous les suspects, à l'exception de Klein, sont ici déjà réunis ; difficile d'y retrouver ses petits… Mais des sources sûres nous indiquent qu'il s'agit cette fois d'un texte d'Alain Dorémieux, et l'on y retrouve bien son goût pour un érotisme léger.

Dans un monde post apocalyptique, une troupe de survivants entament l'exploration de ce qui les entoure et au-delà. Ils découvrent une jungle qui rappelle "Le monde vert" de Brian Aldiss, des hommes redevenus chasseurs primitifs, des traces encore fonctionnelles de machines simples comme des fontaines...
D'autres se rassemblent, humoristiquement nommés comme des auteurs de S.F. : Pol (Pohl), Gricha (Grisham), Tubbs (E.C. Tubbs) ou Aldyss (Aldiss)… 
Mais ce monde qui semble se remettre de siècles de radiations est-il réellement ce qu'il semble être ? Claude Veillot aurait de quoi développer En un autre pays  sur un voire plusieurs roman, avec le contexte qu'il met ici en place - à l'instar de ce que fera quelques années plus tard Larry Niven et son roman "L'anneau-monde". Un très bon récit équilibré et qui, sur sa deuxième partie, aurait même mérité d'être développé.
Ce sera la dernière nouvelle publiée dans Fiction de Claude Veillot. Un fait un peu dommageable, car ses lecteurs ont pu, depuis "Araignées dans le plafond" jusqu'à cet "En un autre pays", en apprécier la progression, tant dans le style que dans l'originalité de ses histoires. Il sera plus tard le scénariste de "100 000 dollars au soleil" de Henri Verneuil, et co-signera avec Robert Enrico le scénario du très remarquable "Vieux fusil". On le retrouve également come complice d'Yves Boisset.
Il écrira durant les années 60 quelques romans pour la jeunesse. Après "Misandra", recueil qui reprendra ses nouvelles chez J'ai Lu en 1974, il fera paraitre chez ce même éditeur, en 1978, un roman quasi uchronique (un presque chef-d'œuvre selon le critique Jean-Pierre Fontana) intitulé "La machine de Balmer" (avec une superbe couverture de Caza).
  

Rapport du PReFeG (Août 2025)

  • Relecture
  • (Rares) corrections orthographiques et grammaticales
  • Ajout du sommaire
  • Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
  • Ajout de la Table des "Nouvelles des auteurs de ce numéro" telle qu'évoquée dans le sommaire sur NooSFere mais n'apparaissant pas dans le epub d'origine.
  • Notes (0), (0b), (3), (4), (5), (6) et (7) ajoutées.
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

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Nathalie HENNEBERG
Michel EHRWEIN
Claude-François CHEINISSE
André HARDELLET
Michel DEMUTH
Georges GHEORGHIU
André RUELLAN
Lieutenant KIJÉ
Jean-Michel FERRER
Philippe CURVAL
ARCADIUS
Jacqueline H. OSTERRATH
Pierre VERSINS
Albert FERLIN
Sophie CATHALA
Luc VIGAN
Claude VEILLOT


A suivre mercredi 03 septembre 2025 : Fiction n°125.

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