31 octobre, 2023

Cadeau bonus : « La maison hantée» - Shirley Jackson 1959 (VF 2016)

On ne peut décemment pas passer à côté de cette fête qu’est Halloween quand on prétend défendre la place de la littérature de l’imaginaire parmi les grands textes.

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 Quitte à être à la fête, c’est une très belle œuvre que nous vous proposons aujourd’hui, sous un titre fort simple : « La maison hantée », de Shirley Jackson – autrice hélas disparue trop tôt en 1965, à l’orée de ses 50 ans.

Saluée comme un pilier du genre « fantastique » par Stephen King, Neil Gaiman, Dan Simmons ou Joyce Carol Oates, Shirley Jackson distille une ambiance toujours équivoque, et aime à nous prendre par la main pour nous faire traverser des cauchemars de l’intérieur, à savoir pleins des ressentis de l’effroi, de l’incompréhension, voire (et c’est une prouesse en littérature) de la sidération.

"Comme la veille, Eleanor réalisa que les autres déviaient adroitement la conversation, alors que la peur était tellement présente dans son esprit. Peut-être son rôle consistait-il à en parler de temps en temps, de sorte qu’en la rassurant, ils se tranquillisaient eux-mêmes et n’y pensaient plus. Tel un réceptacle rempli de toutes les peurs imaginables, elle absorbait aussi les leurs. Ils sont comme des enfants, se dit-elle avec rancune, qui se défient de partir le premier et n’hésitent pas à traiter le dernier de tous les noms." (Chapitre 4)

Oscillant sans cesse entre les pensées intérieures de son personnage principal, Eleanor, et des descriptions qui n’en disent jamais trop, Shirley Jackson parvient à nous instiller un doux vertige qui - même si nous demeurons conscients depuis notre place de lecteur que quelque chose ne tourne pas rond - nous force à suivre avec empathie, voire avec fascination, le destin de ses protagonistes, dans un grand sens du tragique, ponctué avec bonheur par un humour larvé, presque sardonique. En témoigne la citation de « La nuit des rois »  de William Shakespeare, plus précisément la chanson du bouffon Feste dans l’Acte II, scène 3, gimmick obsédant d'Eleanor, tantôt métaphorique, tantôt concret : Shirley Jackson manie à merveille l'effet obsessionnel que sa répétition partielle ou totale procure, et trouve dans la hantise une ambiance idéale et propice à la névrose de son personnage central.

Nous n’en dévoilerons pas beaucoup plus de son  intrigue globale - le roman étant suffisamment court pour ne jamais ennuyer. Le quatrième de couverture de sa première édition en français (qui date de 1979, soient vingt années après sa parution initiale aux Etats-Unis) reste d’ailleurs assez laconique :

Cette maison-là, non seulement elle est hantée mais, surtout, elle est vile, vicieuse, détestable, abominable. Depuis des lustres, elle provoque l'effroi, l'épouvante et la mort — et quand le vent souffle à travers les cheminées, on dirait que les suppliciés eux-mêmes poussent d'affreuses lamentations. Et pourtant cette maison n'a-t-elle pas, comme toute chose, son secret ?

La revue Fiction n’en dévoilera pas davantage, à l’occasion de deux courtes notes :

Parution chez Stanké international, 6, rue Saint-Florentin, 75001 Paris de Amityville, la maison du diable, le roman correspondant au film dont on nous rabat les oreilles en ce moment. Paraît que c’est une histoire vraie. Bon. Pourquoi pas ? N’empêche que ça fait un peu pâlot après la parution récente, au Masque, de The haunting of hill house de Shirley Jackson. D’ailleurs, après le roman de Jackson, il semble difficile d’écrire une histoire nouvelle et intéressante (qu’elle soit « vraie » ou non) sur le thème des maisons hantées.  (in Fiction 306 - Fev. 1980)

Maison hantée de Shirley Jackson est un classique de la littérature des demeures maudites. Mais l’œuvre de la regrettée romancière (et sorcière professionnelle !) d’outre-Altantique est plus subtile que la plupart des récits du genre, où le sang ne cesse de sourdre et de gicler des murs et les têtes verdâtres d’exploser, dynamitées par la malédiction satanique. (Daniel Walther in Fiction 308 - Mai 1980)

Pour poser toutefois un tant soi peu le contexte, nous dirons qu’il est question, dans ce roman, d’une expérience tendant à prouver, par des mesures physiques, l’existence de phénomènes considérés comme paranormaux. Quel objet d’étude mieux qu’une maison réputée hantée pour alléguer ces hypothèses ? Le docteur Montague, parapsychologue et homme de science méthodique et cartésien, réunit autour de lui quelques personnes à même de « capter » cet impalpable qui effraie tant le commun des mortels. Mais si certains phénomènes trouveront une explication rationnelle, rien n’assure que l’on puisse demeurer à l’abri d’une ambiance corrosive et délétère. Et si le sujet d’étude est bien la maison, celle-ci semble aussi observer et vouloir communiquer sa folie.

Winchester House

Pour la demeure, Shirley Jackson s’inspire en partie de Winchester House, célèbre maison hantée, construite par Sarah Winchester, veuve de l'héritier de la fortune Winchester, qui - une rumeur controversée le prétend - a fait construire (à partir d'une ancienne ferme de San Jose en Californie) une demeure pour apaiser les esprits courroucés des victimes de carabines Winchester. Les travaux que mena sans formation Sarah Winchester n'ont jamais cessé, de jour comme de nuit, de 1884 à sa mort en 1922. Il s'ensuit une demeure exceptionnellement étrange, aux innombrables pièces, aux escaliers qui ne mènent nulle part, aux portes qui s'ouvrent sur le vide, et à la réputation d'être un des lieux les plus hantés des Etats-Unis.

Dans son essai "Anatomie de l'horreur" (1981 - VF 1995), Stephen King nous rapporte une anecdote plus savoureuse encore, et qui contribua sans doute à l'élaboration du personnage ambigu et narcissique d'Eleanor.

" Selon l’étude rédigée par Lenemaja Friedman : « Miss Jackson eut l’idée d’écrire une histoire de fantômes […] alors qu’elle lisait un livre consacré à un groupe de chercheurs du XIXe siècle qui avaient loué une maison hantée afin de l’étudier et d’enregistrer leurs impressions visuelles et auditives pour le compte de la Society for Psychical Research. Comme elle l’écrit elle-même : “Ils se prenaient pour des hommes de science et croyaient prouver toutes sortes de choses, mais l’histoire que s’obstinaient à raconter leurs comptes rendus détachés n’était pas celle d’une maison hantée, c’était l’histoire d’un groupe de personnes sincères, à mon avis un peu naïves, très certainement résolues, chacune avec son historique et ses motivations personnels.” Cette histoire la passionna tellement qu’elle décida de créer sa propre maison hantée et son propre groupe de chercheurs.

« Peu de temps après, alors qu’elle séjournait à New York, elle aperçut près de la station de la 125e Rue une maison si grotesque, si sombre et si maléfique d’aspect qu’elle en eut des cauchemars pendant un long moment. Suite à sa demande, un de ses amis new-yorkais fit une petite enquête sur cette maison et découvrit que seule sa façade était intacte, l’intérieur ayant été détruit par un incendie. […] Pendant ce temps, elle consultait quantité de livres, de revues et de journaux en quête de la photo d’une maison qui conviendrait à son projet ; finalement, elle en trouva une qui lui semblait parfaite. Cette maison ressemblait étrangement à celle qu’elle avait vue à New York : “… elle exsudait la maladie et la décomposition, la maison idéale pour un fantôme.” D’après la légende de la photo, la maison se trouvait en Californie ; comme sa mère demeurait dans cet État, Jackson lui écrivit pour lui demander des informations complémentaires. Et en fait, non seulement sa mère connaissait très bien la maison en question, mais elle apprit en outre à Miss Jackson que c’était son arrière-grand-père qui l’avait bâtie. » (in "Anatomie de l'horreur", par Stephen King, Chapitre 9 ; lui-même reprenant l'étude "Shirley Jackson", de Lenemaja Friedman (Twayne Publishers, 1975), et où Mrs Friedman cite un article de Shirley Jackson consacré à la genèse de son roman, article publié sous le titre Experience and Fiction.)

Robert Wise tirera du roman de Shirley Jackson une formidable adaptation en 1963, sous le titre « La maison du diable », qui sera à son tour considéré comme un classique du cinéma d’épouvante, sans presque aucun effet spécial. Nos incontournables collectionneurs du cinéma « de genre » que sont l’équipe de L’Univers Etrange et Merveilleux du Fantastique et de la Science-Fiction nous en propose un partage ICI, grâce leur en soi rendue !

Malgré les qualités indéniables de ce roman, il faudra toutefois patienter 20 ans après sa sortie pour en lire une traduction française. Publié, donc, enfin en 1979 dans la collection Le masque Fantastique (n°24) sous le titre « Maison hantée », il ne ressurgira que près de 15 ans plus tard dans la collection Terreur chez Pocket (n°9092) en 1993, puis sous le titre « Hantise » en 1999 (à l’occasion de la sortie du film éponyme qui en est une autre adaptation, par Jan De Bont). L’édition que nous vous proposons ici reprend la dernière version, parue en 2016 chez Rivage Noir, dans une traduction de Fabienne Duvigneau révisant celle de Dominique Mols.

Une « série Netflix » de 10 épisodes, produite en 2018, en reprend le titre original : « The haunting of hill house », menée par Mike Flanagan. Le moins qu'on puisse en dire est qu'il ne 'agit pas d'une adaptation, mais bien plutôt d'une digestion de l'œuvre, qui en reprend les éléments en les réagençant différemment - pour justifier sans doute un programme de dix heures bien trop délayé. 

25 octobre, 2023

Galaxie (1ère série) n°048 – Novembre 1957

Seconde et dernière partie de « L’enfant de Mars », par Cyril M. Kornbluth et Judith Merril, et beaucoup de réactions qu’on jugerait rétrospectivement candides face à « l’événement » Spoutnik.

Dégaine ton clic droit, l'ami !

Sommaire du Numéro 48 :

 

1 - Theodore STURGEON, À l'assaut des dieux (The pod in the barrier, 1957), pages 2 à 20, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD

2 - William Campbell GAULT, Une femme sur mesure (Made to Measure, 1951), pages 21 à 40, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par WOROMAY *

3 - Neil P. RUZIC, La Fin du chef de race (The deep one, 1957), pages 41 à 49, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par DILLON *

4 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 51 à 52, courrier

5 - Evelyn E. SMITH, Le Bonbon merveilleux (Dragon Lady, 1955), pages 53 à 64, nouvelle, trad. (non mentionné) *

6 - Jimmy GUIEU, Les Soucoupes volantes, pages 65 à 67, chronique

7 - Howard L. MYERS, L'Arme qui cherchait la paix (The reluctant weapon, 1958), pages 69 à 80, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Ed EMSH

8 - Julia VERLANGER, Le Bûcher de la sorcière, pages 81 à 87, nouvelle

9 - Cyril JUDD, L'Enfant de Mars (2ème partie) (Mars child, 1951), pages 89 à 112, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par WILLER

10 - Léopold MASSIÉRA, Un lot de roi, pages 113 à 122, nouvelle *

11 - Damon KNIGHT, Œil pour... quoi ? (An Eye for a What?, 1957), pages 123 à 141, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Jack GAUGHAN

12 - AUTOLYCUS, "Galaxie" l'avait dit..., pages 143 à 144, notes

 

* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Theodore Sturgeon évoque un nouveau type de mutant apte à faire douter les machines, mais le contexte spatial de « A l’assaut des dieux », bien que finement élaboré, manque un peu de la profondeur psychologique qu'on apprécie généralement chez cet auteur.

Dans « Une femme sur mesure », il est question de l'élaboration d'une vie de synthèse, et - tant qu'à faire - de viser la perfection. Mais c'est la notion même de perfection qui est ici interrogée, et de la nature faillible de l'être humain qui le rend non pas parfait, mais perfectible... ou non. Le contexte de "marché aux femmes" pourra choquer, mais il est possible de ne pas se méprendre sur les intentions de l'auteur, William Campbell-Gault.

Entre l'Arche de Noé et la quête d'un nouveau Jardin d'Eden, les allusions bibliques ne manquent pas dans « La fin du chef de race » où perce toutefois un humour sardonique et diffus, mais assez désespéré, signé Neil P. Ruzic.

Avec « Le bonbon merveilleux », nous retrouvons ce mélange de contes de fées et de monde contemporain qu’explore Evelyn E. SMITH. Plaisant, presque enfantin, même si le procédé demeure gratuit.

Avec sa rubrique « Les soucoupes volantes », on pourrait se demande comment Jimmy Guieu arrive à fournir mensuellement une observation de phénomène à priori extrêmement rare. Mais lorsque ce sacré Jimmy évoque une course à l'armement sur des faits aéronautiques que d'aucun aurait classés top secret, on dirait bien qu'il ait ses propres sources d'information. Lesquelles ? Mystère et boule de gomme…

On aurait pu s'attendre avec « L’arme qui cherchait la paix » à un récit humoristique à la Sheckley, sur les logiques pseudo pacifistes de la course à l'armement. Hélas, le récit de Howard L. Myers tourne court et s'interrompt abruptement là où il aurait pu commencer son réel développement – à croire qu’il a été tronqué.

Julia Verlanger nous propose avec « Le bûcher de la sorcière » une nouvelle courte et efficace assez équivalente à "La fille de l'eau" parue dans le Fiction n°47 du mois précédent. Ici, l'ostracisme subi est narré à la première personne - ce qui rend le ton plus dérangeant.

Les aspects miraculeux de la propension de l'espèce humaine à voir ses rejetons s'adapter à la vie martienne peuvent sans doute prêter à sourire. Cette deuxième partie de « L’enfant de Mars » nous propose toutefois une agréable novella, avec son lot de rebondissements et de surprises, sans longueur excessive. Indéniablement, Cyril Judd, soient Cyril M. Kornbluth et Judith Merril possèdent bien leur métier.

On n’en dira pas autant de « Un lot de roi » ; sexiste, Léopold Massiéra s'en prend à des femmes qui ne lui ont rien demandé, les réduisant à leur contexte professionnel sans leur imaginer une dimension simplement humaine. On oubliera. 

Quel «châtiment» appliquer à un extraterrestre métamorphe ? La notion de "xenojustice" restait à inventer avant que Damon KNIGHT ne nous propose ce plaisant « Œil pour…quoi ? ».


Un vent de tout possible débridé souffle dans l’imaginaire depuis le lancement réussi de Spoutnik. On entrevoit déjà tout un monde que n’aurait pas renié Robida… mais qui n’adviendra pas !

… L’hélicoptère ne viendra-t-il pas bientôt nous délivrer des encombrements de la circulation ?

M.G. Désambroy, Paris 15e.

PEUT-ÊTRE pouvons-nous attendre de cet appareil notre futur mode de transport. Quant à y voir la fin des embouteillages !…

Quoi qu’il en soit, on annonce, particulièrement en Amérique, différents hélicoptères individuels. L’un d’eux, baptisé Aérocycle, d’un poids de 125 kilos seulement, équipé d’un moteur de 40 CV, se commande comme un simple cyclomoteur, grâce à ses deux hélices tournant en sens inverse et placées sous les pieds du pilote. Un autre, dont le prix ne doit pas dépasser celui d’une automobile de série, sera même pliant de façon à tenir dans une petite valise. Son poids n’atteindra pas celui d’un homme. Le moteur se composera de deux appareils à réaction montés à l’extrémité de chacune des pales du rotor. Il utilisera un carburant à 90 % de peroxyde d’hydrogène, et ce sont les jambes du pilote qui feront office de train d’atterrissage. L’engin pourra s’élever à 700 m. en une minute, et sa vitesse de croisière sera de 75 kilomètres-heure.

On annonce aussi un modèle pesant au total 35 kilos et fonctionnant au propane, ainsi qu’un autre, du poids réduit de 25 kilos et, cependant, capable de transporter une personne à 80 kilomètres-heure pendant une heure.

Pour les déplacements en famille, on pourra préférer l’auto-avion, basée sur le principe des plates-formes volantes Hiller, que prépare un autre technicien américain, M. Howard Simmons, et qui permettra de rouler ou de voler, au choix.

Le four à micro-ondes, nous l’avions déjà évoqué, est pour sa part advenu. Mais on l’a échappé belle quant à l’armement si l’on considère cette information :

Saviez-vous que … le rayon du radar pouvait être mortel ?

LE docteur John T. Mac Laughlin a révélé, dans le bulletin mensuel de l’Association médicale de Californie, qu’un ouvrier de la région de Los Angeles avait, en 1954, été victime d’un étrange accident.

Cet ouvrier, qui travaillait dans une usine fabriquant des appareils radar, se tenait devant un poste émetteur pendant qu’on procédait à des essais. Lorsqu’on envoya le courant, l’homme se trouva sur le trajet du faisceau de transmission de l’antenne. Il ressentit, au ventre, une brûlure qui, au bout d’une minute, devint tellement insupportable qu’il dut s’écarter.

Quinze jours plus tard, le malheureux mourait. L’autopsie révéla une perforation intestinale aussi large qu’une pièce d’un dollar et provoquée, sans aucun doute, par les radiations d’ondes ultra-courtes auxquelles l’ouvrier avait été soumis. Ces ondes sont, en effet, les mêmes qui, dans le four électronique, cuisent un bifteck en trente secondes…

Spoutnik, cependant, annonce une époque dont la modernité nous apparait toujours quotidiennement, même si la prouesse technique nous en parait banale. Voyons ce que « Galaxie » nous en dit depuis l’année 1957 :

SAVIEZ-VOUS QUE… le lancement du satellite artificiel russe ouvre l’ère interplanétaire, chère aux auteurs de science-fiction ?

LE succès du lancement de ce satellite, le 4 octobre, est un événement d’une portée considérable sur bien des plans ; en particulier sur celui des voyages dans l’espace, considérés, il y a peu de temps encore, comme relevant du domaine de la science-fiction. Il prouve que l’homme est, désormais, capable de vaincre l’attraction terrestre, qui le « rivait » jusqu’à maintenant à sa planète et à l’atmosphère qui l’entoure.

Ce premier pas – le plus difficile – étant accompli, il est normal de penser au suivant. Le savant russe Klebtsevich estime qu’une expédition par fusée pourrait être envoyée vers la Lune au cours des années 1960 et 1965, et une seconde expédition vers Vénus et Mars entre 1962 et 1967. Ainsi, les temps semblent très proches où les anticipations des auteurs de Galaxie seront du domaine de la réalité et de la science tout court !

Un article un tout petit plus conséquent en fin de revue décrira les prochaines étapes de la conquête spatiale avec tout autant d’ardeur et d’enthousiasme ("Galaxie l'avait dit !"). Nous nous accorderons une petite plaisanterie facile sur la candide « fantaisie » de telles spéculations, en regard de l’information suivante :

SAVIEZ-VOUS QUE… on pouvait se préparer de beaux rêves en mangeant des champignons ?

Il ne s’agit pas, bien entendu, de cèpes à la bordelaise, qui ne peuvent guère que procurer des cauchemars si on en abuse, mais du psylocybe mexicana – ou N’ti Sherto, de son nom indien.

Consommé par les Indiens du Mexique au cours de cérémonies rituelles, ce champignon procure, au bout d’une demi-heure et pour plusieurs heures, des hallucinations agréables, desquelles on s’éveille sans le moindre malaise. Des espèces analogues sont signalées en Sibérie, à Bornéo, en Nouvelle-Guinée, en Chine, au Japon et aux Indes.

Le professeur Roger Heim, directeur du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, est parvenu, à partir d’une souche rapportée du Mexique, à obtenir en laboratoire des fructifications nombreuses et saines de ces cryptogames au pouvoir étrange. La possibilité ainsi donnée de les cultiver de façon semi-industrielle facilitera les recherches cliniques et pharmacodynamiques.

Bon sang mais c’est bien sûr, voilà qui explique tout ! Palmer Eldritch, à vous l’antenne !

18 octobre, 2023

Galaxie (1ère série) n°047 – Octobre 1957

Galaxie ouvre un grand bal d'honneur à Cyril M. Kornbluth pour les quatre mois à venir, avec la publication - en deux parties chaque fois - de deux novellae ; "L'enfant de Mars" en collaboration avec Judith MERRIL, puis "La tribu des loups" en collaboration avec Frederik POHL (dans les numéros 49 et 50).

Allez, encore un clic droit, euh...madame...

Sommaire du Numéro 47 :


1 - Cyril JUDD, L'Enfant de Mars (1ère partie) (Mars child, 1951), pages 3 à 29, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par WILLER

2 - Clifford Donald SIMAK, Le Robot sentimental (Lulu, 1957), pages 30 à 60, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Don MARTIN

3 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 61 à 62, courrier

4 - Damon KNIGHT, Pris à son piège (Man in the Jar, 1957), pages 63 à 72, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par ASHMAN

5 - Robert SHECKLEY, Le Langage de l'amour (The Language of Love, 1957), pages 73 à 85, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Jack GAUGHAN

6 - Martine THOMÉ, L'Héritage de Vénus, pages 87 à 96, nouvelle *

7 - Raymond E. BANKS,L'Adaptovir (Double Dome, 1957), pages 97 à 107, nouvelle, trad. (non mentionné) *

8 - Fritz LEIBER, Le Temps en bulle (Time in the Round, 1957), pages 108 à 120, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par DILLON *

9 - Anthony BOUCHER, Le Point de rupture (Transfer Point, 1950), pages 121 à 135, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Paul PIERRE

10 - Jimmy GUIEU, Les Soucoupes volantes, pages 137 à 138, chronique

11 - Edwin Charles TUBB, Paradoxes (You Go, 1956), pages 139 à 144, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Jack GAUGHAN

 

* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

L'enfant de Mars au Masque SF
On revisite beaucoup les grandes problématiques de la culture américaine dans ce numéro 47 de Galaxie. Tout d'abord (sous le pseudonyme commun de Cyril Judd) Cyril Kornbluth et Judith Merril co-signent avec L’enfant de Mars une agréable histoire de colons idéalistes confrontés à leur dépendance économique et sanitaire à la Mère Patrie, ici la Terre pour Mars. Une mythologie bien américaine dont on attend le dénouement. La version proposée par Galaxie est malheureusement tronquée d'un bon quart, comme on pourra s’en apercevoir en parcourant l’édition de 1979 dans la collection « Le masque – science-fiction ».

Après la conquête de l'Ouest ou de monde nouveau, la quête de l'Eldorado en Amérique latine. Pris à son piège, par Damon Knight,  déploie un petit huis-clos empreint d’une convoitise avivée par des légendes étrangères (ici extraterrestres). Astucieux mais tout de même un peu gratuit.

Traiter l'espèce humaine comme un bétail sacré à sauvegarder, et justifier par là l'exploitation d'une espèce extraterrestre...  Dans L’héritage de Vénus, par Martine Thomé, on aborde les mêmes horreurs qu'avec la traite des Noirs, qui n'a pas été qu'un problème américain, Les « noirs » sont ici devenus « bleus », mais la transposition demeure transparente, l’apanage de la fiction - celui de pouvoir refaire l’histoire - en plus, et l'espoir d'une rébellion possible comme - toujours - l'issue par le métissage et l'amour.

A propos de Martine Thomé, soit Madame Pierre Versins, elle a été la rédactrice en chef de la revue « D’ailleurs », liée au Musée « La Maison d’ailleurs » qui regroupe la collection de son mari à Yverdon, en Suisse. Quant à la nouvelle, la publication d’un autre écrit de Martine Thomé sera l’occasion pour Fiction (n°62) de tirer à boulets rouges sur sa consœur Galaxie :

(…) nous sommes spécialement heureux de publier Martine Thomé : elle méritait bien cette seconde chance après avoir passé l'an dernier une nouvelle intitulée « Maternité », dans une revue de science-fiction où l'irrespect des textes est une insulte aux lecteurs – nouvelle qui fut à ce point estropiée par la rédaction qu'elle eut du mal à la reconnaître !

En l’absence d’une occurrence bibliographique qui aurait pu mieux correspondre, nous supposons que « Maternité » était le titre original – fort approprié – de « L’héritage de Vénus » présenté ici.

Après ces « re visitations » des pans de la grande Histoire, deux des piliers du grand temple de la SF nous proposent des histoires d’Amour.

Tout d’abord, avec Le robot sentimental, Clifford D. Simak pèche un peu avec quelques longueurs dans une histoire de robot qui s'humanise ; on perd un peu le fil d'une démonstration qui aurait pu être plus poussée - mais son talent de conteur fait ici passer agréablement tout le reste, sur un ton badin qui manquerait parfois à un Asimov quant aux problématiques robotiques.

Illustration de MOEBIUS




Puis, à l'instar de la fille du Roi Lear, Cordelia, incapable de trouver les mots pour dire sa dévotion au roi son père, le héros de Le langage de l’amour, de Robert Sheckley, part en quête d'une linguistique amoureuse qui manque cruellement à toutes les civilisations connues… Le règne de l'Amour comme science exacte adviendra-t-il ; ou faudrait-il s'en défier ? Une très jolie nouvelle.

On pourrait croire à une romance possible dans L’adaptovir, de Raymond E. Banks. Mais la manipulation des sentiments y avance masquée. On pourra en juger par l’équivoque de l’extrait suivant :

« (…) l’homme ne doit-il pas songer à se perfectionner un peu lui-même ? Depuis qu’il a quitté les grottes, il a tout modifié autour de lui : villes, vêtements, nourriture. Maintenant, les instruments qu’il construit sont plus rapides que lui. Cela nécessite des organes supplémentaires, tels que notre troisième œil, notre seconde paire de bras et notre sous-cerveau, pour tirer le meilleur parti des nouveaux engins. L’humanité n’accepte que nous comme surhommes, parce que nous sommes de même chair, de même sang, et que n’importe quel couple peut nous concevoir. Depuis plus de cinquante ans que nous sommes issus du laboratoire, notre aspect ne peut plus surprendre. Un Arabe admire bien une femme obèse ; un Noir d’Afrique chérit sa fiancée aux lèvres à plateaux. Alors ?… »

On l’aura compris, il est question ici de pantropie, encore une fois le sujet très en vogue en cette année 1957. Olaf Stapledon, dans Les derniers et les premiers,  posait déjà le problème de la pantropie comme néfaste à l’espèce lorsqu’elle n'est motivée que par l’appât du gain et la poussée jusqu’à l’absurde de la productivité - par conséquent s’annonce l'ère des surhommes autoproclamés. Sur ce thème, L’adaptovir est une nouvelle efficace.

On voit avec les nouvelles suivantes que la science-fiction n’est pas le genre d’un discours unique, d’un esprit progressiste univoque ou d’un humanisme unanime.

Dans Le temps en bulle, signé Fritz Leiber, on aurait même l’impression d’un règlement de comptes. Tout en finesse et en cruauté, la nouvelle semble s'en prendre aux représentation du temps devenu marchandise ou objet de spéculation, ainsi qu’aux icônes vikings de Poul Anderson, dans un récit subtil plus engagé qu'il n'y parait.

Les joies de la traduction font du dictateur enfant de la nouvelle de Leiber, Butcher dit « Butch » en sa version originale,  un homonyme d'Anthony Boucher, qui signe ici Le point de rupture. Une histoire de boucle temporelle de plus, pourrait-on penser, si elle n'avait le mérite non seulement d'avoir été publiée dans France Dimanche en février 1952 (en deux parties, sous le titre de Brèche dans le cercle, dans une traduction d’Aurélie Audiberti) - et a ainsi possiblement séduit et préparé un lectorat français potentiel pour la SF (près de deux ans avant les premières parutions fin 1953 de Fiction et de Galaxie) - mais encore le mérite d’évoquer le monde de l'édition de la SF de la fin des années 40 que connait bien Boucher (rédacteur en chef de The Magazine of Fantasy and science fiction, le « Fiction original », de 1949 à 1958). Quelques allusions bibliographiques en prime (Knight et Heinlein notamment) en font une nouvelle très appréciable malgré une traduction assez erratique (voir les notes du PReFeG ajoutées à l’epub proposé ici).

La boucle temporelle bien connue déployée par René Barjavel dans son Voyageur imprudent est commentée dans Paradoxes, par E. C. Tubb. Il s’agit en fait d’un petit jeu de paradoxes mathématiques à résoudre, sous la forme d’un récit d’une quotidienneté qui finit par en devenir étrange. Une bonne nouvelle concise et efficace.

Nous allions conclure, mais nous allions oublier ce sacré Jimmy, qui dans sa rubrique Les soucoupes volantes lâche enfin, à côté de l’appellation surannée de S. V. pour soucoupes volantes, « Objet Volant… non identifié » (les guillemets et les points de suspension sont d’origine).

La rubrique du courrier des lecteurs nous réserve encore son lot de remise en perspective. Par exemple :

… Que faut-il penser de la vaccination par le B.C.G. ? Ne comporte-t-elle pas le risque d’inoculer la tuberculose à l’organisme ? 

On le constate, la défiance envers des procédés nouveaux de vaccination n'a semble-t-il rien de ... nouveau (et serait même profondément humain.)

Parfois aussi, la juxtaposition d’articles concernant l’actualité scientifique et de certaines nouvelles d’anticipation rend leurs correspondances frappantes, à tel point qu’on serait en droit de se demander s’il y a là une volonté éditoriale ou une simple négligence malheureuse dû à l’effet du « sans transition ».

SAVIEZ-VOUS QUE…

… un taureau pouvait procréer plusieurs années après sa mort ?

DÉJÀ l’insémination artificielle permettait de féconder, à distance, de 2.000 à 8.000 vaches avec le concours d’un seul taureau. Et l’opération est tellement répandue que plus de 1.200.000 femelles furent ainsi traitées en un an.

Mais, comme les propriétés de la semence disparaissent en quelques heures à la température de 37 degrés, on a recours à la glace pour lui assurer une conservation de plusieurs jours. En France, comme aux États-Unis, des essais de congélation très satisfaisants ont permis de stocker la précieuse liqueur séminale pendant plusieurs mois.

Encouragés par le succès obtenu, des spécialistes français ont risqué la fécondation d’une vache avec un bloc de semence congelé depuis trois ans et demi. L’expérience réussit.

L’extension d’une telle technique vouerait à la boucherie la plupart des veaux à venir, puisqu’elle réduirait au minimum le nombre de taureaux nécessaires pour le renouvellement du cheptel. 

Quid de l'être humain ? La nouvelle de Martine Thomé résonne furieusement avec cette notule. 

15 octobre, 2023

Fiction a 70 ans !


Joyeux anniversaire Fiction, dont le numéro 1 paraissait il y a 70 ans jour pour jour.

Nous ne saurions faire mieux pour célébrer cet anniversaire que ce que nous nous appliquons à faire depuis décembre 2021 : vous proposer de partager dans un format numérique débarrassé des éventuelles coquilles cette revue qui paraîtra mensuellement dans les kiosques jusqu'en 1990 - un record !

Si Fiction propose dans un premier temps la traduction tout ou partie de la revue américaine "The magazine of fantasy and science fiction", elle ne cesse de s'en démarquer (et ce dès son premier numéro) en proposant une aire éditoriale à de nombreux auteurs francophones.

Fiction, c'est aussi un observatoire de tout ce qui pouvait paraître dans les genres de l'imaginaire : science-fiction, fantastique, fantasy, horreur... et même littérature plus insolite dans le sillage du surréalisme.

Des critiques détaillées, des articles de fond, agrémentent donc cette énorme anthologie qui témoigne de la "naissance" d'un genre : la science-fiction - du moins son baptême sous ce nom - et du déploiement souvent difficile des collections de l'imaginaire en France, en les soutenant, ou parfois en les secouant pour les pousser à atteindre le meilleur de leurs lignes de publications.

Fiction, c'est aussi une série de 34 numéros spéciaux consacrés à un aspect plus précis de ces littératures (SF française, italienne, de l'âge d'or, récits d'épouvante, etc...). Ces "Fiction spécial" feront aussi l'objet de publications au sein du "PReFeG", en plus des numéros mensuels délivrés une fois par semaine.

Pour finir, nous profitons de cette occasion pour remercier nos nombreux lecteurs représentés sur tous les continents, et qui témoignent, eux, d'un intérêt véritable pour l'incroyable foisonnement des littératures de l'imaginaire dans le domaine francophone.

Si notre stochastique se révèle efficiente, nous devrions accomplir notre tache de publication de l'intégrale des numéros de Fiction au format epub, corrigés et complétés, le 25 janvier 2034. Patience !

L'extrait suivant de UNIVERS 08 (Mars 1977) témoigne indirectement des circonstances de la création de Fiction ; composé par Jacques Sadoul, à l'occasion obituaire de la disparition de son fondateur, Maurice Renault, on notera au passage que, dans cette note, Sadoul semble régler ses comptes avec Alain Dorémieux …

Le créateur de Fiction disparaît

Maurice Renault est décédé à l’âge de 75 ans, en septembre 1976. Cette disparition affecte le monde de l’édition en général et, plus particulièrement, celui du roman policier et de la science-fiction.

Tout débuta avant-guerre lorsqu’il fonda une maison de publicité qu’il baptisa Opta, c’est-à-dire Office de Publicité Technique et Artistique (les références à « Émile Opta » sont d’invention récente.) Après-guerre, il décida d’adjoindre un département édition à l’agence Opta. Maurice Renault était un grand amateur de romans policiers et le 1er janvier 1948, il lança Mystère Magazine, une édition française de la revue américaine : Ellery Queen’s Mystery Magazine. Aux États-Unis, les éditeurs de cette revue publiaient également The magazine of Fantasy and Science-Fiction et souhaitèrent en voir paraître une édition française. Quoique Maurice Renault ne fût guère amateur de SF, il accepta et, en octobre 1953, parut le premier numéro de Fiction. Dès ce numéro, il tint à faire figurer au sommaire des textes d’auteurs français car il ne voulait pas se contenter d’être le simple traducteur de la revue anglo-saxonne. C’est ainsi que parurent une nouvelle d’André Maurois et une de Guy de Maupassant ; les rééditions firent bientôt place à des textes inédits. Pour l’aider à les sélectionner, Maurice Renault s’était adjoint deux collaborateurs : Jacques Bergier et Igor B. Maslowski. Ainsi, grâce à lui, un noyau d’écrivains de SF se forma dans notre pays au cours des premières années de la revue Fiction.

En 1958, M. Renault créa le Club du Livre Policier et relança en France les romans de Maurice Leblanc consacrés à Arsène Lupin qui était alors bien oublié.

Ses nouvelles activités, et l’édition française de Hitchcock Magazine, l’accaparèrent de plus en plus. Il avait engagé comme secrétaire de rédaction un garçon de son entourage, Alain Dorémieux, et lui abandonna de plus en plus la direction de Fiction. Le nombre des nouveaux auteurs français qui n’avaient cessé de se révéler dans ses pages commença alors de diminuer pour devenir presque inexistant dans les années 60.

En 1964, Maurice Renault reprit les droits du magazine américain Galaxy et relança cette revue qui avait connu une première édition française interrompue au bout de 65 numéros. C’est à ce moment qu’il me fit entrer à la rédaction pour prendre en main les deux revues policières. Je lui proposai aussitôt de publier des romans de science-fiction dans une formule club analogue à celle du Club du Livre Policier. Il accepta et ce fut, fin 1965, la création du Club du Livre d’Anticipation qui débuta par la mise en souscription de la trilogie d’Isaac Asimov : Fondation. Le succès du C.L.A. fut immédiat et ne s’est pas démenti depuis.

Maurice Renault fut obligé de prendre sa retraite en 1966, le nouvel actionnaire majoritaire lui ayant fait observer qu’il avait atteint l’âge limite de 65 ans ! Il commença aussitôt une carrière d’agent littéraire et devint le représentant, entre autres, de deux des plus importantes agences américaines dans le domaine de la SF, celle de Scott Meredith et celle de Forrest J. Ackerman. Il travaillait encore lorsqu’une crise cardiaque vint le terrasser.

Par son action pour l’introduction de la science-fiction en France et par l’impulsion qu’il a donnée au mouvement de SF spécifiquement français, Maurice Renault restera un des hommes ayant le plus fait pour ce genre littéraire dans notre pays. Boileau et Narcejac lui ont rendu plus particulièrement hommage en ce qui concerne son action pour le roman policier : émissions radio, Grand Prix de Littérature Policière, réédition du C.L.P., dans un article paru dans Mystère Magazine. Mais pour nous, qui avons vécu de l’intérieur le mouvement de l’éveil de la SF en France, Maurice Renault, ce fut avant tout Fiction. Qu’il en soit ici remercié.

Jacques Sadoul

11 octobre, 2023

Galaxie (1ère série) n°046 – Septembre 1957

De grands auteurs (Sheckley, Anderson, Simak, Pohl, Smith…) côtoient des raretés de qualité dans ce numéro d’automne 1957.

 

Un clic droit et toute une galaxie s’ouvre !

 Sommaire du Numéro 46 :


1 - Finn O'DONNEVAN, La Planète infernale (A wind is rising, 1957), pages 3 à 19, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Laurent TURPIN *

2 - Edgar PANGBORN, Le Dernier homme de Manhattan (The music master of Babylon, 1954), pages 20 à 35, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Bernard KRIGSTEIN

3 - John D. MacDONALD, Le Défaut de la cuirasse (Susceptibility, 1951), pages 37 à 48, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par James VINCENT

4 - Robert SHECKLEY, Défense de "sinuriser" (Protection, 1956), pages 49 à 58, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par RAY

5 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 59 à 60, courrier

6 - Evelyn E. SMITH, Sorcier, moi aussi ! (Call Me Wizard, 1954), pages 61 à 92, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par ASHMAN *

7 - Jimmy GUIEU, Les Soucoupes volantes, pages 93 à 94, chronique

8 - Albert FERLIN, Télépathie, pages 95 à 102, nouvelle *

9 - Poul ANDERSON, Le Renégat (A World Called Maanerek, 1957), pages 104 à 130, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Laurent TURPIN *

10 - Clifford Donald SIMAK, Le Père de tous (Founding Father, 1957), pages 131 à 138, nouvelle, trad. (non mentionné)

11 - Frederik POHL, « J’ai tué mon ami... » (Pythias, 1955), pages 139 à 144, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Mel HUNTER *


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

 

La présomption du colon guidé par des intérêts commerciaux est le réel piège de La planète infernale, plus que la planète elle-même. Robert Sheckley (sous le pseudonyme déjà rencontré de Finn O’Donnevan) signe ici une nouvelle un peu moins profonde qu' à son habitude, qui rappellera «La horde du contrevent » aux lecteurs d’Alain Damasio.

 

On retrouve bien le ton à la fois tendre et désabusé d’Edgar Pangborn, l’auteur d’Un miroir pour les observateurs, dans ces échanges intergénérationnels et – tout de même - un peu paternalistes avec Le dernier homme de Manhattan. La vision du New York immergé inspirera peut-être Pierre Christin et Jean-Claude Mézières pour la composition du premier volume des aventures de Valérian et Laureline, en 1970 (« La cité des eaux mouvantes » – Dargaud).

 

Le défaut de la cuirasse, par John D. McDonald, demeure une histoire un peu attendue de retournement ; faire d'un bureaucrate zélé envoyé par un comité central des colonies un adepte convaincu par une vie simple et adaptée au terrain conquis. La bascule d'une opinion à une autre aurait pu y être plus développée. On notera que la nouvelle de Poul Anderson qui figure aussi dans ce numéro de Galaxie (« Le renégat ») prend le thème de cette nouvelle-ci à contrepied.

 

Jean-Claude Carrière rapportait une histoire (qu'il disait tenir de Karen Blixen) : Alexandre Le Grand était allé extorquer à une pythie son secret pour pouvoir lire dans l'avenir. Celle-ci accepta de le lui livrer, mais prévint le monarque que pour ne pas se tromper, il ne fallait en aucun cas penser à l'oeil gauche d'un crocodile. Défense de « sinuriser », deuxième texte de Robert Sheckley pour ce volume, propose une variation plus cocasse de cette histoire de crocodile. De plus, l'humour de Sheckley se combine ici avec la redéfinition d'éléments classiques du fantastique dans un contexte de science-fiction – une belle prouesse.

 

Sorcellerie et mondes parallèles dans Sorcier, moi aussi ! par Evelyn E. Smith. L'humour de Smith se perd toutefois un peu dans cette nouvelle trop bavarde. Dommage.

 

Dans l’habituelle rubrique Les soucoupes volantes par Jimmy Guieu (Chef du Service d’Enquête de la C.I.E. Ouranos !), ce sacré Jimmy traque maintenant, en plus des soucoupes volantes, les... automobilistes !

 

Télépathie, par le français Albert Ferlin, est une très intéressante nouvelle qui pose le débat ontologique de la conscience indivisible du sentiment de souffrance. On ne pourrait en dévoiler davantage sans divulgacher la lecture.

Albert Ferlin, s'il fait ses débuts dans Galaxie, sera ensuite publié dans Fiction. Le n°64 de cette revue écrira à son sujet :

"Albert Ferlin, dont voici la première nouvelle dans « Fiction », fit le barreau et le journalisme – et est aujourd'hui fonctionnaire. À ses moments perdus, il est peintre, photographe et écrivain. Attiré particulièrement par l'étrange et l'anticipation, il a déjà publié plusieurs nouvelles dans le genre (notamment chez notre confrère « Galaxie »). Il aime les œuvres ayant une portée sociale ou révélant une psychologie particulière. Ses auteurs favoris sont Borges, Lovecraft et Bradbury. "

 

Réapprendre à vivre après un étroit conditionnement. Poul Anderson, toujours friand de décrire sa vision quasi-viking d'une vie saine, nous propose avec Le renégat un récit plein d'action mais un tantinet phallocrate. Cette nouvelle restera sans publication ultérieure, et fera tout de même la joie des amateurs d’Anderson.

 

Nous ne sommes pas loin de Philip K. Dick avec Le père de tous, une histoire de plans de réalités qui s'alternent. Clifford D. Simak signe ici une nouvelle simple et touchante, comme souvent dans sa production.

 

Frederik Pohl expose le principe de "toute-puissance" pour en faire un condensé net et efficace dans J’ai tué mon ami. Mais ne se dira-t-on pas en lisant cette nouvelle : "J'ai déjà lu ça quelque part..." ? Bien que sans publication ultérieure, cette nouvelle était en effet déjà parue dans les pages de Galaxie, plus précisément dans le numéro 19 de Juin 1955, sous le titre "J'ai tué le roi de l'univers". La traduction, toutefois, en est différente, sans toutefois avoir à justifier ce doublon.

 

 

La rubrique Votre courrier ne manque jamais du charme de nous faire entrevoir les années 50 par le biais de la vie quotidienne d’alors, et des ajustements que les « progrès » techniques fulgurants ne manquaient pas de questionner. En voici deux exemples :

 

… Peintures aux silicones, poêles au silicones, tissus siliconés : qu’est-ce donc que ces silicones que l’on retrouve partout ?

M. Aturdi, Florence.

 

Les silicones sont des substances organo-siliciques obtenues par des réactions chimiques fort complexes. En variant les proportions et la nature des constituants organiques, les chimistes ont pu fournir toute une gamme de ces produits, allant du liquide le plus fluide au solide le plus dense.

Les qualités des silicones sont aussi nombreuses que précieuses, puisqu’elles joignent à la flexibilité une résistance exceptionnelle à l’humidité, à la chaleur (230°C), au froid (- 80°), à l’oxydation, à la corrosion. Leur inertie chimique absolue les préserve de toute altération par l’ozone, la lumière solaire, les intempéries, les produits chimiques. Elles possèdent, enfin, des propriétés électriques de premier ordre.

Rien d’étonnant, par conséquent, à ce qu’on les utilise indifféremment pour la fabrication de peintures et d’enduits imperméables, d’isolants électriques, de revêtements pour des chaudières ou des congélateurs, de vernis pour les moules industriels ou les ustensiles ménagers, de bains pour rendre les tissus imperméables et infroissables, de caoutchoucs appelés élastomères, etc.

Combien de baigneurs songent-ils que le sable qui fuit sous leurs doigts est à l’origine de cette merveilleuse matière dont les possibilités n’ont pas fini de nous étonner.

 

Les ingénieurs qui leur succèderont auront peut-être l'impression d'avoir perdu la clé laxienne...

 

… J’ai lu un écho relatif à un réchaud où l’on peut faire cuire de la nourriture dans des récipients de papier. Est-ce exact ?

Mme D. Régasse, Saintes.

 

Pas du tout ! Il s’agit d’un four électronique dans lequel la source de chaleur est constituée par un générateur produisant des oscillations électriques de haute fréquence, créant elles-mêmes un champ électromagnétique à haute fréquence.

L’aliment placé dans ce champ alternatif étant plus ou moins isolant, il constitue ce qu’on appelle un diélectrique. Ses molécules tendent à s’orienter suivant les lignes de force du champ. À chaque inversion de la polarité elles frottent les unes contre les autres. Cette inversion se reproduisant plusieurs millions de fois par seconde dans l’oscillation à haute fréquence, il en résulte une intense production de chaleur subie par la matière dans toute sa masse.

Mais à chaque corps correspond une longueur d’ondes déterminée, pour laquelle l’échauffement est maximum. C’est pourquoi l’émission de courant étant convenablement réglée, le four lui-même peut rester froid et le papier intact, tandis que la nourriture cuit en un temps record : quelques dizaines de secondes pour un bifteck, des côtelettes, des biscuits ; quelques minutes pour un poulet.

Un grave inconvénient : le prix de l’appareil : plus de 400 000 frs, sans compter les frais d’entretien. Au surplus, les mets ainsi cuisinés n’offrent jamais l’aspect appétissant, ni la saveur délicate, de nos « bons petits plats ».

 

Malgré l’aveu marqué qu’on ne remplacera pas les « bons petits plats », l'industrie changera son fusil d'épaule en commercialisant en masse ce procédé du "micro-ondes".

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