Sommaire du Numéro 38 :
NOUVELLES
1 - Damon KNIGHT, Tu ne tueras point... (The Country of the Kind, 1956), pages 3 à 15, nouvelle, trad. Régine VIVIER
2 - C. S. LEWIS, Le Pays factice (The Shoddy Lands, 1956), pages 16 à 22, nouvelle, trad. Roger DURAND
3 - Mack REYNOLDS, Cher petit animal ! (All the World Loves a Luvver, 1955), pages 23 à 35, nouvelle, trad. Roger DURAND
4 - Leslie BIGELOW, L'Apprenti sorcier (The sorcerer's apprentice, 1953), pages 36 à 47, nouvelle, trad. Roger DURAND
5 - Michel CARROUGES, La Veillée du Capitaine Chang, pages 48 à 55, nouvelle
6 - Alan NELSON, Narapoia (Narapoia, 1951), pages 56 à 61, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX
7 - Robert ABERNATHY, L'An 2000 (The Year 2000, 1956), pages 62 à 65, nouvelle, trad. Roger DURAND
8 - Theodore R. COGSWELL, Un souhait de trop (Threesie, 1956), pages 66 à 73, nouvelle, trad. Roger DURAND
9 - Jean RAY, Le Grand Nocturne, pages 74 à 101, nouvelle
CHRONIQUES
10 - Jacques VAN HERP, Jean Ray ou le combat avec les fantômes, pages 102 à 107, article
11 - Poul ANDERSON, Des femmes sur Mars ? (Of Mars and Men : Nice girls on Mars, 1956), pages 109 à 113, article, trad. (non mentionné)
12 - Jacques BERGIER & Alain DORÉMIEUX & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 116 à 122, critique(s)
13 - F. HODA, Gigantisme et petits moyens, pages 125 à 126, article
Du bon Damon Knight avec Tu ne tueras point… - et un bien cruel point de vue narratif à la première personne - au sujet du sort réservé aux criminels dans une société basée sur la non-violence.
Le pays factice, par C. S. Lewis, est une nouvelle au premier abord déroutante, puis finalement assez humoristique, quoiqu'un tantinet misogyne. Rappelons que Lewis était, comme son narrateur, professeur à Oxford - et y était un proche ami de Tolkien.
Une planète piège, ou plutôt une espèce piège, et une nouvelle sympathique mais qui aurait pu avoir un développement plus étoffé, avec Cher petit animal, par Mack Reynolds.
L'apprenti sorcier, par Leslie Bigelow, présente un style intéressant et très dense, avec un narrateur qui ne jouit pas de toute sa santé mentale (un peu comme dans la nouvelle de Damon Knight). C'est ce qui en fait tout le sel... Dommage qu’on n’en sache pas plus sur cet auteur.
La veillée du capitaine Chang, par Michel Carrouges, propose une planète piège de plus, et une contamination décrite ici de l'intérieur.
Encore une histoire de dérèglement de l'entendement, dans Narapoïa, par Alan Nelson - cette fois-ci avec beaucoup d'humour, et l'invention par l'absurde de symptômes psychopathologiques inversés.
L'an 2000 de Robert Abernathy prend à contrepied les grands espoirs et les terribles craintes projetés par la S.F. sur l’an 2000. On appréciera la concision de cette jolie petite fable.
Dans Un souhait de trop, Theodore R. Cogswell se prête à l’exercice de moderniser le pacte avec le démon ; on constatera que la modernité à l’œuvre dans cet endroit du temps que sont les années 50 consiste en une complexité administrative et sa justification par des rapports et des courbes établis par des calculateurs dernier cri. Par ailleurs, cette histoire de marché en échange de son âme laissera le goût amer des bonnes fables à chute.
Etrange nouvelle qu’est Le Grand Nocturne de Jean Ray, très en verve dans ses descriptions et les ambiances, mais dont on perçoit comme un très fourni espace crypté. Le premier degré du récit s'accorde à l'étrange naïveté du protagoniste principal, mais le véritable héros, le Grand Nocturne, semble jouir de références qui demeurent hermétiques au lecteur d'aujourd'hui.
Avec Jean Ray ou le combat avec les fantômes, Jacques Van Herp propose un article un peu plus superficiel que celui écrit sur Lovecraft. Il est vrai que l'essentiel sur Jean Ray y avait déjà été dit. Ici, l'on a affaire plus à une note de lecture globale qu'à une étude sur l'esprit rayen. On verra aussi que la bibliographie de Ray pose problème (et n'est toujours pas de nos jours considérée comme exhaustive). Quand on lit, par exemple, l’énorme révélation suivante que lâche nonchalamment Van Herp : « Enfin il semble bien avoir collaboré aux aventures de Harry Dickson », on n’évoque pas encore le casse-tête que cette « collaboration » allait poser aux bibliographes rayens. Mais ce n’est qu’un aspect du problème. Le plus déroutant (et Van Herp participe peut-être malgré lui, ou à dessein) est de faire le tri entre la fiction sur Jean Ray et la réalité de l’auteur. On sait depuis que Ray, après une peu glorieuse sortie de prison pour escroquerie, n'était plus en vogue parmi les éditeurs. Il y aura des trous dans sa production, et ceux-ci seront plus aisément comblé par des aventures brumeuses et souvent très exagérées. On pardonnera à Van Herp, qui écrit : « Depuis, la carrière de l'auteur semble se dérouler sans infidélité au fantastique. On peut le regretter par un certain côté car souvent on se prend, au détour d'une page, à rêver au conteur réaliste, rival de Cendrars, qui nous aurait conté l'Allemagne de 1928, la Rum-Row et les voiliers contrebandiers… » Qu’il n’ait pas produit de tels témoignages est peut-être la meilleure preuve que « Tiger-Jack » n’est qu’un mythe, car il n’aurait certainement pas manqué d'écrire ses mémoires s'il avait réellement vécu ces extravagantes vies.
Des femmes sur Mars ? est la réponse de Poul Anderson à l’article de Robert R. Richardson paru dans le précédent numéro de Fiction. On aurait pu s’attendre, de la part de cet auteur de S.F. talentueux et érudit, à une ouverture d’esprit et un point de vue moins aliénés aux poncifs de son époque. Las ! Si Anderson remet Richardson à sa place et désamorce une polémique inepte, ses arguments quant aux femmes demeurent purement phallocratiques.
Par exemple, Anderson non plus, semble-t-il, n'imagine pas qu’une femme puisse être une scientifique (sur Mars « Il est probable qu'elles pourraient faire aussi des corvées domestiques et des travaux de bureau »). Ou si c’était le cas, la question est éludée par un jeu de probabilité de mauvaise foi. (« Très peu d'hommes auront pris le soin d'épouser des femmes dont les talents et l'instruction professionnelle s'adaptent idéalement dans le puzzle » des combinaisons de compétences requises). De plus, Anderson réifie la femme à un objet de séduction, rendant les moins « jolies » « passables », sans en dire autant des hommes et de l’effet séduisant ou non que peuvent revêtir des astronautes.
Anderson use surtout de préjugés (« Et, de toute façon, peu de femmes font de bons explorateurs ; on pourrait dire qu'elles ont l'esprit trop positif. Que les féministes veuillent bien me pardonner. ») ou de poncifs un peu rétrogrades (« Les moines et les prêtres d'autres ordres ont aussi contribué en maintes circonstances à accroître le savoir humain. » - et ils pourraient au passage évangéliser Mars, pourrait-on ajouter).
Une des idées de Anderson peut-être la plus créative est d’imaginer adjoindre à l’équipe d’astronautes un homme dont la tâche consisterait à proposer« les passe-temps, à organiser des réunions sportives et autres et à aplanir tous les points de friction. » C’est en fait tout le propos de la nouvelle « Le forgeur d’âmes », non pas de Poul Anderson, mais de Eric Frank Russell (voir Galaxie n°33).
Chez Richardson comme chez Pohl, finalement, on n'imagine en fait pas d'être humain normalement constitué qui puisse se passer si longtemps non pas d’activité sexuelle, mais d'un semblant de vie de foyer, cet idéal visé par l’american way of life.
MISE A JOUR du mois d'aout 2024 :
Le numéro 76 de Fiction publiera "La fille de l'espace", une nouvelle de Lester Del Rey, qui commencera à démontrer qu'une femme est autant à sa place qu'un homme dans un vaisseau spatial visant l'installation d'une base sur Mars.
Toujours dans le souci de mettre à disposition le « fond Lovecraft » que propose la revue Fiction, avec ses articles souvent cités dans les bibliographies mais très rarement réédités, nous vous proposons aujourd’hui la recension du recueil « Par delà le mur du sommeil » dans la collection Présence du futur des éditions Denoël (à priori signée Alain Dorémieux, les sauts de sous-rubrique rendant l’information moins sûre…)
« Aussi étrange que cela paraisse, Lovecraft est encore aujourd'hui méconnu des critiques spécialisés aux États-Unis. Dans « Fantasy and Science Fiction », la revue-mère de « Fiction », Anthony Boucher, qui n'hésite pas à consacrer, ementdans sa rubrique des livres, une page entière aux ouvrages qu'il aime, rendait compte récemment de la première réédition en librairie de « The dreamquest of unknown Kadath » en trois lignes dédaigneuses, en se contentant d'appeler Lovecraft « un écrivain discutable ». Faut-il voir là une forme de cet engouement des Américains pour tout ce qui est « nouveau » ? Cette manie du « toujours plus moderne » pourrait ne pas se limiter aux automobiles et aux machines à laver. En littérature aussi, le fantastique up to date serait préférable au néo-gothisme démonologique de Lovecraft. On n'achète pas un tacot démodé !
En France, nous sommes nombreux à penser que Lovecraft est un des plus grands écrivains fantastiques – sinon le plus grand – du XXe siècle. Les critiques les plus divers ont parlé de lui. Son nom a dépassé le cercle des amateurs de fantastique. Consécration : les journaux réclament sa photo, cette unique et mauvaise photo que les services de publicité de Denoël ont tant bien que mal retouchée, et qui nous le montre pareil à un de ses héros hantés par une entité d'ailleurs.
Enfin, sa vaste et chaotique production nous est peu à peu dévoilée. Il est devenu un des « piliers » de la collection « Présence du futur » chez Denoël. Et y voici aujourd'hui paru le quatrième recueil français de ses œuvres : « Par-delà le mur du sommeil ».
Je ne suis pas trop d'accord avec la présentation de l'éditeur, qui prétend nous faire découvrir dans cet ouvrage un « aspect nouveau » de Lovecraft, où l'accent serait mis sur « la psychologie et les mystères du subconscient et non sur la démonologie ». Il s'agit bien de cinq récits de « possession » axés sur les réactions internes des personnages qui en sont l'objet, mais, à ce compte-là, c'était bien le cas aussi de « La maison de la sorcière » ou de « Dans l'abîme du temps », publiés dans un autre recueil. Donc, rien ici de nouveau. De plus, c'est tout entier, de A jusqu'à Z, l'univers lovecraftien qu'on y retrouve, même si l'évocation en est moins ample que dans les grands récits du cycle de l'espace-temps. En réalité, on a avec Lovecraft l'exemple le plus précis de l'écrivain enfermé dans le monde qu'il a créé et incapable d'en sortir. C'est à la fois une grandeur et une limitation. Limitation qui fut aussi bien celle de Poe.
Ce nouveau recueil présente un atout maître : un court roman (130 pages) qui est une des œuvres les plus sensationnelles de Lovecraft avec « Dans l'abîme du temps » et « À travers les portes de la clé d'argent ». Son titre est : « L'affaire Charles Dexter Ward ». C'est un modèle de narration : minutieuse mise en place, progression dramatique ménageant des effets savamment dosés, construction à recoupements où les éléments s'emboîtent comme les pièces d'un jeu de cubes ou d'un puzzle qui donnera le sens final (il y a là quelque chose de policier) – bref, un chef-d'œuvre de technique. Ce n'est pas tout : il présente ce caractère exceptionnel pour Lovecraft que rien ne nous y est montré ; tout y est seulement suggéré « de l'extérieur », relaté du point de vue de témoins non oculaires. On sait que la faiblesse occasionnelle de Lovecraft est sa trop grande concrétisation de l'horreur ; à nous être décrite de trop près, celle-ci peut perdre de son pouvoir de fascination. Dans ce roman, au contraire, tout se passe dans la coulisse, on nous laisse deviner quoi – mais deviner seulement, et ce n'en est que plus frappant. En ce qui concerne le sujet, « L'affaire Charles Dexter Ward » est une synthèse de tous les grands thèmes de Lovecraft : secrets permettant de percer le mur des dimensions et de vaincre l'espace-temps, jonction de la Terre avec d'autres plans du cosmos en d'abominables points de contact, emprise des êtres des ténèbres sur quelques créatures humaines. Mais ces thèmes sont considérés par le petit bout de la lorgnette, sur un plan limité et non plus démesuré. Ils en acquièrent une force de pénétration plus intense et peut-être plus terrible. On retrouve enfin dans ces pages le don flagrant de Lovecraft de captiver l'imagination par l'exercice du réalisme poussé jusqu'aux moindres détails. Il ne nous fait pas peur quand il nous met face à face avec un monstre haut comme une montagne, fût-ce le grand Cthulhu lui-même, mais il a une façon de décrire des lieux vides – simplement des lieux « innommables » désertés de leurs occupants et ne gardant que les traces de leur présence – qui vous donne le frisson.
Les quatre récits qui composent le reste du recueil sont moins extraordinaires. « Par-delà le mur du sommeil », qui fournit le titre, est une œuvre de débutant, remontant à 1919, et qui n'est que l'ébauche simpliste des thèmes ultérieurs de Lovecraft ; sa présence ici se justifie mal. « Les rats dans les murs » et « Celui qui hantait les ténèbres » sont du bon Lovecraft traditionnel et sans surprises – bâtis sur le même canevas révélation fortuite-découverte progressive, et conduisant chacun au même genre d'aperçu vertigineux sur des perspectives démentielles. « Le monstre sur le seuil », enfin, est nettement supérieur. Je comprends mal comment Jacques Van Herp, comparant cette nouvelle au « Rendez-vous » de Maurice Renard (« Fiction » n° 36, page 104), peut donner la palme à celle de Renard que, pour ma part, je trouve grotesque, alors que celle de Lovecraft, sur un point de départ pour lui classique, se développe superbement jusqu'à une fin étonnante. »
Rapport du PreFeG (Avril 2023)
- Relecture
- Corrections orthographiques et grammaticales
- Vérification du sommaire
- Notes (0) et (0b) ajoutées, compléments des notes (8) et (9).
- Vérification et mise à jour des liens internes
- Mise au propre et noms des fichiers html
- Mise à jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)
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