25 mai, 2022

Fiction n°014 – Janvier 1955

Et si notre bonne vieille Terre venait à disparaître ? Et si nous le savions juste un peu à l'avance pour pouvoir organiser une migration massive sur Mars, mais pas assez pour pouvoir embarquer tout le monde... comment cela s'organiserait-il ?

 

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C'est le cruel dilemme que développe J. T. McIntosh avec une série de trois nouvelles, formant un roman à elles toutes : "Une chance sur trois cent", "Une chance sur mille" et "Brebis galeuses" (1953), restées inédites depuis leurs publication dans la revue. Les thèmes de McIntosh font souvent la part belle aux réactions humaines dans des conditions extrêmes, avec beaucoup de finesse dans la psychologie des personnages, et des points de vue parfois inattendus. Cette série court des numéros 14 à 17 de Fiction, et remportera le plébiscite de ses lecteurs.

Fait du hasard, d'une volonté éditoriale, d'une anxiété inconsciente, l'Algérie (dont les "événements" venaient de débuter et allaient bien vite se transformer en guerre) est évoquée par deux reprises dans ce numéro, comme pour narguer le silence des autres canaux d'informations de l'époque. 

Dans "Le crâne", du jeune Alain Dorémieux, traducteur et chroniqueur de la revue (il en deviendra le rédacteur en chef quelques années plus tard...), un homme découvre sur une plage d'Algérie le crâne d'un être qui aurait pu vivre là bien avant l'homme... Et dans "Diable d'histoire" de Lord Dunsany, c'est près d'Alger que le narrateur rencontre l'homme qui a vu le Diable. 

On pourra spéculer par la suite sur la connaissance de Dorémieux concernant Lord Dunsany, surtout au vu de la critique que le jeune chroniqueur français fera quelques mois plus tard de "Démons et merveilles" de Lovecraft, qu'il n'appréciera guère. La filiation évidente du style de Lovecraft avec celui de Dunsany ne sera alors pas même évoquée. Quoi qu'il en soit, et quel qu'en soit l'initiateur ou le traducteur, le grand mérite revient à Fiction de faire découvrir cet époustouflant auteur qu'est Dunsany, avec une histoire à chute très british (et qui aurait pu figurer dans "Les contes noirs du golf" de Jean Ray.), nouvelle restée depuis lors inédite, qui plus est ! Malheureusement, ce sera la seule histoire de ce maître du Merveilleux à être publiée dans ces pages.

 Toutefois, la grande majorité des nouvelles de ce numéro n'ont de même jamais été rééditées ensuite :  le drolatique "Quelque chose de plus que les autres…" par Esther Carlson; le charmant "Cantiques de Noël", par Raymond E. Banks, qui questionne l'archivage de l'art "vivant" un peu à la manière de la série télévisée "Twillight zone" ; la bonne petite nouvelle dans la série "Rien ne se crée, rien ne se perd" : "…mais le silence est d’or" par Alan Nelson, et qui parlera sûrement à tous les porteurs d'appareils auditifs ; le ton particulier et l'intrigue très bizarre du cocasse "cache-nez de caoutchouc" par Michel Carrouges, ou pour finir "Sa chance" par le finlandais Oliver Saari, qui interroge le modèle humain le mieux adapté aux voyages dans l'espace.

Grâce au travail de numérisation d'anonymes passionnés, il est possible dorénavant de redécouvrir ces petits trésors de la S.F. et du Fantastique.

 Pour clore ce tour d'horizon, un petit mot sur Jack Finney, et sa nouvelle antimoderne "Le troisième palier". Rare au sein des page de Fiction, on connait Finney principalement pour son roman plusieurs fois adapté au cinéma : "L'invasion des profanateurs" (1954). Hasard ou anxiété collective inconsciente encore une fois, le sujet en sera développé de façon similaire et durant les mêmes mois par Philip K. Dick, au travers de sa nouvelle " Le père truqué". Mais patience... Nous verrons tout cela avec le n°29 de Fiction.

 

Sommaire du Numéro 14 :

NOUVELLES
 

1 - J. T. McINTOSH, Une chance sur trois cents (One in Three Hundred, 1953), pages 3 à 40, nouvelle, trad. (non mentionné)

2 - Esther CARLSON, Quelque chose de plus que les autres... (Heads you win..., 1953), pages 41 à 48, nouvelle, trad. (non mentionné)

3 - Raymond E. BANKS, Cantiques de Noël (Christmas Trombone, 1954), pages 49 à 58, nouvelle, trad. (non mentionné)

4 - Alain DORÉMIEUX, Le Crâne, pages 59 à 66, nouvelle

5 - Alan NELSON, ...mais le silence est d'or (Silenzia, 1953), pages 67 à 78, nouvelle, trad. (non mentionné)

6 - Jack FINNEY, Le Troisième palier (The Third Level, 1950), pages 79 à 83, nouvelle, trad. (non mentionné)

7 - Michel CARROUGES, Le Cache-nez de caoutchouc, pages 84 à 91, nouvelle

8 - Lord DUNSANY, Diable d'histoire (Told under oath, 1953), pages 92 à 98, nouvelle, trad. (non mentionné)

9 - Oliver SAARI, Sa chance (The Space Man, 1953), pages 99 à 108, nouvelle, trad. (non mentionné)

 

CHRONIQUES

10 - Jacques BERGIER & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 109 à 111, critique(s)

11 - Alain DORÉMIEUX & Igor B. MASLOWSKI, Un "Fémina" très discuté, pages 112 à 113, critique(s)

12 - F. HODA, De la fantaisie à l'actualité, pages 114 à 115, article

13 - (non mentionné), Deux disciples oubliés d'Edgar Poe : Eugène MOUTON et Jules LERMINA, pages 116 à 121, article

14 - (non mentionné), Voyages dans le temps, pages 125 à 125, article

15 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 126 à 126, courrier

 

Rapport du PReFeG :

  • Relecture, corrections orthographiques et grammaticales
  • Ajout de la note 12
  • Mise en gras des titres in "Revue des livres"
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, série, date d'édition, collection)

*

En mignardise de ce numéro 14, nous vous proposons, toujours dans cette intéressante histoire d'un genre littéraire qui cherche à se définir par lui-même, ce petit extrait qui pointe la distinction entre SF et Merveilleux (on pourrait dire Fantasy).

 

Domaine féerique.

On peut considérer le conte de fées comme une des formes à l’état pur de la littérature fantastique. On peut aussi l’aimer simplement pour sa valeur poétique. Quoi qu’il en soit, il offre à l’exégèse une matière extrêmement riche. L’excellente revue « Les Cahiers du Sud » nous l’a prouvé dans son numéro du mois d’août, consacré en grande partie au « domaine féerique ».

D’intéressants articles de Michel Carrouges, Louis-Paul Guigues, Michel Butor, René Alleau et Aimé Patri y étudient successivement le conte de fées sous son aspect psychologique et moral, social et magique, métaphysique et poétique.

Il y a dans l’article de Michel Carrouges une sorte de psychanalyse du conte de fées qui choquera les rêveurs, mais qui est bien savoureuse.

Il y a aussi, dans celui de L.-P. Guigues, l’esquisse d’un parallèle entre le conte de fées et la « science-fiction » dont nous reproduisons quelques extraits, bien que la comparaison n’y soit pas flatteuse pour la dernière :

" Notre âme est sans doute plus liée à la forêt, au château, à la rose, au roi, qu’aux tripodes et aux fusées. Le mystère à la Wells n’est qu’un aspect de notre ignorance devant certaines techniques ou pseudotechniques, le mystère des fables devient l’intuition de notre profondeur. L’un est véritablement mystère, l’autre n’est que secret de fabrication.

L’amateur de fusées me paraît moins exigeant que l’amateur de contes de fées. Que l’on fasse tenir le merveilleux dans les machines interplanétaires, voilà qui m’afflige. L’espace intersidéral ! Ce n’est jamais, à tout prendre, qu’une région un peu au-delà de mon village. L’énorme vaisseau interstellaire ? Ce n’est jamais qu’une charrette perfectionnée.

(…) Toutes les anticipations me semblent des démissions. Pressées de sauter par-dessus l’actuelle civilisation mécanique, leurs trajectoires étincelantes passent, avec trop de désinvolture, par-dessus l’homme.

Les récits de « science-fiction » remplacent aujourd’hui les récits d’« âme-fiction »."

M. Guigues est sévère. Pourquoi ne pourrait-on pas à la fois aimer le merveilleux magique et le merveilleux scientifique, celui d’hier et celui de demain, comme deux émanations d’une même et grande réalité : le fantastique ? (Mais M. Guigues ne nous croira pas, lui qui fait ensuite une subtile distinction précisément entre le fantastique et le merveilleux, en se réclamant du seul merveilleux de la Fable.)

 **

Nous ne résistons pas à l'appel de partager un autre zakouski : la critique du second recueil de nouvelles parues en français de H. P. Lovecraft, signée I. B. Maslowski.

 

« Dans l’abîme du Temps », de H. P. Lovecraft (Denoël), est la suite, si l’on ose dire, de « La couleur tombée du ciel », du même auteur, parue chez le même éditeur il y a quelques semaines. « Suite » est d’ailleurs un mot relatif, puisque ces deux titres ont été publiés groupés en langue anglaise. Ne se composent-ils pas de nouvelles indépendantes ? Le nouveau volume (fort bien traduit par Jacques Papy) se présente, comme le précédent, sous l’aspect de quatre récits dont le premier, « The Shadow out of Time », donne son titre au recueil. Son héros, Nathaniel Wingate Peaslee, professeur d’économie politique à l’université de Miskatonic, succombe un jour, en plein cours, à une crise d’amnésie et ne redevient lui-même que quatre ans plus tard. Et pendant ces quatre années, son comportement est des plus bizarres. En réalité, il est « possédé » par un de ces Anciens, nos prédécesseurs sur la Terre, mais n’ayant rien d’humain et qui, jouissant de facultés inconnues de l’homme, sont capables de se substituer à la personnalité de n’importe quel être, vivant dans n’importe quel temps, dans n’importe quel monde, cependant que celle de leur victime prend occasionnellement la place dans leur propre corps. Ce même Peaslee, voyageant en Australie quelques années plus tard, aura l’occasion de constater qu’il n’a pas rêvé, puisqu’il tombera sur des vestiges de la civilisation des Anciens, vieille de millions de siècles.

La deuxième nouvelle, « La maison de la sorcière » (The Dreams in the Witch House) – à ne pas confondre avec un roman au titre quasi similaire, dont nous parlons plus bas – est l’histoire d’un jeune étudiant, Walter Gilman, qui, vivant dans une maison jadis occupée par une sorcière, finit par effectuer des excursions dans l’inconnu où il rencontre l’ex-maîtresse de céans, son adjoint – un rat à face humaine – et, finalement, le diable lui-même qui veut lui faire signer un pacte – avec du sang, comme il se doit. Mélangé de rêve, d’irréalité et de semi-réalité, cette nouvelle n’en finit pas moins de façon très réelle et laisse le lecteur dans une certaine inquiétude, voire une certaine perplexité.

« L’appel de Cthulhu » (The Call of Cthulhu) est encore une histoire diabolique où il est question de possession, de culte vaudou, etc. Cthulhu est un génie du Mal, peut-être même le Malin en personne, dont l’aspect physique nous est révélé dans les dernières pages du récit. Habitude ou autre chose, mais cette histoire nous a semblé moins terrifiante que le reste.

« Les montagnes hallucinées » (At the Mountains of Madness) est la nouvelle la plus longue et aussi la meilleure du recueil (qui nous a paru légèrement plus faible que le précédent, tout en se classant à cent coudées au-dessus de l’ouvrage fantastique moyen). C’est l’histoire d’une expédition organisée au Pôle Sud et au cours de laquelle les explorateurs découvrent des montagnes plus hautes que l’Himalaya et les vestiges d’une civilisation antique, non humaine, et dont on ne peut dire exactement que ses représentants aiment l’homme. C’est un magnifique récit de terreur et de suspense, basé sur des données d’autant plus plausibles qu’elles paraissent scientifiques et offrant en outre tout le charme d’un documentaire.

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MISE A JOUR du PReFeG (Septembre 2022) : 

Dans le numéro 22 de Fiction (Septembre 1955), on pourra lire la note suivante :

De… fiction à réalité.

Nos lecteurs se souviennent des curieux « cônes sonores » décrits dans la nouvelle « Cantique de Noël »(« Fiction » n°14). Une fois de plus, l’imagination d’un auteur de S.-F. préfigure partiellement la réalité, si l’on en juge par l’écho suivant, paru dans« Radar », le 29 mai 1955 :

La tour électronique inventée par le sculpteur Nicolas Schönner, captant tous les « langages » de la nature, se chargera de les transformer en flots d’harmonie ! Ses frêles poutrelles sont autant d’antennes « sensibles » au vent, aux couleurs, aux sons, aux changements de température, etc. Et ce sont ces « sensations » qu’un cerveau électronique traduira et diffusera en s’inspirant de seize motifs musicaux principaux.

18 mai, 2022

Fiction n°013 – Décembre 1954

Un numéro qui joue sur les décalages de points de vue, corde philosophique voire anthropologique de la Science-Fiction moderne.

 

Plus petit qu’une souris, ce micro-organisme !

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 *

Des points de vue, donc. Tout d’abord avec « Les mondes intérieurs », une bonne nouvelle de William Morrison, dont on a déjà pu apprécier l’humour délicat et le vertige des effets d’échelle et de perspective. Après « Un coin rêvé pour les vacances » (in Fiction n°10), où les humains étaient confrontés à une race de géants, voici des explorateurs d’exo planètes confrontés aux mystères du microscopique ; l'intérêt est de nous faire partager le point de vue de micro-organismes, et d'imaginer qu'une vie intelligente extra-terrestre pourrait aussi se situer à une autre échelle que la nôtre, pour le meilleur ou pour le pire…

 

Avec « L’Engin », le français Georges Chaulet (l’auteur de « Fantômette » !) nous permet de partager le sentiment d’un pionnier de l’espace, et la relativité de sa modernité. Même approche pour « L’axolotl » de Robert Abernathy, qui développe l’hypothèse, certes un peu naïve mais intéressante, de la nécessaire transformation physiologique de l’explorateur spatial – on retrouvera ce thème dans le « Demain les chiens » de Simak.

 

« Les rescapés » de Zenna Henderson, premier volet des « Chroniques du peuple » qui paraîtront en volume quelques années plus tard, nous invite à réviser notre jugement sur des catégories de gens qu’on qualifierait hâtivement d’asociaux ou d’inadaptés, avec un regard des plus tendres sur l’enfance.

 

Dans la série « Chassez le naturel… », « La fin des haricots ! », du toujours comique Reginald Bretnor, interroge la classe scientifique sur ses réelles capacités à imaginer, et à tenter des expériences audacieuses lorsqu’elles peuvent paraître farfelues au premier abord – malheureusement le prestige et l’étiquette priment souvent sur l’audace dans un corps scientifique organisé en milieu respectable. Un petit tacle au passage à la presse et à ses préjugés.

 

La nouvelle purement fantastique de Jean-Louis Bouquet, « Les filles de la nuit », détonne un peu dans cet ensemble. C’est toutefois toujours avec délice qu’on saura se délecter du style ciselé et cruel de Bouquet, dans cette variation sur les pouvoirs des poupées vaudous.

 

On notera dans « La revue des Livres » de ce n°13 la signature A. D. ; il s’agit bien sûr d’Alain Dorémieux qui commence à trouver une place plus officielle au sein de la revue.

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Sommaire du Numéro 13 :

NOUVELLES

1 - William MORRISON, Les Mondes intérieurs (The Inner Worlds, 1954), pages 3 à 30, nouvelle, trad. (non mentionné)

2 - Reginald BRETNOR, La Fin des haricots ! (Maybe Just a Little One, 1953), pages 31 à 44, nouvelle, trad. (non mentionné)

3 - Georges CHAULET, L'Engin, pages 45 à 47, nouvelle

4 - Zenna HENDERSON, Les Rescapés (Ararat, 1952), pages 48 à 70, nouvelle, trad. (non mentionné)

5 - Jean-Louis BOUQUET, Les Filles de la nuit, pages 71 à 98, nouvelle

6 - Robert ABERNATHY, L'Axolotl (Axolotl / Deep Space, 1954), pages 99 à 111, nouvelle, trad. (non mentionné)

 

CHRONIQUES

7 - Jacques BERGIER & Alain DORÉMIEUX & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 115 à 121, critique(s)

8 - F. HODA, Un piano pour cinq mille doigts, pages 123 à 124, article

9 - (non mentionné), Table des récits parus dans « Fiction » de juillet à décembre 1954, pages 128 à 128, index

 

Rapport du PReFeG :

  • Relecture, vérification orthographique et grammaticale
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Ajout de la note 7b
  • Ajout de la Table des récits au format texte (le format image étant déjà présent dans le epub d'origine)
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise en gras les titres in Revue des Livres
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

11 mai, 2022

Fiction n°012 – Novembre 1954

1er Novembre 1954 : en Algérie française, des attentats marquent le début de la déclaration de guerre de mouvements indépendantistes au gouvernement français. Pendant ce temps, dans la métropole...

Petite obsession pour la conquête spatiale dans ce numéro 12 de Fiction, avec deux nouvelles mettant en perspectives les préparatifs pour de telles missions : préparer le missionnaire (« Le rêveur », par Alfred Coppel), et préparer l’opinion publique (« Le feu aux poudres », par James Blish qui voit là sa première nouvelle publiée en France, et qu'on retrouvera souvent entre les pages de Fiction). Pour le reste, une propension plus fantastique que science-fiction domine largement (on pourra goûter sans retenue « Le péril » de Thomas Owen qui entre lui aussi dans la revue). Pour leur grande majorité, ces nouvelles n’ont jamais été rééditées depuis … on appréciera d’autant plus le travail de numérisation d’origine (merci à eux).

Une rencontre entre la souris et les rats,

et l’epub s’offre à vous !


Sommaire du Numéro 12 :

NOUVELLES

1 - Thomas OWEN, Le Péril, pages 3 à 21, nouvelle

2 - Evelyn E. SMITH, Gerda (Gerda, 1954) , pages 22 à 26, nouvelle, trad. (non mentionné)

3 - James BLISH, Le Feu aux poudres (First Strike, 1953) , pages 27 à 42, nouvelle, trad. (non mentionné)

4 - Arthur PORGES, Les Rats (The rats, 1951) , pages 43 à 51, nouvelle, trad. (non mentionné)

5 - Peter PHILLIPS, L'Avertissement (The Warning, 1953) , pages 52 à 58, nouvelle, trad. (non mentionné)

6 - Cyril M. KORNBLUTH, Une fermière endiablée (I Never Ast No Favors, 1954) , pages 59 à 71, nouvelle, trad. (non mentionné)

7 - Mack REYNOLDS, Compagnon immortel (And Thou Beside Me, 1954) , pages 72 à 78, nouvelle, trad. (non mentionné)

8 - Lucie DERAIN, L'Inconnue du quai de Béthune, pages 79 à 87, nouvelle

9 - Sam MERWIN Jr., L'Agnelle (Lambikin, 1952) , pages 88 à 107, nouvelle, trad. (non mentionné)

10 - Alfred COPPEL, Un rêveur (The Dreamer, 1952) , pages 108 à 112, nouvelle, trad. (non mentionné)

CHRONIQUES

11 - Jacques BERGIER & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 113 à 116, critique(s)

12 - F. HODA, Fourmis en technicolor, pages 117 à 119, article

13 - (non mentionné), Charles Henneberg, lauréat du Grand Prix du Roman d'Anticipation Scientifique, pages 120 à 120, article

14 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 123 à 123, courrier

 

Rapport du PReFeG :

  • Relecture, vérification orthographique et grammaticale
  • Ajout d'un sommaire (inexistant dans l'epub d'origine, mais existant dans la revue papier).
  • Ajout des publicités pp.120 et 121 absentes dans l'epub d'origine (concernant le Prix Rosny-Aîné et un ouvrage de Jean-Jacques Bridenne)
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
  • Mise en gras les titres in Revue des Livres
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes

 

04 mai, 2022

Fiction n°011 – Octobre 1954

De l’éclectisme de nouveau pour ce numéro qui marque le premier anniversaire de la revue. Parmi les auteurs, Cyril M. Kornbluth se cache avec son comparse Donald Wollheim sous deux pseudonymes, pour une délectable « Planète fantôme ». On appréciera, de même que Fritz Leiber, qui signe une nouvelle assez noire (« Le jeu du silence »), qui restera uniquement publiée dans les pages de Fiction et du Fiction Spécial « Futurs d’antan » en 1974. Un collector, donc ! Une autre nouvelle restée inédite depuis est ce « Beau dimanche de printemps »  de Jacques Sternberg, pas de son meilleur cru, cependant. Une mention spéciale de terreur à posteriori à  la nouvelle « Mrs Hinck » de Miriam Allen DeFord, l’écrivaine « tout-terrain » comme la qualifiait Jean-Baptiste Baronian dans l’unique anthologie qui lui est consacrée en France aux Editions NéO (« La maison fantastique » - 1988).

Ca n’a rien d’une souris, c’est un scalpel ! 

Faites en tinter le métal pour sortir du silence avec votre epub !


Sommaire du Numéro 11 :

NOUVELLES

1 - Marion Zimmer BRADLEY, La Rhu'ad (Centaurus Changeling, 1954) , pages 3 à 48, nouvelle, trad. (non mentionné)
2 - Claude FARRÈRE, Le Train 1815, pages 49 à 53, nouvelle
3 - Fritz LEIBER, Le Jeu du silence (The Silence Game, 1954) , pages 54 à 64, nouvelle, trad. (non mentionné)
4 - Bruce ELLIOTT, Hors de la tanière (Wolves don't cry, 1954) , pages 65 à 75, nouvelle, trad. (non mentionné)
5 - André-Paul DUCHÂTEAU, Enquête dans le passé, pages 76 à 86, nouvelle
6 - Cecil CORWIN & Martin PEARSON, La Planète-fantôme (The mask of Demeter, 1953) , pages 87 à 94, nouvelle, trad. (non mentionné)
7 - Miriam Allen DEFORD, Mrs. Hinck (Mrs. Hinck, 1954) , pages 95 à 102, nouvelle, trad. (non mentionné)
8 - Jacques STERNBERG, Un beau dimanche de printemps, pages 103 à 106, nouvelle
9 - Robert ABERNATHY, L'Ennemi du feu (The Firefighter, 1954) , pages 107 à 109, nouvelle, trad. (non mentionné)

CHRONIQUES

10 - Jean-Jacques BRIDENNE, Visage inconnu de Cyrano de Bergerac, pages 110 à 112, article
11 - Jacques BERGIER & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 113 à 116, critique(s)
12 - F. HODA, De Zombie en Robot, pages 117 à 118, article
13 - (non mentionné), Réponse à un jugement téméraire. A propos d'un article paru dans "Le Monde", pages 119 à 121, courrier
14 - Courrier des lecteurs, pages 123 à 123, courrier

Le dessin de couverture illustre la nouvelle « Le Jeu du Silence ». 

Rapport du PreFeG

  • Relecture, vérification orthographique et grammaticale
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Ajout des notes 12 et 13.
  • Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
  • Mise en gras les titres in Revue des Livres
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

Deux extraits pour vous allécher, concernant ce numéro 11 de Fiction. Tout d’abord, dans la série : « La science-fiction est-elle un genre nouveau qui pervertira notre belle jeunesse ? », un de ces petits « Glanes interstellaires » dont la revue était porteuse, et qui nous renseignent toujours sur la « naissance » de la S.F. en France en ces années 50.

À travers la Presse.

Le « Progrès de Lyon » a publié le 14 mai un important article sur « La littérature d'anticipation ». L'auteur, George Rambert, qui cite à plusieurs reprises « Fiction », nous fait part pour terminer des réflexions que lui inspire ce genre littéraire :

Ces œuvres d'anticipation visent souvent à une critique de notre civilisation. Elles traduisent aussi l'inquiétude de l'homme d'Occident devant les menaces d'une guerre totale et de ses conséquences. Quel sera le destin de l'individu, du couple, du christianisme, si une organisation totalitaire couvre le monde entier, une organisation dotée de pouvoirs effrayants, capable d'abolir même toute trace du passé ?

Car si elle est parfois optimiste, une telle littérature manifeste surtout l'inquiétude humaine devant le terrifiant pouvoir que la science a acquis non seulement pour maîtriser ou détruire la matière, mais encore pour agir sur l'homme même, sur sa mémoire, sur son intelligence, sur son âme.

Le rôle de la littérature, c'est d'éclairer l'homme sur lui-même et sur son destin. Elle n'a pas à lui vendre de l'illusion ni à l'enchanter de rêves dorés ou à l'affoler par des cauchemars. Hélas ! la littérature d'anticipation a tout pour satisfaire ces tentations mortelles ! Elle peut flatter ses utopies ou même servir ses propagandes. Saura-t-elle renoncer à ses facilités, se soumettre à des exigences littéraires strictes et aider l'homme à prendre conscience – dans la lucidité – de la grandeur et des menaces d'un avenir peut-être fantastique ?

Les débuts de l’édition de Lovecraft en France :

Nous reproduisons ici cet extrait qui nous parait capital dans l’histoire de l’édition francophone : la critique de « La couleur tombée du ciel » de H.P. Lovecraft, parue dans ce numéro 11 de Fiction, plus pour son intérêt éditorial, donc, que pour sa pertinence, certes. Document capital, car il s’agit de la toute première occurrence des critiques de Lovecraft dans la presse, si l’on se réfère à la liste telle que rapportée dans les Cahiers de l’Herne sur l’auteur. Nombreux sont nos jeunes chercheurs en littérature de genre qui s’intéressent à la genèse de cette image du « reclus de Providence » dont Bergier est tenu pour grand responsable. On aurait pu s’attendre à trouver sa signature ici-même ; c’est avec un peu de surprise qu’on notera que cette première critique a été écrite par son confrère Igor B. Maslowski. Bergier, en fait, écrira le mois suivant (novembre 1954) sa propre critique dans le n°90 de la revue … « Critique » ! (notre photo)

« Dans le domaine de la SF romancée, l'événement du mois est la parution chez Denoël du fort intéressant volume de H. P. Lovecraft qui, dans sa version française, porte le titre de la première des quatre longues nouvelles qui le composent « La couleur tombée du ciel.» Disons tout d'abord qu'il ne s'agit pas d'A. S. à proprement parler, mais de récits fantastiques basés sur la démonologie. Grand spécialiste des questions surnaturelles issues de la magie noire, Lovecraft (mort il y a peu de temps) était aussi un maître de l'Épouvante, avec un E majuscule. Et c'était, en même temps, un écrivain magnifique. Les quatre nouvelles contenues dans ce premier recueil (un second doit suivre sous peu) s'intitulent : « La couleur tombée du ciel », « L'abomination de Dunwich », « Le cauchemar d'Innsmouth » et « Celui qui chuchotait dans les ténèbres ». Mes préférences personnelles vont, dans l'ordre, à la deuxième, à la première, à la quatrième et à la troisième.

« L'abomination de Dunwich » ne vole pas son titre. C'est un « cauchemar » dans tout le sens du terme, d'une qualité littéraire telle que les horreurs qu'il évoque deviennent d'affreuses réalités. Une histoire de démon, bien sûr, qui par l'intermédiaire de son « petit frère », mélange d'homme et de diable, tente d'établir son emprise sur le monde. Récit monstrueux, gluant, visqueux, il fait, à la fin surtout, songer au genre de rêve où l'on se sent écrasé par quelque objet aux proportions infinies sans qu'on puisse bouger pour y échapper. Un pur chef-d'œuvre.

« La couleur tombée du ciel » nous raconte comment un objet mystérieux, venu des cieux, s'enfonce dans la cour d'une ferme américaine et, peu à peu, contamine et pourrit tout ce qui se trouve dans les environs : terre, plantes, animaux, hommes. Histoire angoissante dont le mystère et même, dirais-je, le suspense grandit de page en page, c'est un spécimen typique de l'œuvre de Lovecraft.

« Celui qui chuchotait dans l'ombre » (sic – Note du PReFeG) est la nouvelle qui, en un sens, est la plus proche de l'Anticipation Scientifique proprement dite. Il y est question d'êtres mystérieux, établis en Nouvelle-Angleterre, mais provenant d'une autre planète et qui cherchent à s'emparer d'un homme qui a deviné leur secret. Là également, l'épouvante est magnifiquement maintenue, et Lovecraft a su admirablement équilibrer les éléments de S.F. et le fantastique de son histoire, « Le cauchemar d'Innsmouth », enfin, qui se déroule dans une petite ville quasi abandonnée du nord-est des États-Unis, a pour thème l'existence dans cette région d'une race qui, d'après l'auteur, serait un mélange d'hommes et de batraciens. Les individus issus de ce croisement seraient capables de vivre sous l'eau où ils possèdent un royaume à eux.

Fort bien traduit par Jacques Papy, le volume souffre néanmoins d'un défaut que j'avais déjà dénoncé à propos de la nouvelle « Mitkey », parue dans un autre livre de Fredric Brown dans cette même collection, à savoir le « parler paysan » que l'adaptateur a utilisé pour rendre le patois local de la Nouvelle-Angleterre. C'est particulièrement gênant dans les première et troisième nouvelles où nous devons lire des pages entières comme : « Pour c'qui est des dieux, y donneraient en échange des tas d'poissons qu'y ramèneraient d'tous les coins d'la mer, et quéque bijoux… Et comme ça, m'sieu, les natifs y rencontraient les criatures su' la p'tite île…» Gageons que Papy s'est donné beaucoup de mal mais, à mon avis, ce n'était vraiment pas la peine. Au contraire, ce style alourdit considérablement son excellente traduction et, dans « Le Cauchemar d'Innsmouth », ça devient parfois insupportable. »

Ce ne sera pas la seule fois où le travail de Jacques Papy sera décrié. Toute la « nouvelle vague » de traduction des dernières années s’en fait, souvent justement, l’écho.

01 mai, 2022

Cadeau-Bonus : « Le pianiste déchaîné » – Kurt Vonnegut 1952 (VF 1975)

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Lorsque « Player piano » parait en 1952 aux Etats-Unis, Kurt Vonnegut n’est qu’aux prémices de l’aube de sa carrière d’écrivain ; il n’est pas encore le héraut de la contre-culture américaine qu’il deviendra à la fin des années 1960 avec son célèbre « Slaughterhouse 5 » (« Abattoir 5 » en français.) L’ouvrage ne fait pas grand bruit, et Vonnegut n’a d’ailleurs pas encore renoncé à sa petite carrière dans les relations publiques des usines General Electric de New-York. L’homme sent pourtant sans doute qu’il a son mot à dire ; les États-Unis vivent l’Âge d’Or de l’American Way of life, et au milieu de cet enthousiasme qui dépasse les frontières de cette nation, la voix de Vonnegut s’élève déjà comme un appel iconoclaste à penser, et à fortiori à penser le travail.

À poser les principes simplement, sans les édulcorer ni les vulgariser, Kurt Vonnegut excelle ; c’est même une constante dans son œuvre, et qui fait tout le mordant de son ironie et infuse une franche gaieté chez son lecteur. Vonnegut, voyant s’installer des fraiseuses automatiques à la General Electric, là où auparavant l’on voyait encore des ouvriers spécialisés – certes dans des tâches répétitives et peu épanouissantes – s’interroge sur le bien fondé de tels automatisation. Il l’écrit : « le travail (est) destiné à faire progresser la société » (Chapitre XXVII). On ne peut en effet dénier que faire faire à une machine automatique des taches répétitives, parfois contraignantes physiquement, demandant rigueur d’exécution et de précision sans tolérer de relâchement, permet, Platon lui-même l’évoquait dans sa République, de libérer l’homme d’un labeur qui n’apporte rien d’autre que de la production. Aussi cette production s’accroît, mais de surcroît voilà l’homme libéré…

Est-ce réellement là le bien-fondé de l’automatisation ? Vonnegut le note déjà, dès cette année 1952 : un ouvrier spécialisé remplacé par une machine ne se verra pas promu à un poste ni plus rémunérateur, ni plus épanouissant. Il sera, la logique du profit et des baisses de coûts de production primant, tout simplement débauché, et grossira les rangs des ouvriers au chômage. Puis, une génération passant, ces ouvriers eux-mêmes deviendront obsolètes dans la société sans que cette société-même n’ait eu le soin de les « recycler » (entre guillemets car on ne recycle jamais que la matière, non pas l’homme ; bien qu’ouvrier il puisse être considéré comme ressource humaine, à l’instar du soldat pris pour chair à canon.)

Ainsi, les masses laborieuses, qui jusqu’alors toléraient le labeur en échange d’un salaire, et d’un emploi sans qualification autre que celle acquise sur le terrain, n’ont plus qu’à se retirer d’une société qu’ils ont contribué à bâtir, et qui continue sans eux sa marche en avant vers un monde de progrès – de progrès technique s’entend, non de progrès social, ou plus largement humain. Voilà de nouveaux spectateurs, qui n’avaient pourtant à l’origine pas vocation à n’être QUE cela, assistant sans pouvoir y changer quoi que ce soit au déploiement d’un monde mécanisé – et plus exactement se mécanisant - qui se déroule non pas pour eux, mais sans eux, malgré eux, en dépit d’eux, … au mépris d’eux.

« Il savait, de tout son cœur, que la condition humaine était un effroyable gâchis, mais un gâchis si logique, mené si intelligemment à terme, qu’il ne voyait pas comment l’histoire aurait pu prendre une direction différente. » (Chapitre X)

Dessin original de Moebius !
Pourtant, Vonnegut choisit pour articuler son point de vue non pas un de ces êtres déclassés, mais l’un des responsables de cette mécanisation, un ingénieur nommé Paul Proteus, fils lui-même d’un ingénieur célèbre, et célébré pour les grandes innovations technologiques qu’il a contribué à mettre au point durant une Troisième Guerre Mondiale dont le lecteur ne saura pas grand’ chose (mais qu’importe, le contexte déjà prégnant de la Guerre Froide suffit pour laisser imaginer de quel type de conflit il peut s’agir). Paul Proteus est donc l’héritier d’un système, et doit sans doute à sa filiation sa place d’ingénieur en chef dans une usine d’Ilium (ville industrielle imaginée par Vonnegut, qui ressemble en tous points à la réelle Schenectady dans la région industrielle de New-York, et où Vonnegut travaillait alors). Proteus jr.  se doit d’être conforme à l’ingénieur idéal qu’on place désormais au pinacle de cette société, quelque peu rétrofuturiste tant elle ressemble dans ses modes d’existence à la société de consommation naissante des États-Unis des années 50. Conforme, mais quand bien même ! Ne possède-t-il pas tout ce qu’un être humain normalement constitué serait en droit de désirer, à commencer par un travail peu contraignant mais très bien rémunéré, avec des responsabilités, certes, mais peu de réflexion au final, puisque les choix, les stratégies de production comme les orientations sociales, sont gracieusement organisés par EPICAC, le glorieux ordinateur dont les tubes à vide et les cartes perforées débordent d’un sous-sol hyper-sécurisé.

« …de même que la religion et le gouvernement s’étaient divisés en deux entités distinctes des siècles auparavant, aujourd’hui, grâce aux machines, la politique et le gouvernement vivaient côte à côte mais n’avaient pratiquement plus de contact. » (Chapitre XI)

Un travail, donc. Un foyer, ensuite, une belle demeure dans les quartiers riches, gouvernée par une belle jeune femme dont les seules préoccupations sont d’appuyer sur les boutons des appareils électroménagers et d’imaginer, sans grande audace d’ailleurs, la décoration de son intérieur. Une grande liberté d’action pour finir, et des droits sociaux étendus, mais dont sont privés ceux de l’autre rive, les fils et petits-fils de ces ouvriers spécialisés débauchés après-guerre, que l’État peine à occuper dans des unités militaires, policières, ou de « Reconstruction et de Récupération ». Et tout cela, (Paul Proteus le réalise lorsqu’un de ses anciens collègues lui annonce sa démission d’un haut poste), sans jamais véritablement réfléchir ni penser à ce que devrait, pourrait être une société humaine, c’est-à-dire organisée pour faire progresser la condition humaine. Vonnegut, déjà rompu à l’exercice des formules percutantes, écrit alors : « Le système n’est pas une réflexion, c’est un réflexe. » (Chapitre VIII).

Ainsi, la démonstration se déroule-t-elle patiemment tout au long de ce premier roman de Vonnegut. La société se mécanisant n’est plus une société humaine, mais une machine. « Les gens s’aperçoivent de plus en plus que du train où les machines changent le monde, leurs anciennes valeurs n’ont plus cours. Les gens n’ont plus alors d’autre choix que de devenir eux-mêmes des machines de second ordre ou les servants des machines. » (Chapitre XXIX). Ces anciennes valeurs qui n’ont plus cours n’appellent pourtant pas, on pourrait le redouter, à une forme réactionnaire de la pensée. Vonnegut ne déplore pas que la marche du monde changeasse le monde, mais que l’homme, comme pris par une compulsion morbide, organise les instruments de sa perte, de sa disparition même, en plaçant la machine comme unique outil à sa force d’action sur le monde. Et lors même qu’un complot se fomente pour renverser l’ordre établi, la vacuité politique de ses instigateurs est telle que la révolte ne saurait être rien d’autre qu’un immense gâchis, les laissés pour compte se comportant comme des enfants sans surveillance brisant leurs jouets dans une fougue rageuse - mais brève.

Qu’on ne se méprenne pourtant pas, « Le pianiste déchaîné » n’est pas pour autant l’œuvre misanthrope d’un « anarchiste de droite » (comme on pourrait le penser pour un roman de Céline ou un scénario d’Audiard). Si Vonnegut deviendra par la suite l’un des hérauts de la contre-culture américaine, c’est bien parce qu’il déploie, et continuera de déployer dans son œuvre, l’articulation d’un amour profond pour ses congénères humains avec une lucide désillusion quant à leurs réelles motivations à changer le monde et transformer la vie à la poursuite du bonheur, du moins à faire société ensemble plutôt que les uns au mépris des autres. L’un de ses derniers ouvrages parus, une compilation de certains de ses discours aux étudiants sortants des grandes universités, s’intitule – point de vue éditorial un peu démagogique sans doute – « Elle est pas belle la vie ? ». Voilà bien Vonnegut, avec son air de chien triste pourtant capable de déclencher le rire intelligent chez le plus naïf, le plus candide de ses congénères, par le biais d’une formule choisie, comme le ferait un slogan publicitaire, mais toutefois et toujours pour faire la promotion d’un regard critique plutôt que vanter les mérites d’un produit. Il n’y a pas de désespoir ni d’abattement dans sa vision des hommes et des oppressions qu’ils s’infligent, mais toujours, d’une part, une grande bêtise constatée dans l’échafaudage d’une société inepte, et d’autre part une volonté de combat, une énergie folle doublée d’une formidable envie de vivre, vivre et vivre encore. « Ma sympathie va à n’importe quel homme qui se bat contre une machine » (Chapitre V) fait-il dire à l’un des personnages, lorsque s’ouvrent des paris autour d’un tournoi de dame entre Paul Proteus l’ingénieur et Charley-les-dames le robot. La scène résume parfaitement l’humour poli mais narquois de Vonnegut : la machine grille avant même d’avoir pu jouer son premier coup - et ses jeunes inventeurs d’accuser Proteus de sabotage sans qu’il ait même levé le petit doigt. Une fois pour toute, le fantasme de la technologie n’est pas la technologie, et l’on aura beau organiser et rendre « efficiente » par la mécanisation la plus implacable des oppressions (celle de n’avoir plus à penser, par exemple) la réalité sera toujours prolixe en imprévus, il y aura toujours des pannes, des singularités, des électrons libres qui n’entreront pas dans les modélisations, aussi complexes soient-elles.

Un dernier mot sur le roman ; quelques chapitres, assez savoureux dans la fluidité de leurs démonstrations par l’absurde, empruntent à la technique des « Lettres persanes » de Montesquieu ; un souverain d’un état exotique et lointain, imaginaire mais plausible, fait une visite officielle dans ces États-Unis reconstruits d’après la Troisième Guerre Mondiale, par curiosité plus que par intérêt. Si cette trame de l’histoire ne porte pas à plus de conséquences que cela dans le destin d’affranchi de Paul Proteus, elle demeure l’un des aspects du roman dont les lecteurs se souviennent le plus. Il en va de même pour les chapitres centraux décrivant les olympiades organisées par les usines d’Ilium pour leurs cadres et ingénieurs. Vonnegut voyait déjà en 1952 les dérives infantiles du monde du travail par les techniques de management. Lors de la parution du « pianiste déchaîné » en France en 1975, ces techniques s’enracinaient en Europe. Dans un temps comme dans l’autre, d’un continent à l’autre, on s’accordait à rire de cette science-fiction qui n’en était pourtant pas. Quelques paires de dizaines d’années plus tard, on parlera de souffrance au travail, de burn-outs, de mises au placard des séniors. Tous ces fléaux font la trame de fond du « Pianiste déchaîné », ce qui fait de ce roman non pas de la science-fiction ou de la spéculative-fiction, mais bel et bien un témoignage plein d’acuité sur la société américaine du début de son « Âge d’Or ».


Mise à jour du 29 avril 2023 : En préparant la publication de notre billet sur le n°39 de la revue Fiction, une référence de Gérard Klein à un ouvrage intitulé "Utopia 14" retient notre attention. En approfondissant nos recherches, nous découvrons qu'il s'agit d'un titre alternatif au "Player piano" ! Les éditions de poche Bantham Books souhaitaient en effet attirer vers Vonnegut les lecteurs de science-fiction, et publièrent cet "Utopia 14" en ce sens. 

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