25 juin, 2025

Fiction n°117 – Août 1963

Evelyn E. Smith, Frederick Pohl… nous avons l'impression de retrouver le ton des Galaxie 1ère série ! La reprise de cette défunte revue se prépare d'ailleurs chez Opta. Par ailleurs, nous noterons l'entrée de John Brunner parmi les baroudeurs du PReFeG.

Côté graphisme, ce numéro sera le dernier avec le logo Fiction originel (dans le triangle, forme abandonnée depuis le numéro 105 - un an auparavant - et qui faisait des allers et retours depuis le numéro 86). A observer le dessin, il aurait fort bien pu convenir au numéro 112, qui éditait "Le jardin du temps" de Ballard. C'est à croire que la rédaction a attendu la prochaine nouvelle de Ballard pour se servir de cette couverture, avec l'ancien logo intégré par Forest.

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Sommaire du Numéro 117 :


1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 3, bibliographie


NOUVELLES


2 - Evelyn E. SMITH, De tout pour faire un monde (They Also Serve, 1962), pages 6 à 28, nouvelle, trad. Régine VIVIER

3 - Frederik POHL, Pour des canards sauvages ! (Punch, 1961), pages 29 à 33, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

4 - John BRUNNER, Rêve par procuration (Such Stuff, 1962), pages 34 à 49, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE

5 - Roland TOPOR, La Douceur de vivre, pages 50 à 53, nouvelle *

6 - G. C. EDMONDSON, Statu quo (The Status Quo Peddlers, 1957), pages 54 à 60, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

7 - Brian ALDISS, Échardes (Shards, 1962), pages 61 à 69, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE

8 - Jean-Jacques OLIVIER, Message pour le futur, pages 70 à 88, nouvelle *

9 - J. G. BALLARD, Le Sel de la terre (Now Wakes the Sea, 1963), pages 89 à 98, nouvelle, trad. Christine RENARD

10 - Mario SOLDATI, La Balle de tennis (La palla da tennis, 1962), pages 99 à 110, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI

11 - Christine RENARD, Les Naufrageurs, pages 111 à 116, nouvelle

12 - Jacques STERNBERG, Le Reste est silence, pages 117 à 134, nouvelle

13 - Jacques LOB, Humour : Lob, pages 135 à 140, bande dessinée

 

CHRONIQUES


14 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 141 à 156, critique(s)

15 - Jacques GOIMARD, L'Écran à quatre dimensions, pages 157 à 163, article

16 - Demètre IOAKIMIDIS, Des Voyages Extraordinaires considérés comme autoportrait vernien, pages 164 à 167, article

17 - Jacques GOIMARD, Quintessence du space-opera, pages 168 à 171, critique(s)

18 - Maxim JAKUBOWSKI, Échos d'Angleterre, pages 172 à 176, article



* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


L'avis du PReFeG :

Dans De tout pour faire un mondeEvelyn E. Smith nous sert de ses utopies humoristiques dont elle a le secret (ici : Un monde où "les choses appartiennent à ceux qui leur ont donné la beauté"). Peut-être un peu longuet, mais il ne faudrait pas bouder notre plaisir.

Pour des canards sauvages fera inévitablement repenser à "Comment servir l'homme" de Damon Knight (in Galaxie 1ère série n°1); Frederik Pohl nous y laisse pressentir en les suggérant habilement tout un tas de chutes possibles, car on sent bien venir l'histoire à chute… un peu éventée par le passable traducteur René Lathière.

John Brunner, encore jeune mais aussi barbu, pourvu d'un flegme tout à fait anglais. En ce moment, il semble faire irruption absolument partout dans les revues d'outre-Atlantique, et compte une douzaine de romans sous son nom ou son pseudonyme de Keith Woodcott. 
(Maxim Jakubowski in "Échos d'Angleterre")

Une fois de plus la traduction du titre (Rêve par procurationen révèle un peu trop. Le titre orignal, "Such stuff" - "une étoffe pareille", ou "une telle étoffe" - fait référence aux vers de Shakespeare dans "La tempête" : "Nous sommes faits de l'étoffe des songes…" Dans cette première nouvelle, à paraître dans Fictionde ce jeune auteur de moins de trente ans, John Brunner,  un protocole expérimental sur le sommeil tente de circonvenir l'importance de rêver dans le maintien de l'équilibre psychique. Ceux qui en sont empêchés développent des troubles de l'humeur… Sauf une personne. On n'est pas encore dans les grands thèmes politiques et sociaux qui feront la notoriété de Brunner, plutôt dans ceux que Ballard appelle de tous ses vœux (voir plus loin), mais l'ensemble se parcourt avec plaisir.

Roland Topor débusque l'indolence qui couve dans toute situation dénuée de drame ou d'adversité - comme quoi le bonheur, ou La douceur de vivre, pourrait être déprimants. Mais le docteur détient le remède à la mélancolie !

Statu quopetite histoire post-apocalyptique, laisse entendre que la fin du monde ne saurait se décliner au singulier, et que tout ne prend pas fin de la même manière, ni à la même vitesse. Ce qui prend réellement fin, c'est la cohésion des territoires entre eux.  Par G. C. Edmondson.

Il faut peut-être lire Échardes une seconde fois pour apprécier le flot d'images surréalistes qui en constitue les trois quart. Brian Aldiss audacieux et somme toute concis.

Message pour le futur propose de l'aventure et des péripéties, certes. Mais demeure l'impression que l'auteur, Jean-Jacques Olivier, découvre par lui-même la science-fiction et ses grands thèmes, comme si le texte datait de 1953. Un passage au sujet de la publication rappellera les petites facéties de Jean Lec …  

« Pourquoi vous êtes-vous adressé à moi ? »

— « Parce que vous êtes écrivain et que vous allez écrire cette histoire. Vous l'appellerez « Message pour le futur » et elle paraîtra dans le n° 117 du mois d'août de l'année 1963 de la revue « Fiction ». Tout est venu de la découverte dans nos archives de ce numéro de « Fiction ». Ceci nous permettait de vous situer dans le temps et de vous contacter. »

(…) en mai 1962, vient [le] tour [de J. G. Ballard] d'écrire l'éditorial d'honneur pour « New Worlds SF », la meilleure revue anglaise, tâche que Carnell offrait à tour de rôle à ses meilleurs auteurs pour que ceux-ci y reflètent leurs vues sur l'état de la SF moderne. L'article de Ballard était intitulé « Which way to inner space ? » (Quel chemin pour l'espace intérieur ?) ; de façon catégorique, Ballard y annonçait un déclin de la SF si celle-ci n'abandonnait immédiatement la solution space-opéra et tout recours au voyage dans l'espace. La révolution était de taille ! À partir de là, il prêchait une reconquête de la psychologie humaine par le biais de l'insolite, et jurait publiquement de ne plus illustrer que ce thème dans ses écrits.

(Maxim Jakubowski in "Échos d'Angleterre")

J. G. Ballard joue avec Le sel de la terre et les réminiscences de l'espèce humaine, à moins qu'il ne s'agisse de prémonition sur l'inexorable montée des eaux de l'océan. Quoi qu'il en soit, encore un de ses récits de décompensation psychotique.

La balle de tennis de Mario Soldati nous décrit une ambiance de villégiature en déréliction qui rappellera celle de "L'invention de Morel" de Bioy Casarès (in Fiction n°103), ou "L'année dernière à Marienbad" de Alain Resnais. Avec un enjeu moindre toutefois, et du fantastique à posteriori. 

Une ambiance encore dans Les naufrageurs, ici labyrinthique. Le ton de Christine Renard rappellerait du Topor au féminin, étrange mais sans cruauté.

Toujours cette désespérante vacuité de vivre chez Jacques Sternberg, dans Le reste est silenceune variation sur l'amour et la mort assez similaire à sa "Marée basse" (voir Fiction n°60). Un peu longuet avant le motif final, dont voici un extrait (attention au divulgâchage) :

Elle avait oublié son agenda sur la table. Je le pris, je le feuilletai machinalement. Puis, immédiatement, mon attention fut alertée, quelque chose se figea en moi. Je le feuilletai très lentement, sans comprendre.

Sur chaque page correspondant à deux jours, il y avait deux noms. Un nom par jour. Toujours des noms différents, pour chaque jour. Toujours un prénom, un nom de famille. Parfois un nom de femme, parfois un nom d'homme. En dessous de ces noms, des chiffres dont je ne comprenais pas le sens. Comme s'il s'agissait d'un code. Et derrière chaque nom un gros point noir, bien dessiné, bien net.

Les amateurs de mangas seront surpris de constater que Jacques Sternberg a inventé le "Death Note" en 1963 ! 


Une fois n'est pas coutume, mais coutume n'est pas règle non plus, nous vous proposons en bonus cette semaine un ouvrage de "vulgarisation" scientifique, qui, à en croire la critique qu'en fait Demètre Ioakimidis, mérite l'intérêt.

Jean Charon. Du temps, de l'espace et des hommes. 

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Voici un ouvrage qui fait, en quelque sorte, pendant à l'excellente Connaissance de l'univers, du même auteur. Jean Charon s'est attaché, en ces 170 pages, à montrer les directions dans lesquelles l'horizon de la science se confond avec celui de la philosophie, de la métaphysique et de la religion. Le contact de l'homme avec l'univers exige la reconnaissance de ces vastes points d'interrogation, auxquels la science s'efforce de substituer une explication, mais que les autres domaines du savoir ont également abordés. Disciple convaincu de Teilhard de Chardin, Jean Charon estime que la notion de psychisme peut permettre de lever les incompatibilités qui semblent opposer sur certains points les explications scientifiques aux convictions religieuses. Il invoque également l'inconscient collectif de Jung, et propose une esquisse de synthèse qui mérite d'être méditée.

Le courage de l'auteur est grand, d'aborder des problèmes tels que ceux de la vie et de la mort, après avoir choisi comme point de départ ceux de l'espace, du temps et de la matière, fort simples, et pour ainsi dire prosaïques, par comparaison. Mais son exposé est fait avec un sens très aigu de la gradation, gradation évoquant les démarches de ce qu'on pourrait appeler la curiosité scientifique collective de l'humanité : au fur et à mesure qu'une réponse est acquise, elle prend sa place dans une vision plus complexe dont il s'agit de dégager le plan d'ensemble. N'est-ce pas là une façon d'interpréter les progrès du savoir scientifique au cours des trois cent cinquante dernières années ? 

L'exposé de Jean Charon demande de l'attention et une certaine capacité de concentration, plutôt qu'il ne fait appel à des connaissances scientifiques profondes. S'il résume diverses acquisitions de la science contemporaine (et comment faire autrement, devant le but qu'il s'est fixé ?), l'auteur suppose surtout, chez son lecteur, la faculté de raisonner, celle d'embrasser un horizon scientifique vaste, et aussi celle d'abandonner certaines acquisitions de l'enseignement officiel. Par exemple, il insiste sur le fait que la géométrie euclidienne, parfaitement valable en sa qualité d'approximation dans le cas de l'univers limité auquel le collégien doit l'appliquer, n'est point valable lorsqu'il s'agit d'embrasser des galaxies. Il insiste de même sur tout ce qu'il y a de relatif dans la notion de simultanéité dès que l'on se place sur le plan cosmique : le signal le plus rapide dont nous disposons – la lumière – ne transmet des informations qu'à une vitesse finie, et ce temps de transmission doit être pris en considération lorsqu'on envisage des distances à l'échelle du parsec.

On peut résumer le plan de l'exposé de la façon suivante : Jean Charon commence par évoquer la soif de connaissance qui anime l'élite de l'espèce humaine, puis il aborde les constituants de notre univers – l'espace, le temps, la matière – pour se demander si cet univers nous sera totalement accessible, s'il a des limites dans le temps ou dans l'espace, et s'il peut abriter d'autres êtres intelligents. Il s'agit des questions qui formaient la substance des quatre fameux livres de l'Abbé Moreux – « D'où venons-nous », « Où sommes-nous », « Qui sommes-nous », « Où allons-nous » – mais elles sont abordées avec une largeur d'esprit et une capacité de synthèse beaucoup plus grandes. C'est dans la seconde moitié de son ouvrage que Jean Charon expose la notion de psychisme, ce qui l'amène à considérer des problèmes tels que la vie et la mort, la situation de la science comparée à celle de la religion, ou l'évolution cosmique.

Il y a lieu de relever un point mineur, mais qui semblerait indiquer chez Jean Charon l'existence d'un côté pince-sans-rire. Les chapitres de son livre portent en épigraphe des citations empruntées à la science et à la littérature, et dont les auteurs sont successivement Einstein, Hugo, Merleau-Ponty, Thalès, Camus, et plusieurs autres. Le dernier chapitre est précédé d'un paragraphe signé… Louis Pauwels. Le texte qui suit demeure cependant fidèle à l'esprit d'exposition lucide, scientifique et critique qui anime le reste du livre. Écrit dans une langue simple et claire, qui reste précise sans devenir sèche, et fluide sans sacrifier à la facilité, l'ouvrage de Jean Charon mérite l'attention de tous ceux qui cherchent à mieux connaître cet univers qui constitue le cadre ultime de notre existence.

Demètre Ioakimidis

21 juin, 2025

Cadeau bonus : Fiction spécial n° 4 : Anthologie de la science-fiction française (Mars 1963)

Retour aux auteurs français pour ce quatrième volume de la série "Fiction Spécial". On y notera que les nouvelles ne sont plus classées par ordre alphabétique d'auteurs, comme dans les précédentes anthologies de Fiction, et que des thèmes récurrents alternent avec d'autres : les cités de demain enfouies sous terre peuplées d'humains dépendants de la machine, des machines qui prennent le contrôle de la marche du monde ou de son anéantissement, des espèces invasives qui concurrencent ou supplantent l'humanité… On y perdrait son optimisme, comme dirait Dorémieux, s'il n'y avait aussi dans ce florilège la présence rafraîchissante de quelques auteurs plus caustiques à l'humour dévastateur. L'ensemble est toutefois de bonne, voire de très bonne qualité.

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Sommaire du Fiction Spécial n°4 :


1 - (non mentionné), (Introduction), pages 4 à 4, introduction

2 - Nathalie HENNEBERG, La Terre hantée, pages 5 à 30, nouvelle

3 - André RUELLAN, Point de tangence, pages 31 à 37, nouvelle

4 - Michel EHRWEIN, Les Voix dans le désert, pages 38 à 54, nouvelle *

5 - Roland TOPOR, À point, pages 55 à 60, nouvelle

6 - Philippe CURVAL, Un soupçon de néant, pages 61 à 78, nouvelle *

7 - Jean-Charles PICHON, La Machine, pages 79 à 82, nouvelle *

8 - Michel DEMUTH, L'Homme de l'été, pages 83 à 111, nouvelle

9 - Claude-François CHEINISSE, Les Engins, pages 112 à 115, nouvelle

10 - Pierre VERSINS, Le Chien, pages 116 à 122, nouvelle *

11 - Claude VEILLOT, Encore un peu de caviar, pages 123 à 141, nouvelle

12 - Gil SARTÈNE, Conformément au programme, pages 142 à 172, nouvelle *

13 - Fernand FRANCOIS, La Vénusienne, pages 173 à 174, nouvelle *

14 - Marcel BATTIN & Georges GHEORGHIU, Heureux comme Dieu en France, pages 175 à 192, nouvelle

15 - Suzanne MALAVAL, Le Temps des sortilèges, pages 193 à 204, nouvelle *

16 - Daniel DRODE, Dedans, pages 205 à 222, nouvelle

17 - Albert FERLIN, La Prison, pages 223 à 227, nouvelle

18 - Jérôme SERIEL, Le Satellite artificiel, pages 228 à 236, nouvelle *

19 - Gérard KLEIN, Un chant de pierre, pages 237 à 248, nouvelle

20 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 249 à 251, bibliographie


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Note éditoriale du Fiction Spécial n°4 :

ENTAMEE en 1959, la série de nos anthologies françaises se poursuit et en voici le troisième volume.

On y trouvera un éventail varié de thèmes et de tendances, qui toutes sont représentatives de cette science-fiction française qui apparaît de moins en moins dépendante de ses modèles américains.

Certains des auteurs qui figurent ici ont maintenant été consacrés par leurs romans ; d’autres font partie de l’équipe des romanciers de demain ; d’autres encore en sont à des débuts prometteurs.

Nathalie Henneberg, Gérard Klein, Philippe Curval, sont déjà des chevronnés. Pierre Versins aussi, bien que ses multiples activités l’empêchent d'écrire autant qu’il le voudrait. La nouvelle vague est représentée par Jérôme Sériel et l'avant-garde par Daniel Drode, l’auteur le plus controversé de la science-fiction française, le seul en tout cas qui cherche à lui donner un langage propre.

Michel Demuth, Michel Ehrwein, Claude Veillot et Gil Sartène sont ceux sur les futurs romans desquels nous misons avec le plus de certitude. Mais qui sait ce que nous donneront des talents originaux comme ceux de Suzanne Malaval ou de Roland Topor ?

Quelques absents de marque à ce sommaire : Francis Carsac et Jacques Sternberg notamment. Regrettons qu’ils n’aient plus guère le loisir d’écrire de nouvelles.

Et donnons à tous (ainsi qu’à ceux que nous ignorons peut-être encore) rendez-vous l’année prochaine, pour une quatrième anthologie encore plus substantielle.


Les portes de la Cité sont scellées, le contact avec la Surface est rompu, mais on importe des fleurs de Vénus ou de Titan ?! Mensonge dans l'histoire ou ruse d'autrice ? Le lecteur attentif ne s'y laissera pas prendre.

On pourrait rapprocher La terre hantée du roman de Drode "Surface de la planète" ou "Les cavernes d'acier" d'Asimov. Nathalie Henneberg continue de miser sur la séduction d'un foisonnement de vocabulaire botanique ou minéralogique, mais là où Drode ne manquait pas de faire dégénérer le savoir des hommes vivants comme des insectes sous terre (mais nous y reviendrons), Henneberg décrit des protagonistes comme s'ils avaient conservé notre vocabulaire. Sur le sujet des villes enterrées, nous inviterons les amateurs à lire l'étonnant et inégalé "La machine s'arrête" de E. M. Forster (The Machine Stops, 1909), en français dans le recueil "De l'autre côté de la haie".

André Ruellan déploie dans Point de tangence un concept assez audacieux, mêlant phantasme et imagination schizophrène, à la possibilités de réalités parallèles. Comme pour toute nouvelle où le narrateur n'est pas fiable, il faut un peu s'accrocher et décrypter patiemment.

Bien documenté sur ce que pourront être les premières missions lunaires, d'un style précis et ne lésinant cependant pas sur les effets de va et vient dans le temps laissant au lecteur la possibilité de jouer à deviner, Michel Ehrwein s'adonne peut-être malheureusement à la tendance de l'époque, empreinte d'occultisme de bazar, et imagine des liens entre la Lune, l'Atlantide et l'apparition de la vie sur Terre. Pour faire entendre Les Voix dans le désert, peut-être aurait-il fallu laisser un peu de côté "le matin des magiciens"...

Roland Topor signe une très efficace nouvelle, tant par la concision que par le choix de son sujet : où enterrer les morts quand leur nombre devient intolérable pour la surface disponible. Il imagine ainsi une planète cimetière, dédiée entièrement à cet usage, et les deux fossoyeurs chargés de l'administrer. La chute arrive A point.

 Société policière, loisirs organisés et imposés, drogue d'importation inconnue provoquant un dérèglement de la réalité même - et non plus simplement sa perception - personnages factices et infantiles… On croirait lire avec Un soupçon de néant un premier jet du "Dieu venu du Centaure" de Philip Dick… Philippe Curval s'amuse un peu aussi à improviser, semble-t-il. Amusant.

" Les machines ne sont venues que plus tard, après que le climat convenable, pendant des siècles sans doute, eut été préparé. Ils n’auraient pu imposer les machines à des hommes libres, comme les Grecs par exemple, non plus qu’à des tribus unies et fortes comme le peuple d’Israël… Mais, à la fin, tout de même, nous avons été mûrs pour les machines. Parce qu’Ils avaient besoin de nous pour les créer. Il fallait que nous fussions nous-mêmes les artisans de notre perte. De pauvres imbéciles, égoïstes, isolés et créateurs de monstres. Comme cela s’était donc vite fait… à partir de la première machine ! Un peu plus de trois siècles… Et comme nous étions heureux, chaque fois que nous en avions inventé une, un peu plus compliquée, un peu plus dangereuse que les autres, une qui, plus que les autres, nous échappait… Nous le reconnaissions : « Nous ne savons pas grand-chose, mais ces forces que nous ignorons nous pouvons les domestiquer. » Nous étions aussi orgueilleux de notre ignorance que de notre habileté. Même celui qui voyait le danger (et en discutait parfois avec beaucoup de passion) un instant plus tard il maniait le volant ou l’interrupteur de ses machines personnelles avec une totale inconscience. Et personne ne s’est trouvé là pour dire notre stupidité ! Ou, s’il s’en est trouvé, on les a enfermés, « guéris » comme on disait, avant qu’ils ne se fissent entendre. Parce que toute notre éducation portait en germe la condamnation de l’homme – la portait évidente comme un visage ses yeux…"

Jean-Charles Pichon interroge la pulsion mécaniste, et même machiniste, de l'espèce humaine, et son indolence face à un progrès qui ne se résumerait qu'à accomplir les tâches méprisables. Comme son titre, La Machine, le texte est concis, et surtout profond.

Aux lendemains de la Guerre d'Algérie, où il a été mobilisé, Michel Demuth parle d'autodétermination des peuples, dans L'homme de l'été, qui pourrait rappeler le ton de "Marée montante" de Marion Zimmer Bradley. (in Fiction 40, 41 et 42).

Dans un modèle de concision, Claude F. Cheinisse nous brosse un bel exemple de "guerre propre" avec Les engins, que nous pourrions presque appeler drones. Tous les arguments patriotiques des va-t-en-guerre y défilent. Un texte à garder sous le coude par les temps qui courent… 

Il ne lui manque que la parole… Pierre Versins actualise l'histoire un peu rebattue de l'animal doué de parole, avec Le chien et une bien sympathique compagnie. Pour les amateurs de la gent féline douée de parole, nous vous invitons à vous reporter à notre recension de "Tobermory" de Saki (in Fiction n°85).

Ça commence comme une histoire d'institutrice à la Zenna Henderson, et se poursuit comme du William Morrison qui donne la parole à l'enfance. Enfin, on se souvient de certain récit de John W. Campbell sur des êtres mimétiques. Entre "The thing" et "Les plus qu'humains" de Sturgeon - Encore un peu de caviar, ce n'est jamais que des œufs d'esturgeon, n'est-ce pas ? - Claude Veillot digère les influences anglo-saxonnes, parce qu'on est jamais que ce que l'on mange… 

"(...) plutôt que d’altérer la capacité des machines, il fallait entreprendre d’éduquer les hommes. Les calculatrices ne tardèrent pas à fournir un plan détaillé de transformation psychologique. Reléguant au second plan les tentatives visant à persuader par la raison, ce plan comportait des indications minutieuses sur les différences techniques de propagande sorties des laboratoires avancés de sciences physiques et humaines.

La proposition n’était guère attrayante au point de vue moral, mais, après maintes tergiversations, on dut se rendre à l’évidence que personne n’avait mieux à proposer. On déclencha donc une vaste offensive de publicité qui accaparait les individus, du berceau au cercueil, forçant les consciences rebelles aux assauts directs par l’utilisation systématique d’images invisibles insérées au cœur des films, et de slogans diffusés en basse fréquence et qui, bien qu’inaudibles, se frayaient un chemin jusqu’à l’inconscient."

Gil Sartène produit trois trop longs chapitres de récit de guerre, bien écrits certes mais sans intérêt dans une revue comme celle-ci - d'autant plus dans un numéro spécial - avant d'évoquer maladroitement son véritable sujet, tel qu'exprimé dans l'extrait ci-dessus. La situation finale passe de plus complètement à côté de ce qu'il aurait pu exprimer, du moins dans un cadre de science-fiction, Conformément au programme. Bref, tout l'inverse de la nouvelle de Claude Cheinisse. 

Fernand François, quant à lui, ne s'attarde pas en cours de route pour atteindre sa chute, un peu attendue et qui n'aura rien de surprenant pour qui connait un peu la physiologie, quand bien même il s'agisse ici d'un être baptisé La Vénusienne.

Les mécanismes de la haine de l'autre, ou même de l'indésirable, sont ici clairement exposés à travers cette fuite d'une mère et son enfant, juifs. Bien sûr, tous les relents de haine hérités de la 2nde Guerre Mondiale y retrouvent leur chemin. Mais il y a un peu plus : des mutants, que la singularité ne rend pas plus compréhensifs et tolérants pour autant. Heureux comme Dieu en France, par Marcel Battin et Georges Gheorghiu, est une belle nouvelle malheureusement réaliste.

" À chaque fois que meurt un elfe, l’herbe pousse plus belle. Alicante sera bientôt resplendissante. " Voilà résumé ici tout l'esprit des nouvelles de Suzanne Malaval, et Le temps des sortilèges n'échappe pas à son style. Récit en deux courts chapitres (Catana, et Les herbes de la Terre) fleuris de vie champêtre et de petit peuple caché dans les éléments, il pose aussi la question : quel est le petit peuple du petit peuple ?

" Corps humain enté de mille organes métalliques, plastiques, magnétiques, enserré au sein de circuits et d’instruments qui corrigeaient automatiquement toute avarie, enchâssé dans un organisme-robot dont il n’était plus qu’une fraction, agi plutôt qu’acteur, je vivais dans la stabilité. "

Ainsi parle le Stable, exemple de l'être humain devenu biomécanique et étonnamment inutile. Depuis DedansDaniel Drode développe le vécu des ces êtres dépossédés de leur liberté d'action tels qu'on a pu en suivre dans son roman "Surface de la planète". C'est en fait le récit d'une émancipation face à la machine nutritive qui assure la survie, de sous-êtres qui ont encore la lucidité de se poser des questions sur leur conditions de vie. Intéressant, bien que nous n'y retrouvions pas la puissance oblitératrice du conditionnement des protagonistes de "Surface de la planète".  C'est peut-être un peu dommage, car Drode perd ici un peu de son sel qu'il aimait répandre sur nos plaies (et sa nouvelle se rapproche de fait de celle de Nathalie Henneberg).

Dans la continuité de Drode, Albert Ferlin imagine le bannissement d'une cité hégémonique où La prison équivaut à découvrir la nature de l'extérieur. Concis et efficace, même si la répétition du même sujet pourrait à force lasser le lecteur novice.

Jérôme Seriel entame son récit comme une autofiction. Et c'est heureux, comparativement à ses autres nouvelles surchargées de néologismes ineptes et d'histoires faussement poétiques. Délibérément plus prosaïque ici, voire pragmatique, il s'exprime, dans Le satellite artificiel, en sa qualité de scientifique sur la confiance que l'on peut accorder, ou non, aux progrès scientifiques ; surtout quand l'armée s'en mêle. D'une bien meilleure qualité que tout ce que Fiction nous proposait alors de cet auteur, cette nouvelle a des réminiscences de l'introduction de "La fin d'Illa" de José Moselli, ou rappelle encore "Le nuage pourpre" de M. P. Shiel, sur le point de vue du dernier survivant de l'espèce humaine.

" Mais rien de ce que j’ai nommé ne me nomme. En vérité, j’attendais à mon tour qu’on me donne un nom."

Gérard Klein délivre dans Un chant de pierre une poésie subtile et cosmique, non pas lyrique et foisonnante, mais intelligente et éclairante sur les vertus du poète qui nomme les choses dans un langage divin. Une très belle réussite, qui fera repenser au texte du philosophe Walter Benjamin “Sur le langage en général et sur le langage humain” (1916), qui prouve que la science-fiction est une littérature qui invente une mythologie pour l'avenir.

18 juin, 2025

Fiction n°116 – Juillet 1963

Un festival de raretés, George P. Elliott en tête avec une nouvelle satirique dérangeante à souhait ; Robert F. Young et Roland Topor ne sont pas en reste ; et un nombre d'autrices presque équivalent à celui des auteurs, voilà esquissé le programme de ce numéro d'été.

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Sommaire du Numéro 116 :


1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 2, bibliographie

NOUVELLES

2 - George P. ELLIOTT, Le N R A C P (The NRACP, 1960), pages 6 à 39, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *

3 - Robert F. YOUNG, ...et réciproquement (There Was an Old Woman Who Lived in a Shoe, 1962), pages 40 à 45, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

4 - Jacqueline H. OSTERRATH, Le Rendez-vous de Samarkande, pages 46 à 65, nouvelle

5 - Henry SLESAR, La Crypte (Way-Station, 1963), pages 66 à 75, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

6 - Vance AANDAHL, Là où poussaient les lilas (When Lilacs Last in the Dooryard Bloomed, 1962), pages 76 à 94, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *

7 - Joanna RUSS, Emily chérie (My Dear Emily, 1962), pages 95 à 118, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

8 - Odette RAVEL, La Boîte à musique, pages 119 à 125, nouvelle *

9 - Lise DEHARME, Premier étage, rue des Templiers, pages 126 à 127, nouvelle *

10 - Tommaso LANDOLFI, Lettres de province (Lettere dalla provincia, 1954), pages 128 à 136, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI

11 - Roland TOPOR, Le Sacrifice d'un père, pages 137 à 143, nouvelle

12 - Roland TOPOR, Humour : Topor, pages 145 à 151, portfolio 

CHRONIQUES

13 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 152 à 173, critique(s)

14 - (non mentionné), En bref, pages 174 à 175, article



* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


L'avis du PReFeG :

Première nouvelle publiée aux USA d'un auteur peu connu en France, George P. Elliott, et pour laquelle il a d'ailleurs essuyé beaucoup de critiques qui ne percevaient pas la satire de ce texte, Le NRACP est un magnifique texte, constitué par la trace écrite d'une prise de conscience, celle du pire, par un agent d'une réforme gouvernementale dont il se porte initialement volontaire. Si le fond en est délibérément satirique (comment régler le "problème noir" ? - l'ombre de Swift et du "problème irlandais plane ici…), il demeure nécessaire de le garder en tête pour supporter avec un minimum d'humour cette confession pétrie de bonnes intentions. Nécessaire… c'est bien le mot, en témoignent les extraits suivants : 

"(...) si le capitalisme doit continuer d'exister (et il le doit), il faut le remplacer sans à-coups par un État fort et bien conçu. Cet État, l'Amérique est en train de le devenir. Parfait. Tout cela, je l'avais accepté au départ. Mais ce que j'avais oublié, c'était que moi l'individu, moi, Andrew Dixon, je devrais personnellement me soumettre aux exigences de la nécessité. Les vestiges de ma foi dans le New Deal encombraient encore mon esprit. Cette expérience (…)  m'a libéré (du moins je l'espère) et m'a fait connaître la liberté plus grande du Prisonnier de la Nécessité.

(...)

J'acceptais le NRACP comme une chose inévitable, comme une Nécessité ; il ne me restait plus qu'à essayer de comprendre où se cachait le mystère de la Nécessité et à m'adapter à la situation. À l'individuel, au cruel, à l'inutile, au mystérieux. Le chef, c'est celui qui voit le sens de l'histoire, qui pilote la barque dans cette direction-là en évitant à ses passagers le plus de souffrances possible. C'est étrange, mais nous, Américains, nous n'avons pas de chef de ce genre : nous avons des comités, des administrateurs, des chefs de service, qui possèdent collectivement le pouvoir et qui nous guident presque impersonnellement. Être l'un de ces architectes anonymes, sages, courageux, il n'y a rien au monde que je désire davantage. La sagesse, je crois que je la possède. Mais je n'ai, en guise de courage, qu'une panoplie de scrupules moraux datant d'une époque où l'homme était censé avoir une âme et où la maladie se chargeait de résoudre le problème de la surpopulation. Les vieilles valeurs démodées du christianisme doivent être amputées dans le peuple comme elles le sont peu à peu en moi. Les bien portants, les chanceux assistent à la naissance d'un nouveau monde. Les faibles, les inadaptés périssent avec l'ancien. Lequel de ces deux destins choisirons-nous."

Poursuivons sur le problème plus vaste de la surpopulation : on passera sur le manque de poésie du traducteur René Lathière quant au titre (…et réciproquement), et au gentil divulgachage du texte d'introduction (d'Alain Dorémieux ?), pour se réjouir de cette concise nouvelle malthusianiste de Robert F. Young - qui interroge les fondements mêmes du voyage spatial : la colonisation.

Dans cette histoire de Vaisseau-arche parti à la conquête d'autres mondes possibles, Young plaisante au passage sur l'église, toute église, en tant que maison de la cohésion spirituelle d'une population, et représentante de la Justice Sociale  :

" L'église, où chacun était libre de pratiquer son culte, s'élevait au centre de la place du village. On l'appelait du reste avec assez d'à-propos : l'Église-du-Dieu-de-votre-Choix. Cette religion était apparue sur la Terre longtemps déjà avant le départ du Tu Es Mon Bercer Ô Seigneur, Rien Ne Saurait Manquer Où Tu Nous Conduis. Et elle avait fini par supplanter tous les cultes pratiqués jusqu'alors. En fait, les gens l'avaient adoptée dès le milieu du XXe siècle. Mais ils lui donnaient alors des noms très différents, tels que « Assurance sur la Vie », « Aide Médicale aux Vieillards », « Retraite des Vieux Travailleurs », « Semaine de Trente Heures », « Ancienneté de Service », etc. Ils lui donnaient, à présent son vrai nom et ne se faisaient pas le moindre scrupule d'y adapter les paroles de la Sainte Bible. "

Nous venons de l'évoquer, le texte de présentation est assez littéraire mais en dévoile un peu trop sur le contenu de la nouvelle. Passez ce prochain paragraphe si vous ne voulez pas gâcher votre plaisir :

Un jour où nous attendions un autobus, vint un vieil homme qui vendait des glaces. « Esquimaux ! Esquimaux ! » criait-il. À l'autre extrémité du trottoir, surgit un autre vieil homme qui vendait des cacahuètes et se mit à crier : « cacahuètes ! cacahuètes ! » Ils venaient l'un vers l'autre et il était inévitable que leurs chemins se croisent. Nous attendîmes avec intérêt cette confrontation. Arriva le moment de la rencontre. Les deux vénérables marchands s'arrêtèrent, s'examinèrent l'un l'autre en silence. Puis le vendeur d'esquimaux acheta un sac de cacahuètes, et le vendeur de cacahuètes un esquimau. Côte à côte, ils les dégustèrent en silence, puis reprirent leur route sans plus se regarder, continuant de crier : « Esquimaux ! Esquimaux ! » et « cacahuètes ! cacahuètes ! »… 

Que dites-vous ? Que cette anecdote ne signifie rien ? C'est pourtant à elle, irrésistiblement, que nous a fait penser la nouvelle histoire de Robert Young.

Troisième nouvelle articulant les ressorts de l'expansion spatiale et démographique, Le rendez-vous de Samarkande rappellera la nouvelle de G. C. Edmondson "Le porteur de germes" récemment parue (Fiction n°112). Voici en effet une nouvelle histoire d'épidémie, qui frappe l'île britannique cette fois. Tramée avec des inventions spatio-temporelles, Jacqueline Osterrath nous laisse cependant sur notre faim et ne conclut pas tous ses fils narratifs.

Le texte de présentation fait état d'une certaine évolution de son style, et de ses thèmes :

Jacqueline Osterrath avait montré précédemment un penchant pour le récit court et fantastique. Changeant doublement son fusil d'épaule, elle aborde le long récit de science-fiction. Une nouvelle personnalité qu'elle assume avec souplesse.

Rappelons que cela ne nous surprendra guère quand on sait qu'elle est la traductrice de la série allemande fleuve "Perry Rhodan".

Composée par Henry Slesar, un auteur très prolifique en matière de nouvelles policières et de scenarii pour la télévision, La crypte, sur un postulat sensiblement proche de celui du "Peuple" de Zenna Henderson, est une petite histoire à chute bien ficelée.

La revue continue d'interroger les communautés, humaines ou non, avec Là où poussaient les lilas, de Vance AandahlLa traduction peut être jugée maladroite, mais l'intrigue l'est sans aucun doute. Entre "Un cantique pour Leibowitz" (la nouvelle de Walter M. Miller qui extrapole le devenir de la chrétienté) et "Le monstre" (une pièce de Agota Kristof qui met en scène un fléau télépathe et mortifère), on pourrait apprécier cette histoire où la pensée individuelle de l'être humain s'éteint, dans le cadre d'un univers post-apocalyptique. Hélas, le style est très confus, les descriptions peu limpides, les images mal choisies, et les enjeux désarticulés - tant et plus qu'on peine à croire en cette histoire d'emprise qui lutte poussivement pour envahir la pensée du héros, alors qu'elle est capable d'emporter tout un village de chrétiens en un clin d'œil.

C'est le phénomène d'emprise qui fait la jonction avec la nouvelle suivante. Emily chérie expose le point de vue de la victime d'un vampire, Emily, et de son amie Charlotte (sa sœur, comme pour les Brontë ?), malaise décrit dans toutes ses phases sensuelles, souffreteuses, voire fallacieuses, par Joanna Russ, dans un style tout en ellipses que le lecteur doit combler. Cela fait de cette nouvelle une histoire à la Henry James, de folie grimpante et de marche inexorable vers la mort. Bien mené.

Autre type d'emprise : la fascination pour un objet. On a beau apprécier Shakespeare, La boite à musique, d'Odette Ravelcontée par un ivrogne, n'emporte pas vraiment le morceau (ou la pièce). Passable. 

Premier étage, rue des Templiers, un inédit de Lise Deharme, est gratuit et même un peu inepte.


Une dérive fantastique où l'usage en province veut que l'on hiberne. La léthargie bien entendu peut aussi prendre un sens symbolique. Sous forme de Lettres de province, Tommaso Landolfi nous propose un récit bien mené.

Ah ! vieillesse, jeunesse, quelle foutaise ! Richesse, pauvreté, voilà les véritables critères de la misérable vie humaine. Mon père n'était plus riche. Sa jeunesse s'enfuyait, remplacée par la sénilité de la pauvreté.

Don d'organes ou don de soi ? Roland Topor pointe dans Le sacrifice d'un père la cruauté de la misère et l'absurde tentative de qui voudrait y échapper par des biais trop altruistes…

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