Un festival de raretés, George P. Elliott en tête avec une nouvelle satirique dérangeante à souhait ; Robert F. Young et Roland Topor ne sont pas en reste ; et un nombre d'autrices presque équivalent à celui des auteurs, voilà esquissé le programme de ce numéro d'été.
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Sommaire du Numéro 116 :
1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 2, bibliographie
2 - George P. ELLIOTT, Le N R A C P (The NRACP, 1960), pages 6 à 39, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *
3 - Robert F. YOUNG, ...et réciproquement (There Was an Old Woman Who Lived in a Shoe, 1962), pages 40 à 45, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
4 - Jacqueline H. OSTERRATH, Le Rendez-vous de Samarkande, pages 46 à 65, nouvelle
5 - Henry SLESAR, La Crypte (Way-Station, 1963), pages 66 à 75, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
6 - Vance AANDAHL, Là où poussaient les lilas (When Lilacs Last in the Dooryard Bloomed, 1962), pages 76 à 94, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *
7 - Joanna RUSS, Emily chérie (My Dear Emily, 1962), pages 95 à 118, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
8 - Odette RAVEL, La Boîte à musique, pages 119 à 125, nouvelle *
9 - Lise DEHARME, Premier étage, rue des Templiers, pages 126 à 127, nouvelle *
10 - Tommaso LANDOLFI, Lettres de province (Lettere dalla provincia, 1954), pages 128 à 136, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI
11 - Roland TOPOR, Le Sacrifice d'un père, pages 137 à 143, nouvelle
12 - Roland TOPOR, Humour : Topor, pages 145 à 151, portfolio
CHRONIQUES
13 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 152 à 173, critique(s)
14 - (non mentionné), En bref, pages 174 à 175, article
* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.
Première nouvelle publiée aux USA d'un auteur peu connu en France, George P. Elliott, et pour laquelle il a d'ailleurs essuyé beaucoup de critiques qui ne percevaient pas la satire de ce texte, Le NRACP est un magnifique texte, constitué par la trace écrite d'une prise de conscience, celle du pire, par un agent d'une réforme gouvernementale dont il se porte initialement volontaire. Si le fond en est délibérément satirique (comment régler le "problème noir" ? - l'ombre de Swift et du "problème irlandais plane ici…), il demeure nécessaire de le garder en tête pour supporter avec un minimum d'humour cette confession pétrie de bonnes intentions. Nécessaire… c'est bien le mot, en témoignent les extraits suivants :
"(...) si le capitalisme doit continuer d'exister (et il le doit), il faut le remplacer sans à-coups par un État fort et bien conçu. Cet État, l'Amérique est en train de le devenir. Parfait. Tout cela, je l'avais accepté au départ. Mais ce que j'avais oublié, c'était que moi l'individu, moi, Andrew Dixon, je devrais personnellement me soumettre aux exigences de la nécessité. Les vestiges de ma foi dans le New Deal encombraient encore mon esprit. Cette expérience (…) m'a libéré (du moins je l'espère) et m'a fait connaître la liberté plus grande du Prisonnier de la Nécessité.(...)
J'acceptais le NRACP comme une chose inévitable, comme une Nécessité ; il ne me restait plus qu'à essayer de comprendre où se cachait le mystère de la Nécessité et à m'adapter à la situation. À l'individuel, au cruel, à l'inutile, au mystérieux. Le chef, c'est celui qui voit le sens de l'histoire, qui pilote la barque dans cette direction-là en évitant à ses passagers le plus de souffrances possible. C'est étrange, mais nous, Américains, nous n'avons pas de chef de ce genre : nous avons des comités, des administrateurs, des chefs de service, qui possèdent collectivement le pouvoir et qui nous guident presque impersonnellement. Être l'un de ces architectes anonymes, sages, courageux, il n'y a rien au monde que je désire davantage. La sagesse, je crois que je la possède. Mais je n'ai, en guise de courage, qu'une panoplie de scrupules moraux datant d'une époque où l'homme était censé avoir une âme et où la maladie se chargeait de résoudre le problème de la surpopulation. Les vieilles valeurs démodées du christianisme doivent être amputées dans le peuple comme elles le sont peu à peu en moi. Les bien portants, les chanceux assistent à la naissance d'un nouveau monde. Les faibles, les inadaptés périssent avec l'ancien. Lequel de ces deux destins choisirons-nous."
Poursuivons sur le problème plus vaste de la surpopulation : on passera sur le manque de poésie du traducteur René Lathière quant au titre (…et réciproquement), et au gentil divulgachage du texte d'introduction (d'Alain Dorémieux ?), pour se réjouir de cette concise nouvelle malthusianiste de Robert F. Young - qui interroge les fondements mêmes du voyage spatial : la colonisation.
Dans cette histoire de Vaisseau-arche parti à la conquête d'autres mondes possibles, Young plaisante au passage sur l'église, toute église, en tant que maison de la cohésion spirituelle d'une population, et représentante de la Justice Sociale :
" L'église, où chacun était libre de pratiquer son culte, s'élevait au centre de la place du village. On l'appelait du reste avec assez d'à-propos : l'Église-du-Dieu-de-votre-Choix. Cette religion était apparue sur la Terre longtemps déjà avant le départ du Tu Es Mon Bercer Ô Seigneur, Rien Ne Saurait Manquer Où Tu Nous Conduis. Et elle avait fini par supplanter tous les cultes pratiqués jusqu'alors. En fait, les gens l'avaient adoptée dès le milieu du XXe siècle. Mais ils lui donnaient alors des noms très différents, tels que « Assurance sur la Vie », « Aide Médicale aux Vieillards », « Retraite des Vieux Travailleurs », « Semaine de Trente Heures », « Ancienneté de Service », etc. Ils lui donnaient, à présent son vrai nom et ne se faisaient pas le moindre scrupule d'y adapter les paroles de la Sainte Bible. "
Nous venons de l'évoquer, le texte de présentation est assez littéraire mais en dévoile un peu trop sur le contenu de la nouvelle. Passez ce prochain paragraphe si vous ne voulez pas gâcher votre plaisir :
Un jour où nous attendions un autobus, vint un vieil homme qui vendait des glaces. « Esquimaux ! Esquimaux ! » criait-il. À l'autre extrémité du trottoir, surgit un autre vieil homme qui vendait des cacahuètes et se mit à crier : « cacahuètes ! cacahuètes ! » Ils venaient l'un vers l'autre et il était inévitable que leurs chemins se croisent. Nous attendîmes avec intérêt cette confrontation. Arriva le moment de la rencontre. Les deux vénérables marchands s'arrêtèrent, s'examinèrent l'un l'autre en silence. Puis le vendeur d'esquimaux acheta un sac de cacahuètes, et le vendeur de cacahuètes un esquimau. Côte à côte, ils les dégustèrent en silence, puis reprirent leur route sans plus se regarder, continuant de crier : « Esquimaux ! Esquimaux ! » et « cacahuètes ! cacahuètes ! »…
Que dites-vous ? Que cette anecdote ne signifie rien ? C'est pourtant à elle, irrésistiblement, que nous a fait penser la nouvelle histoire de Robert Young.
Troisième nouvelle articulant les ressorts de l'expansion spatiale et démographique, Le rendez-vous de Samarkande rappellera la nouvelle de G. C. Edmondson "Le porteur de germes" récemment parue (Fiction n°112). Voici en effet une nouvelle histoire d'épidémie, qui frappe l'île britannique cette fois. Tramée avec des inventions spatio-temporelles, Jacqueline Osterrath nous laisse cependant sur notre faim et ne conclut pas tous ses fils narratifs.
Le texte de présentation fait état d'une certaine évolution de son style, et de ses thèmes :
Jacqueline Osterrath avait montré précédemment un penchant pour le récit court et fantastique. Changeant doublement son fusil d'épaule, elle aborde le long récit de science-fiction. Une nouvelle personnalité qu'elle assume avec souplesse.
Rappelons que cela ne nous surprendra guère quand on sait qu'elle est la traductrice de la série allemande fleuve "Perry Rhodan".
Composée par Henry Slesar, un auteur très prolifique en matière de nouvelles policières et de scenarii pour la télévision, La crypte, sur un postulat sensiblement proche de celui du "Peuple" de Zenna Henderson, est une petite histoire à chute bien ficelée.
La revue continue d'interroger les communautés, humaines ou non, avec Là où poussaient les lilas, de Vance Aandahl. La traduction peut être jugée maladroite, mais l'intrigue l'est sans aucun doute. Entre "Un cantique pour Leibowitz" (la nouvelle de Walter M. Miller qui extrapole le devenir de la chrétienté) et "Le monstre" (une pièce de Agota Kristof qui met en scène un fléau télépathe et mortifère), on pourrait apprécier cette histoire où la pensée individuelle de l'être humain s'éteint, dans le cadre d'un univers post-apocalyptique. Hélas, le style est très confus, les descriptions peu limpides, les images mal choisies, et les enjeux désarticulés - tant et plus qu'on peine à croire en cette histoire d'emprise qui lutte poussivement pour envahir la pensée du héros, alors qu'elle est capable d'emporter tout un village de chrétiens en un clin d'œil.
C'est le phénomène d'emprise qui fait la jonction avec la nouvelle suivante. Emily chérie expose le point de vue de la victime d'un vampire, Emily, et de son amie Charlotte (sa sœur, comme pour les Brontë ?), malaise décrit dans toutes ses phases sensuelles, souffreteuses, voire fallacieuses, par Joanna Russ, dans un style tout en ellipses que le lecteur doit combler. Cela fait de cette nouvelle une histoire à la Henry James, de folie grimpante et de marche inexorable vers la mort. Bien mené.
Autre type d'emprise : la fascination pour un objet. On a beau apprécier Shakespeare, La boite à musique, d'Odette Ravel, contée par un ivrogne, n'emporte pas vraiment le morceau (ou la pièce). Passable.
Premier étage, rue des Templiers, un inédit de Lise Deharme, est gratuit et même un peu inepte.
Une dérive fantastique où l'usage en province veut que l'on hiberne. La léthargie bien entendu peut aussi prendre un sens symbolique. Sous forme de Lettres de province, Tommaso Landolfi nous propose un récit bien mené.
Ah ! vieillesse, jeunesse, quelle foutaise ! Richesse, pauvreté, voilà les véritables critères de la misérable vie humaine. Mon père n'était plus riche. Sa jeunesse s'enfuyait, remplacée par la sénilité de la pauvreté.
Don d'organes ou don de soi ? Roland Topor pointe dans Le sacrifice d'un père la cruauté de la misère et l'absurde tentative de qui voudrait y échapper par des biais trop altruistes…
Rapport du PReFeG (Juin 2025)
- Relecture
- (Rares) corrections orthographiques et grammaticales
- Vérification du sommaire
- Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
- Mise en forme des titres présentés in "Revue des livres"
- Ajout de la Table des "Nouvelles des auteurs de ce numéro" telle qu'évoquée dans le sommaire sur NooSFere mais n'apparaissant pas dans le epub d'origine.
- Notes (3b), (11b) et (14b) ajoutées.
- Vérification et mise à jour des liens internes
- Mise au propre et noms des fichiers html
- Mise à jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)
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Prochaine publication prévue pour le mercredi 25 juin 2025 : Fiction n°117.
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