19 février, 2025

Fiction n°099 – Février 1962

Entrée de Christine Renard dans le panthéon du PReFeG, autrice fortement admirée par Jean-Pierre Andrevon, et Claude-François Cheinisse qui deviendra son mari, ou par Jacques Goimard qui quitte son strapontin de lecteur et animateur de la Tribune Libre pour gagner son grade de désintégrateur - en qualité d'expert ès van Vogt. Côté "météorites", on assistera au passage éclair de l'auteur de la nouvelle "La mouche" mondialement célèbre, le franco-britannique George Langelaan.

Osez le clic droit sur ce photogramme de Monastério …
 

Sommaire du Numéro 99 :


NOUVELLES

 

1 - José MOSELLI, La Fin d'Illa (2), pages 3 à 41, nouvelle

2 - Poul ANDERSON, Les Joyaux de la couronne martienne (The Martian Crown Jewels, 1958), pages 42 à 56, nouvelle, trad. Catherine GRÉGOIRE

3 - Theodore R. COGSWELL, Le Bûcher (The Burning, 1960), pages 57 à 61, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM

4 - Marcel BATTIN, Contes d'un autre temps, pages 62 à 66, nouvelle

5 - Robert ABERNATHY, Le Professeur et son phantasme (Professor Schlucker's Fallacy, 1953), pages 67 à 73, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE

6 - Evelyn E. SMITH, Vocation de reine (Send Her Victorious, 1960), pages 74 à 80, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM *

7 - Jean RAY, Monsieur Wohlmut et Franz Benschneider, pages 81 à 87, nouvelle

8 - Henri DAMONTI, Zapotrott, pages 88 à 93, nouvelle *

9 - George LANGELAAN, La Dame d'outre-nulle part (The lady from nowhere), pages 94 à 111, nouvelle

10 - Colette GOUDARD, L'Homme au visage d'ambre, pages 112 à 112, nouvelle

11 - Christine RENARD, Le Signe des Gémeaux, pages 113 à 114, nouvelle

12 - Gil SARTÈNE, Les Antichambres, pages 114 à 116, nouvelle *

13 - Odette RAVEL, Aqua sacer, pages 116 à 117, nouvelle *

CHRONIQUES


14 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 119 à 135, critique(s)

15 - Alfred BESTER, Livres d'Amérique, pages 137 à 142, chronique, trad. Demètre IOAKIMIDIS

16 - F. HODA, Les Notaires de province, pages 143 à 144, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Déchéance et vengeance du narrateur Xié pour cette deuxième partie de La fin d'Illa, de José Moselli. Une ambiance d'apocalypse et de tueries de masse, et un pouvoir rendu absurde par sa tyrannie, tel un bunker berlinois en 1945... Un récit bien sombre et de qualité, peut-être parfois encombré de péripéties gratuites, et qui échappe cependant à toute considération plus philosophique.

Les joyaux de la couronne martienne, par Poul Anderson, est une sympathique refonte de Sherlock Holmes sur Mars pour une histoire de vol de bijoux.  On y appréciera les clins d'oeil (Baker Street devient "La rue de Ceux-qui-préparent-la-nourriture-dans-les-Fours", et tout le monde sur Mars connait un certain John Carter...). L'auteur étonne quoi qu'il en soit, car on dirait presque du Asimov quand il se mêle d'énigmes policières.

Le bûcher, concis, ce récit post-apocalyptique de Theodore Cogswell reste évasif et évoque plus un esprit de "ruche" qu'un matriarcat - comme l'annonce le texte de présentation.


Contes d'un autre temps de Marcel Battin sont des petits récits ultra-brefs, assez inégaux, mais certains valent le détour.


Un procédé de voyage dans le temps qui projette le chrononaute dans le corps passé qui lui correspond le mieux, et voilà qu'une entité multiple extraterrestre prend un certain pouvoir. Dans Vocation de reineon peut s'attendre à la chute, mais Evelyn E. Smith sait agréablement ménager ses effets. 

On pourra penser au piège qu'Yves Pagès avait tendu au philosophe Bernard-Henri Lévy en faisant croire à un corpus de textes critiques sur Kant signé d'un certain Botul, tant ces batailles intellectuelles au sein d'une prestigieuse université semblent sans merci : Le professeur et son phantasme est une drôle d'histoire absurde, où les sophismes ont autant d'existence et de personnalité que les professeurs d'université qui les forgent, où il suffit d'invalider une théorie jusqu'alors admise pour transformer la réalité autour de soi, bref : où la vision intellectuelle du monde en fait sa réalité - du moins celle qui est prise en compte. On a la sensation que Robert Abernathy règle des comptes avec le monde universitaire, mais l'ensemble reste agréablement fantaisiste, à la façon d'un Lewis Carroll. Ce sera malheureusement la dernière nouvelle de cet auteur à paraître dans Fiction ou Galaxie.

Monsieur Wohlmut et Franz Benschneider sont en proie à des sortilèges et des espaces intermédiaires entre le monde et... l'inconnu. On aurait presque pu espérer mettre Harry Dickson sur cette affaire de disparition en chambre close, malgré le déplorable antisémitisme latent de Jean Ray.

La Mort, c'est l'ennui. Mais quelle différence avec un monde des vivants ennuyeux ? L'immortalité en prime, ou la post-mortalité ? Pour une fois, à Zapotrott, Henri Damonti ne se perd pas dans un exercice de style creux. 

La dame d'outre-nulle part est sous-titrée "The lady from nowhere", mais n'a pas de traducteur. Son auteur, George Langelaan, est franco-britannique, mais est connu pour écrire en français. L'homme est assez étonnant, avec sa carrière d'agent double pendant la Seconde Guerre Mondiale, pour le compte des services secrets du Royaume-Uni. Il est connu aussi pour être l'auteur de la nouvelle "La mouche", qui sera plusieurs fois adaptée au cinéma avec bonheur.

Bonus !
La dame d'outre-nulle part est une très bonne histoire, avec un téléviseur hanté sans être une histoire de fantômes, mais bien un récit de SF. La question de fond en est la réversibilité des états de la matière. Garderait-on notre identité intacte si nous devenions gazeux, liquide, ou à cinq dimensions ?

Cette nouvelle ainsi que "La mouche" sont extraites du recueil "Nouvelles de l'anti-monde" que nous vous proposons en bonus (un clic droit sur la couverture, puis "enregistrer la cible du lien sous" pour obtenir votre epub).

Pour en savoir plus sur l'auteur, un petit documentaire vous est proposé ici. Quant à La dame d'outre-nulle part, la Télévision Suisse Romande le propose dans son adaptation de 1965 en ligne à cet endroit.

Côté histoires courtes au Banc d'essai, dommage pour Colette Goudard que le titre de L'homme au visage d'ambre en dise déjà tout.  Pour Le signe des gémeaux, on pourrait s'attendre aux mêmes processus, mais la nouvelle de Christine Renard ne s'arrête pas à la description d'une double personnalité, ou plutôt d'une personnalité dédoublée. Un brin psychotique, l'histoire trouble et laisse un arrière-goût d'homicide, dans un style bien maîtrisé.

Avec Les antichambres, on pourra rapprocher le style de Gil Sartène des divagations ciselées de Mandiargue, sans beaucoup plus d'intérêt. Et sur un beau jeu de mot, Aqua sacer d'Odette RavelVanitas vanitatis ! - exprime la vacuité de l'existence dans un texte hors de la ligne éditoriale, comme l'exprime en effet le texte de présentation de la revue, et qui n'a d'étrange que son style allégorique. 


Côté rubriques, on saluera l'entrée de Jacques Goimard (lecteur érudit signalé in Fiction n°65 et n°66) dans le comité critique. Spécialiste de Van Vogt, il décortique ici "Le livre de Ptath", et produira un article publié en trois parties ("L'Œuvre exemplaire d'A. E. Van Vogt"), dans les prochains Fiction n°103, n°104 et n°105.

La revue Bifrost publiera un long entretien en avril 2012 entre Jacques Goimard et Richard Comballot. Nous vous en proposons quelques extraits ici, en commençant par la présentation du monsieur :
" Normalien et agrégé d'histoire, spécialiste du cinéma américain, créateur de la « Grande anthologie de la science-fiction » au Livre de Poche avec Gérard Klein et Demètre loakimidis, initiateur du « Livre d'or » et directeur de collection chez Pocket pendant plus de vingt-cinq ans (...), Jacques Goimard est à l'instar d'un Gérard Klein, d'un Philippe Curval ou d'un Michel Demuth, de ceux qui ont fait le genre en France au tournant des années 60 et 70, de ceux qui l'ont d'une certaine façon, cristallisé. "
Ce n'est rien de le dire. A propos de son entrée dans la rédaction de Fiction, Jacques Goimard raconte :

B. : Qu'est-ce qui t'a accroché dans Fiction (...) ?

 J. G. : Au départ, c'est surtout le fantastique qui m'a plu, en fait, mais d'une façon générale je découvrais un univers culturel nouveau qui correspondait à certaines de mes vues. Un jour, je suis tombé dans les pages de Fiction sur un référendum demandant aux lecteurs ce qu'ils avaient aimé lire dans ce numéro. J'y ai répondu et, la semaine suivante, j'ai reçu une longue lettre du rédacteur en chef, Alain Dorémieux. Je ne m'y attendais pas. Du coup, je l'ai bombardé de lettres et il me répondait à la même vitesse. Cela a fait de moi un converti. J'ai ensuite participé au concours de lancement de la revue Satellite, dans le numéro un, et dans le numéro deux j'ai appris que j'étais récompensé par un abonnement à la revue. J'ai éprouvé une joie sans bornes, j'en ai parlé à L'Atome (La librairie spécialisée à l'époque, fréquentée par tous les grands noms de la SF parisienne - ndPReFeG), et j'ai eu l'impression d'entrer en science-fiction.


B. : Selon toi, qu'attendait Dorémieux de votre correspondance ?

J. G. On a souvent dit qu'il était un type secret, mais ce n'est pas ainsi que je l'ai perçu. Là, je crois qu'il voulait juste échanger avec quelqu'un de sa génération. Nous étions en 1958 et nous parlions des contenus de Fiction. Ce qui se dégageait de cette correspondance, c'est que les auteurs français n'étaient pas appréciés du public de la revue. Au bout d'un moment, il m'a demandé d'écrire un article de synthèse là-dessus, centré sur « Ceux d' Argos », une nouvelle de Pierre Versins et Martine Thomé, que je n'aimais pas trop. A mon extrême surprise, j'ai vu tous les gens de L'Atome se retourner contre moi avec des arguments du style : « Pierre Versins est un ancien déporté, on ne peut pas lui faire ça. » J'ai dû faire profil bas et j'ai fait la paix avec Versins, publiant même il y a quelques années un article intitulé « Retour à Argos », qu'il me faudra rééditer un de ces jours.

B. : Etais-tu heureux de ta correspondance avec lui ?

J. G. : Ravi car nous avions les mêmes idées. Il savait plus de choses que moi, mais ne me le faisait pas sentir. Ce qui était stimulant, par ailleurs, c'était de bouffer avec lui car nous étions l'un comme l'autre très sensibles à la gastronomie.

B. : Pendant combien de temps avez-vous correspondu ?

J. G.: Notre correspondance s'est interrompue lorsque nous nous sommes rencontrés physiquement, à un Déjeuner du lundi où quelqu'un de L'Atome, Klein ou Curval, m'avait emmené.

Un peu plus loin, nous voici en 1962... :

" B. : Pour revenir à tes débuts en science-fiction, tu as expliqué : «... Dorémieux me demanda si je voulais essayer de faire un article sur le dernier Van Vogt. Le mois suivant, il me proposait la rubrique cinéma. C'est aussi simplement que cela que je devins, grâce à Dorémieux, critique pour Fiction... »

J. G. : Ça s'est fait avec une simplicité incroyable et il va sans dire que j'étais drôlement content. J'ai essayé d'être à la hauteur de la situation, je ne sais pas si j'y suis parvenu.

B. : Plusieurs de tes articles de l'époque concernaient le péplum...

J. G. : Ce qui me plaisait là-dedans, c'est que j'étais le seul à aimer ça ! J'ai exagéré volontairement et je ne le regrette pas.

B. : Ta collaboration à Fiction s'est étalée de 1958 à 1971, c'est bien ça ?

J. G. : Oui, avec des années où je ne faisais pas grand-chose.

B. : As-tu travaillé pour d'autres revues des éditions Opta, au-delà de Fiction ?

J. G. : Pour la revue Histoire, oui. Le critique des livres historiques, c'était moi. Cela concerne à vue de nez la période 1965- 1970, si je me souviens bien. "

Nous reviendrons certainement sur cet entretien, mais il nous est déjà permis de constater combien le milieu de la science-fiction en France fut à la fois un tout petit milieu, toutefois très ouvert.

Fort de l'expérience de Pierre Versins avec ses traductions d'articles critiques de Damon Knight, Demètre Ioakimidis prend d'assaut la traduction des billets d'humeur d'Alfred Bester, qui ne se fera pas que des amis dans le milieu. Voyez plutôt :

" Nous recommandons à Mr. Blish, dans l'intérêt même de son immense talent, de négliger un peu l'« esprit » et de se consacrer à la boisson, aux drogues, aux femmes, au crime, à la politique, à n'importe quoi enfin qui lui permettra d'éprouver lui-même les émotions et les problèmes qui tourmentent les êtres humains. Ainsi, il pourra parler de ces derniers avec la même profondeur lucide qu'il consacre pour le moment à la seule science. "

Les occurrences de ces traductions seront un tout petit peu plus fournies que celles de Versins / Knight ; on retrouvera cette rubrique dans les Fiction n° 104, 106, 110, 114, 118 et 123.

Rapport du PReFeG (Février 2025)

  • Relecture
  • Corrections orthographiques et grammaticales
  • Vérification du sommaire
  • Ajout du 4ème de couverture (Publicité pour le Rayon Fantastique).
  • Mise en gras de certains titres in "Revue des livres" et "Livres d'Amérique"
  • Notes (14b), (15b) et (27)  ajoutées.
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

En cliquant sur les noms des auteurs de ce numéro

retrouvez les bibliographies complètes de leurs parutions dans Fiction et Galaxie !

Prochaine publication prévue pour le mercredi 26 février 2025 : Fiction n°100 !

CE QUE DISAIT FICTION DE SON NUMERO 100 :

Le numéro 100 de « Fiction » constituera à un double titre un événement. D'abord parce qu'en lançant, en octobre 1953, cette revue, nous ne pouvions prévoir son sort, et que ses huit ans de longévité sont déjà, en soi, un fait remarquable. Ensuite parce que ce numéro sera, effectivement, d'une nature exceptionnelle.

Publié sur 192 pages, il comprendra une sélection de récits spécialement importants, tous signés d'auteurs vedettes. Aux côtés du premier épisode d'un étonnant cycle de nouvelles de Brian Aldiss (l'auteur de « Croisière sans escale »), vous y trouverez un Bradbury inédit et un Poul Anderson « hors série, » ainsi que la révélation d'un nouveau talent encore inconnu en France : Edgar Pangborn.

Du côté des auteurs de langue française, Jean Ray, Thomas Owen et René Barjavel, trois brillants « aînés », voisineront avec Nathalie Henneberg, Michel Demuth et Pierre Versins, dont les noms sont bien connus des amateurs.

En outre un document précieux pour les amateurs y figurera : la table générale des articles et chroniques parus dans la revue depuis le n° 1. 

Ne manquez pas de lire le mois prochain ce numéro, qui marque une date dans la carrière de « Fiction ». Vendu exceptionnellement 2 NF, il sera expédié sans supplément à tous nos abonnés.

2 commentaires:

  1. Merci pour ce riche numéro, dont je suis curieux de découvrir le pastiche Holmesien.

    Aparté : On dirait que "l'anti monde" a englouti les nouvelles dans une fissure 404 !

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    Réponses
    1. Merci Thingamajig. Le pastiche de Poul Anderson est amusant, vous verrez. Pour "L'anti Monde", le problème des anti-caractères spéciaux est réglé, ça devrait marcher. Merci de nous l'avoir signalé.
      Bonne lecture !

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