25 décembre, 2024

Fiction n°091 – Juin 1961

Autour d'auteurs français ou francophones, Henry James conclue son tour d'écrou névrotique, dans un numéro riche en fantasmes tentant de devenir concrets.

 

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Sommaire du Numéro 91 :


NOUVELLES

 

1 - Julia VERLANGER, Les R.A., pages 3 à 11, nouvelle

2 - Charles L. FONTENAY, La Planète des spectres (Ghost Planet, 1959), pages 12 à 27, nouvelle, trad. René LATHIÈRE

3 - François VALORBE, La Biothèque à échantillons, pages 28 à 53, nouvelle *

4 - Ron GOULART, Rêves d'une fille de rêve (Dream Girl, 1958), pages 54 à 61, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *

5 - Henry JAMES, Le Tour d'écrou (The Turn of the Screw, 1898), pages 62 à 111, roman, trad. Maurice LE CORBEILLER

6 - Robert ANTON, Le Vasabul, pages 112 à 116, nouvelle *

 

CHRONIQUES


7 - Michel EHRWEIN, Lorsque demain s'appelle hier (II), pages 119 à 128, article

8 - Demètre IOAKIMIDIS & Gérard KLEIN & Aimé MICHEL, Ici, on désintègre !, pages 129 à 138, critique(s)

9 - COLLECTIF, Le Coin des spécialistes, pages 140 à 141, critique(s)

10 - F. HODA, Un film sans poncif, pages 142 à 143, article

11 - (non mentionné), Table des récits parus dans "Fiction" - 1er semestre 1961, pages 144 à 144, index


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Les R.A.pour RadioActifs, mais aussi pour "règne animal", tant ce récit rappelle le récent film français de Thomas Cailley (2023). Ici, la mutation est due aux radiations, comme des scientifiques se plaisent à l'observer de nos jours sur les chiens sauvages vivants à Tchernobyl, mais il est  toujours question d'ostracisme et d'indésirable, un thème cher à Julia Verlanger.

 Chassez le naturel... Dans La planète des spectres, il est question de re-coloniser Mars après un siècle d'abandon du programme spatial. Des colons ont-ils survécu ? Une expédition, un sénateur en tête, est chargée d'étudier cette question. Charles Louis Fontenay, toujours fidèle à sa poésie du concret, nous dévoile comment faire société en adéquation avec le vivant, à la manière d'un Frank Herbert dans "Dune". Mais gare à ce qui revient au galop ! 

A la fin de notre XXème Siècle, un échantillon d'êtres humains voient expérimentalement leur longévité passer à plus de 300 ans, sans signe de sénescences. François Valorbe nous livre le témoignage de l'un d'eux, et démontre l'intérêt d'une finitude biologique pour l'équilibre mental. La Biothèque à échantillons se révèle fort bien construite. 

" Ron Goulart, qui écrit fort peu, n'en est pas moins l'humoriste le plus original de la science-fiction américaine.". Ainsi Fiction présente -t-elle Ron Goulartpour un auteur qui écrit fort peu, notons qu'il sera tout de même parmi les piliers de cette revue.

Dans Rêves d’une fille de rêvedes fantasmes deviennent réalités… On pourrait faire semblant d'y croire, ou les dédaigner - mais cependant demeure réel ce qui les a engendrés.

Toujours pétri de non-dits et de périphrases confuses, les circonvolutions finales dans Le tour d'écrou n'amènent de révélations que dans le tragique constat d'une narratrice rendue folle par des intuitions fantasmatiques. Là encore, la réalité de ce qui engendre les fantasmes reste à interroger. Henry James signe une œuvre bavarde à dessein, pour mieux cacher la vacuité des rapports policés de cette société victorienne bien pensante. Déroutant.

" Robert Anton, qui est de nationalité autrichienne, est l'auteur d'un roman traduit de l'allemand : « Avant le premier jour » (« Rayon Fantastique »). " En réalité, Robert Anton est une autrice d'Autriche. Le Vasabul reste une petite histoire de sorcellerie suffisamment courte pour pallier sa vacuité.


Dans la Chronique littéraire, l'article "Lorsque demain s'appelle hier", scindé en deux parties, se révèle être très mal titré. Michel Ehrwein aurait pu intituler sa copie "Lorsque la vie s'invente ailleurs", et n'en finit pas de digérer "Le matin des magiciens" dans ce qu'il peut y présenter de pire : les approximations de Pauwels et Bergier. On ne découvre finalement rien sur ce passé qui a des accents du futur, ou vice-versa, mais Ehrwein se veut disert et pléthorique sur les écrits relatifs à la vie sur d'autres mondes. On lui préfèrera la rigueur documentaliste d'un Pierre Versins.

Fort heureusement pour la revue, d'autres collaborateurs soignent leurs propos, comme c'est souvent le cas pour le jeune Demètre Ioakimidis. Voici sa recension d'un ouvrage devenu un classique de la science-fiction, que nous vous proposons en bonus adjoint à l'extrait suivant :

Ca c'est du Bonus ! 
Joyeux Noël !

UN CANTIQUE POUR LEIBOWITZ, par Walter M. Miller, Jr. (Denoël, « Présence du Futur »).

Voici le quatrième titre consécutif de « Présence du Futur » qui mérite, sans réserve, d'être qualifié de bon. Il y avait assez longtemps qu'un tel phénomène ne s'était plus produit dans cette collection pour qu'il soit bon de le signaler.

Le présent roman est constitué par la juxtaposition – et le développement – de trois nouvelles publiées entre avril 1955 et février 1957 dans The Magazine of Fantasy and Science-Fiction .

Au fond de l'histoire racontée par Walter Miller, il y a l'idée du perpétuel recommencement. Cependant, la religion catholique de l'auteur est sans doute à l'origine de l'optique particulière selon laquelle il traite son sujet.

Walter Miller retrace d'abord les années d'obscurité consécutive à une guerre atomique : la civilisation est pratiquement détruite, et l'église catholique, par l'intermédiaire de ses monastères, cherche à préserver quelque étincelle de science à travers ce nouveau Moyen Âge. Le premier des épisodes qui constituent le livre se situe six cents ans, environ, après l'annihilation atomique de notre culture. Il raconte l'histoire de Frère Francis Gérard de l'Utah, un jeune novice de l'Ordre Albertien de Leibowitz : sur l'indication d'un mystérieux vieillard, il découvre une relique du fondateur de l'ordre. Il s'agit du schéma d'un circuit électronique (Leibowitz était un ingénieur du XXe siècle qui, ayant survécu à la guerre atomique, créa une communauté de religieux dont la tâche consistait à sauvegarder l'histoire du genre humain au milieu de la barbarie renaissante), schéma auquel Frère Francis ne comprend évidemment rien, mais qui jouera un rôle dans la canonisation d'Isaac Edward Leibowitz. Tout cet épisode est raconté avec un mélange attachant de tendresse et d'humour, et il est seulement dommage que, en développant sa nouvelle, Walter Miller ait choisi de faire de Francis un martyr : celui-ci est en effet tué par une flèche au cours d'une embuscade tendue par un groupe de voleurs ; dans sa forme primitive – telle qu'elle fut publiée en magazine – la nouvelle se terminait au moment où Francis décidait de partir à la recherche des voleurs qui l'avaient précédemment dévalisé, afin de leur expliquer la Vérité dont il venait d'avoir la révélation. 

Cette nouvelle fin pessimiste est peut-être due au désir de l'auteur de donner un ton plus sombre à l'ensemble de sa narration. Le second épisode se situe six siècles après le premier – en l'an de grâce 3174. Il est lié au précédent par le cadre – la vieille abbaye où Francis faisait une copie enluminée du schéma électronique – par le mystérieux pèlerin du premier récit, ainsi que par une statue de Saint Leibowitz qu'un compagnon de Francis avait confectionnée, et devant laquelle l'abbé Dom Paulo aime maintenant méditer.

Dans cette nouvelle, Walter Miller a cherché à dépeindre une nouvelle Renaissance ; les princes régnant sur les diverses parties de ce qui fut jadis les États-Unis se disputent la suprématie du territoire, et l'abbaye présente des avantages stratégiques qui rendent difficiles les relations entre le pouvoir religieux et les divers monarques. Une nouvelle force est cependant entrée en jeu : la science, dont le réveil est représenté par Frère Komhoer, lequel cherche à fabriquer une lampe à arc dans les sous-sols de l'abbaye, ainsi que par Thor Thaddeo Pfardentrott, savant séculier dont les vues s'opposent parfois à l'enseignement de la religion. Walter Miller a eu le grand mérite de montrer que chacun des deux « camps » détient un peu de la vérité, que Dom Paulo, tout comme Thor Thaddeo, a ses faiblesses, et que, malgré les divergences d'opinions qui les séparent, chacun des deux hommes éprouve quelque respect pour l'autre. Il y a bien, ici ou là, quelques longueurs dans les dialogues, mais l'auteur ne se perd pas en subtilités théologiques : il ne s'adresse pas seulement à ses coreligionnaires, mais à tous ceux qui possèdent quelque largeur de vues.

L'étrange vieillard qui apparaît dans cette seconde partie, après avoir rencontré Francis durant le premier épisode, demeure mystérieux et anonyme – bien que Dom Paulo l'appelle Benjamin – est-il une sorte de Juif Errant, ou « simplement » un homme du XXe siècle dont la longévité est le résultat d'une mutation inexpliquée ? Il n'importe guère : il demeure au-dessus du conflit, et relève les faiblesses de l'abbé aussi bien que celles du savant. Dans une certaine mesure, l'auteur en fait son porte-parole, et se sert de lui pour montrer que le véritable conflit n'est pas celui qui sépare l'abbaye et le souverain du pays, mais bien celui qui risque d'opposer Thor Thaddeo et Dom Paulo ; une note optimiste se devine cependant à travers le récit – elle est due au fait que l'abbé et le savant sont tous deux des Hommes de Bonne Volonté, en dépit de leurs faiblesses.

Quant au dernier épisode, il se situe en l'année 3781, alors que la civilisation a rejoint son niveau du XXe siècle ; l'humanité commence à explorer l'espace, et elle est à nouveau sur le point de se suicider collectivement : ce dernier chapitre de l'histoire de l'Ordre se déroule devant un fond de guerre atomique, alors que le dernier abbé, comme ses prédécesseurs, se heurte à nouveau à la science. Que doit-il penser de la mort infligée miséricordieusement, par des médecins, aux victimes des destructions atomiques ? Peut-on abréger des souffrances épouvantables en mettant délibérément un terme à une vie humaine ? L'abbé périra à son tour dans un bombardement atomique – comme périront, à nouveau, la science et presque toute l'humanité. La seule note d'espoir – très ténue – réside en ces colonies que les hommes ont réussi à établir à grand' peine sur des terres lointaines : c'est vers l'une d'elles que s'envole un astronef, emportant quelques membres de l'Ordre…

Le ton de la narration devient de plus en plus grave : il n'y a guère de place, dans les deux derniers épisodes, pour l'humour affectueux qui éclaircissait le premier. Et le récit ultime possède un caractère poignant, ses résonances sont plus sombres encore. Sans grandiloquence, sans abus d'effets faciles, Walter Miller réussit à suggérer l'inquiétude qui étreint ces derniers moines en face de la guerre, dont ils pressentent le caractère inexorable et final.

La qualité suprême du récit – c'est aussi celle des principaux personnages – est sa profonde humanité : il n'y a guère de héros véritable en ces pages, on n'y trouve point de sermon non plus, nulle ironie faussement détachée, et pas davantage de grandiloquence. Les personnages ne peuvent pas être sommairement divisés en « bons » et « méchants » Walter Miller montre avec franchise que les savants détiennent une part de la Vérité, tout comme les religieux ; que les uns et les autres sont capables de se tromper, et que les meilleurs d'entre eux possèdent respectivement la Foi et une bonne foi honnête. Ce livre n'est pas un réquisitoire fatigué – et fatiguant – dénonçant, une nouvelle fois, les méfaits du savoir. Ce dernier n'est aucunement condamnable aux yeux de l'auteur. Ce qui est peut-être condamnable, et en tout cas digne de compassion, c'est le fond de la nature humaine, cette capacité du meilleur et du pire, cette étroitesse de vues et cet entêtement qui n'épargnent personne.

Les conséquences de cette faiblesse peuvent être d'une gravité extrême, puisque Walter Miller prédit, en moins de 2000 ans, deux annihilations de la civilisation. Mais il ne faut pas en conclure qu'il est fondamentalement pessimiste : son livre est, de toute évidence, un avertissement. Il ne présente pas une solution infaillible, mais propose une combinaison de foi et de savoir, tempérée par de la compassion. Quelle que soit la religion du lecteur – ou son athéisme – il lui est difficile de demeurer insensible à une telle sincérité, comme il lui est difficile de ne pas éprouver de la sympathie à l'égard de Frère Francis ou de Thor Thaddeo. Ces personnages possèdent une vraisemblance qui les rend attachants ; le décor sur lequel ils évoluent paraît, lui aussi, réel : il ne nous est pas présenté au moyen de minutieuses énumérations ou d'artificiels raccourcis, mais le lecteur en prend conscience en fonction de l'activité des personnages. 

« Un cantique pour Leibowitz » est donc un excellent récit de science-fiction ; il combine avec un bonheur exceptionnel l'anticipation avec le problème religieux ; il présente, sans prétention mais avec sincérité, un message traduisant les préoccupations de l'auteur. Quel que soit l'angle selon lequel on l'aborde, c'est une sorte de chef-d'œuvre.

Demètre Ioakimidis.

Rapport du PReFeG (Décembre 2024)

  • Relecture
  • Corrections orthographiques et grammaticales
  • Vérification du sommaire
  • Ajout de la Table des récits telle qu'évoquée dans le sommaire sur NooSFere mais n'apparaissant pas dans le epub d'origine.
  • Notes (2b) (4b), (8b), (11b), (11c), (11d), (12b) et (12c) ajoutées.
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

En cliquant sur les noms des auteurs de ce numéro

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Prochain bonus : Fiction spécial n°3.

A suivre : Fiction n°092.

2 commentaires:

  1. Merci ! pour le numéro et le bonus !
    La nouvelle de Julia Verlanger est parue en Fleuve Noir Anticipation (n°1999) sous son pseudo de Gilles Thomas dans le volume "Les Oiseaux de cuir" (dont la plupart des textes proviennent de Fiction et Galaxie). Je viens de découvrir cette auteure et je ne suis, pour l'instant, jamais déçu.

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    Réponses
    1. Bonjour Thingamajig, et merci pour votre commentaire !
      L'œuvre de Julia Verlanger a fait l'objet d'un travail de réédition de l'intégrale de ses romans et nouvelles, sous la direction de Laurent Genefort, aux éditions Bragelonne, en cinq volumes, entre 2008 et 2010. Le premier volume a fait l'objet d'une réédition en 2019, et l'ensemble reste encore disponible. Par ailleurs, les Humanoïdes Associés se sont attelés à l'adaptation en BD de quelques uns de ses romans ou nouvelles (L'ange aux ailes de lumière, Sol-13, Les Décastés d'Orion, L'Autoroute sauvage, Horlemonde). On peut juger l'ensemble de nos jours un peu vieillot, mais ce serait omettre de considérer l'époque à laquelle ces textes ont été composés - entre 1956 et 1963 pour beaucoup de ses nouvelles. Amie de Jacqueline Osterrath, Julia Verlanger a aussi beaucoup écrit pour sa revue "Lunatique". Quoi qu'on en pense, il est indéniable que Verlanger/Gilles Thomas a une patte bien à elle et un univers singulier mais cohérent, qui pourra rappeler la démarche d'un G. J. Arnaud.

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