Des auteurs bien solides et réputés - Bradbury et Simak pour les plus connus… - accompagnent Henry James avec la première partie de son roman sans doute le pus célèbre : "Le tour d'écrou" ;
Un tour d'écrou à l'imagination et un clic droit pour enregistrer... |
Sommaire du Numéro 90 :
NOUVELLES
1 - Henry JAMES, Le Tour d'écrou (The Turn of the Screw, 1898), pages 3 à 52, roman, trad. Maurice LE CORBEILLER
2 - Ray BRADBURY, L'Odeur de la salsepareille (A Scent of Sarsaparilla, 1953), pages 53 à 59, nouvelle, trad. Jacqueline HARDY
3 - Clifford D. SIMAK, Tous les pièges de la Terre (All the Traps of Earth, 1960), pages 60 à 94, nouvelle, trad. François VALORBE
4 - Miriam Allen DEFORD, Les Racines du mal (Gathi, 1958), pages 95 à 101, nouvelle, trad. René LATHIÈRE
5 - Robert F. YOUNG, Un modèle dernier cri (Added Inducement, 1957), pages 102 à 109, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
6 - Gérard KLEIN, Le Domaine interdit, pages 110 à 111, nouvelle
7 - Jacqueline H. OSTERRATH, Rencontre avec l'Ankou, pages 112 à 116, nouvelle
CHRONIQUES
8 - Michel EHRWEIN, Lorsque demain s'appelle hier, pages 117 à 126, article
9 - Alain DORÉMIEUX & Demètre IOAKIMIDIS & Jacques VAN HERP, Ici, on désintègre !, pages 127 à 140, critique(s)
10 - COLLECTIF, Tribune Libre, pages 141 à 141, article
11 - F. HODA, Wells à l'écran, pages 142 à 144, article
* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.
Le rayon des classiques se fend d'un roman en deux parties : Le tour d'écrou de Henry James. (Il n'y eut en 1961 que deux précédentes éditions de la même traduction : Le Tour d'écrou (suivi de Les Papiers d'Aspern), traduit par M. Le Corbeiller, préface de Edmond Jaloux, Paris, Stock, Delamain et Boutelleau, 1929 ; réédition de la nouvelle seule, Paris, Club français du livre, coll. « Romans » no 73, 1950).
On devine dans ce roman les sources d'inspiration d'une Shirley Jackson, par exemple. On sera troublé par la sensation d'angoisse diffuse que génèrent les non-dits et les ellipses de la narratrice, ses quiproquos langagiers équivoques, qui participent à nous laisser imaginer l'immonde plutôt que d'en goûter l'acidité. Et les enfants trop policés pour n'être pas polissons rappelleront parfois ceux du roman de John Wyndham, "Les coucous de Midwich".
Avec L'odeur de la salsepareille, Ray Bradbury tire un peu la ligne de la nostalgie dans cette petite histoire de vieux couple, qui rappelle les vers de Richard Gotainer dans "Le taquin et la grognon". Un chouia mysogine, toutefois - l'histoire aurait gagné en force si la personne opprimée par son compagnon, sa compagne, aurait eu vraiment maille à s'affranchir. Un robot peut-il faire un saut évolutif ? On repensera à "Cher vieux robot" de Lester del Rey (in Fiction n°81) à la lecture de Tous les pièges de la Terre, par Clifford D. Simak, où un robot se construit une humanité, en accédant pour commencer à la désobéissance, et va même au-delà, comme le ferait un mutant. Une bonne nouvelle et un robot attachant.Les racines du mal, par Miriam Allen deFord, aurait pu être plus exotique, mais ne fait qu'anthropomorphiser les arbres et les plantes, dans une version végétale de "Thérèse Raquin" et consorts. Dommage.Un pacte faustien moderne : son âme pour un téléviseur dernier cri. Ne manque que l'abonnement à la VOD à Un modèle dernier cri diablement imaginé par Robert F. Young.Les lovecraftomaniaques et les chercheurs en lovecraftologie seront toujours intéressés par ce que pouvait produire la critique lors de la sortie d'un nouveau recueil de H. P. Lovecraft en France. Le fin et franc Demètre Ioakimidis nous produit cette recension à l'occasion du recueil (un peu artificiel) paru chez Denoël en ce printemps 1961 : "Je suis d'ailleurs".
JE SUIS D'AILLEURS (The outsider) par H. P. Lovecraft (Denoël « Présence du futur »).
« Lovecraft, qui est américain, a inventé un terrifiant monde de l'espace-temps, son style gagne encore à la traduction française. » Nanti de cette peu compromettante bénédiction qui est signée Jean Cocteau, de l'Académie française, Lovecraft a obtenu les suffrages des amateurs français d'insolite, une vingtaine d'années après sa mort. L'attrait que le démoniaque et le monstrueux exercent sur ses protagonistes, les extra-terrestres terrifiants qu'on devine dans les coulisses de certains de ses récits, ainsi que la précision inquiète avec laquelle il sait dépayser son lecteur, sont autant de gages de son originalité. Celle-ci n'est plus en cause, bien entendu, et les nouvelles de ce recueil en contiennent maint exemple. Mais elles présentent aussi plusieurs faiblesses, dont il y a lieu de dire quelques mots, car elles sont en général négligées au profit des qualités.En tout premier lieu, il serait à peine exagéré de dire que Lovecraft a écrit non pas un certain nombre de nouvelles, mais bien un certain nombre de fois une même nouvelle. Assurément, le décor et les circonstances du récit varient d'une fois à l'autre, de même que le protagoniste : il demeure néanmoins évident que leur trame est constamment la même : ils racontent la découverte de l'inconnu et du Monstrueux – que ce soit sous l'aspect des Grands Anciens, ou sous celui d'une négation effrayante des lois de la nature. Un homme normal se trouve mis en présence de quelque chose d'insolite et de terrible. La seconde faiblesse de ces récits, c'est qu'ils s'arrêtent presque invariablement là : le narrateur est paralysé par l'effroi, ou bien il fuit, il devient fou, ou encore il met fin à ses jours. Il ne tente jamais d'en savoir plus long sur les êtres dont il vient de découvrir l'existence, et, par conséquent, ceux-ci n'ont pas de véritable relief. Le lecteur a beau savoir qu'ils sont la cause de morts ou de disparitions, il n'est pas gagné par la terreur du héros, car ces monstres n'ont guère d'existence effective pour lui. On souhaiterait connaître – ne serait-ce qu'une fois – ce qui les anime, on voudrait qu'un contact fût établi avec ces machines à faire peur. Tel est un troisième défaut de ces récits : les monstres y possèdent autant de vraisemblance que le dragon des anciennes mises en scène de « Siegfried » – et ils demeurent encore beaucoup plus lointains.
Enfin, il faut bien reconnaître que si le caractère vague des descriptions de Lovecraft peut vraisemblablement résulter de la terreur qui frappe le narrateur, il ne contribue en revanche guère à communiquer cette crainte au lecteur. Que penser d'un passage comme celui-ci (dans « La peur qui rôde », nouvelle finale de ce recueil) : « Des ombres torrentielles, rouges et visqueuses, se poursuivaient, haletant et glissant, dans les corridors infinis du ciel violet et zébré d'éclairs… phantasmes sans forme, dessins d'un kaléidoscope vampirique… forêt de chênes monstrueusement nourris dont les racines en forme de serpent se tordaient, aspiraient d'innommables sucs dans la terre grouillante de démons cannibales… tentacules en forme de tertres, nés d'un noyau souterrain de pourriture perverse…» ? Quelles que soient les qualités d'un tel passage – dont la traduction française d'Yves Rivière conserve un reflet fidèle – il est difficile d'éprouver de la crainte en le lisant. Contrairement à ce qu'affirme la publicité accompagnant certaines éditions américaines de son œuvre [en particulier dans une édition de poche, « (Cry horror) » qui contient d’ailleurs en majorité les récits de « Je suis d’ailleurs »] , Lovecraft s'accommode parfaitement d'une lecture nocturne.
Cette répétition du schéma fondamental provoque un curieux déplacement de la curiosité ; on ne se demande plus, en abordant ces nouvelles, quelle va être l'explication des phénomènes insolites qui s'y trouvent relatés : on attend le monstre, la goule et le vampire, sinon comme de vieux amis, tout au moins comme de divertissantes connaissances sans lesquelles la soirée – ou, plus souvent, la nuit – ne serait pas complète. Mais on demeure curieux de connaître la façon dont il vont apparaître, le symptôme par lequel le narrateur va être terrorisé.
Les critiques précédentes paraîtront sans doute excessives : après tout, Lovecraft n'est-il pas un poète de l'effroi et de l'inquiétude ? Est-il équitable de l'attaquer pour des motifs plus ou moins « rationalistes » et logiques ? La réponse à une telle question peut être affirmative, à cause de la façon même dont l'écrivain américain bâtissait ses récits : ceux-ci étaient destinés à produire un choc – surprise, inquiétude, effroi – par l'apparition soudaine de l'insolite dans notre bon vieil espace-temps quotidien. Les règles de ce dernier demeurent applicables, puisque l'auteur choisit lui-même d'y placer son action, et puisque ce fond banal sert de repoussoir aux « abominations » qu'il imagine.
Cependant, de telles faiblesses n'excluent aucunement des qualités très réelles. Inconsciemment, Lovecraft s'était approprié l'héritage littéraire d'Edgar Poe, qu'il avait transformé selon les exigences de son propre tempérament. Cette filiation est manifeste par certains détails matériels : dans « Le molosse », la réclusion volontaire et les excentricités des deux protagonistes évoquent le chevalier Dupin et son discret chroniqueur ; et Poe est effectivement nommé dans « La maison maudite ». Mais la parenté est également perceptible de manière moins nette – ou plus subtile : un décor – l'irréel château de « Je suis d'ailleurs » ou la ville où l'on entend « La musique d'Erich Zann » – une atmosphère qui semble être celle d'un passé lointain – « La tourbière hantée » – un personnage marqué par une tare ancestrale – « Arthur Jermyn » – pourraient être issus de l'imagination de Poe. Mais – est-il besoin de le dire ? – Lovecraft utilise de tels éléments selon sa fantaisie personnelle, beaucoup plus sombre que celle de l'auteur des « Histoires extraordinaires ».
Les humains mis en scène dans « Je suis d'ailleurs » sont principalement des jouets de la fatalité, ou tout au moins des intermédiaires ; quelle que soit leur audace initiale, leur scepticisme scientifique ou leur curiosité d'investigateurs, ils ne sont là que pour la terrible découverte que Lovecraft leur imposera. Les sentiments qu'ils peuvent avoir au début du récit disparaîtront devant leur peur, et ils seront obligés de reconnaître l'existence de ces forces mystérieuses dont ils étaient prêts à rire : Joël Manton, à l'esprit « clair, pratique et éminemment logique », reconnaîtra spontanément qu'il a vu « L'indicible » ; Thurber, esthète raffiné, est frappé d'un tel saisissement en voyant « Le modèle de Pickman » qu'il refuse dorénavant de rencontrer ce peintre qu'il admire. L'évolution de la plupart des personnages de Lovecraft est similaire : pleins d'audace au commencement de la nouvelle, ils ne sont plus que le reflet amoindri d'eux-mêmes à la fin – lorsqu'ils ne se suppriment pas.
L'écrivain a cependant magnifiquement su varier le décor, le milieu et ce qu'on pourrait appeler le « climat » dans lesquels ses protagonistes font leurs fatales découvertes. « La cité sans nom », perdue en Arabie, « La tourbière hantée », qui conserve les ruines – et davantage – de l'Irlande païenne et, bien entendu, la Nouvelle-Angleterre et en particulier l'imaginaire cité d'Arkham, s'animent toutes d'une existence étrange et fascinante. Lovecraft sait faire appel à l'imagination lorsqu'il s'agit d'évoquer un cadre qui conserve quelque rapport avec le réel : le lecteur complète, devine, invente selon ce que l'écrivain lui suggère. Il y a là des points de repère à partir desquels on peut rêver ; tandis que les monstres, à force de vouloir être effrayants et « différents de tout », finissent par devenir simplement inconcevables.
Une autre qualité de ces nouvelles – une qualité qui suffit d'ailleurs à compenser leurs défauts – est l'air avec lequel Lovecraft sait raconter son histoire : il connaît le but à atteindre, et il avance dans sa direction sans jamais le perdre de vue. Il est encore, en cela, un héritier de Poe. La plupart des récits réunis dans ce livre ne se rattachent pas au cycle de Cthulhu, auquel ils sont généralement antérieurs (d'après certains bibliographes, la première publication de « La musique d'Erich Zann » daterait de 1922). S'ils ne possèdent pas les résonances cosmiques des nouvelles au fond desquelles on devine les Grands Anciens et les dieux du panthéon lovecraftien, ils ont en revanche une densité et une sorte d'économie qui en font de parfaites réussites narratives. Tel est surtout le cas de « La musique d'Erich Zann », « Le molosse » et « Je suis d'ailleurs », qui constituent de véritables chefs-d'œuvre dans le domaine du conte fantastique. La première de ces nouvelles, surtout, est exemplaire par la combinaison de son décor étrange (un quartier « hors de l'espace » dans une ville française) avec des événements dont la banalité disparaît progressivement pour faire apparaître l'inexpliqué.
Lovecraft possède des admirateurs pour lesquels la moindre des nouvelles qu'il a écrites est saisissante et se situe à l'abri de la plus timide critique. Il semble cependant plus juste de reconnaître qu'il possédait certaines faiblesses : cela ne l'empêchait point d'atteindre souvent une originalité profonde, et plusieurs des sommets de son œuvre sont contenus dans ce livre. Une fois reconnue l'identité des trames qu'il utilisait, il vaut la peine d'admirer la richesse des dessins dont il savait les orner.
Demètre Ioakimidis.
Rapport du PReFeG (Décembre 2024)
- Relecture
- Corrections orthographiques et grammaticales
- Vérification du sommaire
- Notes (1b), (1c), (6b) et (7b) ajoutées.
- Vérification et mise à jour des liens internes
- Mise au propre et noms des fichiers html
- Mise à jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)
En cliquant sur les noms des auteurs de ce numéro
retrouvez les bibliographies complètes de leurs parutions dans Fiction et Galaxie !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci pour votre commentaire, il sera publié une fois notre responsable revenu du Centaure (il arrive...)