Pour ce 200ème billet du PReFeG, voici de très beaux morceaux de choix, tant en SF (un sommet de Clifford D. Simak) qu'en fantastique (Christopher Wood et sa mystérieuse Mrs Frost). Ces nouvelles agrémentent un numéro de bon niveau, qui révèle déjà par endroits le monde qui est le nôtre désormais. On notera aussi un article de Pierre Versins sur le "fandom", et sur son utilité pour la critique d'un genre en maturation.
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Sommaire du Numéro 95 :
NOUVELLES
1 - Clifford D. SIMAK, Le Dernier gentleman (Final Gentleman, 1960), pages 3 à 36, nouvelle, trad. Roger DURAND
2 - Michel EHRWEIN, Le Retour des cigognes, pages 37 à 41, nouvelle
3 - Richard WILSON, L'Ami de la famille (Friend of the Family, 1953), pages 42 à 56, nouvelle, trad. François VALORBE *
4 - Jean-Charles PICHON, Perfidies-blues, pages 57 à 73, nouvelle *
5 - Stephen BARR, Les Tortues en folie (Callahan and the Wheelies, 1960), pages 74 à 100, nouvelle, trad. Roger DURAND *
6 - Gérard KLEIN, Lettre à une ombre chère, pages 101 à 105, nouvelle
7 - Leslie BONNET, Le Moine et la déesse (Game with a goddess, 1959), pages 106 à 111, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM *
8 - Christopher WOOD, Miss Frost (Miss Frost, 1951), pages 112 à 122, nouvelle, trad. Anne MERLIN *
CHRONIQUES
9 - Pierre VERSINS, Fandom français, pages 125 à 129, article
10 - Demètre IOAKIMIDIS & Roland STRAGLIATI & Jacques VAN HERP, Ici, on désintègre !, pages 131 à 136, critique(s)
11 - F. HODA, Un cinéma mythologique, pages 137 à 139, article
12 - Alain DORÉMIEUX, Note sur l'irréalisme de quelques films récents, pages 139 à 140, article
13 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 141 à 144, article
* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.
La couverture, tout d'abord, a droit à un traitement particulier, du fait de sa nature : la reproduction d'une œuvre d'art exposée à Paris à cette époque, une composition photographique de Monasterio, intitulée « La cueva de la fuente del rey ».
" La couverture de « Fiction » ce mois-ci sort de l'ordinaire. Nous présentons ici son auteur, et sa singulière technique de « peinture photographique ».
« Ce n'est pas tous les jours que l'on découvre une étoile ou une planète nouvelle. J'ai juré que le prochain astre qui se présenterait à moi s'appellerait Monasterio. Et il est passé, lentement, devant moi, avec ses boules de neige et ses fleuves fixés comme de la pierre la plus dure. » Février 1960. C'est Man Ray qui parle, présentant en ces termes la première exposition à Paris de Monasterio. "
Suit un dithyrambe sur Alfredo Villa Monasterio, en page 2 et 3 de couverture, signé par François Garnier (sans doute le peintre né à Paris en 1914 et mort à Rennes en 1981).
Difficile d'en dire plus que ce court extrait sans dévoiler l'intrigue de Le dernier gentleman, qui commence comme un cauchemar kafkaïen où l'on reproche à un auteur fort apprécié d'avoir fait de sa vie une auto fiction - le problème étant qu'il ignore tout de cette démarche, et que ce qu'il croit réel n'existe pas, du moins pas tout à fait.
Nous avons là une excellente nouvelle qui manie gracieusement des motifs fantastiques et de science-fiction. Le lecteur sera peut-être troublé lorsque, habitué à la potentielle portée prophétique de la littérature d'anticipation, il réalisera celle de cette nouvelle en particulier. Car ce qui pouvait apparaître comme un exercice de fiction spéculative en 1961 nous donne plus de 50 ans après des arguments humains pour sortir de l'hypnose de masse qu'on appellerait "réseaux sociaux".
Avec Le retour des cigognes, on aurait pu avoir un conte de relations inter espèces à la Dorémieux ou Farmer, mais le récit de Michel Ehrwein manque un peu sa cible, dirait-on, si tant est qu'il y en eût une.
L’ami de la famille propose une petite histoire dystopique de Richard Wilson, qui pourra rappeler "Enfants sans âme" de W. M. Miller (in Galaxie n°14). Il y est aussi question de régulation des naissances, dans un style peut-être simple mais à travers des personnages attachants.
Dans Perfidie-Blues, Jean-Charles Pichon avance son récit et son univers par petites touches, et nous amène au seuil du Grand Soir, où le pouvoir en place - ici un matriarcat, mais l'inverse y est tout autant lisible - est affaibli par sa dépendance à la flatterie. On y retrouve aussi le rôle de pouvoir parallèle et secret de l'oracle, déjà évoqué dans la nouvelle de Simak.
" Mon intention est essentiellement de m'écarter d'une machine pourvue d'une série d'instructions prédéterminées et de les laisser s'éduquer par tâtonnements. C'est ce qu'on peut appeler le réflexe de survie. (…) Un calculateur reste assis sur sa grosse boîte et ne ressent jamais rien qui résulte de son activité ! On l'alimente avec une masse d'informations, mais ce n'est pas du tout la même chose. Ces grosses machines ne se déplacent pas et ne font rien ; si elles avaient un but, comme (mes) tortues qui cherchent à se recharger, elles penseraient au lieu de se contenter de calculer. La pensée véritable commence avec la réaction opérationnelle à l'environnement. "
" Gérard Klein naguère avait transposé le mythe d'Ulysse. En guise de pendant, c'est ici du mythe de Thésée qu'il s'inspire. Hautaine dans sa forme et cryptographique dans son esprit, cette nouvelle n'est pas (ou plus) de la science-fiction. On peut y voir le reflet moral d'une angoisse très contemporaine. Chacun de nous, selon sa propre notion de cette angoisse, donnera le visage qu'il veut au Minotaure – le visage de l'un ou l'autre de tous les monstres modernes. Mais la philosophie de l'histoire n'est pas pessimiste, car le destin de Thésée n'est-il pas d'affronter le Minotaure ? Ce récit marque un achèvement. Cela veut dire qu'il est aussi l'aboutissement d'une voie et que Klein, par la suite, devra rompre avec son passé littéraire, quelle que soit l'orientation qu'il adoptera."
Telle est la curieuse note d'intro de Lettre à une ombre chère, note sans doute signée Alain Dorémieux. Nonobstant, la nouvelle suivante que Gérard Klein fera paraître dans Fiction ("Le dernier moustique de l'été", in Fiction n°106) ne sera pas pour autant du "Klein nouvelle manière" (ce sera même du Klein époque "bradburyenne", sous influence). La nouvelle présente est cependant bien travaillée - et l'on peut constater que l'adaptation des mythes aux échelles galactiques les rend plus épiques encore, sans les épuiser. C'est la démarche ici, qu'une Nathalie Henneberg transcende en hybridant ces mythes. Pendant ce temps, de l'autre côté de l'Atlantique, un Cordwainer Smith élabore déjà les formes mythiques nouvelles liées aux problématiques de l'avenir…
Le moine et la déesse, par le Capitaine Leslie Bonnet, est un petit conte à l'orientale où les idoles de pierre s'animent pour le jeune moine chargé de les entretenir. Léger.
Fort bien construite par Christopher Wood, Miss Frost est une histoire de réminiscences issues de l'enfance, avec une gouvernante un peu sorcière et des chiens pour familiers. Deuxième et dernière nouvelle traduite de cet auteur britannique, qu'il ne faut pas confondre avec Christopher Hovelle Wood, auteur de deux James Bond (source NooSFere).
« Dans la science fiction, la critique – et fréquemment d'une haute qualité – est apparue presque uniquement dans des publications d'amateurs ; certes la richesse du matériel critique, bibliographique et biographique qui a paru dans des fanzines, du Fantasy Commentator à Inside, est telle qu'une bibliothèque universitaire qui posséderait la totalité des fanzines publiés serait la Mecque des auteurs de thèses dans le XXIe siècle. »
Anthony Boucher,Introduction à « In Search, of Wonder » de Damon Knight, 1956.
C'est par cette exergue que Pierre Versins ouvre son article "Fandom français". La remarque de Boucher était déjà pertinente, quant à l'accession de la SF au monde universitaire - en France, des revues comme Res Futurae en sont une preuve somme toute assez récente au regard d'un travail similaire mais plus ancien sur le territoire américain.
Grand précurseur, Pierre Versins dresse ainsi très tôt un inventaire des fanzines francophones en 1961 (et c'est une chance que cet inventaire soit publié dans Fiction plutôt que dans un autre de ces fanzines difficiles à retrouver). On y retrouvera parmi d'autres les noms de Marcel Battin, Michel Ehrwein, et... Pierre Versins, qui avoue lui-même ne pas pouvoir juger de la qualité des fanzines, en publiant lui-même une imposante partie.
On se rappelle que Pierre Versins avait obtenu en décembre 1960 le premier Grand Prix International du roman d'Anticipation et de Science-fiction (voir Fiction n°82). Cependant, ce roman n'a jamais vu le jour, du moins semble n'avoir jamais été édité. Et voici ce que l'on découvre à la lecture de ce n° d'Octobre 1961 :
Pierre Versins nous prie de bien vouloir insérer le communiqué suivant :
" Un certain nombre de jeunes auteurs m'ayant demandé des renseignements sur le Grand Prix International du Roman d'Anticipation et de Science-Fiction, je crois utile d'attirer l'attention de ceux qui voudraient envoyer des manuscrits au Grand Prix en précisant certains points :
1. – Le fait d'être sélectionné par le jury ou d'obtenir un des prix (purement honorifiques) ne donnent à l'auteur aucun avantage de publication. En effet, les organisateurs du Prix ne sont pas en rapports avec une maison d'édition française et les lauréats devront trouver eux-mêmes un éditeur. Le fait d'avoir obtenu un prix étranger sur manuscrit rendra la chose plus difficile.
2. – Contrairement à ce qui a été publié dans la presse après la remise du Grand Prix 1960, j'ai renoncé à faire partie du jury du Grand Prix International du Roman d'Anticipation et de Science-Fiction, certaines clauses exigées des candidats me paraissant non conformes aux traditions commerciales de l'édition. "
On voudrait dénoncer poliment une arnaque qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Versins reste très courtois, mais ne cache pas une certaine amertume. On n'ose pas imaginer les réactions d'un Alain Dorémieux ou d'un Gérard Klein s'ils avaient concouru et gagné ce Grand Prix…
Souvent échauffés dans la "Tribune Libre", les auteurs (et les éditeurs) vont de plus en plus, durant cette décennie, être amenés à défendre leur droit à politiser le propos de la science-fiction. Ce droit pourrait paraître évident, mais il reste à noter qu'un certain statuquo politique régnait dans la société française à la fin des années 50 ; les crispations de la Guerre Froide, les "événements" et la "pacification" en Algérie, la fin d'un concordat gaullistes-communistes issu des années 1945 et suivantes, tous ces éléments impliquaient qu'on ne parlait pas de politique si l'on voulait "avoir la paix".
Quelques mois après le coup d'état manqué dit "des généraux", et avec la parution de textes faisant du fascisme non pas une dépouille du passé mais une bête toujours à l'affut, la Tribune Libre de Fiction s'échauffe quelque peu. Et l'on y lira dans ce numéro 95 cette courte profession de foi :
" Faut-il répéter que notre revue n'est pas une revue engagée, mais que d'autre part la SF, étant une littérature adulte, a le droit de traiter de thèmes politiques quels qu'ils soient – ainsi que nous celui de publier les textes basés sur ces thèmes. "
C'est bien là sans doute la métamorphose principale à venir de ce genre à peine baptisé "science-fiction". Quittant des velléités de distraction pour la jeunesse, la science-fiction réintègre sa fonction spéculative de proposer des visions, des perspectives et de l'autrement - vecteurs éminemment politiques. Dans le secteur des publications préjugées "pour la jeunesse et la distraction", la bande dessinée ne sera pas en reste, mais opèrera son virage un peu plus tard.
Rapport du PReFeG (Janvier 2024)
- Relecture
- Corrections orthographiques et grammaticales
- Vérification du sommaire
- Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
- Note (4b) ajoutée, note 11 augmentée.
- Ajout de la note (6b) (Erratum publié dans Fiction n°96)
- Vérification et mise à jour des liens internes
- Mise au propre et noms des fichiers html
- Mise à jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)
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