28 mai, 2025

Fiction n°113 – Avril 1963

Un soin particulier apporté à l'enchaînement des nouvelles, comme un jeu de Marabout d'ficelle, nous emporte de la Lune aux couloirs du temps, des relations des hommes avec les femmes aux couples mythologiques, de la Grèce aux sortilèges, bref : de Charybde en Scylla. On y notera aussi que les pages de dessins humoristiques ont trouvé leur place (cette fois-ci avec un tout jeune qui se fera connaître ensuite : Lob, l'un des pères du futur Superdupont). 

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Sommaire du Numéro 113 :


1 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 2 à 2, bibliographie

NOUVELLES

2 - Algis BUDRYS, Menace dans le ciel (suite et fin) (Rogue Moon, 1960), pages 7 à 49, roman, trad. Elisabeth GILLE

3 - Michel DEMUTH, Lune de feu, pages 50 à 58, nouvelle

4 - Randall GARRETT, Relations spatiales (Spatial Relationship, 1962), pages 59 à 67, nouvelle, trad. Régine VIVIER

5 - Clément DENOY, Les Grands travaux, pages 68 à 81, nouvelle *

6 - Gary JENNINGS, Myrrha (Myrrha, 1962), pages 82 à 88, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *

7 - Henri DAMONTI, L'Affaire Cronatus, pages 89 à 95, nouvelle *

8 - Avram DAVIDSON, Le Pays d'été (Summerland, 1957), pages 96 à 100, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

9 - François VALORBE, Le Voyage, pages 101 à 106, nouvelle *

10 - Jorge Luis BORGES, La Loterie à Babylone (La lotería en Babilonia, 1941), pages 107 à 112, nouvelle, trad. Nestor IBARRA

11 - Sonia FLORENS, La Valse-minute, pages 113 à 114, nouvelle *

12 - Maxim JAKUBOWSKI, Le Musée imaginaire, pages 114 à 116, nouvelle *

13 - Juliette RAABE, Gare ton doigt de l'ondoing, pages 117 à 120, nouvelle *

CHRONIQUES

14 - Jacques LOB, Humour : Lob, pages 121 à 123, bande dessinée

15 - Gérard KLEIN, Au nom des labyrinthes, pages 124 à 128, article

16 - Claude ELSEN, Les "Romans fantastiques" de Jacques Spitz, pages 129 à 131, article

17 - Alain DORÉMIEUX, La Science-fiction massacrée, pages 133 à 134, article

18 - Pierre VERSINS, Fanactivités, pages 135 à 139, chronique

19 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 141 à 157, critique(s)

20 - Jacques GOIMARD & F. HODA, L'Écran à quatre dimensions, pages 159 à 167, article

21 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 169 à 173, article

22 - (non mentionné), En bref, pages 174 à 175, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.



Note éditoriale du n°113 :

« MENACE DANS LE CIEL » d'Algis Budrys, prix du meilleur roman de SF en 1961 aux U.S.A., se termine dans ce numéro, en exposant une série d'événements grâce auxquels toutes les répercussions de l'intrigue prennent leur ampleur.

En quelques pages, Michel Demuth brosse une histoire de voyage temporel sous-entendant un vaste arrière-plan : « Lune de feu ».

Randall Garrett, dans « Relations spatiales », nous raconte un voyage dans l'espace au dénouement imprévisible, doté d'un humour satirique.

Et Clément Denoy nous rappelle, avec « Les grands travaux », que la SF et la légende peuvent faire bon ménage.

Du côté du fantastique, nous passons de la terreur sous-jacente, dont l'objet est à peine formulé (« Myrrha » de Gary Jennings) au surnaturel psychologique (« Le Pays d'Été » d'Avram Davidson) en passant par un fantasque un peu farceur (« L'affaire Cronatus » d'Henri Damonti).

Deux textes insolites : une nouvelle plongée de J. L. Borges dans un univers mythique, régi par des lois étranges (« La loterie à Babylone »), et un intermède surréalisant de François Valorbe (« Le voyage »).

Le Banc d'Essai, en trois contes, nous montre une fois de plus que nos auteurs débutants ne manquent pas d'imagination.

À signaler enfin, parmi les articles, deux études sur des auteurs importants, chacun en son genre : Jorge Luis Borges et Jacques Spitz.


L'avis du PReFeG

On pourra rapprocher la problématique du duplicateur chez Algis Budrys de celle que pose Hervé Letellier dans son roman "L'anomalie" (Prix Goncourt 2020) : qui est légitime quand l'original est détruit pour créer deux copies ? Mais cet aspect n'est au final qu'anecdotique dans cette deuxième partie de Menace dans le ciel ; Budrys glorifie l'esprit humain qui, le seul selon lui, lutte contre l'entropie naturelle de la matière. L'ensemble est toutefois peut-être un peu daté, même en 1963... 

D'une menace sur la Lune, on passe à la Lune de feu, où Michel Demuth imagine une autre lune fourbe, qui prend feu et annihile toute vie sur Terre. Mais c'est avant tout l'histoire d'un homme désireux d'échapper à la culpabilité… Mais pourra-t-il pour autant échapper au châtiment ? 

On aurait pu croire que l'histoire de Relations spatiales démarrait pétrie de clichés phallocrates, mais… Modernisant le débat sur la présence de "filles faciles" auprès des explorateurs spatiaux au long cours, Randall Garrett trouve un biais débarrassé de toute hypocrisie, non sans humour.

Les grands travaux est l'histoire d'un extraterrestre découvrant un monde primitif et passant pour un dieu parmi les autochtones, tout comme lorsque Farmer imite Joseph Conrad - mais en plus sage cependant pour Clément Denoy ; toutefois, le sentiment de familiarité avec les péripéties exposées ne cesse d'intriguer… à "juste titre" !

Myrrha traîne derrière elle une singulière ambiance de sortilèges venus de Grèce, et d'êtres hybrides, dans une histoire qui tourne peut-être un petit peu court. Demeure un style aride mais sans doute choisi par Gary Jennings, et un décryptage que le lecteur doit mener.

Henri Damonti est décidément plus à son aise quand il s'agit d'être léger, et signe L'affaire Cronatusun court récit sur la condamnation d'un assassin. On y assiste à un transfert non pas de prisonnier, mais d'esprit, et à d'autres diaboliques manigances. 

Le pays d'été désigne une métaphore pour de meilleurs cieux. Dans cette petite histoire de spiritisme, fustigeant l'hypocrisie des charlatans qui animent cette pratique, Avram Davidson affine son style, ici celui d'une conversation solitaire par un narrateur bougon et sceptique.

Avec un plaisir non feint à faire faire Le voyage au langage, François Valorbe glisse une nouvelle surréaliste qui a ce panache qui manque souvent à Henri Damonti.

Vous risqueriez-vous à prendre un billet dans La loterie à Babylone ? Jorge Luis Borges, incomparable, se livre aux hasards, à l'incertitude du destin, à la versatilité de la fortune, et à la décadence consentie… (On y évoque même une latrine sacrée nommée Qaphqa ! Vous avez dit Kafka ?)

La valse-minute, ou "J'aurais ta peau Léon…" Une nouvelle un peu facile et soit trop courte, soit trop superficielle pour parvenir à nous emporter. Notons qu'elle est signée par la rare traductrice Sonia Florens, soit madame Dolores Jakubowski à la ville.

 Au tour de son mari, donc, puisque bien des choses ne viennent jamais seules, et nous visitons en sa compagnie Le musée imaginaireL'histoire est bien jolie et ne manque de rappeler son Bradbury ; elle pourrait presque être une chronique martiennne. L'enjeu est louable et ramène à la puissance du verbe et de la poésie (comme chez Robert F. Young) Mais le tout n'a malgré tout rien de nouveau et manque peut-être un peu de singularité. Maxim Jakubowski se cherche.

Après une entrée en matière entièrement dédicacée à la rédaction de Fiction (à tel point qu'on débute sur la sensation de lire une lettre de la "Tribune libre"), Gare ton doigt de l'ondoing prend la forme d'une petite nouvelle zoologique, avec pour décor la Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris, mais qui tourne un peu court malgré une intéressante dérive de l'habituel à l'insolite.

A propos de son autrice : Juliette Raabe, universitaire spécialisée dans les paralittératures et le jeu, écrivain, critique, a publié plusieurs ouvrages dont « La Bibliothèque idéale des Littératures d'évasion » en collaboration avec Francis Lacassin, « La Bibliothèque illustrée du Chat » et « Casse-têtes ». Depuis les années 80, elle s'est orientée vers le multimédia, réalisant des vidéodisques et des programmes interactifs dont « Les Carnets peints de Paolo Guiotto » nominé au Festival international du film d'art — 1988. (source Noosfere et "Fleuve Noir, 50 ans d'édition populaire")

Les deux articles hagiographiques qui ouvrent les rubriques auraient été intéressants à citer. Nous vous invitons chaleureusement à vous y reporter. Encore une fois, Gérard Klein fait un remarquable essai sur un auteur, ici le grand Jorge Luis Borges, dans "Au nom des labyrinthes". A défaut de reprendre ici la totalité de l'article, citons-en ce petit extrait : 

(Borges) " illustrait de la sorte un de ses propos essentiels qui est que toute chose fut dite ou le sera, et ne peut donc être qu'une répétition dont seule l'expression dans le moment a un sens, et un sens si particulier, si spécial, si unique qu'il annule jusqu'à l'idée de la répétition. Créer ce n'est que répéter. Mais répéter, c'est aussi créer".


Le second article rend hommage à Jacques Spitz, décédé en ce début d'année 1963. Rappelons simplement qu'il est un des continuateurs du "Merveilleux scientifique" à la Maurice Renard, c'est à dire la science-fiction à la française telle qu'on pouvait en lire dans les années 20 et 30 de ce XXème Siècle.


Pierre Versins propose une nouvelle fois sa revue des fanzines, dans "Fanactivités", où l'on pourra lire :

... " l'idée exprimée par Butor dans son article « La crise de croissance de la science-fiction » (« Cahiers du Sud » n° 317, 1953 ; ou dans « Répertoire » (Paris, Les Éditions de Minuit, 1960) : « La SF, si elle pouvait se limiter et s'unifier, serait susceptible d'acquérir sur l'imagination individuelle un pouvoir contraignant, comparable à celui de n'importe quelle mythologie, Bientôt, tous les auteurs seraient obligés de tenir compte de cette ville prédite, les lecteurs organiseraient leurs actes par rapport à son existence prochaine, à la limite ils se trouveraient obligés de la construire. Alors la SF serait véridique, dans la mesure même où elle se réaliserait. »

C'est ce qui se passera peu ou prou avec le "Mythe de Cthulhu", et les continuateurs de l'œuvre de H. P. Lovecraft (et espérons pour l'espèce humaine que cela ne devienne pas véridique - idée exprimée dans l'excellent "Providence" de Alan Moore et Jacen Burrow).

Pour poursuivre sur Lovecraft, dans "Ici, on désintègre !" (la revue des livres), nous relevons ceci à propos d'un ouvrage de l'essayiste de l'occulte Serge Hutin :

" Cela (...) conduit (Serge Hutin) à formuler un certain nombre de vues saugrenues, dont la plus étonnante est dans doute cette image de Lovecraft, à propos duquel l'auteur se pose le plus sérieusement du monde cette question : « Aurait-il fait partie d'une société secrète détentrice de la maîtrise de redoutables pouvoirs magiques sur les forces cosmiques ? » (…) Faire une sorte de surhomme de cet être que tous ses intimes nous ont dépeint comme maladif et hypocondriaque, voilà qui ne manque guère d'originalité.

Nous assistons ici à la naissance d'une imagerie fausse, d'un côté comme de l'autre, mais qui aura la vie dure. Il faudra attendre la biographie de S.T. Joshi pour que soit rétabli le caractère plus pragmatique de Lovecraft. Mais ceci est une autre histoire…


Nous avons déjà parlé de Jacqueline Osterrath, et de son fanzine "Lunatique". Elle envoie un message publié dans la "Tribune libre", à propos de Cyril M. Kornbluth :

" Kornbluth est mort. Vive Kornbluth ! Aussi grattons les fonds de tiroirs, afin d'y découvrir quelque nouvelle « nouvelle » de cet auteur, même si celle-ci, manifestement, fut écrite voici 17 ou 18 ans, pour s'insérer dans le programme de la propagande de guerre – un programme bien démodé à l'heure où l'on s'efforce, avec raison, de construire une Europe unie.

Était-il donc bien nécessaire d'offrir au lecteur français ce haineux et piètre phantasme qu'est « Le moindre des fléaux » (n° 111) ? Honni soit d'ailleurs l'écrivain qui ose encore, pour tirer son héros d'affaire, recourir à cette ficelle éculée : « Ce n'était qu'un rêve ! » « Satellite », que vous réprouvez cependant, nous a offert mieux dans le genre avec « Les mondes divergents ».

Par goût, je n'aime pas Kornbluth, tout en m'inclinant devant son métier d'auteur éprouvé. Mais, cette fois, en dépit de l'adage : de mortuis nihil nisi bono, je n'hésite pas à m'élever bien haut contre la présence, dans « Fiction », (dont j'apprécie fort la tenue et l'intérêt) de cette déplorable nouvelle : en SF, rien ne se démode plus vite qu'hier – et si nous acceptons allègrement un récit de l'an 2000, 3000 ou 10,000, nous nous refusons par contre à subir ce « réchauffé » datant de quatre lustres !

Autres temps, autres mœurs : de grâce, rendez aux vieilles lunes ce qui appartient à Kornbluth.

Jacqueline Osterrath 

Sassmannsbausen (Allemagne).

La rédaction de Fiction s'autorise cette petite note : "Une seule remarque : la nouvelle incriminée n'avait pas été écrite par Kornbluth « il y a 17 ou 18 ans », mais très exactement en 1956."

21 mai, 2025

Fiction n°112 – Mars 1963

Peu d'auteurs francophone mais beaucoup de valeurs montantes anglo-saxonnes de ces années 60 pour ce numéro : Ballard, Dickson ou Budrys, accompagnant un classique de Montague Rhodes James.

Cataclic cataclop !

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Sommaire du Numéro 112 :


1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 2, bibliographie


NOUVELLES


2 - Algis BUDRYS, Menace dans le ciel (Rogue Moon, 1960), pages 7 à 52, roman, trad. Elisabeth GILLE

3 - G. C. EDMONDSON, Le Porteur de germes (The Misfit, 1959), pages 53 à 61, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

4 - Ron GOULART, Dialogues avec Katy (The Katy Dialogues, 1958), pages 62 à 69, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE

5 - Michel DEMUTH, Les Huit fontaines, pages 70 à 74, nouvelle *

6 - Gordon R. DICKSON, Le Village hanté (The Haunted Village, 1961), pages 75 à 91, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *

7 - Evelyn E. SMITH, La Jeune fille et le vampire (Softly While You're Sleeping, 1961), pages 92 à 108, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

8 - J. G. BALLARD, Le Jardin du temps (The Garden of Time, 1962), pages 109 à 116, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE

9 - Montague Rhodes JAMES, Le Comte Magnus (Count Magnus, 1904), pages 117 à 130, nouvelle, trad. Françoise MARTENON & Roland STRAGLIATI 

CHRONIQUES


10 - Gérard KLEIN, « Le navire-étoile » : une émission de télévision, pages 132 à 133, article

11 - Pierre BOIRON, Une nouvelle « cosmétique » : Bassard et Forest, pages 134 à 135, critique(s)

12 - Pierre VERSINS, Qui est parmi qui ?, pages 136 à 137, article

13 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 139 à 153, critique(s)

14 - Jacques GOIMARD & F. HODA, L'Écran à quatre dimensions, pages 155 à 169, article

15 - (non mentionné), En bref, pages 170 à 171, article

16 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 172 à 175, article



* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Note éditoriale du n°112 :

Parmi les jeunes auteurs américains de science-fiction, Algis Budrys est l'un des plus prometteurs, et son talent s'est déjà vu consacré grâce à son roman « Rogue Moon », prix du meilleur roman de SF aux États-Unis en 1961. C'est de cet ouvrage (dans sa version écourtée, destinée à la publication en magazine) que nous vous offrons ce mois-ci la première partie, sous le titre « Menace dans le ciel ». Sur un sujet à la fois étonnamment simple et imprévisiblement complexe, les données technologiques et les réactions humaines y sont en même temps mises en jeu, dans une trame dont l'extrême réalisme fait mieux ressortir le fantastique de la situation de base.

« Le porteur de germes », de G. C. Edmondson, nous montre une fois de plus la faculté que posède cet auteur d'exposer de vastes thèmes en des raccourcis saisissants. On retrouve dans « Dialogues avec Katy » le sens de l'inattendu et du fantasque qui caractérise Ron Goulart. Et avec « Les huit fontaines », Michel Demuth ajoute une nouvelle corde à son arc, en s'orientant cette fois vers la fable poétique.

Dans le domaine du fantastique, « Le village hanté », de Gordon R. Dickson, est un récit marquant ; il faut le lire lentement, en se laissant gagner par son ambiance de long cauchemar peu à peu oppressant. Evelyn E. Smith, en revanche, ne désire guère nous faire prendre au sérieux « La jeune fille et le vampire » – ce qui nous repose de toutes les histoires de vampires trop sérieuses que nous avons pu lire dans le passé. 

« Le jardin du temps », de J. G. Ballard, est une nouvelle qu'on ne saurait définir de peur d'en ternir le charme ; peut-être, pour en apprécier le symbolisme, faut-il se souvenir d'avoir été jadis ému par les contes de fées.

Enfin, le classique du mois est un inédit en France de Montague James : « Le comte Magnus », où l'on rencontre tous les éléments qui ont fait la réputation de ce maître du surnaturel.


Si Fiction indique dans sa note éditoriale que "Menace dans le ciel" (en VO : Rogue Moon) a obtenu le "prix du meilleur roman de SF aux États-Unis en 1961", c'est sans doute pour justifier un peu sa parution dans ces pages. En réalité, le roman était en effet nominé, mais c'est "Un cantique pour Leibowitz" de W. M. Miller qui a emporté le Prix Hugo 1961.

"Rogue moon" bénéficiera d'une nouvelle traduction de l'incomparable Jean-Patrick Manchette en 1975, sous le titre "Lune fourbe" (n°4 de la collection Futurama aux Presses de la Cité). Loin de nous l'idée de fustiger le travail présent ici d'Elisabeth Gille, grande dame de la S.F. en France qui dirigera la collection "Présence du Futur" chez Denoël, de 1976 à 1986.

Une autre indication des notes éditoriales ne manquera pas de faire sursauter les lecteurs assidus de Fiction. En lisant "dans sa version écourtée, destinée à la publication en magazine", on ne peut se rappeler de la petite polémique qui agita Fiction et la collection Fleuve Noir Anticipation à propos de "Les triffides" (aka "La révolte des triffides") de John Wyndham. (Voir Fiction 32 et Fiction 35).

Pour introduire l'intrigue de cette Menace dans le ciel : un transmetteur de matière qui duplique le vivant et annihile l'original, et un artefact sur la Lune qui détruit ceux qui veulent percer son mystère, voilà les ingrédients qu'Algis Budrys met un temps un peu long à nous exposer, mais une fois qu'on y est, une fois que l'ingénieur en chef a trouvé le trompe-la-mort qui tentera la mission suicide, nous voilà bien embarqués dans cette novella dont l'artefact pourra rappeler la fameuse "Sentinelle" d'Arthur C. Clarke (1951) - nouvelle qui sera à la base du film "2001, l'Odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick (1968).

Le porteur de germes propose une théorie sur les voyageurs qui apportent avec eux des germes d'épidémie... Surtout s'il s'agit de voyageurs temporels. On y retrouve bien le ton acerbe de G. C. Edmondson.

Dans Dialogues avec Katy, un naufragé a pour seule compagnie un automate résolument optimiste. Ron Goulart s'y amuse à nous proposer une petite astuce de variations autour de dialogues à sens unique, qui rappelleront la stratégie du mensonge consenti de "L'invention de Morel", mais rien de plus.

Les huit fontaines est un petit conte, qui manque peut-être d'un enjeu plus humaniste pour emporter l'adhésion du lecteur. Michel Demuth a du style cependant.

A l'instar d'une planète piège, un village coupé du reste du monde peut s'avérer redoutable pour qui y fouinerait un peu. Le village hanté de Gordon R. Dickson referme son étau peu à peu sur un protagoniste sujet à caution.

Encore une nouvelle un peu divulgâchée par son titre français, La jeune fille et le vampire, sans aucune poésie (quand en anglais il s'agit d'un vers d'une comptine). Quoi qu'il en soit, Evelyn E. Smith propose une nouvelle d'émancipation, l'inscrit encore une fois dans le tissu urbain, et semble avoir abandonné pour de bon le space-opera pour le fantastique.

J. G. Ballard, encore jeune auteur, s'essaie à une prose poétique dans Le jardin du tempset décline les effets de stase d'un temps presque à l'arrêt. Délicat.


"Le troisième et dernier cercueil qui, de toute évidence, était celui du comte Magnus montrait, lui, au lieu et place du crucifix, une effigie gravée de grandeur naturelle ; et les nombreux bandeaux qui décoraient ses bords représentaient des scènes variées. L'une d'elles figurait une bataille, avec des canons qui crachaient le feu, des villes fortifiées et des régiments de hallebardiers. Une autre montrait une exécution capitale. Et dans une troisième, un homme courait à perdre haleine entre des arbres, les cheveux au vent, les bras étendus devant lui. Une forme étrange le pourchassait ; et il aurait été difficile de démêler si l'artiste avait eu l'intention de représenter un homme, sans toutefois parvenir à la ressemblance désirée, ou bien s'il avait volontairement donné à son modèle l'aspect épouvantable et monstrueux qu'on lui voyait. Compte tenu de l'habileté avec laquelle avaient été gravées les autres scènes, Wraxall était plutôt enclin à admettre la seconde hypothèse. Le personnage était extraordinairement petit, et presque entièrement enveloppé dans une sorte de plaid à capuchon qui traînait jusqu'à terre. La seule partie de ce curieux individu qui émergeait de ce vêtement n'évoquait en rien ni main ni bras. Wraxall la compare au tentacule d'un poulpe infernal et poursuit : « C'est sûrement là une sorte de représentation allégorique – un démon pourchassant un damné – laquelle est sans aucun doute à l'origine de la légende du comte Magnus et de son mystérieux compagnon."

Voilà qui a dû impressionner Lovecraft, comme en témoigne sa note sur Le comte Magnus de Montague Rhodes James dans son essai "Épouvante et surnaturel en littérature" : "Count Magnus est l’un des meilleurs certainement, formant un véritable Golconda de suspense et d’insinuation."

Nous ajouterons que le thème très particulier de ce comte Magnus est la souillure. Apprécions le plaisir à lire ce style limpide à l'ancienne, et une angoisse du lecteur orchestrée peu à peu vers les mélodies de la répulsion et les contrepoints de la fascination, le tout dans une économie de moyens fort habile.

Côté rubriques, Gérard Klein se propose d'émettre un avis très constructif sur cette première émission française de pure science-fiction  : « Le navire-étoile », qui avait été évoquée "En bref" dans le numéro précédent. Nous vous proposons ici l'article complet :

Le mardi 11 décembre 1962, la science-fiction a fait son entrée à la télévision par la grande porte. Mais une porte qui finalement s'est juste entrebâillée, qui n'a guère dévoilé les grands horizons que l'on était en droit d'attendre. Il n'en demeure pas moins que « Le navire-étoile », en un sens, a fait date.

Adapté par Michel Subiela, réalisé par Alain Boudet, le roman de E.C. Tubb, précédemment publié par les éditions du Fleuve Noir, était un bon sujet pour la télévision. L'histoire, pleine de bruit et de fureur, de ce navire croisant entre les étoiles, où des hommes sont enfermés pour des générations, le temps que le voyage s'achève, où s'instaure un conformisme étouffant qu'il devient temps de rompre lorsque la croisière tire à sa fin, accordait aux réalisateurs de la télévision les avantages de l'unité de lieu et l'espèce d'intimité qui sied au petit écran. D'où vient-il que « Le navire-étoile » n'ait pas été la réussite qu'on pouvait espérer ?

Un premier défaut tient à l'adaptation. Trop compliquée, trop confuse, chargée de nombreux bavardages souvent mélodramatiques, elle rendait l'action difficile à suivre même pour un spectateur ayant lu le livre. Sa qualité dramatique, à l'exception de certaines scènes bien nouées, était discutable. Le dialogue eût pu être plus sobre, les explications avantageusement remplacées par des idées de mise en scène.

L'adaptation elle-même était mal servie par une réalisation pleine de bonne volonté mais très souvent d'une extrême naïveté. Les costumes n'étaient pas une réussite. Je retiendrai en particulier que les bonnets dont étaient affublés les acteurs, et qui les rendaient interchangeables, ajoutaient encore à la confusion d'une affaire peu claire. Le costume du capitaine survenant sur la fin frisait le meilleur grotesque de l'opéra fin de siècle. Les gadgets en général mal dessinés défiaient la vraisemblance : ainsi ces interphones composés d'un seul microphone et apparemment dépourvus d'écouteurs, mais dans lesquels le héros, sans doute télépathe, entretenait d'imperturbables conversations. Faut-il ajouter que les acteurs flottaient beaucoup dans leur texte, que les mouvements d'ensemble sentaient quelque peu la pagaille, et que les gardes à la porte de la salle du conseil, dont on eût attendu un comportement robotique, donnaient tous les signes d'une décontraction généralement réservée aux troupiers de comédie. Autre insuffisance, celle de la séquence filmée qui symbolise l'entraînement au combat du héros : elle se voulait brève et violente, elle ne fut guère que chaotique. De même, les scènes de lutte dans l'arène, qui auraient dû être réglées avec la précision d'un ballet, fleuraient singulièrement l'impromptu.

Il est certain qu'à l'origine de ces faiblesses qu'il ne convient certes pas d'exagérer, se trouve une absence de moyens. Mais tout aussi bien un défaut d'intention, une certaine incapacité à choisir, à trier, à éliminer, à ne conserver que l'essentiel, dont ont fait preuve réalisateur et adaptateur. Avec la meilleure volonté du monde, ils ont réuni les éléments d'un bric-à-brac de science-fiction, sans jamais se soucier de la nécessité de chacune de leurs inventions. Ils n'ont pas vu, semble-t-il, comment l'économie d'un monde clos, comme celui qu'ils se proposaient de décrire, devait être étroitement structurée, et partant étouffante. Ils ont sacrifié le mythe au superflu, l'essentiel à l'accessoire, mais sans parvenir au spectaculaire.

Ces sévères réserves faites, il convient de saluer le courage d'Alain Boudet, qui nous valut tout de même quelques belles images et une tentative insolite dans le cadre d'une télévision qui croule le plus souvent sous le poids du conformisme. Je retiendrai en particulier la séquence où les deux héros fuient entre les deux coques du navire, dans la soufflerie.

De cette tentative, on peut tirer quelques considérations générales. La plus nette est sans doute qu'une pièce de science-fiction ne peut pas tirer son intérêt, sa signification, sa réalité, du décor et des effets spéciaux, mais qu'au contraire il convient de recourir le moins possible au fantastique de l'apparence et de travailler le fantastique de situation. La seconde est que le genre ne souffre pas la médiocrité, fût-ce dans le plus infime des détails. Il est extrêmement vraisemblable que la réalisation d'une pièce de science-fiction à la télévision pose le même genre de problèmes qu'une pièce historique, et que seule une série assez longue permettrait à une équipe de se roder suffisamment pour nous offrir des spectacles indiscutables.

Gérard Klein.

On saluera la lucidité de Klein sur l'apparition de la SF à la télé française. Rappelons pour comparer que le premier épisode de la formidable série "Twillight Zone" (La quatrième dimension) date d'octobre 1959.

Côté avancées et innovations, après que Jean-Claude Forest ait "poussé le bouchon" pour faire parler de bande-dessinées dans Fiction, et alors qu'on peut se réjouir de lire dans la rubrique "En bref" : "Nous présenterons bientôt d'autres jeunes dessinateurs œuvrant dans de tels domaines : Topor, Lob et Gébé."nous noterons cette belle citation dans l'article Une nouvelle « cosméthique » : Bassard et Forest :

La spontanéité, écrit Dotremont, porte-parole du groupe, « relève des chocs originels, qui ont une harmonie, alors que l'époque, extrêmement organisatrice, aboutit à des chaos ».


Pour ajouter ensuite une pierre à l'édifice "ce que peut la science-fiction", citons Pierre Versins réagissant à la conférence "Ils sont parmi nous" déjà commentée par Fereydoun Hoveyda.

Qui est parmi qui ? (extrait)

Je pensais, dans ma candeur naïve, que nous allions traiter le sujet. J'avais été invité, parce que je suis, dit-on, un spécialiste, pour établir un schéma de l'apparition du thème « Ils sont parmi nous » dans la croyance et la fiction, et je pensais pouvoir aboutir assez vite à la question principale que posait le sujet : pourquoi diable, depuis qu'il existe des moyens d'expression, le thème « Ils sont parmi nous » existe-t-il et se perpétue-t-il, sous des formes diverses mais sans changer de fond ? J'avais même une hypothèse de travail à proposer : à savoir que penser qu'« Ils sont parmi nous » est une façon de refuser notre responsabilité dans ce qui nous arrive de désagréable : rappelez-vous simplement, pour prendre un exemple connu, « Guerre aux Invisibles » d'Eric Frank Russel (Rayon Fantastique) ; là, vous avez le thème à l'état pur : s'il y a des guerres, des accidents, des meurtres, etc., ce n'est pas parce que nous sommes des lâches, des inconscients, des brutes, mais parce que les Vitons se nourrissent d'émotions humaines, et donc sont la cause de ces guerres, accidents, meurtres, etc. ; en somme, ils cultivent leurs champs, ils élèvent leur bétail. Bon, c'est une fort belle idée : mais c'est aussi et surtout un exemple de refus de nos responsabilités. Hypothèse, bien entendu, je n'y tiens pas plus que cela, j'attends qu'on m'en propose une meilleure, mais n'était-ce pas plus intéressant et important de discuter cela que de dire que Bergier est un extra-terrestre (car il n'y a pas eu qu'Hoveyda pour le dire, s'il est celui qui l'a dit avec le plus d'humour), ou qu'on ne peut expliquer l'œuvre de Vinci ou de Boskowitch sans recourir au voyage dans le temps ou à la présence d'extra-terrestres parmi nous. On oublie trop que, des solutions de facilité semblables, il y en a toujours eu et que les dieux de toutes les religions sont parmi nous depuis bien longtemps, pour la même raison… 

Mais, pour en arriver là, et franchir ce point, il fallait d'abord poser la question ; or, la question n'a pas été posée, « Ils étaient parmi nous », un point, c'est tout. J'ai eu l'impression d'assister à l'une de ces séances organisées par des mages au petit pied comme il en existe un peu partout, où l'on est prié d'avaler ce qu'on vous dit ou de sortir.

La science-fiction, en bref, aujourd'hui, et de quelque façon qu'on la prenne, il n'y a pas plus bel organe d'aliénation, et dans tous les sens du mot. Si j'avais encore eu besoin de preuves, la soirée de l'UNESCO et l'article d'Hoveyda me les auraient fournies.

Pierre Versins.

(Pour faire une spéciale dédicace : Qui est parmi qui en ce mois de Mars 1963 ? Notre ami Ludo Le Hérisson est parmi nous depuis ce moment-là. Longue vie à toi !)


Pour terminer, la polémique au sujet de "la bergère Henneberg" comme l'avait surnommée Marcel Battin, et qui avait soulevé tant de tollé, semble trouver son mot de la fin avec cette réaction publiée en "Tribune libre" :

Moi, Marcel Battin,

— ancien terrassier,

— ancien docker,

— ancien matelot,

moi qui ai hanté tous les mauvais lieux du monde, et qui sais jurer en guarani, en volof, en thaï, en patahuek, en urdu et en serbocroate, j'ignorais jusqu'à la parution de la Tribune Libre de « Fiction » que deux mots de ma langue maternelle, « bergère » et « horripilante », étaient des termes grossiers. 

Je suis effondré !

Marcel Battin

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