16 juillet, 2025

Fiction n°120 – Novembre 1963

Robert Sheckley en vedette avec un roman en deux parties pour ce numéro, agrémenté de courtes nouvelles, dont beaucoup traitent de la décompensation psychique, et pour la plupart restées sans publications ultérieures. A l'orée de l'année 1964, on sent déjà poindre la maturité de genre pour la science-fiction et un renouvellement des thèmes du fantastique.

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Sommaire du Numéro 120 :


1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 2, bibliographie


NOUVELLES

2 - Robert SHECKLEY, L'Amérique utopique (Journey Beyond Tomorrow / The Journey of Joenes, 1962), pages 4 à 65, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE

3 - Vladimir VOLKOFF, Une douche à jouvence, pages 66 à 80, nouvelle *

4 - Don PEDERSON, La Planète des âmes soeurs (Pushover Planet, 1963), pages 81 à 87, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

5 - Juliette RAABE, Journal d'une ménagère inversée, pages 88 à 95, nouvelle

6 - Cyril M.KORNBLUTH, Préliminaires d'une tragédie (The Events Leading Down to the Tragedy, 1958), pages 96 à 102, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *

7 - Michel EHRWEIN, Le Miroir de la Barinia, pages 103 à 106, nouvelle *

8 - Walter S. TEVIS, La Baleine dans la piscine (Far from Home, 1958), pages 107 à 110, nouvelle, trad. René LATHIÈRE

9 - Jane ROBERTS Cauchemar (Nightmare, 1959), pages 111 à 113, nouvelle, trad. Christine RENARD *

10 - Monique DORIAN, La Réponse au Seigneur, pages 114 à 120, nouvelle *

11 - Claude-François CHEINISSE, Pas d'ici, pages 121 à 124, nouvelle

12 - Matthew GRASS, Le Serpent dans le placard (The Snake in the Closet, 1962), pages 125 à 130, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE * 

CHRONIQUES


13 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 131 à 143, critique(s)

14 - Demètre IOAKIMIDIS, Notes de lecture, pages 144 à 146, critique(s)

15 - Pierre VERSINS, Fanactivités, pages 147 à 151, article

16 - Jacques GOIMARD, Comment servir l'homme, pages 153 à 158, article

17 - (non mentionné), En bref, pages 159 à 159, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Avec L'Amérique utopiqueRobert Sheckley s'amuse énormément avec cet exercice à la Montesquieu  (sur le modèle des "Lettres persanes") ou Voltaire, et parvient à multiplier les plaisirs avec ce voyage d'un candide des îles polynésiennes aux U.S.A. à peine futuristes (et même en réalité fortement empreintes des années 60). Tout semble y passer, des lois à charge contre l'immigration à la chasse aux sorcières du communisme, de la vie universitaire aux communautés pré-hippies... Nous n'avons pas le temps de nous ennuyer et Sheckley trouve à son avantage une forme hybride entre le roman et la nouvelle - genre où il a toujours excellé. On attendra le numéro suivant pour savoir où il nous mène tambour battant.
Un petit extrait a retenu notre attention, à propos d'une mécanisation de la religion, et du remplacement par la machine de tous les prêcheurs :
» Lorsque nous eûmes tissé sur le globe tout entier le réseau complexe de nos monotones arguties, un homme choisit de nous ignorer et de construire une machine. Dans son essence, cette machine n'avait rien de nouveau pour nous ; son unique particularité était d'avoir un point de vue.
» Ayant un point de vue, la machine exposa les idées qu'elle se faisait de l'univers. Et elle le fit d'une façon beaucoup plus amusante, beaucoup plus convaincante que nous. L'humanité, qui recherchait depuis longtemps la nouveauté, se tourna vers elle.
» Ce fut alors, et alors seulement que nous prîmes conscience de notre périlleuse situation, de l'immense danger que couraient le bien et le mal. Car la machine, toute divertissante qu'elle fût, prêchait, en accord avec sa nature, un univers sans valeurs et sans raison, sans bien et sans mal, sans dieux et sans démons.
» Certes, d'autres l'avaient fait avant elle, et nous avions résolu le problème sans difficultés. Mais, dans la bouche de la machine, cette doctrine semblait acquérir une signification nouvelle et terrible.
(6. JOENES ET LES TROIS CAMIONNEURS - extrait)

Comme le signale la rédaction de Fiction : "Ce roman avait été précédemment annoncé dans Fiction sous le titre Atomes et ukulélé. " L'Amérique utopique sera traduit en 1977 par Marcel Battin sous le titre "Les erreurs de Joenes" (Dimension SF- Calmann Levy). Une dernière édition est connue sous le titre Le voyage de Joenes (Goater - 2023).

Dans Une douche à jouvence, on repense à "La tentation cosmique" de Roger Sorez à la lecture de ces expériences d'un savant ingrat envers ses aînés et sans aucun scrupule pour se donner du pouvoir. La chute est peut-être un peu abstruse, mais Vladimir Volkoff ne manque ni de style, ni de potentiel de séduction. 

Visite de La planète des âmes sœursune utopie de nouveau, après celle questionnée par le candide de "L'Amérique utopique", celle où tout est abondant et l'amour universel. Mais un tel paradis ne saurait-il pas se défendre ? Une bonne petite nouvelle de Don Pederson qui ne déroge en rien dans le sillage de Sheckley.

Don Pederson, pseudonyme de Con Pederson, jeune fan de L.A. dans les années 50 (il publie quelques numéros de son fanzine "The outlander" à l'âge de 15 ans), connaitra dans une poignée d'années son heure de gloire en tant que responsable de la photographie et de l'animation dans les séquences d'effets spéciaux sur "2001 l'odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick.

Le lien entre la nouvelle précédente et Journal d'une ménagère inversée est une coïncidence que les lecteurs de 1963 ne pouvaient pas subodorer. La ménagère inversée va voir au cinéma non pas 2001 - qui n'était pas encore réalisé - mais un autre film de Stanley Kubrick : "Spartacus". Hormis cette information anecdotique, la transparence du procédé de cette nouvelle est si transparent, et même annoncé dès le titre, qu'il en devient un peu ennuyeux. Juliette Raabe aurait sans doute mieux fait de choisir un sujet plus allégorique pour nous emporter tout à fait. Sur le sujet du temps à rebours, lui préfèrera "La flèche du temps" de Martin Amis (1991 - VF 1993 - Christian Bourgois), ou encore un fameux passage à rebours dans "Abattoir 5" de Kurt Vonnegut (1969 - VF 1971 - Seuil).

Après les universitaires usurpateurs de "L'Amérique utopique", difficile de ne pas se sentir perdu dans ces Préliminaires d'une tragédie tout en références à une érudition inventée. On retrouve la moquerie bon enfant envers les milieux universitaires ou intellectuels qui ont tendance à prendre des vessies pour des lanternes, ou faire accoucher des montagnes les souris. Déroutant, et l'effet visé par Cyril M. Kornbluth semble être atteint.

Le miroir de la Barinia est encore une nouvelle où l'absence d'enjeu auquel on puisse adhérer nous freine dans notre appréciation. L'effort de Michel Ehrwein est louable, mais n'est pas Jean-Louis Bouquet qui veut…

On ne taira jamais assez le don de René Lathière pour gâcher les effets d'une nouvelle. En traduisant "Far from home" - loin de chez soi, en somme - par La baleine dans la piscine, il divulgue avant même la lecture la seule belle image de cette courte nouvelle pourtant joliment lyrique et poétique de Walter S. Tevis. Attention, il aurait pu faire pire encore et l'intituler (divulgâchage masqué à tribord !!) : Le premier souhait. Oups ! Walter S. Tevis a déjà été publié dans Galaxie (n°51 et n°53).

Suit un court Cauchemar typique de la peur de la Bombe. Jane Roberts sait bien manier ses effets.

Après la ménagère inversée de Juliette Raabe, et le Cauchemar de Jane Roberts, nous visitons l'après de la crise, avec pour titre La réponse au Seigneur, pour nous mener en "prison", comprendre ici "maison de repos". Cet internement en maison de repos est ici décrit de l'intérieur par une jeune schizophrène. Quand on connait le destin tragique de la femme de Dorémieux - qui signe avec lui cette nouvelle sous le pseudonyme  de Monique Dorian - on ne peut que saluer leur courage d'affronter ensemble le mal et la souffrance par l'écriture et la fiction.

Le monde serait-il donc en train de devenir hostile à notre insu ? Sous la poussée moderne de la standardisation des lieux d'accueil, tels que bistrots ou hôtel de troisième catégorie, ou même trains de province transportant des légions de représentants de commerce solitaires et harassés, Claude-François Cheinisse nous dévoile quelque peu ce qui survit de la singularité… ce qui survit violemment même, pour ceux qui ne sont Pas d'ici.

Une dernière histoire de décompensation psychique, d'une tristesse profonde. On sent bien dans Le serpent dans le placard cette étrange indifférence à la vie, quand plus rien ne l'anime. L'allégorie concoctée par Matthew Grass fonctionne bien.


Côté rubriques, à présent, on appréciera les transmissions de Demètre Ioakimidis qui fait pour nous l'effort de lire en anglais dans le texte, et nous évoquer les trésors dont est privé le lectorat exclusivement francophone.

Notes de lecture.

Beaucoup de revues anglo-saxonnes de science-fiction comprennent, dans chacun de leurs numéros, un éditorial. Dans certains cas, celui-ci donne l'impression d'être le pensum par lequel le rédacteur en chef expie le fait d'occuper son poste. Dans certains autres cas, moins nombreux malheureusement, on a l'impression de se trouver en présence d'un personnage qui a trouvé cet exutoire pour exprimer son trop-plein d'idées. Tel est, en particulier, l'esprit dans lequel John W. Campbell jr. fait son éditorial mensuel dans Analog : presque invariablement, ce diable d'homme trouve le moyen de faire réfléchir son lecteur, même si ce dernier n'est aucunement d'accord avec lui. Il a réussi à faire de ses éditoriaux une succession de variations sur des thèmes scientifiques – allant du caractère de « planète binaire » qui est celui du système Terre-Lune à la recherche, pour une société évoluée, de l'état de « stabilité dynamique » – ou para-scientifiques, qu'il sait magistralement éclairer d'une lumière nouvelle. 
Une autre exception notable au cas de l'éditorial-pensum se trouve dans New Worlds, la revue anglaise qui compte parmi les « grands » incontestés de la SF, et qui en est à sa dix-septième année. John Carnell a trouvé une solution élégante : depuis quelque temps, ainsi qu'on le sait, il confie à tour de rôle la corvée de l'éditorial à l'un ou l'autre des auteurs dont il publie les récits. Ceux-ci trouvent de la sorte l'occasion de se justifier, de s'expliquer ou de généraliser ; comme il s'agit, souvent, d'anciens amateurs devenus écrivains, leur point de vue présente dans bien des cas une synthèse intéressante d'expériences acquises au cours de ces deux phases différentes de leur carrière.
Dans le numéro de septembre de New Worlds, John Carnell donne la parole à I. F. Clarke, professeur au Royal College of Science and Technology à Glasgow, et auteur d'une très utile bibliographie de l'utopie (The tale of the future). À en juger par la photo qui accompagne son curriculum vitæ, I. F. Clarke pourrait être un frère cadet d'Oliver Hardy légèrement sous-alimenté, mais la question n'est pas là. En lisant son « éditorial », on découvre, ô merveille, un universitaire qui traite de la science-fiction en amateur et connaisseur, et non en supérieur. On découvre aussi, ô merveille à peine moins admirable, un auteur anglo-saxon qui s'est intéressé à ce qui avait été écrit chez les barbares continentaux.
I. F. Clarke relève, à propos des récits ayant pour thème la fin du monde, qu'ils reflètent une époque troublée. Il voit dans de telles œuvres l'expression d'une anxiété que des difficultés sociales, nationales ou internationales, font naître chez les auteurs. Et il distingue, dans le message d'optimisme qu'on trouve dans la conclusion de plusieurs de ces récits, le pendant actuel de cette lutte contre les dieux qui formait, dans l'antiquité, la substance de bien des épopées : l'affirmation de la dignité humaine, et la confiance en la mission de la race.
L'exposé est indubitablement intéressant par sa substance. Il l'est également par le fait qu'on y voit un universitaire de formation littéraire considérant la science-fiction comme un sujet aussi digne d'intérêt que la chanson de geste ou le roman naturaliste. La chose est suffisamment rare pour qu'il vaille la peine de la relever, et suffisamment louable pour que l'on souhaite de voir cet exemple suivi, en Grande-Bretagne comme sur le continent. Où sont les continuateurs des Matthey, des Castex, des Milner ? Quand aurons-nous un travail qui sera véritablement ce que T. O. Bailey n'a pas réussi à accomplir dans ses Pilgrims through space and time

On rêverait d'un recueil de tous ces éditoriaux… 

Par "ailleurs", c'est le mot, ça sent la scission dans le cercle des érudits de la première heure réunis autour de Pierre Versins. Lui-même écrit ceci dans sa rubrique "Fanactivités" :
Quant à Ailleurs, sa publication est arrêtée et le Club Futopia dissous. Qu'on se le dise, il ne reste plus qu'un Club pour les amateurs de science-fiction d'expression française, le « Cercle Littéraire d'Anticipation » dirigé par Jacques Ferron, 24 cité Maunoury, Lucé (E. & L.) ; pourtant, aux dernières nouvelles, Claude Dumont, 15 bd Fosse, Méricourt (P. d. C.), lance le « Cosmorama-club », il apparaît donc que l'on aura toujours le choix
C'est la rubrique "En bref" qui nous éclairera un tout petit peu plus en fin de numéro :
Un fanzine de perdu…
 
Mais il s'agit du doyen des fanzines : Ailleurs (directeur : Pierre Versins). Dans un faire-part sur papier rose, envoyé aux membres du Club Futopia, Versins explique sa décision d'interrompre l'entreprise : « 1° Je suis un peu las ; 2° l'expérience a assez duré ; 3° les fanzines se multipliant, Ailleurs n'est plus un besoin mais un luxe. 
 
…un de retrouvé…
 
Nous apprenions en même temps la naissance d'un nouveau fanzine : Lunatique, dû à Jacqueline Osterrath, auteur connu des lecteurs de Fiction. Premier numéro entièrement rédigé par des femmes. Voir critique plus détaillée dans la rubrique Fanactivités de ce mois.
 
…et un nouvel "Ailleurs"
 
D'autre part Versins n'abandonne pas l'édition. Il annonce au contraire son intention de lancer un Ailleurs nouvelle série, tout différent du premier. Rien à voir cette fois avec un fanzine. Objet de cette publication : « Étudier et illustrer les littératures conjecturales romanesques, à l'aide d'articles, de bibliographies, de thématologies, de textes exemplaires, etc. et ceci sur le plan le plus international possible. » Plus que jamais, Versins devient l'encyclopédiste de la SF. 
 
On ne pourrait pas mieux dire, l'Encyclopédie est même le projet de Versins qui lui prendra encore 10 ans de son temps.

Rapport du PReFeG (Juillet 2025)

  • Relecture
  • Corrections orthographiques et grammaticales
  • Vérification du sommaire
  • Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
  • Mise en forme des titres présentés in "Revue des livres"
  • Ajout de la Table des "Nouvelles des auteurs de ce numéro" telle qu'évoquée dans le sommaire sur NooSFere mais n'apparaissant pas dans le epub d'origine.
  • Note (11b) ajoutée.
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

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Prochaine publication prévue pour le mercredi 23 juillet 2025 : Fiction n°121.

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