Beaucoup de nouveaux venus, le plus souvent comme étoiles filantes, mais de vrais talents pour accompagner la douce lucidité de Zenna Henderson qui nous propose un nouvel épisode de son "Peuple". On appréciera aussi un texte demeuré inédit depuis de Marion Zimmer Bradley, très en avance sur son époque puisqu'il y est question de transition sexuelle.
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Utopie quand tu nous tiens… |
Sommaire du Numéro 122 :
1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 2, bibliographie
2 - Zenna HENDERSON, Le Départ (Jordan, 1959), pages 3 à 34, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
3 - Fritz LEIBER, Amitié à haute tension (The Man Who Made Friends with Electricity, 1962), pages 35 à 43, nouvelle, trad. Michèle SANTOIRE
4 - Michel DEMUTH, La Bataille d'Ophiuchus, pages 44 à 63, nouvelle
5 - Paul SEABURY, L'Historionaute (The Histronaut, 1963), pages 64 à 72, nouvelle, trad. Michel DEMUTH *
6 - Marion Zimmer BRADLEY & John Jay WELLS, Tu engendreras dans la douleur... (Another Rib, 1963), pages 73 à 93, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
7 - Avram DAVIDSON, Gloire à Diane (Great is Diana, 1958), pages 94 à 102, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM *
8 - Monique DORIAN, Félinement vôtre, pages 103 à 106, nouvelle
9 - John Anthony WEST, La Fin d'un homme (George, 1961), pages 107 à 123, nouvelle, trad. Christine RENARD *
10 - Sophie CATHALA, Un gentil petit bled, pages 124 à 130, nouvelle
11 - Allen DRURY, Quelque chose (Something, 1960), pages 131 à 137, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM *
CHRONIQUES
12 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 139 à 156, critique(s)
13 - Bertrand TAVERNIER, Tribune libre, pages 156 à 157, courrier
14 - Maxim JAKUBOWSKI, Une exposition Michel Jakubowicz, pages 158 à 158, critique(s)
15 - (non mentionné), En bref, pages 159 à 159, article
* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.
Le Peuple, extraterrestres échoués et dispersés sur Terre, est secouru par ses pairs. Et l'on organise Le départ. Mais après des années et des générations passées à se reconstruire dans l'exil, est-ce si nécessaire de traverser de nouveau le Jourdain qui mène à la Terre Promise ? L'allégorie ici est à peine voilée (mais a dû échapper au traducteur René Lathière toujours aussi brutal avec les titres), et si les dons surnaturels du Peuple pourraient lasser, si le risque de faire du Peuple une armée de super-héros (mais ça n'est pas encore la mode…), on apprécie qu'ils soient tendus vers un seul résultat : la contemplation béate des merveilles du monde. Zenna Henderson habile et toujours délicate.
Dans Amitié à haute tension, il est question de la nature de l'électricité, mais plus encore d'une conscience "artificielle". Comme plus tard dans le roman "Colossus" (de D. F. Jones - 1966) - où deux super-ordinateurs des blocs de l'Est et de l'Ouest s'allient pour protéger l'espèce humaine d'elle-même et de la destruction - c'est la même sensation d'être infantilisés par nos propres créations qui gouverne ces deux histoires. On ne parle pas encore de "point de singularité", mais Fritz Leiber en imagine déjà la venue.
Concernant La bataille d’Ophiuchus, et en fait de bataille, Michel Demuth nous en décrit plutôt la périphérie. Suivant le paradoxe de Langevin, il n'y a pas d'escale possible ni de port provisoire qui tienne et soit régulier pour les combattants, liés à la temporalité de l'espace. Voici l'histoire d'un amour brisé par la cruauté de la guerre et les singularités des rapports de l'espace avec le temps - bref, tout ce que l'imagerie de Star Wars évacuera sans scrupule une petite quinzaine d'années plus tard.
On se rappelle la Patrouille du temps décrite par Poul Anderson. Mais comment s'est construite cette nécessité de surveiller les événements historique et de leur conserver leur intégrité ? C'est ce que nous propose de découvrir L’historionaute, nouvelle concise et d'un humour mordant.
Son auteur, Paul Seabury, historien et diplomate, a notamment été conseiller consultatif sur le renseignement étranger sous Ronald Reagan - ceci pour situer l'homme…
Tu engendreras dans la douleur… modernise (malgré son titre biblique concocté par René Lathière) le thème du pantropisme hérité de James Blish, moins de dix ans après sa mise en théorie.
" Ne serait-ce pas plus propre de disparaître comme nous sommes, avec nos corps tels qu’ils furent créés, plutôt que de les voir changés en une… une parodie obscène de… Non, tout cela est contre nature ! »
— « Au même titre que la présence de votre race sur cette planète. » [répondit l'extraterrestre Fanu] (...)
Everett fixait sur Fanu un regard sombre – ses préjugés de Terrien luttant toujours contre son intelligence. "
Le système solaire est détruit, et seuls subsistent de la Terre une poignée d'hommes - mâles s'entend - hébergés sur une autre planète par une espèce vieillissante elle aussi en voie d'extinction. A partir de cette situation, nous suivons le parcours moral de l'ancien commandant Everett et de ses préjugés sur l'homosexualité, et sur la nécessité d'une forme de pantropisme qui n'est pas encore dénommé "transition sexuelle".
Des autrices (l'une se cache sous un pseudonyme masculin), on ne connait, en 1963, encore que peu Marion Zimmer Bradley en France. Elle n'a pas non plus encore épousé en secondes noces le mari qui sera accusé plus tard de pédophilie (ainsi qu'elle le sera elle-même) par sa fille Moira. Son succès français, elle le devra à la sortie des "Brumes d'Avalon" chez Pygmalion (1986) - traduction qui tronquait pourtant ses deux premiers opus de plusieurs chapitres.
John Jay Wells, pseudonyme de Juanita Coulson, est une autrice américaine, bien connue comme autrice-compositrice-interprète dans les milieux de la "Filk music". La Filk est une parodie de la folk, où le jeu consiste à pasticher les paroles de "protest songs" pour en faire des histoires de S.F.. Karen Anderson, femme de Poul Anderson, s'est prêté à l'exercice pour la presse amateure allemande en 1953. Les soirées "filk" agrémentent souvent les convention de S.F., et des conventions lui sont même dédiées. (Source : Wikipedia).
Toujours aussi farceur quand il s'agit d'inventer des événements historiques pour justifier ses fictions fantastiques, Avram Davidson nous régale avec un cocktail fort alléchant et une évocation d'un voyageur hors-pair du 18ème Siècle. Cette Gloire à Diane est légère et nourrissante comme du petit lait.
Pour sa dernière nouvelle parue dans Fiction, Monique Dorian continue son exploration schizophrène et le dédoublement de personnalité dans un texte sensuel et Félinement vôtre, écrit comme à la hâte et d'un style direct, massif même, qui en amplifie le chant des perceptions volontairement déréglées.
On croirait à du Topor à la lecture de La fin d’un homme. Voyez par exemple comment Marjorie s'adresse à son mari George :
" Ce qui est le plus affreux, c’est d’être là à regarder le mal gagner sans pouvoir rien faire. Ce serait moins pénible, je crois, si je revenais d’un film et que je te trouve comme ça. Mais ça ! Te voir mourir millimètre par millimètre ! "
Le déroulé se fait sans grande surprise et pourtant, par un curieux sens de l'humour qui nous fait nous sentir supérieurs au couple de la nouvelle, on suit l'ensemble avec un mélange d'effroi et de jubilation. Christine Renard a dû se régaler à traduire ce style simple et bien tempéré; le dosage du concret et de l'allégorie est subtil, et il faut même parfois se secouer soi-même pour ne pas oublier de quoi il s'agit : l'anesthésie de l'être fasciné par l'écran.
Son auteur, John Anthony West, est aussi un spécialiste des Dogons, peuple à la culture très singulière de la Falaise de Bandiagara, au Mali - une des plus imposante formation géologique d'Afrique de l'Ouest.
Un homme affairé, pressé, en proie à la tension de la nécessité, voit son univers tomber en panne dans Un gentil petit bled… On pourrait s'attendre à un cauchemar absurde, mais finalement, Sophie Cathala nous offre une image qui résout allégoriquement bien des contradictions qui, sans elle, pourrait rendre fou. A moins que la folie soit l'abandon de la tension ?
Les lieux hantés s'accommodent généralement mieux de la nuit ; ici, Quelque chose invisible et sans doute malveillant ne s'encombre pas de l'heure qu'il est pour sévir. Et la terreur demeure. Un bon effet de style de l'auteur de romans à thèses politique Allen Drury, pour une histoire somme toute gratuite.
Une nouvelle recrue au sein de l'équipe critique de Fiction fait son entrée, comme le fit Jacques Goimard, par la Tribune Libre, en la personne respectable de Bertrand Tavernier, qui signera un bon nombre de critiques dans la Revue des films.
Après l'entrée, la sortie ; la rubrique en bref fait l'annonce d'un chant du cygne, qui ne sera pas sans conséquence sur l'univers éditorial de la S.F. française :
Interruption du Rayon Fantastique
Après onze ans d’existence et plus de 110 volumes parus, le Rayon Fantastique va cesser sa carrière. On regrettera d’autant plus cette disparition qu’elle n’est pas même due à un insuccès commercial mais à des raisons d’ordre administratif. La collection était en effet éditée en commun par Hachette et Gallimard, et c’est un désaccord entre ces deux maisons qui amène aujourd’hui sa suppression. Plusieurs volumes déjà sous presse paraîtront encore en 1964, notamment La couronne de lumière de Sprague de Camp, Les revenants des étoiles de A. et B. Strougatski et L’étoile de fer de John Taine. Nous publierons ultérieurement un historique et une étude de la collection, ainsi que les résultats d’un référendum sur ses meilleurs titres. Il faut souhaiter que la place qu’elle laissera vide soit comblée.