Outre l'entrée de Michel Jeury dans le panthéon du PReFeG, on relèvera un bon nombre d'auteurs de SF s'adonnant ici au fantastique (Isaac Asimov, Albert Ferlin, Gérard Klein et un récit introuvable mais de qualité signé Anthony Boucher). On n'oubliera pas le très beau récit de Howard Fast, toujours aussi talentueux, et qui inspirera sans doute quelques années plus tard, le britannique Ian Watson…
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Sommaire du Numéro 84 :
NOUVELLES
1 - Howard FAST, Les Premiers hommes (The First Men / The Trap (initialement), 1960), pages 3 à 29, nouvelle, trad. Anne MERLIN
2 - Arthur PORGES, Un spécimen pour la Reine (A specimen for the Queen, 1960), pages 30 à 40, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *
3 - Albert HIGON, Le Snant n'est pas la mort, pages 41 à 57, nouvelle
4 - Daniel KEYES, Le Miroir humain (Crazy Maro, 1960), pages 58 à 78, nouvelle, trad. Roger DURAND
5 - Albert FERLIN, Le Monde orphelin, pages 79 à 86, nouvelle *
6 - Anthony BOUCHER, La Chenille rose (The Pink Caterpillar, 1945), pages 87 à 97, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *
7 - Isaac ASIMOV, Jusqu'à la quatrième génération (Unto the Fourth Generation, 1959), pages 98 à 105, nouvelle, trad. Anne MERLIN
8 - Gérard KLEIN, Les Enfers sont les enfers, pages 106 à 121, nouvelle
CHRONIQUES
9 - Louis PAUWELS, Préface au « Matin des magiciens », pages 123 à 130, préface
10 - Aimé MICHEL, Introduction à la psychologie sidérale, pages 131 à 134, article
11 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 135 à 138, critique(s)
12 - F. HODA, Vadim et Le Fanu, pages 139 à 141, article
13 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 142 à 144, article
* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.
« Vous savez, à ce que je vois, » ajouta le Dr. Goldbaum. « Peut-être vaudrait-il mieux que j'en parle. Je suis bien plus vieux qu'aucun de vous – et j'ai traversé, vécu les pires années d'horreur et de bestialité que l'humanité ait jamais connues. Quand j'ai vu ce que j'ai vu, je me suis demandé un million de fois : que signifie l'humanité – a-t-elle la moindre signification, n'est-ce pas seulement un accident, une complication de la structure moléculaire ? Je sais que vous vous êtes tous posé la même question. Qui sommes-nous ? Quel est notre destin ? Qu'y a-t-il de sain et de raisonnable dans ces lambeaux de chair en train de lutter, de s’agripper, de chair malade ? Nous tuons, nous torturons, nous blessons et nous détruisons comme ne le fait aucune autre espèce. Nous anoblissons le meurtre, le mensonge, l'hypocrisie, la superstition ; nous détruisons notre propre corps avec des drogues et des nourritures empoisonnées ; nous nous trompons comme nous trompons autrui – et nous haïssons, nous haïssons, nous haïssons.» Et voici que quelque chose s'est produit.
(in Les premiers hommes - Chapitre II ; Howard Fast)
Que savons nous de l'existence des mutants, et de la possibilité même de laisser muter les espèces ? La Société n'a jamais permis à de telles intelligences de se développer pleinement, nous ne pouvons donc savoir ce qu'elles auraient donné. Voilà le point de départ de cette très belle nouvelle, Les premiers hommes, dont l'intitulé fait le clin d'œil au philosophe Diogène qui cherchait des hommes véritables dans les rues de l'antique Athènes à l'aide d'une lanterne allumée en plein jour. Howard Fast, une fois de plus, ne se contente pas d'interroger la société ou les rapports humains, mais imagine un autrement possible. L'avènement du surhomme n'est pas l'écrasement d'une espèce contre une autre, mais la continuité d'un développement freinée et rendue impossible par les constructions sociales dont nous héritons. Cependant, l'Homme, dans cette histoire, reste aussi malheureusement ce qu'il est…
Quelques années plus tard, Ian Watson écrira sur ce même sujet son roman "L'enchâssement" (1973, VF 1974 - Calmann-Lévy collection Dimensions SF).
Un spécimen pour la Reine aurait pu s'intituler "Le retour du ruum" ; Arthur Porges, peut-être un peu à court d'inspiration, développe les aventures de son robot collecteur initialement rencontré dans le n°5 de Fiction. Ç'aurait aussi pu être une aventure de Cergue et Arnaud, les "déparasiteurs" de planètes créés par Robert Sheckley. Une petite histoire amusante, donc.
Albert Higon, plus connu sous son vrai nom de Michel Jeury, et avant une carrière de romancier plus prolifique dans les années 1970, signe avec Le Snant n'est pas la mort la seule nouvelle qu'il fera paraître sous ce pseudonyme. Une nouvelle qui parait écrite à rebours, et qui tient à ses mystères et ses néologismes sans en dévoiler beaucoup, misant ainsi plus sur l'exotisme que sur la réflexion spéculative.
Daniel Keyes toujours aussi fervent dans sa quête humaniste nous propose avec Le miroir humain le portrait d'un être d'exception, et en creux celui d'un homme qui n'aurait jamais cru en l'humanité. La métamorphose des deux, produite par leur rencontre, donne lieu à une fable morale assez touchante.
Exploration d'un monde mortifié, Le monde orphelin sacrifie sa jeunesse pour la conservation des vieillards. Au sortir de la Guerre et dans un contexte compliqué de décolonisation - une jeunesse française envoyée "pacifier" l'Algérie - le texte de Albert Ferlin résonne d'autant plus lugubrement.
En débusquant La chenille rose, dernière nouvelle parue dans Fiction d'Anthony Boucher - bye bye Toto, on t'aimait bien - on joue aux devinettes et à l'interprétation des indices avec cette petite nouvelle qui, de fait, place l'épouvante a posteriori. Habile.
Jusqu'à la quatrième génération, Isaac Asimov fait un signe à son ascendance russe et juive, dans un récit qui pourrait être un épisode un peu tendre de la Quatrième Dimension, avec un New-York de carton-pâte et une obsession surgie comme de la réminiscence vague d'un cauchemar.
(...) l'enfer fut réorganisé. Les psychologues, les ingénieurs, les comptables, les économistes et leur armée de secrétaires, de dactylos, de calculateurs, d'adjoints, d'attachés, stagiaires et autres espèces mineures, défilèrent impassibles dans les sombres avenues du séjour infernal. Ils eurent lieu de beaucoup s'étonner. Les méthodes de travail n'avaient pas beaucoup évolué avec les siècles, en bas. Les uns s'effarèrent de l'absence de tout service de prévision, les autres s'inquiétèrent de l'état de la comptabilité et insistèrent sur la nécessité d'un calculateur électronique imposant et d'un service mécanographique, quoiqu'on eût pu leur objecter que si le compte Entrées était convenablement replet, le compte Sorties demeurait désespérément vide. Dans l'ensemble le travail en enfer fut considérablement simplifié. Les organisateurs imaginèrent un nouveau système de classement des damnés et préparèrent même un plan de graduation des souffrances incomparablement plus efficace que l'ancien. Ils glissèrent quelques timides phrases sur l'emploi de l'énergie atomique pour alimenter l'infernale chaudière, mais n'insistèrent pas trop car il s'agissait là d'un terrain tout neuf et encore mouvant, même pour eux.
Quand la chasse aux contrats gouverne la santé du monde moderne, de son économie dirions nous, ne pourrait on dès lors s'imaginer vivre sous la sollicitation pressantes de démons interchangeables en quête de pactes faustiens ? Dans Les enfers sont les enfers, par Gérard Klein, la modernité s'attaque à la réorganisation de l'Enfer. Comme l'écrivait Jacques Higelin, "les diables et les dieux en sont réduits à douter d'eux-mêmes".

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Nous ignorons si Albert Ferlin cité plus haut fut, en 1960, un défenseur ou non de la paix en Algérie - formule risquée au vu de l'appellation d'une guerre qui ne disait pas son nom, et s'intitulait "pacification". Nous savons toutefois que l'auteur publié dans la Chronique littéraire de ce numéro fut l'un des signataires du Manifeste des intellectuels français pour la résistance à l'abandon, un mois auparavant, en faveur de l'intervention française. Il s'agit de Louis Pauwels, qui marqua son époque en compagnie de Jacques Bergier avec la publication de leur essai : "Le matin des magiciens". Comme l'écrit Pauwels lui-même dans la préface publiée dans ce numéro de Fiction, « Il y avait des quantités de sottises dans le bouquin de Pauwels et Bergier. » Voilà ce que l'on dira.
On ne pourra pas reprocher à Pauwels une certaine forme de lucidité à son propre égard. En effet, "Le matin des magiciens" rassemble, comme ce fut le cas pour Charles Fort en 1919 dans son "Livre des damnés", une belle collection d'interprétations abusives et depuis invalidées. Mais cet ouvrage, dont nous vous proposons ci-contre une copie numérique, a considérablement marqué le paysage culturel français des années 60, en suscitant en engouement pour les sciences occultes et l'ésotérisme, souvent "de bazar". On sait que Jacques Bergier, son co-auteur, bien qu'il fut un grand érudit et un scientifique reconnu, était aussi un falsificateur et un propagateur de fausses rumeurs. Sans doute l'admiration de Pauwels pour Bergier n'est pas étrangère au ton parfois totalement fantasque de ce livre. Mais son style est vif, emporte parfois l'imagination, et a le mérite d'avoir contribué aussi à faire une place honorable à la littérature de science-fiction. En témoignent les deux nouvelles reprise dans cet ouvrage : "Les neuf milliards du nom de Dieu" d'Arthur C. Clarke, et la nouvelle "Un cantique pour Leibowitz" de Walter Michael Miller.
Nous finirons par ce bon mot de Pauwels à propos de la critique des "modernes" : Ce qu'il faut être, pour être présent, c'est contemporain du futur. Voilà qui donne tout son sens à la SF.
Après cette introduction au "réalisme fantastique", l'ufologue Aimé Michel répond aux critiques à son encontre formulées par Michel Ehrwein (Fiction n°82), lui tire même dessus à boulets rouges, sous la forme d'un article intitulé "Introduction à la psychologie sidérale". Réalisme fantastique et psychologie sidérale : voilà tout un assaut "new age" avant l'heure. Qu'en est-il de ce concept de psychologie sidérale ? Aimé Michel écrit tout bêtement, après avoir évoqué la psychologie animale : Mais alors, que peut-on dire du psychisme sidéral ? Soit : l'art de sortir une question du chapeau et de s'en faire le grand spécialiste. Ne nous méprenons pas, Aimé Michel écrit également : "une dizaine de gènes font, chez l'homme, le Nègre ou le Nordique". Bref, tout est dit, et nous prendrons donc ses propos avec les pincettes de rigueur. Infantile et futile.
La Tribune libre est aussi le lieu des polémiques. Après la publication du "Journal de Macha" de Fernand François, un mouvement de va-et-vient pro ou contre le bloc de l'Est gagne la revue. Fort heureusement, certains lecteurs ne manquent pas d'esprit, comme nous pouvons le lire dans une lettre humoristiquement dirigée (encore) contre Michel Ehrwein et sa nouvelle pastiche de Sherlock Holmes "Celui que Jupiter veut perdre". Jugez-en par vous-mêmes :
Un Jupitérien nous écrit…
Suite à la rubrique « Pas de politique, s.v.p. » parue dans votre dernier numéro, je désire moi aussi joindre ma voix au chœur indigné de vos lecteurs : il est inadmissible qu'une revue comme la vôtre publie sous forme de nouvelles de honteux articles de propagande. Il est évident que votre rédaction a été achetée pour répandre dans le monde l'ivraie des idées fausses et la haine de notre peuple, par l'intermédiaire d'un immonde agent provocateur : j'ai nommé Michel Ehrwein !
Eh bien non, je le crierai bien haut : vous en avez menti, votre littérature tendancieuse sera clouée au pilori et votre ignominie dévoilée publiquement. Non, nous ne sommes pas des monstres noirs aux hideux tentacules ; non, nous n'élevons pas des vers qui tuent ; nous sommes semblables à vous malgré le rideau d'azur qui nous sépare ; nous possédons ce que vous appelez le type nordique. L'animal que votre auteur décrit comme étant un Jupitérien est un « klebs », animal familier sur notre planète, très affectueux (il passe volontiers ses tentacules autour des épaules de ses maîtres) et très dévoué. Quant à la mort subite du soi-disant héros de votre nouvelle, je proclame hautement que les Jupitériens n'y sont pour rien : cet homme, entomologiste passionné, possédait un spécimen unique de chenille sud-américaine dont il surveillait jalousement l'évolution, attendant de la voir se transformer en chrysalide puis en papillon merveilleux. Aussi ne voulut-il pas l'abandonner lors de son voyage à Londres. Hélas, la boîte de verre où il la nourrissait fut brisée par un domestique maladroit, alors que celui-ci faisait la chambre de son client parti rendre visite à M. Sherlock Holmes. Cet homme ignorant, affolé de sa maladresse, déposa l'animal dans une vieille boîte d'allumettes vide et s'en fut, après avoir fait disparaître les débris de verre. M. Persano, de retour, trouva sa chère chenille empoisonnée par les traces de phosphore imprégnant la boîte d'allumettes. Il avait le cœur fragile. Et voici toute l'histoire, rétablie dans sa simplicité et sa véracité.
Aussi, au nom de mes compatriotes, je vous somme de cesser cette propagande déplacée ; décrivez-nous des guerres interstellaires si cela vous chante, faites-les se terminer où vous voudrez, fût-ce autour des ballofets (nous nommions ainsi les satellites – de Jupiter – qui sont comme la Lune), mais craignez la juste vengeance des Jupitériens si vous continuez à les décrire comme des monstres ridicules et hideux, toujours vaincus, toujours cruels et toujours colonisés.
Olympe Io.
Vallée des Éclairs.
P.S. – Surtout ne pensez pas que je me méprenne sur l'origine des subsides qui vous permettent de payer grassement les insanités de M. Ehrwein : nos ennemis héréditaires les Mercuriens poussent l'audace jusqu'à signer leurs infamies. À la première page de votre revue, cette mention : « Mercury Press » est plus qu'une raison sociale, c'est un aveu.
p.o.o. : J. Legault-Démare, Montléry (S. & O.)
Rapport du PReFeG (Octobre 2024)
- Relecture
- Corrections orthographiques et grammaticales
- Vérification du sommaire
- Ajout du quatrième de couverture (Publicité pour le Rayon Fantastique).
- Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
- Note (2) augmentée, Notes (5b), (8b), (10b) et (15b) ajoutées.
- Vérification et mise à jour des liens internes
- Mise au propre et noms des fichiers html
- Mise à jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)
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