29 octobre, 2025

Fiction n°128 – Juillet 1964

Fiction poursuit sa publication des nouvelles de Cordwainer Smith, avec bonheur, et propose deux nouvelles sur le mythe du "Juif errant" - un des plus célèbres immortels. Il est d'ailleurs beaucoup question de voie de survie et de "guérir de la mort" dans ce numéro.

Chimère Cimer !

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Sommaire du Numéro 128 :


1 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 6 à 6, bibliographie


NOUVELLES


2 - Cordwainer SMITH, Boulevard Alpha Ralpha (Alpha Ralpha Boulevard, 1961), pages 7 à 35, nouvelle, trad. Pierre BILLON

3 - Harry HARRISON, Planète de survivance (Survival Planet, 1961), pages 36 à 48, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

4 - Doug MORRISSEY, Nouvelle lune (New Moon, 1958), pages 49 à 74, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

5 - Miriam Allen DEFORD, La Cage (The Cage, 1961), pages 75 à 91, nouvelle, trad. Michel DEMUTH

6 - J. G. BALLARD, Le Vinci disparu (The Lost Leonardo, 1964), pages 92 à 109, nouvelle, trad. Pierre BILLON

7 - Claude-François CHEINISSE, Le Vieux, pages 110 à 116, nouvelle *

8 - Jean CASSOU, Guérir de la mort, pages 117 à 131, nouvelle *

CHRONIQUES


9 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 132 à 146, critique(s)

10 - Jacques GOIMARD, Les Jeux et les ris, pages 147 à 155, article

11 - Jean-Paul TOROK, Du vampirisme comme un des beaux-arts, pages 155 à 157, article

12 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 158 à 159, courrier


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Partout, hommes et femmes travaillaient avec une volonté farouche à construire un monde plus imparfait.

Après des siècles d'une vie parfaitement contrôlée grâce à la machine, deux Seigneurs (à la fois gouverneurs et programmeurs) réforment ce contrôle total et s'en remettent à l'imprévu et hasard pour combattre l'ennui suicidaire où s'était enlisée l'humanité. Ce contexte est délicatement évoqué par un couple de personnages dont on a réformé les personnalités pour en faire deux "français" (si, si !), nommés Paul et Virginie… Bien entendu, il est question de redécouvrir les sentiments humains depuis une éducation et des valeurs intériorisées artificiellement, et de leur donner sens à travers les expériences concrètes de l'émerveillement et du péril. Et comme dans le roman de Bernardin de Saint-Pierre, on sent venir le drame. Avec ce Boulevard Alpha Ralpha, Cordwainer Smith commence à dessiner une Histoire de l'Humanité à venir fascinante, car elle semble avoir déjà résolu tous les problèmes posés par les autres auteurs de S.F.


Une courte nouvelle ensuite à propos d'une planète destinée à être détruite par un ancien Empire esclavagiste. Après la chute de celui-ci, on mène l'enquête sur les raisons de cette destruction programmée. Bien qu'écrite en 1961, on retrouve chez Harry Harrison et dans Planète de survivance le charme galactique des nouvelles des décades précédentes.


Un vaisseau en perdition et son équipage privé de mémoire suite à un dysfonctionnement du système d'hibernation. Nouvelle lune dessine un cauchemar dans une ambiance délétère bien orchestré par Doug Morrissey.


Un généticien fait se développer une race d'insectes qui résisteraient aux radiations si une apocalypse nucléaire venait à détruire l'espèce humaine. Un peu poussive, ce qui n'est pas dans les habitudes de Miriam Allen Deford, l'histoire de La cage manque de tenue dans ses péripéties et de danger dans ses enjeux pour nous emporter tout à fait.


J. G. Ballard propose avec Le Vinci disparu une histoire tout à fait dans le style d'Avram Davidson, où le vol d'une toile monumentale au Louvre cache en réalité des "repentirs" - d'autant plus cocasses que le De Vinci volé est en réalité… inventé !


Ballard évoque le mythe du Juif Errant en en faisant un richissime duc aux identités multiples, comme un Cagliostro. Claude F. Cheinisse en fait Le vieux, un bourlingueur des mers, et évoque avec la création de l'Etat d'Israël la fin de l'errance de tout un peuple. On assiste un peu aux débuts conflictuels d'un exode et de la constitution d'un état qui se superpose à une colonie britannique - rien d'étonnant que la crise diplomatique y paraisse permanente. On croirait lire du Jean Ray - l'antisémitisme fort heureusement en moins.


D'un style plus insolite que fantastique, assez proche de celui de Marcel Béalu, Jean Cassou nous invite à Guérir de la mort, et propose ses remèdes à la peur de la mort : l'amitié, l'amour, la répétition des gestes quotidiens, mais aussi l'imagination du danger là où il n'y a qu'étrangeté que l'on peut traverser en demeurant intact, ou encore... le meurtre. Etrange et plus profond qu'il n'y parait.



Dans la Revue des livres, Gérard Klein divulgâche un peu la découverte d'un roman de Herbert W. Franke devenu difficile à trouver de nos jours. Nous vous le proposons en bonus (par un clic sur la couverture de l'ouvrage).

BONUS !
Herbert W. FrankeLa cage aux orchidées

 

Deux groupes, sur une planète inconnue, se disputent une ville, ou plutôt le secret d’une ville. Deux garçons et une fille progressent vers le centre de cette ville énigmatique, avec des allures de voyous. Ils brûlent de l’enthousiasme de la découverte et, en même temps, de l’excitation du jeu. Car ils luttent contre l’autre équipe. Leur quête n’a rien de scientifique. Ce qu’ils cherchent, c’est à connaître, avant les autres, le visage, l’apparence des êtres disparus qui peuplèrent la planète et construisirent la ville ; c’est, au fond, à atteindre la dernière case de ce singulier jeu de l’oie. Tous les coups sont permis. Même les coups bas. La mort est la rançon de l’imprudence.


Une mort temporaire, toutefois, même si elle ne renie rien de la souffrance et de l’angoisse ! À peine le premier essai a-t-il sombré dans la destruction que le second commence. Nos héros immortels s’affrontent comme des enfants sur un terrain de jeu ; mais avec des armes un peu plus sérieuses qu’une chaîne de vélo. Ils se traquent dans la ville déserte, s’exécutent, recommencent, attentifs à démêler le sens du labyrinthe entre deux combats. Leurs loyautés sont changeantes, leurs passions instantanées. Leurs vies sont les foulards qui s’échappent des ceintures de grands jeux. Tout est irréel. La ville n’est qu’une occasion de faire semblant d’être, d’avoir peur, de souffrir. Voilà pour le premier thème : des blousons noirs se disputant le trésor de l’inconnu, non pour le posséder, mais pour le ravir. Des gamins éventrant un cheval de bois, une poupée pour découvrir ce qu’ils contiennent, et s’arrachant les morceaux. Des jeux stériles et somme toute impitoyables.


Le second thème concerne la ville elle-même. Car ils pénètrent en elle, d’abord poussés dans l’aventure par le souci de triompher, puis évoluent lentement vers la recherche du secret. Et la ville se défend bien, à force d’illusions. Ses habitants semblent l’avoir abandonnée, sous le couvert de défenses efficaces, pour de bon, sans même laisser derrière eux le signe de ce qu’ils furent. Convertie en luna-park, la ville oubliée accueille ses nouveaux parasites. Elle est morte au dehors et ses murailles comme ses demeures s’effondrent sous la caresse du temps et sous l’impact des météores. Mais elle vibre encore, à l’intérieur, d’une vie mécanique, génératrice de rêves. Car la progression de nos héros vers le cœur de la ville est aussi une démarche vers une illusion toujours plus perfectionnée. Un point pressé dans la muraille, et des scènes immuablement recommencées surgissent d’un passé inappréciable. Est-ce vers le rêve, dans la profondeur centrale de la ville, que se sont évadés ses habitants ?


Troisième thème. Si nos héros risquent leur vie, s’ils se massacrent avec générosité, s’ils ne reculent pas, pour fracturer les serrures de la ville, devant des expédients aussi considérables qu’une bombe atomique, c’est qu’ils ne risquent rien et qu’ils agissent en somme par procuration. Leurs corps sont à l’abri sur une planète lointaine, la Terre, et ce sont des marionnettes à leur image qu’ils manipulent au milieu des dangers. D’où le Jeu. La ville tout entière est devenue un billard électrique géant.


Rien n’est interdit parce qu’on n’est pas, physiquement, présent. Et lorsque nos héros, saisis à la fin par la curiosité au point de conclure des alliances, percent enfin le secret de la ville, c’est pour découvrir que ses habitants ont le visage de leur propre avenir, qu’ayant été au bout de l’illusion que dispensent sans effort, dans l’immobilité, des machines protectrices, ils ont renoncé tout à fait à la vie, et baignent dans l’inaccessible nirvana biologique. Réduits à un état larvaire, ils sommeillent dans des cryptes. L’explosion déclenchée par les humains pour tenter d’atteindre le cœur de la cité en a tué quelques-uns ; et c’est l’occasion d’un étrange procès où deux de nos héros humains s’entendent condamner à une mort que nul, sur ce monde, ne peut leur infliger. Réveillé par l’accident, toutefois, l’un d’eux s’arrachera à l’illusion du jeu et s’avancera, titubant, vers la réalité, si faible que ses chances de l’atteindre, et plus encore de la vaincre, apparaissent négligeables.


Le sujet de ce livre est donc l’aliénation. C’est un sujet aujourd’hui commun, et plus particulièrement peut-être dans la littérature allemande, que cette aliénation infligée à l’homme par la machine et par la civilisation, qui l’extraient toutes deux de la nature. En cela, le livre de Herbert W. Franke, qui s’enfonce dans le pessimisme en concluant à la quasi impossibilité pour une espèce intelligente d’échapper au mirage, n’est pas d’une originalité remarquable. Il a toutefois le mérite de nous présenter deux stades de l’aliénation qui sont au-delà du nôtre. Dans le premier, celui des humains, quoique le contact du réel ne soit plus immédiat, la communication demeure possible et, avec elle, le refus et la conscience. Les équipes luttent l’une contre l’autre, même si c’est dans le cadre d’un jeu. Dans le second, au contraire, le rêve est devenu le mur étanche qui circonscrit d’irréversibles solitudes. L’homme – car c’était bien d’hommes qu’il s’agissait – a accompli son orbe. Rejeté au début des temps, ou, du moins, de son temps, de la nature inconsciente, incapable à la fois d’assumer cet exil et de résoudre cette contradiction, il s’est échappé avec un succès croissant dans l’irréalité par les truchements successifs du langage et de la machine. Ne pouvant supporter d’être exclu de l’univers extérieur, il s’est réfugié dans l’autre, l’interne, au point de succomber tout à fait à l’éternelle tentation du solipsisme. Soucieux de réduire les conflits et résultant lui-même d’innombrables conflits, il se nie et s’achève en atteignant son but. Il sort alors de l’Histoire, non pour atteindre un monde de plus grande réalité, mais de moindre connaissance. Devenu aveugle et sourd, insensible, protégé, il cesse même de rêver, et retourne à l’obscure et fragile rumination du protoplasme. Soucieux d’abolir toute agression, il s’enferme lui-même dans une cage indestructible, la cage aux orchidées.


Ce procès que Herbert W. Franke intente à l’homme par la voix impassible des machines est, on le voit, à la fois de nature métaphysique et de signification sociale. D’un côté, il condamne presque irrémédiablement ce qui est jeu en nous, c’est-à-dire aussi création, mystère, invention et rêve, qui nous détournent avec une louche sollicitude à la fois du monde et des autres. De l’autre, il s’attaque au temps présent et rejette cette épaisseur technique qui nous écarte du réel. Ces engins, ces illusions parfaites sont nos voitures et nos films qui contiennent certes les germes de tous les solipsismes. Le spectacle est une procuration, et déjà l’effet de ces interpositions se fait sentir : la violence est tolérée mieux et plus que jamais (tolérée et non subie), parce qu’elle est contemplée plus souvent qu’elle n’est ressentie ; il y a dans la conduite automobile une redoutable irréalité qui débouche quelquefois sur l’interruption d’un destin. La ligne de démarcation entre le rêve et la réalité oscille au point que le rêve s’empare parfois entièrement de l’être, tandis que le réel ne lui laisse plus qu’un goût de cendres insupportable. Au demeurant, notre réalité quotidienne ne peut lutter à armes égales avec l’imaginaire, parce que l’écran même dont l’homme social s’entoure pour mieux se protéger contre l’incertitude du temps neutralise pour lui le sel des choses.


Si la dureté des circonstances de la vie aliène, leur morne douceur aliène tout autant. Les blousons noirs ne sont que d’éternels guerriers, oubliés d’un combat qui se mène sans eux, ailleurs ou avant eux, et auquel ils n’ont eu et n’auront pas de part. Puisque la réalité leur refuse un défi à la dimension de l’énergie humaine, il leur faut en trouver un dans l’inutile. En bref, l’homme cherche à surmonter les malédictions des dieux, mais, y étant parvenu, il se perd faute d’adversaires. Les décadences, selon l’évangile de Franke, résultent, pour une société ou pour un homme, de la satisfaction de leurs propos. Un homme qui accomplit son destin meurt. Une société s’immortalise dans l’absence, ou disparaît.


Roman désespéré, au fond, malgré la ligne d’horizon qu’il dévoile à la fin, le livre de Franke est sans doute profondément imprégné de la situation de l’Allemagne contemporaine, c’est-à-dire de celle d’une société sans idéal, ou plutôt sans défi autre que celui de vieux revenants, d’une société écrasée par la sécurité. En quoi il intéresse et inquiète, car il témoigne d’une crise morale si grave et si profonde qu’on ne lui voit d’issue que dans la quête d’on ne sait quel mystère et l’irruption d’on ne sait quel délire absurde et brutal. La bourgeoise Allemagne est proche des blousons noirs en ce qu’elle ne se conçoit pas d’autre avenir que celui de la vacance. Et c’est ce mal, si l’on ne vient combler ce loisir, qui s’étend aujourd’hui à la vitesse de la gangrène dans une chair trop saine, mais tuméfiée. Nul n’en est exempt.


La forme du livre de Franke sert convenablement son propos, sans plus. L’exposition adroite cerne bien un mystère que j’ai malheureusement peut-être défloré. Et le soin minutieux, systématique avec lequel l’auteur décrit sa ville aurait quelque chose de fascinant si la traduction ne l’avait sans doute aucun défigurée. J’ai tenté en vain de me retrouver dans ce labyrinthe que Franke a pourtant voulu précis. On l’a trahi. La carte est fausse et, quoique derrière elle, on puisse discerner encore les ombres du paysage, c’est dommage. Il faut déplorer que la première œuvre allemande accueillie dans cette collection ait été de la sorte maltraitée avec une application toute scolaire.

Gérard KLEIN

22 octobre, 2025

Fiction n°127 – Juin 1964

Un maximum de raretés qui ne seront plus republiées ensuite, parmi lesquelles des nouvelles de Fernando Arrabal, de Robert F. Young, du prolifique Keith Laumer, ou encore de Michel Demuth sous le pseudonyme de Jean-Michel Ferrer (dont les écrits demeurent étonnamment absents des recueils demuthiens). Le numéro s'ouvre sur le Prix Hugo 1964 de la nouvelle, plutôt une novella (et Fiction s'aligne ici sur la ligne éditoriale toute neuve de Galaxie), signée Poul Anderson, qui tient lieu de pilier avec un classique de Richard Matheson.

Un fauteuil pour deux… extraterrestres !

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Sommaire du Numéro 127 :


1 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 6 à 6, bibliographie


NOUVELLES


2 - Poul ANDERSON, Pas de trêve avec les Rois ! (No Truce with Kings, 1963), pages 7 à 69, nouvelle, trad. Pierre BILLON

3 - Keith LAUMER, Unité de combat (Combat Unit, 1960), pages 70 à 83, nouvelle, trad. Michel DEMUTH *

4 - Jean-Michel FERRER, ...et jeune à nouveau, pages 84 à 87, nouvelle *

5 - Robert F. YOUNG, Amour sidéral (The Eternal Lovers, 1963), pages 88 à 91, nouvelle, trad. Michèle SANTOIRE *

6 - J. P. SELLERS, Pete fait mouche (Pete Gets His Man, 1963), pages 92 à 101, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH *

7 - Richard MATHESON, La Fille de mes rêves (Girl of My Dreams, 1963), pages 102 à 114, nouvelle, trad. Christine RENARD

8 - Wenzell BROWN, Le Persécuteur (The Follower, 1964), pages 115 à 125, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

9 - Lieutenant KIJÉ, La Main, pages 126 à 129, nouvelle *

10 - Alain MARK, Les Béquilles, pages 130 à 133, nouvelle *

11 - Fernando ARRABAL, Concert dans un œuf, pages 134 à 136, nouvelle *

 

CHRONIQUES


12 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 137 à 143, critique(s)

13 - COLLECTIF, Le Conseil des spécialistes, pages 145 à 146, critique(s)

14 - Bertrand TAVERNIER, L'Homme démoli, pages 147 à 150, article

15 - Jacques GOIMARD, Petit salmigondis ébouriffé, pages 150 à 157, article

16 - (non mentionné), Table des récits parus dans « Fiction » - Janvier à Juin 1964, pages 158 à 159, index


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Malgré son Prix Hugo de la nouvelle décerné en 1964, Pas de trêve avec les Rois ! (dont le sujet pourra rappeler le dernier Douglas Kennedy : "Et c'est ainsi que nous vivrons") est un long, très long, peut-être trop long, récit d'une bataille décisive entre deux factions armées dans des Etats d'Amérique divisés et en guerre fratricide. On retrouve le contexte retro futuriste de Poul Anderson qui imagine une lente et périlleuse reconstruction d'après guerre nucléaire, mais en y adjuvant ici la présence d'extraterrestres manipulateurs mais au final très accessoires. Bavard, bien écrit mais trop souvent inutilement compliqué, le récit tourne un peu court quand il s'agit de proposer un enjeu ou une moralité. 
 

Keith Laumer décrit bien la pensée désaffectée et opératoire d'une machine de guerre, une Unité de combat, un peu comme si un drone pouvait prendre des initiatives. Il en résulte une incapacité humaine à désamorcer durablement ou définitivement de telles mécaniques. A méditer. 

Michel Demuth / Jean-Michel Ferrer utilise des codes novateurs pour agrémenter et contextualiser …et jeune à nouveau, sous une forme qui se fera plus fréquente dans les années à venir, notamment chez John Brunner (imitant lui-même et en réalité John Dos Passos). Concis et touchant.

A l'heure de la course à la Lune, Robert F. Young imagine avec Amour sidéral une romance assez bradburyenne, mais contrairement à ce dernier, la femme ne se contentera pas de subir un revers et un deuil. Et toujours la présence vivante de la poésie.

Un héros de bande dessinée issu des dernières pages d'un quotidien devient embarrassant pour son créateur harassé. Pete fait mouche est une bonne petite nouvelle qui traite d'un sujet rarement abordé : quand la fiction contamine la réalité. L'auteur, J. P. Sellers, est par contre un parfait inconnu, et n'aura pas contaminé le monde de la S.F.

Après un super détective de papier qui fait mouche à tous les coups, on peut dire que Richard Matheson sait manier ses effets, et qu'il sait nous emmener où il le désire, même quand on pressent la fin. Dans cette histoire d'escroc qui exploite les dons d'une medium, La fille de mes rêves, l'affaire est habile mais la morale est sauve. On imagine aussi, en apprenant que la medium s'appelle Carrie et qu'elle suscite l'animosité, le jeune Stephen King s'extasiant devant le talent du maître… 


On a tout de même bien le droit de choisir son propre persécuteur et le suiveur doit avoir la faculté de suivre les traces de la victime qui lui convient. " Fiction présente ainsi la nouvelle Le persécuteur de Wenzell Brown comme issue d'une nouvelle tendance : " Ce fantastique d’une veine toute moderne plonge de profondes racines dans l’étude des troubles et déviations de la personnalité. " - mais ce serait oublier la "veine toute moderne" de Guy de Maupassant et son "Horla", pour ne citer que celui-là. On croirait même à une version inversée de "L'homme des foules" de Edgar Poe (" J’aurais voulu crier pour réclamer le silence, mais je doutais fortement de faire entendre ma voix, et même dans ce cas, qui m’aurait obéi ? ") On pensera aussi aux personnages décalés des nouvelles de Roland Topor. Quoi qu'il en soit, voilà bien une histoire ou le grotesque et l'absurde tentent de se voler la vedette. Pour notre plus grand plaisir. 

Simplicité du style, une ambiance faussement détendue… Lieutenant Kijé parle d'emprise dans La Main, texte à tiroir, qu'il faut lire avec attention pour que nous parvienne l'enjeu. Appréciable, pour une fois chez cet auteur. 


Un ton et de l'absurde très proche du style de Topor, encore une fois, avec Les béquilles, une histoire d'objet dont on ne pourrait pas se passer, déclinable à l'infini (remplacez "béquilles" par "smartphone" et "marcher" par "communiquer", pour voir…). Un bon moment signé d'un auteur mystérieux qui signe Alain Mark.
 

Concert dans un œuf est une rêverie surréaliste de Fernando Arrabal, qui décline son propre univers ( Lys de sa pièce "Fando et Lys" est évoquée) de façon suffisamment concise pour ne pas lasser.


Dans la "Revue des films", Bertrand Tavernier détaille le parti-pris de Ray Milland, réalisateur et acteur principal de "Panique année zéro". Il en parle comme étant "du Bradbury distancié". On se souviendra peut-être que le sujet et le scénario sont à rapprocher très intimement à la nouvelle de Ward Moore "Les nouveaux jours" et sa suite "L'aube des nouveaux jours" (in Fiction n°23 et 24). Mais Ward Moore n'a pas été crédité au générique. Et pour cause : Tavernier nous signale que le scénario signé Jay Simms a été adapté d'une de ses nouvelles. Toutefois, malgré nos recherches, nous n'avons pas trouvé de nouvelles publiées de cet auteur, scénariste avant tout pour le cinéma, puis la télévision.

15 octobre, 2025

Fiction n°126 – Mai 1964

Pour ce mois de mai 1964, Fiction propose un numéro spécial Jean Ray. Après Ray Bradbury, c'est donc un auteur francophone qui est ainsi mis à l'honneur, et pas des moindres ; on se souvient qu'à cette époque, Jean Ray est "redécouvert" par le biais d'une "intégrale" de ses œuvres, publiée chez Robert Laffont, et que Fiction (sous la plume de Jacques Van Herp) avait déjà fait prévaloir avoir été la seule revue pendant longtemps à avoir pris en considération cet auteur gantois hors-norme. Mais bien curieusement, ce seront là les dernières publications de Jean Ray dans les pages de Fiction. Par ailleurs, ce numéro rassemble aussi ses valeurs sûres (Fritz Leiber, Avram Davidson, Zenna Henderson...) pour des nouvelles de qualité qui resteront malgré tout sans publication par la suite. Un numéro d'exception, donc.

Ca clique plus très droit, capitaine !

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Sommaire du Numéro 126 :


1 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 4 à 4, bibliographie

6 - Albert VAN HAGELAND, Si Jean Ray m'était conté..., pages 48 à 50, article

7 - Jacques VAN HERP, Qui est Jean Ray ?, pages 50 à 53, article

8 - Albert VAN HAGELAND, Quand Jean Ray commente John Flanders, pages 53 à 56, préface

9 - Jacques VAN HERP, Jean Ray parle, pages 56 à 59, article

10 - Albert VAN HAGELAND, Bibliographie de Jean Ray, pages 60 à 67, bibliographie

NOUVELLES


2 - Jean RAY, Bonjour, Mr. Jones !, pages 7 à 10, nouvelle

3 - Jean RAY, La Tête de M. Ramberger, pages 11 à 22, nouvelle

4 - Jean RAY, Croquemitaine n'est plus... (De Boeman is dod, 1948), pages 23 à 39, nouvelle

5 - Jean RAY, Têtes-de-Lune, pages 40 à 47, nouvelle

11 - Thomas OWEN, Au cimetière de Bernkastel, pages 68 à 77, nouvelle

12 - Keith LAUMER, Hybride (Hybrid, 1961), pages 78 à 92, nouvelle, trad. Michel DEMUTH *

13 - Kris Ottman NEVILLE, Jour de colère (Power in the Blood, 1962), pages 93 à 103, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

14 - Fritz LEIBER, Jardin d'enfants (Kindergarten, 1963), pages 104 à 106, nouvelle, trad. Christine RENARD *

15 - Avram DAVIDSON, Le Siège de Santiago (Fair Trade, 1960), pages 107 à 115, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

16 - Zenna HENDERSON, Le Dernier pas (The Last Step, 1958), pages 116 à 130, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

CHRONIQUES


17 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 133 à 142, critique(s)

18 - Jacques GOIMARD & F. HODA & Bertrand TAVERNIER, L'Écran à quatre dimensions, pages 143 à 153, article

19 - Anne TRONCHE, Dado : un voyeur extra-lucide, pages 155 à 155, critique(s)

20 - (non mentionné), En bref, pages 157 à 157, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Les quatre nouvelles ici proposées sont encore à ce moment-là des exclusivités. Elles seront reprise dans une édition ultérieure  : "Le carrousel des maléfices" aux éditions Marabout un peu plus tard en cette année 1964.

Bonjour, Mr. Jones ! décrit une rencontre insolite avec le Diable (seul lui pourrait même déclarer "Le chinetoque" sans prendre aucun recul, mais on retrouve ici le mépris ordinaire de Jean Ray, pas vraiment à propos dans ce cas-là) … Justicier, maître de la vie et bon vivant, on s'entendrait presque volontiers avec un surnaturel aussi prosaïque.

La tête de M. Ramberger, d'ambiance fantastique, révèle au final avec une explication plutôt S.F., et c'est même le grotesque qui ici l'emporte.

Maîtrisant bien son jeu de soupçons, d'indices, de persuasions et de révélation, Jean Ray nous propose avec Croquemitaine n’est plus une nouvelle riche et cruellement appétissante, et nous faire parvenir là où il l'avait souhaité.

Enfin, fantômes de l'avenir, narrateur sujet à caution, paradoxes articulant ensemble inepties et tragédies... Jean Ray n'est jamais si bon comme ici quand il plonge son lectorat dans une lecture attentive aux énigmes qu'il déploie, comme ici avec Têtes-de-Lune.


D'un style dynamique et concis, Keith Laumer compose dans Hybride une histoire de symbiose entre en humain chétif et un arbre extraterrestre. La fin en est même un peu inquiétante. 


Une famille qu'on croirait banale sont en fait des mutants, aux pouvoirs mal dégrossis mais cependant terribles, comme celui de simplifier le Monde. Kris Neville nous laisse en un Jour de colère un texte pleins de non-dits à décrypter.


Hasard étrange, une protagoniste de Jardin d’enfants est prénommée Bettyann - et ce sera le prénom d'une héroïne d'un roman éponyme de Neville.

Avant la nouvelle de Zenna Henderson, Fritz Leiber nous y évoque lui aussi une institutrice, et qui a l'air d'une magicienne... Mais la magie n'a pourtant pas cours. Brève et gentiment surprenante histoire.


Une bonne tranche de rigolade (une fois n'est pas coutume) pour cette nouvelle d'Avram Davidson qui sait se montrer aussi léger en S.F. qu'inquiétant en fantastique. Et pour une fois, René Lathière lui trouve avec Le siège de Santiago un très bon titre français !


On retrouve pour finir le goût de Zenna Henderson pour les appréciations du monde vu par des yeux d'enfants. Dans Le dernier pas, une institutrice revêche et mal aimée est la seule témoin d'un jeu d'enfants qui n'en est pas un : ils scénarisent la réalité à venir. S'ensuit un sentiment de fatalité écrasante.




C'est surtout par son côté documentaire que ce numéro de Fiction brille de sa proposition. Les articles de Hageland et Van Herp sont fort bien documentés, et l'intérêt pour tout amateur de Jean Ray est d'y trouver ici les textes fondateurs qui ont forgé la légende de l'auteur gantois, a qui l'on a prêté une vie sans doute beaucoup plus extraordinaire que sa réalité.

Notre page dédiée vous propose de retrouver le texte "Jean Ray parle" de Jacques Van Herp. Pour l'entendre véritablement parler, on peut retrouver une belle archive (qui date de 1965) sur Jean Ray ICI !


Plus prosaïquement, Fiction se défend toujours de ne pas pouvoir publier de soumission de manuscrit - ce qui témoigne sans doute d'une belle santé de la demande :

ENVOIS DE MANUSCRITS


En raison du très grand nombre de manuscrits qui nous ont été envoyés antérieurement, nous rappelons que nous sommes actuellement dans l’impossibilité absolue d’en examiner d’autres en vue d’une publication ultérieure. Nous prions donc nos lecteurs qui auraient l’intention de nous soumettre des textes de vouloir bien s’abstenir de tout envoi. Nous nous excusons à l’avance de ne pouvoir répondre aux auteurs qui ne tiendraient pas compte de cette recommandation.

Plusieurs lecteurs nous adressent aussi leurs manuscrits en nous demandant de vouloir bien leur en faire la critique et les conseiller. Malgré toute notre bonne volonté, il nous est malheureusement impossible de déférer à ce désir devant la multiplicité des envois.

Le PReFeG vous propose également