24 septembre, 2025

Galaxie (2eme série) n°003 – Juillet 1964

Un florilège de textes restés inédits en recueil, à l'exception de celui de Cordwainer Smith, auteur remarquable et connu pour son cycle de récits intitulé "Les Seigneurs de l'Instrumentalité", et qui fait son entrée dans les colonnes du PReFeG. Ce numéro révèle une régalade orchestrée par Damon Knight, John Brunner y accompagnant de plus aguerris comme Jerome Bixby ou Idris Seabright sous son vrai nom de Margaret Saint-Clair.


"Sapristi, ils vont m'enregistrer sous..."

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Sommaire du Numéro 3 :


1 - Damon KNIGHT, Le Visiteur du zoo (The Visitor at the Zoo, 1963), pages 2 à 85, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Ed EMSH *

2 - James CAUSEY, Colportage galactique (Teething Ring, 1953), pages 86 à 93, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Dick FRANCIS *

3 - John BRUNNER, Virus mortel (Singleminded, 1963), pages 94 à 112, nouvelle, trad. René LATHIÈRE, illustré par Dick FRANCIS *

4 - Cordwainer SMITH, Où sont les autres ? (The Good Friends, 1963), pages 113 à 117, nouvelle, trad. René LATHIÈRE

5 - Roger DEE, Le Mur des lamentations (Wailing Wall, 1952), pages 118 à 131, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par Ed. ALEXANDER *

6 - Margaret SAINT-CLAIR, Hantise dans l'espace (Prott, 1953), pages 132 à 144, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par John FAY *

7 - Bruce McALLISTER, Les Visages du dehors (The Faces Outside, 1963), pages 145 à 153, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

8 - Jerome BIXBY, Les Parasites (The God-Plllnk, 1963), pages 154 à 158, nouvelle, trad. Marcel BATTIN *


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Comme il est écrit dans l'annonce des prochains numéros de la revue : " FICTION et GALAXIE sont les deux revues de l'amateur averti. Ne manquez pas de les acheter l'une et l'autre chaque mois. " Pour le moment, Galaxie ne se distingue de Fiction que par son choix de publier des "novellas" (des courts romans), et de ne choisir que des auteurs anglo-saxons. On se souvient aussi du vœu de la rédaction de ne plus faire de coupes intempestives dans les textes, comme c'était malheureusement le cas pour la première série de Galaxie. Nous reviendrons sur cet aspect à propos de la novella suivante.

Sans donner d'explication au phénomène, Damon Knight raconte l'histoire d'un échange de personnalité entre un journaliste, Le visiteur du Zoo de Berlin, et un "bipède" extraterrestre qui y est "exposé". Bien entendu s'ensuit un chapelet d'événements cocasses, mais ce que l'on aurait pu subodorer comme une comédie devient un plaidoyer discret contre l'enfermement.
« C'est la façon dont ils me traitent – comme si je n'étais qu'une bête. Ils prétendent que je ne suis pas humaine et qu'il est juste de me tenir enfermée dans une cage pendant toute ma vie. » Elle leva les yeux. « Mais être humain, en quoi cela consiste-t-il ? Il me semble que j'éprouve des sentiments. Je parle. Je leur tape des lettres et pourtant cela ne suffit pas. » Son corps gracile frissonna.
Malgré une fin un peu abrupte, la novella se lit avec grand plaisir. 

On notera au détour de l'histoire un détail qui rappelle l'ancienne politique de traduction de Galaxie. Le protagoniste écrit à un collègue, sous cette adresse : "M. Frédéric Stein - PARIS-MIDI - 98 rue de la Victoire - Paris-9e (Seine)
 
Vérification faite en comparant avec le texte en version originale (dans le numéro américain de Galaxy d'Avril 1963), il ne s'agit pas, comme on pourrait le soupçonner, d'une traduction à la mode de Galaxie 1ère série, qui francisait bon nombre de propositions américaines. Rappelons que Damon Knight connaissait la France, parlait français, et le traduisait. Son héros écrit bien à un collaborateur d'un journal parisien, est né à Asnières, etc... L'adresse correspond même à celle des Editions Opta, avec lesquelles Knight a sûrement déjà traité, et est bien la même en V.O. Toutefois, le traducteur Pierre Billon a transformé le "Paris Soir" d'origine en "Paris midi" (peut-être pour ne pas faire penser au quotidien France-Soir ? On ne saurait l'affirmer.)
De fait, après avoir inspecté d'un peu plus près le texte original, nous avons relevé quelques coupes de texte qui ont été faites pour l'édition française (nous en avons déterminé trois, mais peut-être il y en a-t-il plus...). Les passages incriminés ne sont certes pas nécessaire à la compréhension d'ensemble, mais à chaque fois, il s'agit de faits d'actualités, et de l'évocation du contexte global dans lequel évoluent les personnages. On y parle par exemple d'une expédition sur Mars.
Nous ignorons si ces coupes sont le fait de Damon Knight ou celui de la rédaction, mais pour ce qui est du souhait de reprendre les nouvelles dans leur intégralité, comme présenté dans le manifeste éditorial, l'entorse a vite été faite…
 

Les approximations de traduction étaient aussi ce qu'on a pu reprocher à la première série de Galaxie. Ici, le travail est certainement mieux soigné, mais malgré tout, le choix des titres n'est pas toujours à la hauteur. C'est le cas de Colportage galactique, deuxième et dernière parution de James Causey dans la revue ; le titre en Vf dévoile malheureusement un peu trop tôt la petite coquetterie de la nouvelle. Quoi qu'il en soit, sur le ton de l'ironie, voilà une nouvelle charge sur l'ennui des femmes au foyer dans l'american way of life.

Quant à Virus mortel, là encore - et c'est encore René Lathière qui porte le chapeau - la traduction proposée du titre en français dévoile presque tout ce que John Brunner tente de minimiser dans son récit pour aboutir à sa chute au dernier paragraphe (le titre en version originale, "Singleminded", pourrait se traduire par "Déterminé", et c'est réellement tout le sel de l'intrigue qui est ici évoqué). Quoi qu'il en soit, cette histoire de virus qui accroit les capacités du cerveau, dans une base lunaire soviétique isolée, et dans un contexte de Guerre Froide très prononcé, est très bien scénarisée. Brunner développera ce "virus" dix ans plus tard, en 1973, pour son roman "The stone that never came down", traduit en France sous le titre (là encore réducteur et très "premier degré") de "Virus" (Presses de la cité - collection Futurama, 1976).


Entrée de Cordwainer Smith au PReFeG avec "Où sont les autres ?" - qui sera le dernier récit des Seigneurs de l'Instrumentalité dans la publication intégrale qu'en feront en 2018 les Editions Mnemos. On y évoque les avanies des voyages spatiaux, et ce que l'esprit est capable d'inventer pour palier les périls mortels. Une jolie histoire, où l'humanisme de Cordwainer Smith s'exprime à travers la camaraderie.
Illustration de Ed Alexander

Sur une ancienne colonie extraterrestre demeurent des communautés humaines conditionnées à l'asservissement - quand s'échoue un vaisseau terrien dont l'équipage constate les dégâts psychiques, en demeurant impuissants à briser le conditionnement… et dans l'incapacité de repartir. Le mur des lamentations est une bonne nouvelle du souvent convaincant Roger Dee.



La hantise, c'est bien la pensée obsédante qui semble douée d'une volonté propre et qui s'impose à l'entendement. Margaret Saint-Clair développe cette assertion dans Hantise dans l'espace, au travers des observation qu'un scientifique isolé dans l'espace fait sur une forme de vie télépathe. Sa confusion le pousse à dépérir. Glaçant.





Une mutation provoquée finit hors de contrôle. Si le ton de Les visages du dehors est plaisant, l'enjeu n'est pas très prenant du fait de protagonistes un peu trop éloignés de nos considérations. Pour ce qui est de l'auteur, nouveau venu parmi nos baroudeurs, Bruce McAllister est connu pour avoir, à 16 ans, envoyé à 150 auteurs un message demandant leur avis à propos d'une controverse qu'il avait avec son professeur d'anglais, au sujet du symbolisme. Parmi les 75 auteurs qui lui ont répondu figure Ray Bradbury…

… ce même Ray Bradbury allègrement parodié dans 
Les parasites, par un Jerome Bixby qui joue avec ce qu'un texte peut évoquer de néologismes pour ne pas avoir à décrire concrètement. Bien entendu, le lecteur n'est pas dupe de cette corde très usitée en science-fiction, mais même si l'on sent venir la fin, la réflexion qu'elle entraîne demeure intéressante.

17 septembre, 2025

Galaxie (2eme série) n°002 – Juin 1964

Galaxie continue de miser sur les valeurs sûres de la S.F. pour son numéro 2 : Simak, Robert F. Young, Leiber, Aldiss, mais aussi les jeunes Silverberg et Brunner . Cette fois-ci, aucun texte qui ne restera exclusif - tous seront repris ultérieurement en recueil - ce qui est aussi un gage de grande qualité.


Bon sang, quel impossible pays
pour les roues!

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Sommaire du Numéro 2 :


1 - Clifford D. SIMAK, Au carrefour des étoiles (Here Gather the Stars / Way Station, 1963), pages 2 à 71, roman, trad. Michel DEUTSCH, illustré par Wallace (Wally) WOOD

2 - John BRUNNER, Ceux qui possèdent la terre (The Totally Rich, 1963), pages 72 à 96, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Virgil FINLAY

3 - Fritz LEIBER, Les Pieds et les roues (X Marks the Pedwalk, 1963), pages 97 à 102, nouvelle, trad. Christine RENARD

4 - Robert F. YOUNG, Le Pays d'esprit (The Girl in His Mind, 1963), pages 103 à 125, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par Jack GAUGHAN

5 - Robert SILVERBERG, La Souffrance paie (The Pain Peddlers, 1963), pages 126 à 136, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM, illustré par Norman NODEL

6 - Brian ALDISS, L'Impossible étoile (The Impossible Star, 1963), pages 137 à 159, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Norman NODEL 




Dans notre précédent billet, nous interrogions "la bonne route" que l'humanité devrait suivre selon Clifford D. Simak telle qu'évoquée dans son roman Au carrefour des étoiles. Pour cette deuxième et dernière partie, l'auteur invoque avant tout l'espoir d'une paix durable, non pas arrachée diplomatiquement à coups d'accords et de concessions, mais une paix évidente à l'image de l'harmonie - parfois complexe - du cosmos, d'où naissent la vie, l'intelligence, et un profond sentiment de fraternité qui unit bêtes et hommes, d'où qu'ils soient. Un point de vue qui n'évite pas certaines naïvetés. Par exemple :
Il ne serait pas facile de condamner sa porte. De ne plus jamais éprouver la chaleur du soleil, sentir la caresse du vent, respirer l'odeur changeante des saisons. L'Homme n'était pas prêt à accepter ce divorce. Il n'était pas encore suffisamment intégré au milieu artificiel qu'il s'était créé pour être capable de rompre définitivement avec les réalités physiques de sa planète. Pour demeurer homme, le soleil, le sol, le vent lui étaient indispensables.
Au carrefour des étoiles - chapitre 14 (extrait)
Dans ce passage, Simak imagine, en homme de son temps, que l'environnement climatisé et artificiel n'est qu'un topos choisi. Pourtant, des histoires d'anticipation ont déjà été écrites imaginant de tels environnements conçus comme des refuges imposés à l'espèce humaine, souvent pour s'abriter des conséquences de ses propres folies guerrières. C'est peut-être naïveté que d'imaginer être prêt ; si ce devenir doit arriver, sous Terre ou dans l'espace, ce sera sans doute par nécessité.

On relèvera aussi que ce roman reste pétri de références bibliques. Parfois, la transposition en termes galactiques n'est qu'à peine voilée :
" Il y a un groupe, à l'autre extrémité de la galaxie, qui veut se rendre dans un secteur particulier de l'anneau. Ces gens-là croient encore que leur race est issue d'un peuple migrateur venu d'une autre galaxie. Ils pensent que s'ils parviennent à s'élancer hors de l'anneau, ils transformeront la légende en fait historique pour leur plus grande gloire. "
Au carrefour des étoiles  - chapitre16 (extrait)
Parfois, cela demande une culture religieuse plus poussée. Rappelons que le principal protagoniste de l'histoire se prénomme Enoch. Simak n'a sans doute pas choisi le prénom d'Enoch par hasard ; un texte apocryphe de la Bible, intitulé "Le livre d'Henoch", fait état de l'ordonnancement en périodes des cycles du temps, les jours, les semaines, les mois, les saisons… mais évoque aussi l'observation de la course des astres comme permettant une lecture de la Création.

Illustration de Virgil Finlay
Un homme de science audacieux voit ses recherches sur la reproduction complète d'un individu financées par un homme de la classe sociale la plus haute. Dans Ceux qui possèdent la Terre, John Brunner nous décrit par la périphérie cette caste de surpuissants ("Ils font bande à part et – juste ciel – n'est-ce pas mieux ainsi ? ") qui n'ont plus la force d'imaginer le moindre désir, sinon l'impossible. Une nouvelle bien dense et finement menée, magistralement illustrée par Virgil Finlay.

Et voici comment commença la grande guerre civile entre piétons et automobilistes, qui a dévasté notre monde !
Une histoire automobile à présent : Les pieds et les roues, qui rappellera sans doute "Idylle dans un parc à voitures d'occasion du XXIe siècle" de Robert Young, ou bien "Plague on wheel" de Kilgore Trout, ou bien encore "A l'aube du grand soir" de Robert Bloch. Fritz Leiber propose une nouvelle un peu gratuite dans son développement, toutefois.

Après une entrée en matière d'une S.F. misant sur l'exotisme, Robert F. Young nous emmène dans Le pays d'esprit, soit le psychisme conçu comme une collection de lieux-souvenirs dans lesquels quiconque, après un certain entraînement, peut évoluer comme s'il s'agissait d'une topographie concrète et réelle. "Quiconque", c'est à dire qu'un individu peut aussi se réfugier dans le Pays d'esprit d'un autre… Une très belle nouvelle où l'introspection prend des allures de traque policière et où l'enquête devient exploration topographique.

La souffrance paie, ou la télévision médicale conçue comme un art. Habilement menée, cette nouvelle de Robert Silverberg nous démontre avec plusieurs décennies d'avance les dérives de la télé-réalité, et d'un public qui souhaite, comme aux temps des gladiateurs, en avoir pour son argent. On pourra repenser aussi sur la fin au déroutant film de Cronenberg, "Vidéodrome".

" (...) en moins de onze cents ans d'expéditions galactiques, nous avons à peine exploré une seule branche d'une seule galaxie. Nous n'en savons donc pas assez pour pouvoir déterminer si cette situation anormale est unique en son genre… " Au moment où Brian Aldiss rédige L'impossible étoile, le concept de trou noir n'a pas encore été popularisé. C'est pourtant bien de cela qu'il s'agit, dans un récit où tout finit par être dévoré et englouti.

10 septembre, 2025

Galaxie (2eme série) n°001 – Mai 1964

Le PReFeG est heureux de renouer avec la seconde partie de son projet : la mise en ligne de la revue Galaxie, avec, en cette année 1964, le retour dans le champ éditorial français de cette revue américaine de qualité. Annoncé pour le mois d'avril, le premier numéro de cette "2ème série" parait finalement en Mai 1964, sous l'égide des éditions Opta, qui n'a pas encore fini à cette époque de multiplier son offre en matière de science-fiction. "Si vous voulez tout savoir sur les temps futurs, lisez Galaxie", pouvait-on même lire en ce printemps 1964 dans les pages de Fiction. Pour cette "nouvelle" revue, le bal s'ouvre sur un roman de qualité : "Au carrefour des étoiles" de Clifford D. Simak ; on pourra aussi y saluer les jeunes Robert Silverberg et le britannique John Brunner, accompagnés par le déjà vétéran Poul Anderson, et un tas de textes restés inédits depuis.

"Bon sang, dans 60 balais,
on laissera faire Pesquet !"

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Sommaire du Numéro 1 :


1 - Clifford D. SIMAK, Au carrefour des étoiles (Here Gather the Stars / Way Station, 1963), pages 4 à 59, roman, trad. Michel DEUTSCH, illustré par Wallace (Wally) WOOD

2 - Mary CARLSON, Le Temps du froid (The Time of Cold, 1963), pages 60 à 66, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

3 - Robert SILVERBERG, Voir l'homme invisible (To See the Invisible Man, 1963), pages 67 à 77, nouvelle, trad. Michel DEMUTH

4 - John BRUNNER, Le Meilleur des pièges (A Better Mousetrap, 1963), pages 78 à 95, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Virgil FINLAY *

5 - Jack SHARKEY, Le Réveil (The Awakening, 1964), pages 96 à 101, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

6 - Alfred Elton VAN VOGT, Les Sacrifiés (The Expendables, 1963), pages 102 à 130, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par Virgil FINLAY

7 - Poul ANDERSON, La Croisée des chemins (Turning Point, 1963), pages 131 à 145, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par John Jr. PEDERSON *

8 - Lester DEL REY, La Fin d'une race (The Course of Logic, 1963), pages 146 à 159, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par John GIUNTA *


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


"Comme un gant" !

Annoncé dans Fiction (et Fiction Spécial 5) pour le mois d'avril, il faudra attendre le mois de Mai 1964 pour voir ressurgir la revue Galaxie, après cinq ans d'absence.

Durant ces cinq ans, les littératures de genre, et principalement la science-fiction, ont grandement évolué. Dans le monde, après le lancement de Spoutnik, c'est un homme qui est allé dans l'espace ; il faudra dorénavant chercher  l'évasion et l'imaginaire au-delà de l'Espace. Et puis la Guerre Froide, la Crise de Cuba, l'assassinat de Kennedy,... démontrent qu'après "l'épanouissement" consumériste des années 50, un basculement soudain est toujours possible, et qu'un avenir plus sombre se prépare potentiellement derrière les portes de demain. Face à une anxiété grandissante, les citoyens du monde des années 60  se politisent davantage que lors de la dispendieuse décennie précédente, et la science-fiction, toute entière consacrée à l'avenir, n'échappe évidemment pas à cette politisation.
C'est donc dans un environnement bien changé que renait Galaxie dans une version francophone, sous l'impulsion de Alain Dorémieux (et sans doute déjà de Michel Demuth) et des éditions Opta.

Mais qu'on s'en souvienne, entre 1953 et 1959, Galaxie (dite "1ère série" ensuite) diffusait principalement les auteurs de "l'Age d'or" de la SF américaine, Sheckley, Asimov, Pohl... Mais ce fut aussi en France le marchepied de Gérard Klein, de Michel Demuth ou d'Albert Ferlin, le jardin d'auteurs à présent "disparus" tels Jean Lec ou Jeannine Raylambert … Ce fut également l'aire de jeux du petit Jimmy Guieu, dans sa panoplie de chasseur de soucoupes.
Mais ce fut aussi une revue très décriée par la suite pour les libertés qu'elle prenait avec les textes, par des coupes drastiques et des traductions approximatives, faute d'un véritable souci éditorial. Car un fantôme hantait les bureaux de l'éditeur Nuit et Jour, et c'était le rédacteur en chef de Galaxie ("La rédaction-fantôme de « Galaxie » (tellement fantôme que jamais personne n'arrivait à voir le « rédacteur ») n'était en somme qu'un secrétariat s'occupant de transmettre des textes américains à traduire.", écrivait Alain Dorémieux dans le Fiction n°68).
Suivant une "trajectoire parallèle" à celle de Fiction, Galaxie ne montrait toutefois pas la même velléité d'imposer un genre en France et de s'en saisir pleinement, mais bien plutôt de proposer "un produit manufacturé" décalqué sur sa version américaine - du moins toujours à en croire Alain Dorémieux.

Cinq ans, donc, ont passé, "The times they are a' changin'" comme dit le poète, et les rivalités d'hier se muent alors en réappropriation. Fiction colonise-t-elle Galaxie, après avoir laissé les poussières de la faillite lentement retomber ? Nous inclinerons plutôt à croire en un souhait sincère d'amateur du genre, déplorant l'absence de diversité des revues professionnelles et la conscience qu'un trésor littéraire demeure encore inaccessible aux lecteurs français, par-delà une barrière de la langue large comme l'Atlantique.

Voyons ce qu'Alain Dorémieux nous dit dans l'annonce de la renaissance de Galaxie qu'il publie dans le n°125 de Fiction :
GALAXIE : Une renaissance
" À partir du mois d’avril, FICTION aura une sœur cadette (au nom déjà célèbre) : GALAXIE.
La première édition française de GALAXIE débuta en 1953 et fut interrompue en 1959. S’il est vrai que tous les lustres le phénix renaissait de ses cendres, pourquoi une revue de SF n’imiterait-elle pas cet oiseau légendaire ?
Le précédent GALAXIE n’avait qu’un défaut : celui d’être publié par des non-spécialistes. Cette nouvelle édition, dirigée par la même équipe rédactionnelle que FICTION, offrira à cet égard une garantie de sérieux.
Pour la première fois, vous seront présentés en version intégrale les meilleurs textes inédits des grands auteurs américains de SF. Le nombre de pages (160, uniquement consacrées à des récits) permettra en outre, chaque mois, une importante sélection.
Comme par le passé, GALAXIE sera la revue 100 % SF, destinée à l’amateur « inconditionnel » du genre. Mais la variété de ses sujets, la diversité des champs qu’ils embrassent, satisferont le plus grand éventail de goûts.
À un moment où la disparition du « Rayon Fantastique » avait paru sonner un coup de glas pour la science-fiction, nous sommes heureux de témoigner de sa vitalité, en réintroduisant sur le marché français la plus fameuse des revues d’outre-Atlantique. "

On pourra toutefois le constater, "Galaxie 2ème série" sera en effet, du moins au début, entièrement dédiée à la science-fiction anglo-saxonne, et conservera de la 1ère série son aspect "old school", ses illustrateurs d'avant-guerre (l'incontournable Virgil Finlay, par exemple), et ses "pitch" de présentations à l'emporte-pièce - soit "Galaxie", mais en mieux. Car un soin tout particulier sera apporté aux traductions (sous les plumes de Michel Deutsch, Pierre Billion, Christine Renard ou Michel Demuth himself...), et la revue tiendra finalement un rôle d'observatoire de ce qui s'écrit outre-Atlantique.

Mais témoigner de la vitalité d'un genre comme la science-fiction ne sera pas tout. Avec l'apparition ou l'envol d'auteurs comme Robert SilverbergPhilip K. Dick ou Cordwainer Smith, comme avec des chroniques régulières, celle de Philippe Curval par exemple, Galaxie sera aussi tournée vers les métamorphoses inévitables d'un genre dédié aux questionnements des lendemains.

Pour anticiper légèrement, et terminer cette note d'introduction à cette deuxième série de Galaxie, voyons ce que la rédaction de la revue écrit dans son numéro 4, quelques mois plus tard :

"GALAXIE" ET SES LECTEURS 
" La reparution de GALAXIE nous a valu un abondant et encourageant courrier.
A lire ces lettres, une constatation s'impose : GALAXIE comble un vide. Beaucoup de nos correspondants étaient lecteurs de l’ancienne édition et en avaient toujours regretté la disparition, L'amateur de S.F. et rien que de S.F. n'avait plus sa revue. Même réaction à notre formule consistant à présenter régulièrement des romans. La carence, dans ce domaine, des collections spécialisées semble laisser depuis longtemps le fervent de S.F. sur sa faim.
Satisfaction générale, donc, pour la renaissance de la revue. Et jugements dans l'ensemble favorables pour la composition des premiers numéros (seule une faible minorité s'estime déçue). Avouons pourtant une chose : nous avions un contingent de textes relativement restreint quand nous avons préparé ces premiers numéros. Actuellement, ce contingent est beaucoup plus étendu et nous pouvons faire de façon plus approfondie nos prochaines sélections. Voici notamment quelques auteurs dont nous avons une importante quantité de nouvelles ou de romans en stock : Brian W. Aldiss, Poul Anderson, Arthur C. Clarke, Philip K. Dick, Gordon R. Dickson, Damon Knight, Keïth Laumer, Fritz Leiber, Murray Leinster, J.T. Mclntosh, Cordwainer Smith, Robert F. Young, etc.
D'autre part, nous nous occupons activement de rechercher les anciens textes non parus en France du Galaxy américain. Et à ce propos, une précision s'impose. Beaucoup d'auteurs autrefois très productifs n'écrivent plus guère dans le Galaxy américain. C'est le cas notamment de Simak et Sheckley. Nous ne pouvons donc, au mieux, que présenter les nouvelles d'eux restées inédites mais non les inscrire régulièrement et constamment à nos sommaires.
Nous étant consacrés à l'étude des traductions de l’ancien Galaxie français, nous envisageons autre chose : présenter la version intégrale de textes qui, à l'époque, avaient été parfois considérablement abrégés ou altérés à la traduction, Un seul exemple suffira à exposer la situation : la nouvelle de Robert Sheckley Un billet pour Tranai, d'une longueur de 38 pages dans son texte original, fut ramenée à 20 pages dans le Galaxie français. Dans de pareils cas, une reprise nous semble s'imposer (mais pas plus d'une au maximum par mois). Qu'en pensent nos lecteurs ?
Si nos correspondants sont presque unanimes sur les textes présentés, il y a plus de divergences concernant l’utilisation des dessins américains. Disons simplement qu'ils nous paraissent certes de qualité inégale, et que nous nous efforcerons à l'avenir de ne conserver que les meilleurs. Mais ils correspondent à notre avis à l'esprit de GALAXIE, et les supprimer serait trahir cet esprit. "

Cette démarche de reprendre de fond en comble les traductions des nouvelles parues dans la première série de Galaxie, Michel Demuth la développera un peu plus tard, avec sa série d'anthologies "Marginal", compilant  selon des grands thèmes les nouvelles retraduites, avec des illustrations originales de dessinateurs français. Mais il faudra encore attendre presque dix ans et l'année 1973 pour cela…

Pour transiter en douceur vers la suite, citons Simak dans son roman "Au carrefour des étoiles" : 

" - Il y a un journal de Géorgie dont le slogan proclame qu'il couvre le Sud comme la rosée. Il faudrait inventer quelque chose du même genre au niveau de la galaxie.

- Un gant ! s'exclama Mary. Le quotidien qui enveloppe la galaxie comme un gant ! "


Galaxie propose donc de commencer ce nouveau voyage par un roman de Clifford D. Simak, publié en deux parties, Au carrefour des étoiles, qui obtiendra d'ailleurs le Prix Hugo en cette année 1964.

" Voici la Terre, se disait-il. Une planète faite pour l'Homme. Mais pas pour lui seul, cependant : c'était aussi une planète pour le renard, le hibou et la belette, pour le serpent, la sauterelle et le poisson, pour toutes les formes vivantes qui pullulaient dans l'air, sur le sol et au fond des eaux. Et qui n'était pas non plus le monopole des espèces indigènes : elle était également faite pour d'autres créatures, nées sur d'autres terres, sur d'autres planètes situées à des années-lumière mais qui, dans leur essence, étaient toutes autant de Terres. Car Ulysse, et les Lumineux, et tous les autres pouvaient vivre sur la planète Terre si besoin en était ou s'ils en avaient simplement envie. (…) Le fait fondamental : l'intelligence existait dans l'univers. L'Homme n'était pas seul. Pour peu qu'il s'engageât sur la bonne route, il ne serait, plus jamais seul. "

Partant de cette hypothèse que l'intelligence, ou que la conscience d'être existe partout à travers l'univers, Simak nous propose de s'interroger sur son sens. Car manifestement, il nous faut suivre la bonne route. Le débat est donc moral, et la question demeure : quelle est "la bonne route" selon Simak ?

—  (…) Que de choses avons-nous encore à apprendre ! Ils sont tellement plus savants que nous… Leurs notions en matière de religion, par exemple…
— Je ne sais pas s'il s'agit vraiment d'une religion. Cela n'a pas l'appareil généralement associé à la religion. Et ce n'est pas fondé sur la foi. La foi n'est pas une nécessité. La base de leurs croyances, c'est la connaissance. Ce sont des gens qui savent, voyez-vous.
— C'est à la force spirituelle que vous pensez ?
Enoch répondit :
— Elle existe au même titre que toutes les autres forces qui constituent l'univers. Oui, il y a une force spirituelle exactement comme il y a des choses que l'on appelle le temps, l'espace ou la gravitation pour ne parler que de ces seuls éléments immatériels. Elle existe et ils peuvent entrer en contact avec elle…
Cette idée d'une forme de conscience qui traverse le vivant, la "force spirituelle", sera reprise 13 ans plus tars dans le film "Star Wars". Chez Simak aussi, la "force" donne à ceux qui y sont les plus sensibles un pouvoir sur la matière, la vie, l'espace… Et si, comme dans "Star Wars", il y a un ordre quelque peu monastique qui veille sur les avatars de cette force, l'idée n'y est ici qu'évoquée de loin, comme un bruit de fond à l'ensemble de l'histoire.
Il y a déjà bien assez à faire, Simak le comprend bien, avec la posture de l'humain qui découvre, seul, l'immensité de la civilisation galactique, et le déploiement de la conscience par delà notre petite planète de banlieue. Car les chocs sont multiples, et parfois inattendus. 
Si votre forme physique vous interdit de coloniser une planète, vous n'avez qu'à changer de forme ! À vous métamorphoser en un être capable de vivre sur la planète en question ; il ne vous reste plus alors qu'à en prendre possession. S'il vous faut, pour cela, être un ver blanc, eh bien, vous devenez un ver blanc. Ou un coléoptère. Ou un crustacé. Ou n'importe quoi d'autre. Et ce n'est pas seulement votre enveloppe corporelle qui se transforme : votre esprit subit le même avatar, il devient le type d'esprit qu'il faut que vous puissiez vivre dans ce milieu étranger.
Bien que Simak poursuive ici en termes simples le principe de pantropie théorisé par James Blish en 1957, rappelons qu'il avait déjà évoqué cette idée dans "Demain les chiens" (1952).

La "bonne route", alors, qu'elle est-elle selon Simak ? Croire en la Force ? Se fondre dans la substance changeante de l'Univers et ses lois particulières ? 
A un contexte mondial qui exacerbe un certain pessimisme (qui pourrait faire sourire à présent - après la Guerre Froide s'entend - qu'a été évitée la 3ème Guerre Mondiale), Simak répond par une douce foi en l'intelligence et en la civilisation qui induisent bonté, tolérance, et curiosité pour les phénomènes étrangers, et ce d'où qu'ils soient - intergalactiquement parlant. On compatit finalement à ce mélange tragique entre immortalité et solitude d'une part, et ouverture d'esprit et limitation intellectuelle d'autre part, que vit Enoch Wallace, le protagoniste de cette belle histoire, où l'auteur déploie tous ses thèmes favoris. Pour conclure partiellement : le métier sûr de Simak n'a d'égal que son humanisme.

Le temps du froid, de Mary Carlson, parait bien fade après le roman de Simak. On ne peut que se demander pourquoi Dorémieux a choisi ce texte pour le premier numéro de Galaxie.


On le comprend nettement mieux avec la nouvelle suivante : Voir l'homme invisible.
Dostoïevski a écrit quelque part : « Sans Dieu, tout est possible. » Je peux le paraphraser et dire : À l'homme invisible, tout est possible – et sans intérêt. 
On commence ici à voir poindre l'un des thèmes récurrents de Robert Silverberg : l'individu exclu au sein de ses semblables, seul parmi la foule des autres. Ici, il s'agit d'un fait social qui ne portait pas encore le nom d'invisibilisation.

Mieux qu'une planète piège, John Brunner propose Le meilleur des pièges pour toute une planète ;  à l'instar de son titre en version originale : mieux qu'une tapette à souris. Si John Brunner n'a pas encore creusé sa voie dans la "speculative fiction", il possède déjà un métier sûr et une imagination convaincante.

Le réveil après une hibernation plus longue que prévue… et le monde est transformé. Un texte simple et une bonne nouvelle à chute de Jack Sharkey qui fait ici son entrée. 


Reprenant à son compte le "Waldo", une invention de Robert Heinlein dans un court roman qui porte ce même titre ("Waldo", 1942) , A. E. Van Vogt élabore dans Les sacrifiés une histoire où la télépathie d'une espèce extraterrestre se révèle être à sens unique (l'E.T. ne sait pas qu'on l'entend penser), mâtinée d'une intrigue de prise de pouvoir sur un vaisseau arche. Beaucoup de sujets, donc, et si l'on retrouve bien le goût de Van Vogt pour la mentalisation des tactiques de prises de pouvoir, il est ici bien trop bavard, et l'intrigue inutilement compliquée. Van Vogt semble un peu manquer sa cible.

Le carrefour des étoiles inspire au traducteur Pierre Billon un autre titre : dans La croisée des chemins, Poul Anderson, toujours doué pour décrire en quelques usages une société extraterrestre, évoque le dilemme qui traverse des explorateurs humains découvrant une société idyllique et en paix, sans aucune technologie, mais d'une intelligence moyenne manifestement très supérieure à celle des hommes. Faut-il éviter de les renseigner davantage, ou accepter de les avoir quelque peu corrompus et miser sur leur grande intelligence pour améliorer la civilisation galactique ? Une bonne nouvelle, et, contre toute attente, apaisante.

Le point de vue d'une race en voie d'extinction sur une planète désolée… quand survient un vaisseau terrien, semblerait-il. Jeux d'échelles à la William Morrison, et sarcasme léger de Lester Del Rey envers une représentation genrée des règles universelles de la vie, La fin d'une race est une bonne petite histoire de vampires de l'espace.

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