05 novembre, 2025

Fiction n°129 – Août 1964

Dans ce numéro d'été 1964, pour une fois, ce sont les auteurs anglo-saxons qui présentent les textes les plus rares : Evelyn E. Smith ou Ron Goulart, ainsi que les plus furtifs John Anthony West ou Russell Kirk... On appréciera une magnifique nouvelle de J. G. Ballard qui commence à trouver ses thèmes propres.

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Sommaire du Numéro 129 :


1 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 6 à 6, bibliographie


NOUVELLES


2 - J. G. BALLARD, La Forêt de cristal (The Illuminated Man, 1964), pages 7 à 35, nouvelle, trad. René LATHIÈRE

3 - Evelyn E. SMITH, Cher petit Gregory (Little Gregory, 1964), pages 36 à 56, nouvelle, trad. Michèle SANTOIRE *

4 - Bryce WALTON, Les Gardiens de la Paix (The Peace Watchers, 1964), pages 57 à 73, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

5 - Ron GOULART, Un justicier trop parfait (Into the Shop, 1964), pages 74 à 84, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

6 - Robert LORY, Rendez-vous à dix heures (Appointment at Ten O'Clock, 1964), pages 85 à 90, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

7 - Christine RENARD, De profundis, pages 91 à 101, nouvelle

8 - BELEN, Lorsque la femme parée..., pages 102 à 105, nouvelle

9 - Russell KIRK, Le Manoir de Sorworth (Sorworth place, 1962), pages 106 à 126, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

10 - John Anthony WEST, La Fiesta de Managuay (The Fiesta at Managuay, 1961), pages 127 à 140, nouvelle, trad. Christine RENARD *

CHRONIQUES


11 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 141 à 151, critique(s)

12 - Jacques GOIMARD, L'Écran à quatre dimensions, pages 153 à 155, article

13 - Roland STRAGLIATI, Notes de lecture, pages 157 à 159, critique(s)


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


La forêt de cristal est une fort belle nouvelle de J. G. Ballard, qui entame sa série de mondes catastrophés, après "Le monde englouti" paru cette même année. Ici, c'est l'arrêt progressif de l'écoulement du temps qui cristallise peu à peu notre planète, dans un foisonnement de jeux de lumières prismatiques sans cesse rappelés. Pour une fois, le traducteur René Lathière ne s'en sort pas trop mal, et l'on peut supposer que le style travaillé de Ballard l'aura fait progresser.

 

On s'amuse toujours beaucoup avec le ton faussement naïf qu'adopte Evelyn E. Smith. Ici, une gouvernante est enrôlée pour veiller sur le Cher petit Gregory, un enfant...qui n'a rien d'enfantin. Jouant un peu avec les codes du fantastique et ceux de la science-fiction, on n'est jamais dupes mais on s'y laisse prendre avec humour.


C'était avec appréhension que nous avions abordé la lecture de la nouvelle intitulée Les Gardiens de la Paix, les deux précédentes de Bryce Walton ayant été difficiles à apprécier. Ici, on est en droit de se laisser aller à goûter à cette histoire de société humaine (très "american way of life") d'où toute émotion négative est chimiquement bannie. Tout y repose sur le conditionnement en Clinique et la surveillance des Gardiens de la Paix, avec l'oubli en couvercle sur la marmite de l'inconscient. Pour filer la métaphore, la soupe est bonne mais passablement commune, et Walton insiste trop et sans aucun style sur les quelques ingrédients communs qu'il semble penser avoir découvert. Bref, son eau chaude rappellera de meilleures œuvres : "Le piéton" ou certains passages de "Fahrenheit 451" de Ray Bradbury, ou les futurs "Rapport minoritaire" de Philip K. Dick ou le film "Demolition man" et son monde d'où la violence est bannie.


Ron Goulart, lui, possède ce qui manque à Walton : une bonne dose d'humour. Dans Un justicier de trop, la surveillance et l'exercice du maintien de l'ordre sont confiés à des machines capables d'initiatives. Les policiers chargés d'être les agents principaux d'une enquête se retrouvent en fait obsolètes et simples subalternes. Ce ne devrait pas être le cas, mais ces prises d'initiatives de la machines sont ici perçues comme des dysfonctionnements monomaniaques - et c'est là que réside tout l'humour de Goulart : sans pousser son anticipation jusqu'au point de singularité, il constate que l'homme a construit lui-même les instruments de son déclassement en escomptant sur une infaillibilité mécanique. Mais sans doute que le maintien de la loi et de l'ordre, et l'exercice de la justice, réclament davantage que cela.


Comment aimer un jour sans fin, ou plutôt une boucle du temps revécue sans relâche ? Rendez-vous à dix heurespetite histoire au style forcément répétitif mais bien menée par Robert Lory, nous propose une résolution.


Riche idée de Christine Renard que cette histoire de jeune fille qui se fait passer, De profundis, pour une morte afin de faire croire à un fantôme… Jusqu'à ce que le fantôme lui apparaisse ensuite. On retrouve les thèmes et les ambiances favoris de cette autrice.


Lorsque la femme parée… de Belen, n'intéressera peut-être que les amateurs de grivoiseries.



Comme chez Henry James, on ne sait jamais ce qu'il faut croire en abordant Le manoir de Sorworth. La narration de cette histoire de manoir écossais hanté peut prêter à sourire, et malgré une fin un peu fade, l'ambiance que dresse Russell Kirk peut emporter les plus sensibles des lecteurs.


La fiesta de Managuay nous emporterait bien, si ce n'était une fin trop abrupte et qui désole un peu cette ambiance de carnaval de mendiants et d'éclopés toute sud-américaine dans son surréalisme concret. Dommage, on avait bien apprécié les nouvelles précédentes de John Anthony West.



En bonus, nous vous proposons de découvrir un second roman de John Taine, après "Germes de vie" qui constituait l'une de nos toutes premières publications. Comme de coutume, la critique de Demètre Ioakimidis est appropriée, donne envie de lire le roman, mais sans se laisser aller à la complaisance.


Notre bonus !

John Taine - L’étoile de fer

Eric Temple Bell, qui naquit en Écosse en 1883 et mourut aux États-Unis en 1960, enseigna les mathématiques à l’Institut de Technologie de Californie, et publia plusieurs ouvrages sur cette science ainsi que sur son histoire. Sous le pseudonyme de John Taine, il écrivit un bon nombre de romans et quelques nouvelles se rattachant à la science-fiction. Cette Étoile de fer, ainsi qu’il est précisé dans la présente édition, parut pour la première fois en 1930.

Il est assez remarquable que ce mathématicien ait principalement été attiré, dans ses œuvres d’imagination, par les sciences biologiques. Comme Germes de vie, précédemment paru dans la même collection, c’est à cette science que se rattache cette Étoile de fer. Comme le titre l’indique, c’est un débris céleste qui est au centre de l’action – ou, plus exactement, du mystère : une météorite de composition inhabituelle, tombée en Afrique équatoriale, provoque d’étranges mutations par son rayonnement. Les êtres humains, sous son influence, suivent une évolution à rebours, devenant des singes, perdant la plus grande part de leur intelligence alors qu’ils ne conservent que l’instinct. C’est l’histoire de l’expédition qui découvrira l’explication qui forme la plus grande partie du livre. Le récit est mené avec le métier que les anglo-saxons désignent de l’adjectif compétent, et c’est effectivement ainsi que l’on peut qualifier l’auteur. Il tire un emploi logique et cohérent d’un thème valable, et le présente à son lecteur de manière à éveiller sa curiosité dès les premières pages. Le personnage de l’ancien missionnaire Swain, chez lequel l’homme paraît encore lutter avec le singe, est dessiné avec beaucoup de fermeté.

Mais le roman trahit son âge, indubitablement. Cela tient simplement au fait que la science-fiction a évolué depuis que Bell-Taine a écrit cette Étoile de fer. En 1930, le thème des mutations était moins familier que de nos jours, et le lecteur de 1964 ne peut s’empêcher de trouver que l’auteur « tire à la ligne » : l’explication des divers mystères présentés lui apparaît en général beaucoup plus vite qu’aux personnages, et les marches que l’auteur impose à ceux-ci à travers les forêts équatoriales fatiguent ceux qui lisent au moins autant que les membres de l’expédition. Il faut remarquer, en outre, qu’un préjugé racial certain – il est souvent question des Africains sous les termes de « brutes » et de « sadiques » – n’est pas fait pour gagner la sympathie du lecteur.

À relever, à l’actif, la très bonne traduction de Christine Renard. Celle-ci possède deux qualités que l’on ne rencontre pas toujours chez ses confrères : elle connaît l’anglais, et elle aime la science-fiction.

Demètre IOAKIMIDIS

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