En ce 11 Novembre 2023, nous célébrons la paix si menacée entre les peuples, avec ce partage d’un recueil de nouvelles de Pierre Boulle, datant de 1957 : "E=MC2".
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« E=MC2 » a été recensé deux fois (ça n’est pas si courant) dans
les numéros 42 et 43 de la revue Fiction. Tout d’abord par Igor B. Maslowski :
" On se souvient certainement d'un recueil de récits d'A.S., « Les contes de l'absurde », dont j'avais fait l'éloge il y a quelque quatre ans et qui valut à son auteur le Grand Prix de la Nouvelle 1953. Pierre Boulle récidive aujourd'hui en nous offrant un volume de quatre contes et nouvelles, « E = mc2 », dont trois se rattachent à la SF humoristique et philosophique, cependant que le quatrième, d'un sujet plus noble, examine un cas de conscience.
Dans « Les Luniens », Boulle nous narre comment un jour Russes et Américains se rencontrent sur la face de la Lune que nous ne voyons pas et, se prenant mutuellement pour les indigènes du satellite, procèdent à une étude détaillée et admirative des us et coutumes réciproques ; admiration qui ne dure que jusqu'au moment où la vérité est décelée.
Dans « L'amour et la pesanteur », l'auteur nous décrit par la bouche du principal intéressé, le jeune marié, les péripéties d'une nuit de noces à bord d'un satellite artificiel démuni de pesanteur.
Dans « Le roman d'une idée », il nous présente d'une façon ironiquement cruelle ce qu'aurait pu donner l'énergie atomique si elle avait été employée à des fins non militaires.
Dans « Le miracle », enfin, nous voyons un prêtre qui, en ayant provoqué un, avec pour effet secondaire la conversion d'un athée, perd lui-même la foi, ne pouvant logiquement expliquer l'événement.
Sans être aussi réussi que « Les contes de l'absurde », « E = mc2 » est un recueil qu'on lit avec grand plaisir (je fais des réserves sur le style « paysan » d'« Amour et pesanteur » qui alourdit la narration) et qu'on médite (« Amour » excepté). Voilà de l'anticipation scientifique typiquement française, voltairienne. Quand l'auteur nous donnera-t-il un grand roman de SF ? "
(Igor B. Maslowski, in La revue des livres – Fiction n°42, Mai1957)
Dans la même rubrique, Jacques Bergier ajoute son
éloge le mois suivant, comme pour augmenter l’intérêt des lecteurs, et en
prenant le parti de défendre l’aspect « essai » de l’ensemble des
nouvelles. (Attention : divulgachage).
" Autre ouvrage remarquable, qui à mon avis mérite aussi bien d'être traité comme un essai que comme un recueil de nouvelles : « E = Mc2 », de Pierre Boulle (dont I. B. Maslowski a déjà parlé par ailleurs le mois dernier).
On peut trouver peut-être, sur le plan littéraire, l'affabulation de ces nouvelles un peu mince et certains incidents invraisemblables. Mais, considéré comme essai et comme satire sociale, je trouve ce livre excellent. La première nouvelle en particulier : « Les Luniens », et la dernière : « E = Mc2 », sont des excursions étonnantes dans des mondes possibles.
Je ne sais pas si Pierre Boulle connaît assez la science-fiction pour avoir le concept des univers parallèles au nôtre, où les événements ont évolué d'une autre façon. Il en décrit en tout cas un proprement merveilleux dans le récit « E = Mc2 ».
Il s'agit d'un univers où l'application de la formule d'Einstein aux bombes A et H n'a jamais été réalisée. Par contre on a réalisé l'application inverse : la conversion de l'énergie cosmique en matière.
Einstein et quelque autre savant réussissent à canaliser l'énergie des rayons cosmiques et à faire apparaître à partir du néant des fleurs d'uranium. Ces fleurs tombent sur… Hiroshima avec des résultats tout aussi catastrophiques que la bombe A. Ce petit chef-d'œuvre d'ironie à lui seul justifie largement l'achat de ce livre."
(Jacques Bergier, in La revue des livres, Fiction n°43 – Juin1957)
Ce qualificatif d’essai, pour Bergier, semble plutôt désigner la part philosophique des nouvelles, comme si la
littérature d’imagination ne pouvait être prise de prime abord au sérieux,
comme pour dire : « Il s’agit
de science-fiction, mais pas d’un simple récit de distraction ou d’évasion,
mais plutôt d’une réflexion sur ce qu’il advient si…, ou ce qui aurait pu
advenir. »
Ce n’est pas la première fois qu’on peut noter cette
ambigüité chez Bergier, sans doute plus attiré par ce que le domaine spéculatif
peut apporter aux sciences qu’aux aspects littéraires des genres de l’imaginaire.
Néanmoins, lorsque Bergier évoque le thème des « mondes parallèles »,
on reconnait bien le genre décrit comme étant plutôt celui de
« l’uchronie ».
Renvoyons gentiment à Bergier son observation sur la
connaissance « scientifictionnesque » de Boulle (« Nous ne savons pas
si Jacques Bergier connaît assez la science-fiction pour avoir le concept des
univers parallèles au nôtre, où les événements ont évolué d'une autre façon ») tant il est vrai que cette catégorie de fictions
scientifiques était encore à l’époque assez rare (bien que le mot ait été forgé
en 1857 par le philosophe Charles Renouvrier). On retiendra dans la littérature
« Autant en emporte le temps » de Ward Moore, qui date de 1953 mais
ne sera traduit qu’en 1977 en France.
Mais revenons à Pierre Boulle ; cette dernière nouvelle du recueil (« E=MC2 ou le roman d’une idée ») sort du lot par son traitement, et, en n’explicitant pas son statut d’histoire parallèle, « uchronique », plonge le lecteur dans un trouble qui va grandissant.
En inversant l'application atomique et guerrière de
la formule d'Einstein, Pierre Boulle imagine dans cette uchronie que l’on donne
à Einstein la possibilité de transformer non pas la matière en énergie
(destructrice), mais l’énergie cosmique (les radiations naturelles émanant
principalement du Soleil) en matière. La conclusion rappellera la nouvelle de Robert
Sheckley "La Clé laxienne"
(voir Galaxie
n°16), sans son humour toutefois, du fait de la terrible réalité de la
destruction d'Hiroshima.
Des trois autres nouvelles, deux traitent de conquête
spatiale. Sans doute faut-il rappeler que cette année 1957 est très marquée par
le lancement réussi du premier satellite artificiel « Spoutnik » (suivi
de près par Spoutnik II avec à son bord la célèbre chienne Laïka). Lorsque parait le recueil de Pierre Boulle, le projet soviétique
n’a pas encore abouti, mais des rumeurs persistantes rappellent sans cesse l’imminence
des premières satellisations. Voilà bien un sujet tout trouvé de spéculation à
court terme – et Boulle de s’en donner à cœur joie avec « Amour et pesanteur - Histoire dédiée aux esprits passionnés de
science-fiction » (et son sous-titre qui rappelle qu’on a encore
besoin de prendre des pincettes avec le lectorat quand il s’agit d’imaginer la
potentielle réalité de demain).
Traité sur un mode tout aussi humoristique, mais
plus grave toutefois par le fond, « Les
luniens » évoque les clivages politiques entre les deux blocs
dominants qui se dessinent dans l’organisation des nations durant ce début de
Guerre Froide. Ici, c’est la conquête du territoire de la Lune qui permet aux américains
et aux soviétiques de considérer leurs idéologies respectives avec un regard
neuf. Voyons le point de vue américain tout d’abord :
« Si on s’élève au-dessus des détails, pour considérer dans sa généralité l’esprit organisateur lunien, on constate d’ailleurs qu’il y a entre eux et nous des analogies remarquables. Notre grand principe de management, par exemple, celui-là même qui est inscrit en lettres d’or à l’entrée de nos grandes administrations : « Trusted until sacked », c’est-à-dire : « Donnez à vos hommes de grandes responsabilités, et faites-leur confiance, jusqu’à ce que vous les flanquiez à la porte », eh bien, gentlemen du C.S.I., c’est lui qui préside à toutes les entreprises des Luniens. Ils l’appliquent à la gestion même de l’État. Leurs hommes politiques ont des pouvoirs étendus jusqu’à ce qu’ils cessent de donner satisfaction. Alors, ils sont immédiatement liquidés, comme nos ingénieurs incapables ou nos administrateurs maladroits. Cette règle, dont nous nous croyions les inventeurs, elle est appliquée intégralement sur l’autre face de la Lune, par des êtres audacieux, qui n’hésitent pas à tirer toutes les conséquences bénéfiques d’une idée juste. » (« Les luniens » - chapitre 3 – extrait)
Et maintenant le pendant soviétique :
« Notre idéal communiste, camarades, selon lequel tous les Biens d’intérêt public doivent être collectifs, et que nous éprouvons parfois des difficultés à transposer dans la pratique, cet idéal est réalisé intégralement ici même, sur l’autre face de la Lune. Mais surtout ce qui nous a rendu muets d’admiration, c’est la beauté du procédé par lequel ce résultat est obtenu. Il consiste en ceci : les fonds nécessaires au lancement ou au développement d’une entreprise quelconque sont divisés en parts ; en parts assez faibles pour être à la portée de toutes les bourses ; en parts appelées actions. (Notez en passant la puissance suggestive de ce terme.) Ces actions peuvent être souscrites, le sont effectivement par tout individu qui désire avoir un intérêt dans l’entreprise. Ainsi l’ouvrier, ainsi le plus modeste des manœuvres, ainsi le paysan sont automatiquement propriétaires de leur usine, de leur chantier ou de leur terrain, et participent aux bénéfices de leur exploitation. Ainsi est réalisé le grand principe communiste. » (« Les luniens » - chapitre 4, extrait)
En bref, Pierre Boulle met le doigt sur ce qui
rassemble est et ouest : la justification d’une économie de marché par une
idéologie de gestion des masses laborieuses. Mais la confrontation des idéologies dans une tacite acceptation laissera entendre qu'il pourrait exister un terrain d'entente hors des dogmes. Quand la vérité éclatera, le
clivage idéologique reprendra ses droits non sans l’amertume d’un beau gâchis.
Tout comme « Les
luniens » joue avec les dogmes politiques, « Le miracle », (ce
miracle, qui ne provoque en moi aucun élan ! comme le dit son principal
protagoniste) pointe les positions dogmatiques de la science et de la religion,
qui se considèrent l’une l’autre en chiens de faïence. Boulle décrit bien ici
les mécanismes de société qui font des réussites jugées improbables par la
science, qualifiées donc de miraculeuses, des messages éventuels de Dieu. Toutefois,
Boulle rappelle que juger d'un miracle n'est pas donné à celui qui le fait.
Pour approfondir votre lecture de Pierre Boulle dans
le champ de la science-fiction française, nous ne pouvons que vos conseiller la
lecture de la très complète étude publiée dans le cadre de la revue
universitaire Res Futurae, et son numéro 6 consacré à cet auteur (https://resf.hypotheses.org/2945) .
Rapport du PReFeG :
- Relecture
- Rares corrections orthographiques et
grammaticales
- Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
- Note (3) ajoutée.
- Vérification et mise à jour des liens internes
- Mise au propre et noms des fichiers html
- Mise à jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)
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Recueil de nouvelles :
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E = mc2 (1957, science-fiction) - JULLIARD
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Histoires charitables (1965) - JULLIARD
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