14 décembre, 2022

Fiction n°029 – Avril 1956

La recherche du commun, ciment des communautés, des cultures, des civilisations, peut aussi présenter des travers. Plusieurs exemples jalonnent ce numéro 29 de Fiction.

 

Le schmilblik n'est pas un œuf,

le clic fait pack !


Sommaire du Numéro 29 :

NOUVELLES

 

1 - Chad OLIVER, L'Objet (Artifact, 1955), pages 3 à 22, nouvelle, trad. Bruno MARTIN

2 - Marc BRANDEL, À monstre, monstre et demi (Cast as the First Shadow, 1953), pages 23 à 30, nouvelle, trad. Jean de KERDÉLAND

3 - Roger DEE, L'Envers d'un paradoxe (The Poundstone Paradox, 1954), pages 31 à 38, nouvelle, trad. Jean ROSENTHAL

4 - Pierre AUBERT, Une musique dans la nuit, pages 39 à 43, nouvelle

5 - Philip K. DICK, Le Père truqué (The Father-Thing, 1954), pages 44 à 53, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX

6 - Pierre VERSINS, Le Dernier mur, pages 54 à 60, nouvelle

7 - J. T. McINTOSH, Les Talents (Talents, 1952), pages 61 à 83, nouvelle, trad. Jean ROSENTHAL

8 - Richard MATHESON, Escamotage (Disappearing Act, 1953), pages 84 à 96, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX

 

CHRONIQUES


9 - Jacques BERGIER & Alain DORÉMIEUX & Gérard KLEIN & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 97 à 102, critique(s)

10 - Jacques STERNBERG, Une succursale du fantastique : Le monde des caricaturistes américains, pages 104 à 111, article

11 - F. HODA, Bilan 1955, pages 115 à 117, article

12 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 123 à 126, article

 

L'objet, par Chad Oliver, mélange l'attrait pour Mars avec la fascination de l'anthropologue (formation de l'auteur sur lequel nous reviendrons bientôt) pour les sociétés originelles dites "primitives". Une belle histoire au ton assez touchant, un peu naïf par sa candeur, mais plein d'espoir pour l'amitié entre les peuples.

La recherche du commun fait le sujet de À monstre, monstre et demi, par Marc Brandel (connu pour être scénariste de télévision, entre autres Destination Danger / Danger Man). Une belle fable sur le monstre isolé dans sa singularité. Une fin un peu attendue, mais une écriture sensible.

L'envers d'un paradoxe est une sympathique nouvelle de paradoxe temporel ; ç'aurait pu être du Sheckley, mais c'est du Roger Dee (qui partage sa bibliographie entre Fiction et Galaxie).

Cruauté gratuite pour Une musique dans la nuit, par Pierre Aubert. un peu vide toutefois ; Maldoror en villégiature.

Encore une nouvelle sur la recherche du commun, cette fois-ci par le mimétisme et dans un but de parasitisme : Le père truqué par Philip K. Dick, devenue un classique d'un auteur désormais incontournable. Inévitablement, on pense aux Bodysnatchers, les envahisseurs extraterrestres du roman de Jack Finney "Graines d'épouvante". Les procédés sont les mêmes, les images horrifiques similaires. Le roman de Finney date de 1954, et était paru en feuilleton dans le magazine Collier's. La nouvelle de Dick, d'un style net et sans fioriture, est publiée quant à elle en décembre 1954 dans The magazine of fantasy and science-fiction. Le film de Don Siegel qui adapte Finney, évoqué par F. Hoda dans la revue des films du même numéro, date de 1955. Mettons ces synchronicités d'inspiration sur le compte de l'air du temps, saturé de complotisme et de paranoïa durant cette Guerre Froide.

L'argument d'Escamotage, est redoutable : le monde se simplifie. Voilà du bon Richard Matheson, qui nous amène à espérer pouvoir continuer de miser sur la complexité des singularités.

Une adaptation de cette nouvelle dans la série "Twillight zone" (La quatrième dimension) est disponible sur l'UFSF ICI.

On se réjouit de l'arrivée de Pierre Versins, avec Le dernier mur, parmi les auteurs publiés dans Fiction. L'auteur de la future et monumentale "l'Encyclopédie de l’Utopie, des voyages extraordinaires et de la SF" possède son style propre, qui n'est pas sans rappeler celui du mystérieux Roger Sorez (voir notre bonus du 1er Avril dernier) ... La problématique de la nouvelle est à la fois très scientifique et cocasse: dépasser le mur de la vitesse lumière et passer "de l'autre coté", au risque de faire entrer dans notre espace-temps nos reflets à rebours. On verra comment la rencontre ne se fait pas, mais l'échange.

Encore une nouvelle de rencontre, ici inter espèces, allant jusqu'à la symbiose cette fois. C'est Les talents par J. T. McIntosh, considéré, par la rédaction de Fiction et d'après leur sondage du numéro 19, comme l'auteur préféré de la majorité (des) lecteurs. Faut-il préciser que McIntosh a eu la chance d'avoir été publié en feuilleton dans Fiction, et a donc plus de chance de marquer les esprits ?

Dans son texte de présentation de la nouvelle, Fiction précise aussi ceci :

On a parfois reproché à Macintosh de réduire le thème SF de ses nouvelles à un trop mince prétexte. On sait qu'il est, dans le genre, le maître de la jeune école réaliste. En tant que tel, sa préoccupation essentielle est de nous montrer des hommes d'aujourd'hui (ou tout au moins leurs pareils), mais placés dans des conditions que seul un contexte futur permet d'imaginer. La SF n'a donc là qu'un rôle de trame – mais précisément cette trame est le support essentiel qui donne à l'évocation sa tournure propre.

McIntosh, maître de la jeune école réaliste dans un genre tout de même pas si vieux que cela…, et dont la démarche d'écriture serait d'user de la SF comme d'une trame. La démarche future d'un Daniel Drode sera tout autre, mais nous y reviendrons…

Le début de la nouvelle évoque un détail troublant qui fait résonner une autre occurrence de la culture des années 50 :

"… Dans la pièce voisine j'entendais oncle Elliot donner de furieux coups de marteau. (…) Oncle Elliot, aujourd'hui, ne faisait autre que taper sur un morceau de roche, je me sentis immédiatement prête à me lever et à affronter cette journée.

Mon oncle n'était pas égoïste ni sans égards pour ses semblables, simplement considérait-il toujours sa tâche du moment comme beaucoup plus importante que le sommeil, le repos, le petit déjeuner ou la paix de l'esprit d'autrui."

 

Cela n'est-il pas sans rappeler le début de la chanson de Boris Vian "La java des bombes atomiques" ? "Mon oncle un fameux bricoleur / faisait en amateur / des bombes atomiques. / (…) Quand il déjeunait avec nous / il avalait d'un coup / sa soupe aux vermicelles". On aurait pu penser que Vian, sans doute lecteur de Fiction, aurait ici été inspiré par la nouvelle de McIntosh. Mais, renseignements pris, la chanson fut composée en Mars 1955, et enregistrée en Avril de cette même année, soit un an auparavant. Encore une fois : Air du temps…

Une dernière citation de cette nouvelle, qui cette fois parlera aux lecteurs de notre début de 21ème Siècle. L'Oncle Elliot fabrique un tas d'objets considérés comme inutiles :

" Nous avions, bien entendu, un mémophone ; il me suffisait d'appuyer sur un bouton et le téléphone appelait pour moi le numéro de John. C'était parfaitement inutile, puisque je devais rester là à attendre sans rien faire de toute façon."

C'est le charmant point de vue des années 50. Nos smartphones sont bien une somme d'inutilités.

Dans la Revue des livres, nous apprécierons l'entrée officielle de Gérard Klein dans l'équipe de rédaction de Fiction, ainsi qu'une cocasse référence à Kurt Simak, l'auteur inexistant dont on publiera tout de même un ouvrage (en réalité Curd Siodmak).

Pour la revue des films, une très intéressante information nous renseigne sur les techniques commerciales des diffuseurs de films des années 30 :

" D'ailleurs les « manuels » de publicité de certains films conseillent aux directeurs de cinémas d'aller jusqu'à faire sortir de leur salles des gens sur brancards pour laisser croire à l'effet du film. Les « manuels » rappellent que c'est de cette façon que fut lancé jadis « Frankenstein »." (1931)

Société du spectacle, quand tu nous tiens !!!!


Les Glanes interstellaires de ce numéro rapportent des extraits d'un article de Jean-Louis Bouquet qui porte sa pierre à l'édifice d'une définition de la science-fiction, par le biais de ce qui la distingue d'avec la littérature fantastique. Et là, au détour d'une distinction, Bouquet parle de Lovecraft !

Notre collaborateur Jean-Louis Bouquet, dans « Arts » du 1er février dernier, s'interroge sur quelques aspects des rapports entre fantastique et SF, au cours d'un article intitulé « Science-fiction et fiction tout court ». Nous en reproduisons ci-dessous des passages :

La « science-fiction », dont le grand essor n'a réellement commencé que depuis peu, n'a-t-elle pas déjà donné des gages d'intellectualité de bon aloi ? L'un de ses précurseurs, Wells, n'était pas loin de faire figure de « penseur » aux environs de 1910. Depuis ceux qui eussent dû chérir son prestige se sont chargés de la démonétiser ; mais voici, devant nous, l'étincelant Bradbury, à qui l'on ne peut refuser des dons de peintre, de dramaturge, et aussi de pamphlétaire par apologues. Il ne s'en prend pas seulement aux travers d'une civilisation-robot, mais s'attaque à la nature humaine en soi : par exemple, dans ses atroces peintures d'enfants, autrement sévères que les dessins d'Addams ! Il est vrai que là, parfois, le lecteur se demande si de tels récits avaient bien besoin d'être condimentés par une invasion de Martiens, ou un séjour sur la planète Vénus, si des circonstances ou des ressorts choisis plus près (et cela n'est pas impossible à concevoir) n'auraient pas laissé plus de force au fond du sujet !… Mais Bradbury a peut-être besoin de demeurer dans un certain univers pour que sa pensée trouve souffle…

Oui, il semble souvent que les auteurs de« science-fiction », et les meilleurs, songent moins à appliquer la règle (très théorique) du genre à l'application rigoureuse d'une donnée scientifique, qu'à écouter leur fantaisie à habiller des symboles. Parfois ils esquissent d'assez nostalgiques retours vers le merveilleux classique : comment qualifier autrement l'affabulation de « Je suis une légende » (de Matheson) où quelques savantes cogitations tentent d'expliquer une prolifération du vampirisme, et adoptent, pour les expliquer scientifiquement, tous les symptômes d'un mal qui n'a jamais existé ailleurs que dans la pire superstition ! N'empêche d'ailleurs que le roman de Matheson soit d'une qualité remarquable !

Il y a le cas Lovecraft : relève-t-il de la« science-fiction » ou du fantastique tout court ? Il a, en vérité, un pied ici et l'autre là. – Son explication centrale d'un univers à n dimensions est de l'ordre « scientifique », mais il s'est créé un univers purement mythologique, à propos duquel on a même parlé de démonologie. Je crois que tératologie serait plus exact. – Prodigieux visionnaire, se mouvant dans l'horreur avec une puissance de souffle stupéfiante, il est le démiurge des monstres, il les pétrit par myriades : mais par leurs aspects, ne sont-ils pas bien proches de ces mauvais génies très primitifs dont nous voyons les effigies sur les cylindres de l'antique Babylone ? Et sa clef magique, que l'on doit orienter en prononçant des incantations, ne semble-t-elle pas tirée d'un trésor des « Mille et une Nuits » ?

Il apparaît bien que toute délimitation entre fantastique et science-fiction risque d'être régie par l'arbitraire. Sans doute, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour percevoir une différence entre une histoire anglaise de fantômes et la relation d'un voyage par fusée interplanétaire ; mais si l'on admet que la science-fiction peut et doit trouver des thèmes d'inspiration nouveaux et riches ailleurs que dans de perpétuelles resucées du « space opéra » et que, notamment, la recherche psychologique (au sens scientifique)est, pour elle, un terrain fertile, on s'apercevra vite qu'elle peut coïncider avec le fantastique pur.

Je considère que celui-ci trouve son plus riche domaine dans l'univers intérieur de l'homme, où il n'y a plus de distinction franche entre le matériel et le spirituel, entre, la réalité et le mythe, et où la vie trouve (ou plutôt cherche) ses sources véritables. C'est pourquoi, dans mon présent livre, comme dans les essais qui l'ont précédé, je me suis efforcé de dépeindre quelques aspects de ce monde de l'Au-dedans, avec ses hôtes merveilleux ou inquiétants. Sous des formes imagées, sans doute, mais pourtant avec l'arrière-pensée que des vertus vivantes sont enveloppées, parfois, dans les mythes, les affabulations traditionnelles ! Cela ne suffirait-il pas à passionner un écrivain pour la littérature dite de fiction ?

Rapport du PreFeG (Décembre 2022)

  • Relecture
  • Corrections orthographiques et grammaticales
  • Vérification du sommaire
  • Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
  • Notes (10) et (12) ajoutées.
  • Ajout de la note (1) (Erratum publié dans le Fiction n°30)
  • Complément à la Note 6.
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

En cliquant sur les noms des auteurs de ce numéro

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Chad OLIVER
Marc BRANDEL


Roger DEE


Pierre AUBERT
Philip K. DICK

 

Pierre VERSINS


J. T. McINTOSH
Richard MATHESON


Jacques STERNBERG

 

Prochaine publication prévue pour le mercredi 21 décembre 2022 : Fiction n°030.

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