01 avril, 2022

Cadeau bonus : « La tentation cosmique » - Roger SOREZ, 1954

Jour de fête que ce 1er Avril, placé sous l’augure des farces et de l’imagination au pouvoir, mais aussi de la spéculation scientifique. En témoigne « Le canard au ballon » d’Edgar Allan Poe, publié en Avril 1844…

L’ouvrage que nous proposons toutefois aujourd’hui n’est pas un canular ; malgré un auteur dont on ne sait rien, une collection rare maintenant disparue, et un propos à mi-chemin entre le plus rigoureux sérieux et la fantaisie la plus débridée. Il s’agit de « La tentation cosmique » publiée dans la collection Série 2000 des Editions Métal, sous la plume de Roger SOREZ.

(Cliquez sur l'image pour obtenir l'ouvrage au format epub)

 

La collection tout d’abord. Parue entre 1954 et 1956, la collection « Série 2000 » des Éditions Métal avait la grande particularité d’éditer des ouvrages d’auteurs quasi-exclusivement français. Ses couvertures métallisées (cuivre ou argent) étaient immédiatement identifiables (au même titre que la collection « Ailleurs et demain » plusieurs années après.) Parmi ces auteurs, citons Pierre Versins, Yves Dermèze, Jean Lec, Maurice Limat, Albert et Jean Crémieux, Charles et Nathalie Henneberg, et ce mystérieux Roger Sorez…

 

Nous ne savons rien de l’auteur ; la critique parue dans Fiction n°9 laisse à croire qu’il s’agit d’un pseudonyme, que « Sorez » règle peut-être des comptes personnels avec le milieu scientifique de son temps, mais qu’il est néanmoins digne de par son style d’auteurs plus éminents comme Bradbury, Simak ou Fredric Brown.

L’histoire proprement dite est présentée sous forme de journal intime, ce qui rend la lecture vivante et riche d’une lecture au second degré. Résolument satiriste, le style est en effet dynamique et recherché, vivant et cultivé. L’intrigue peut sembler simple, et n’est pas sans rappeler « Germes de vie » de John Taine proposé à la lecture au sein de ces pages de blog.

Un savant découvre par accident qu’en s’exposant au rayonnement cosmique (c’est-à-dire la radioactivité), ses capacités intellectuelles sont augmentées. Frustré de par sa condition de chercheur, il entreprend de prendre le contrôle d’une certaine frange du monde de la pègre pour s’enrichir sans scrupule. Mais rien n’est jamais aussi simple, et l’exercice d’un pouvoir, aussi fantastique soit-il, ne va jamais sans responsabilité. Et quand l’amour et la morale s’en mêlent, la donne est évidemment plus cornélienne.

« La tentation cosmique » est donc un roman très atypique, qui trouvera son public autant chez les amateurs de « hard science » que de polars façon San Antonio. Le ton est plein d’esprit (citons cet aphorisme : « Les augures prétendent que l’argent n’a pas d’odeur, ils ne disent pas toute la vérité : l’argent est le plus puissant de tous les désodorisants. »), et les dernières pages (une très belle plaidoirie en faveur de la paix et de la recherche) demeurent troublantes malgré les années.

En bref, un roman qui aurait gagné à être réédité. Nous remercions infiniment l’équipe de scanneurs d’origine (Purple Ed) pour cette découverte condamnée à sombrer dans l’oubli malgré cela. Que cette page rende hommage à tout ce travail accompli pour la mémoire de la littérature de genre !

En bonus, nous vous proposons la critique parue dans Fiction n°9, un extrait de la chronique « Revue des livres, ici on désintègre » , par Igor B. Maslowski. Notons au passage qu’on y parle d’A.S., c’est-à-dire d’Anticipation Scientifique, et non encore de S.F.

« Un confrère français, nouveau venu parmi les auteurs d’A.S. romancée, l’emporte haut la main, ce mois-ci, sur tous ses concurrents, compatriotes ou étrangers. En fait, avec son premier ouvrage, il se classe d’emblée au premier rang des écrivains de « science-fiction » et nous serions fort étonné qu’il n’attire d’ici peu l’attention des éditeurs américains et britanniques. Il signe « Roger Sorez » et son roman, « La tentation cosmique », est publié par les Ed. Métal, dans la « Série 2000 ». C’est, sous forme de journal, l’histoire d’un savant, René Surral qui, à force de suivre un régime principalement composé d’eau lourde et de rayons cosmiques, atteint en très peu de temps une intelligence (et des facultés) de surhomme. L’usage et l’abus qu’il en fait constituent le thème principal de l’ouvrage. Voilà, direz-vous, un sujet mince. Certes, mais n’en est-il pas de même de certains Bradbury, certains Van Vogt, et de certains Brown, et ne tirent-ils pas leur principale valeur de la façon dont l’histoire a été exploitée et écrite ? Car ne vous y trompez pas, « Sorez » est un écrivain. Et un bon. C’est également un satiriste. C’est enfin, et à en juger par ce seul ouvrage, un homme d’une très grande culture générale. Tout ceci fait que « La tentation cosmique » nous a laissé une impression aussi vive que, disons, « Demain les chiens », « Chroniques martiennes » ou « L’Univers en folie ». Nous ne serions nullement étonné que bon nombre de personnages de ce roman existent. Apparemment, c’est donc aussi un ouvrage à clés. Le style est simple, sans effets inutiles, constamment teinté d’humour à froid. Une seule réserve – mais en est-ce une, au fond ? – le côté scientifique est peut-être un peu trop poussé – dame, tout le monde ne sort pas de Centrale ou de Polytechnique – et certaines explications font défaut. Mais que cela ne vous rebute pas, au contraire. Voilà enfin un roman d’A.S. français vraiment digne de ce nom. Au public maintenant d’encourager les bonnes volontés. Quant à nous, en le lisant, nous étions aux anges. »

MISE A JOUR :

Une librairie spécialisée en ouvrage rares fait part de l'existence d'une édition de tête de 100 exemplaires signés par le mystérieux Roger Sorez, et agrémentés d'une dizaine d'illustrations, certaines franchement érotiques. Je vous invite à lire l'article pour une fois rédigé et bien documenté (ça nous change des "amazoneries" d'usage) sur ce site : L'amour qui bouquine.

MISE A JOUR (2) :

Un article paru dans la rubrique "Votre courrier" du numéro 23 de Galaxie - 1ère série (Octobre 1955) nous éclaire sur les fameux "rayons cosmiques" dont il est question dans le roman de Sorez.

Qu’est-ce exactement que les rayons cosmiques ? D’où proviennent-ils ? Comment se documenter sur leur nature, leur origine, leur utilisation éventuelle ?

P. Chardin (Genève).

On n’étudie guère les radiations cosmiques que depuis une trentaine d’années et, en vérité, on les connaît encore assez mal. On sait cependant que ce sont des particules d’une énergie extraordinaire et d’un pouvoir de pénétration considérable qui tombent sur la Terre, à la manière d’une grêle perpétuelle et ininterrompue. Depuis quand ? Depuis le commencement du monde, apparemment, c’est-à-dire depuis des milliards d’années, cette grêle nous arrose quotidiennement de millions de corpuscules.

Faute de détecteur, l’homme, que ces radiations traversent sans qu’il s’en rende compte, a été long à les découvrir. On les détecte maintenant et on les étudie dans divers centres scientifiques du monde entier, particulièrement aux U.S.A.

À Paris, les recherches se poursuivent activement dans les laboratoires du Collège de France (Joliot), de l’École normale supérieure (Auger), de l’École Polytechnique (Leprince – Ringuet) et dans le laboratoire privé de Maurice de Broglie, qui fut un peu leur berceau. M. Leprince-Ringuet, l’un des précurseurs et grand spécialiste en cette matière, a créé dans les Alpes un laboratoire en altitude. Il a découvert un corpuscule nouveau : le meson, ou mesoton, intermédiaire entre le proton et l’électron.

Quant à l’origine des rayons cosmiques, elle demeure assez mystérieuse. On a pensé à lui attribuer, comme émetteur, le Soleil, considéré comme un immense atome en voie de désintégration. On a pensé aussi aux étoiles doubles à champ magnétique, aux « novæ », aux « supernovæ ». On a retenu également l’hypothèse selon laquelle il s’agirait de radiations émises un peu partout dans notre galaxie, au cours des fissions et des réintégrations illimitées, qui se produisent sans cesse dans cette création perpétuelle qu’est l’Univers. Les recherches continuent… Comme documentation, on peut lire avec fruit l’ouvrage de M. Leprince-Ringuet, intitulé : Les Rayons Cosmiques, avec, en sous-titre : « Les Mésotons. »

Bonus suivant : Le pianiste déchaîné.

7 commentaires:

  1. Merci pour ce partage d'un titre rare. c'est une collection difficilement trouvable, j'en ai 2 ou 3 seulement trouvés en vide grenier. ça ne court pas les boites à livres. A noter la bonne idée des couvertures métallisées que reprendra Gérard Klein pour Ailleurs et demain. Les textes en revanche ne semblent pas briller par leur modernité. La SF française d’après guerre avait pas mal de retard à rattraper sur celle des pulps.
    merci pour ton blog, c'est très agréable de se pencher sur la production de cette période. Bon courage pour la suite.

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  2. Merci Ogareff pour ton commentaire et tes encouragements. Cela motive pour relever ce défi de longue haleine.

    Pour ce qui est de la S.F. française des années '50, je crois qu'on peut dire, à l'instar de Serge Lehman et de son remarquable travail de redécouverte de la littérature populaire francophone du début du XXème Siècle, que de pionnière en la matière, la production française s'est laissée embarquer dans une nouvelle nomenclature importée des États Unis, sans réaliser qu'elle avait déjà creusé le sillon du genre avant même la production "industrielle" américaine. En témoignent les hésitations sur l'appellation du genre telles qu'on peut les découvrir dans les pages de Fiction. "A.S." ou "anticipation scientifique", Science Fiction avec ou sans tiret, puis S. F. (définitivement en 1955-1956), le genre a bien du mal à se départir du fantastique, également (c'est par exemple la collection "Le rayon fantastique" qui publie de la S.F. en France).
    Et pourtant, le grand auteur français Maurice Renard avait déjà tenté de formaliser tout ce pan de la littérature populaire sous le nom de "merveilleux scientifique", et ce dès 1909 (même si l'expression préexistât à son manifeste).

    Pour la collection Série 2000, l'ensemble s'est malheureusement peu déployé (2 ans d'existence). Il a cruellement manqué à l'édition francophone de collections de ce genre pour donner leurs chances aux auteurs français (Fiction et Galaxie ne pouvaient pas suffire). Les éditions OPTA feront beaucoup, mais plus tard... Rendons donc à César (les éditions Métal) son mérite d'avoir eu le courage de publier des auteurs peu connus dans un genre à la fois démodé et trop jeune encore pour rassembler un véritable lectorat.

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  3. tu parlais de l’équipe de scanneurs d’origine : Purple Ed. Je ne connais pas. S'ils ont scanné ce titre, je serai fort curieux de découvrir ce qu'ils ont pu faire d'autre. tu sais ?

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    1. Nous partageons la même curiosité...
      J'ai trouvé cette note laconique dans l'epub que j'avais trouvé en ligne : "Scan Purple Ed". Je suppose que ça date de l'époque où la Team AlexandriZ scannait et mettait en ligne un bon nombre de livres introuvables. Depuis, leurs activités ont été stoppées par les instances de contrôle des droits d'auteurs. Je n'ouvrirai pas ici ce débat (surtout en ce qui concerne des ouvrages qui n'ont pas été réédités).
      Le premier qui pêche des infos sur d'éventuels autre scans de Purple Ed prévient l'autre ?

      Merci de ta visite chez le PReFeG.

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  4. oui, je n'y manquerai pas. A bientôt Marcel.

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  5. Comme convenu...
    Un "Death Purple" a participé aux numérisation de la Team Alexandriz. Je viens de retrouver aussi une autre numérisation, datée de 2015, de Purple Ed ("Vénus et le titan" de Henry Kuttner, éditions Press Pocket), de très bonne facture.

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  6. Un autre ebook révisé par Purple Ed : "Les dents du dragon" de Jack Williamson, au Rayon Fantastique (1956) ; il s'agit d'une correction de Février 2015 d'après une numérisation anonyme de Novembre 2011.

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