20 novembre, 2024

Fiction n°086 – Janvier 1961

Une majorité d'auteurs français contrebalance la seconde partie du "Jeune homme et l'espace" de Robert Heinlein, ainsi qu'une polémique interrogeant le sérieux de l'ouvrage de Pauwels et Bergier "Le matin des magiciens" ; tout cela fait de ce numéro un témoignage fort intéressant de son époque. 

Un clic droit dans ce passage obscur...

Sommaire du Numéro 86 :

NOUVELLES
 


1 - Robert HEINLEIN, Le Jeune homme et l'espace (II) (Have Space Suit — Will Travel, 1958), pages 3 à 67, roman, trad. Michel DEUTSCH

2 - Nathalie HENNEBERG, Ysolde, pages 68 à 83, nouvelle

3 - ARCADIUS, Le Bal, pages 84 à 86, nouvelle

4 - Pierre VERSINS, Le Feu, pages 87 à 88, nouvelle *

5 - Edgar Allan POE, La Vérité sur le cas de M. Valdemar (The Facts in the Case of Mr Valdemar, 1844), pages 89 à 96, nouvelle, trad. (non mentionné)

6 - André PIEYRE de MANDIARGUES, Le Passage Pommeraye, pages 97 à 107, nouvelle

7 - Dino BUZZATI, Ils n'attendaient rien d'autre (Non aspettavano altro, 1954), pages 108 à 118, nouvelle, trad. (non mentionné)

8 - Jean-Jacques OLIVIER, Nuits d'enfer, pages 119 à 120, nouvelle *

CHRONIQUES


9 - Roland STRAGLIATI, Sur un amateur de fantômes, pages 123 à 126, article

10 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 127 à 137, critique(s)

11 - Alain DORÉMIEUX, Critique des revues, pages 139 à 140, critique(s)

12 - COLLECTIF, Le Conseil des spécialistes, pages 140 à 141, critique(s)

13 - Patrick SCHUPP, Lettre d'Amérique, pages 143 à 144, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Une randonnée sur la Lune, une autre sur Pluton, une évasion d'une cellule extraterrestre... la question de cette seconde partie du jeune homme et l'espace demeure "comment s'en sortir ?". Un travail de Robert Heinlein toutefois un peu redondant, à force. 

Comme dans "La naissance des dieux", Nathalie Henneberg dessine dans Ysolde un monde qui involue vers sa genèse, et repasse par les mythes anciens : ici Tristan et Yseult, voire (un peu) la Vénus d'Ille. 

Le bal est une courte nouvelle d'Arcadius, bien menée dans sa concision et son aspect d'allégorie.

Avec Le feu, Pierre Versins propose une petite histoire sur les atrocités militaires coloniales.

Mourir en état d'hypnose, tel est le terrible postulat de La vérité sur le cas de Monsieur Valdemarclassique nouvelle d'Edgar Poe.

Comment la mère des monstres engendre-t-elle ses petits ? Dans Le passage Pommerayerécit formé par des rêveries le long des rues, passages et places d'un quartier de Nantes, André Pieyre de Mandiargues nous fait ressentir en bon poète hallucinations, désirs et aversions, curiosité malsaine et émerveillement enfantin.

Nos amis nantais pourront s'amuser à en refaire le périple : Passage Pommeraye / Place de la Bourse / Rue Neuve des Capucins / Quai de la fosse, et chercher cette demeure : "Au fond d'une impasse, qui revient en demi-cercle se terminer dans la direction du quai, se trouve une maison qui paraît haute parce qu'elle est très étroite, et parce qu'elle n'a qu'une seule fenêtre par étage au-dessus d'une porte qui est étroite en proportion de la maison et qui est encadrée par deux harpies de pierre". Nous sommes même preneurs de photos ou d'une adresse !

Ils n'attendaient rien d'autre est un nouveau cauchemar signé Dino Buzzati, semé de pertes et de déchéances, mais qui tourne peut-être un peu court.

Le format court pour le cauchemar suivant est toutefois plutôt efficace, dans Nuit d'enfer de Jean-Jacques Olivier.

Dans la rubrique Ici, on désintègre !, Fiction s'autorise enfin à évoquer sa défunte consœur Galaxie, sous la plume de Alain Dorémieux. Il faut dire qu'il y recense Robert Sheckley, pilier de l'ex revue concurrente. Voici l'article :

PÉLERINAGE À LA TERRE (Pilgrimage to Earth) par Robert Sheckley (Denoël, « Présence du Futur »). 

Parmi les auteurs attitrés de la défunte revue « Galaxie », l'un des plus doués, l'un des plus personnels aussi, était Robert Sheckley. Il fut un temps où chaque numéro ou presque de cette revue nous apportait le Sheckley traditionnel, et c'était un régal constant pour les amateurs. La productivité de Sheckley à cette époque était intense, puisque de 1953 à 1959, sur un total de 65 numéros, trente-sept nouvelles de lui (ainsi qu'un roman) parurent dans « Galaxie ». Puis le magazine disparut, mais aujourd'hui Sheckley continue d'écrire régulièrement dans le « Galaxy » américain.

Les textes originaux de la plupart de ces récits, joints à certains provenant d'autres revues, ont alimenté quatre recueils aux U.S.A. : « Untouched by human hands » (1954), « Citizen in space » (1955), « Pilgrimage to Earth » (1957) et « Notions : unlimited » (1960). C'est du troisième d'entre eux que Denoël nous offre aujourd'hui une traduction. Sur les quinze nouvelles qu'il comporte, il en est assez peu qui soient inédites. Le nombre de celles antérieurement parues dans « Galaxie » est en effet de huit, auxquelles il convient d'ajouter une neuvième, publiée par nous-mêmes dans « Fiction ». À titre documentaire, voici les références exactes de publication :

« Pèlerinage à la Terre » (« Fiction » n° 53, sous le titre « Amour et Cie ») ;

« Tout ce que nous sommes » (« Galaxie » n° 41, même titre) ;

« Le corps » (« Galaxie » n° 30, sous le titre « Métamorphose de Meyer ») ;

« Modèle expérimental » (« Galaxie » n° 36, sous le titre « La dernière découverte du Professeur Sliggert ») ;

« Le fardeau des humains » (« Galaxie » n° 37, même titre) ;

« Protection » (« Galaxie » n° 46, sous le titre « Défense de sinuriser ! ») ;

« Le clandestin » (« Galaxie » n° 25, même titre) ;

« Une tournée de laitier » (« Galaxie » n° 40, sous le titre « Rien n'est simple dans la Galaxie ! ») ; 

« La révolte du bateau de sauvetage » (« Galaxie » n° 19, sous le titre « Le vieux rafiot trop zélé ») ;

Restent six histoires présentées pour la première fois en français : « Piège », « Service de débarras », « Peur dans la nuit », « La terre, l'air, l'eau et le feu », « L'Académie » et « Les grands remèdes ». Six nouveautés sur seize récits, c'est une relativement faible proportion, et c'est là le seul reproche que l'on pourrait faire au volume. Reconnaissons qu'il était difficile à l'éditeur français d'éviter de l'encourir, la situation étant la même pour chacun des recueils. Tout au plus peut-on regretter qu'il n'ait pas choisi de publier « Untouched by human hands », qui reste sans doute le meilleur ouvrage de Sheckley (quoique le niveau des autres soit de peu inférieur).

Cela dit, faut-il rappeler que les récits de Sheckley se distinguent par une originalité de facture, une fantaisie imaginative, un charme et une saveur qui n'appartiennent qu'à eux ? Ce sont des fables des temps futurs, à la moralité doucement ironique, et dans le déroulement desquelles abondent les trouvailles de détails, les petits gags dont Sheckley a le secret et que personne d'autre n'a su imiter. C'est une place à part que Sheckley occupe dans la science-fiction américaine. Auteur mineur, certes, et rarement profond, fait pour la nouvelle plutôt que pour le roman, enclin à la longue à certaines facilités, mais qui possède le don d'insuffler de la fraîcheur aux sujets les plus anodins, et de tirer parti de chaque situation en l'envisageant sous un angle cocasse.

La philosophie de Sheckley, s'il en a une, peut se résumer ainsi : le progrès ne servira pas l'humanité. Ce n'est pas une vue très originale. Mais elle n'est pour lui qu'un prétexte à se livrer à son divertissement favori : nous montrer des hommes de l'avenir, des hommes moyens à la mentalité banale, aux prises avec des machines que leur perfection technique n'empêche pas de se détraquer, ou avec des problèmes extra-terrestres pour lesquels ils ne sont pas adaptés. La vision de Sheckley participe du merveilleux ; il ne s'embarrasse pas de justifications scientifiques, ses machines et ses planètes sont purement imaginaires et fantaisistes. Elles représentent l'irruption d'un fantastique loufoque dans un univers futur au fond bien quotidien. L'admirable, c'est que ce thème assez simpliste ait pu être exploité par Sheckley sous tant de variations inattendues et toujours renouvelées.

La lecture – ou la relecture – des nouvelles réunies dans ce recueil est donc vivement recommandée, En outre, la version française qui nous est ici donnée a l'avantage d'être débarrassée de certaines absurdités de traduction, dont « Galaxie » avait le triste privilège. Cela mis à part, il faut signaler que le texte en est souvent identique, à quelques variantes près, à celui de « Galaxie ». Flemme du traducteur ou surprenante coïncidence ?

Alain Dorémieux.

Dans le n°87 de Fiction, on pourra lire cet erratum :

Précision bibliographique.

En rendant compte de « Pèlerinage à la Terre » de Robert Sheckley dans notre dernier numéro (page 131), Alain Dorémieux signalait que huit nouvelles de ce recueil avaient paru antérieurement dans la revue « Galaxie ».

Un de nos lecteurs (à l'œil de lynx et à la mémoire d'éléphant) nous apporte un surcroît de renseignements. Ce ne sont pas huit, mais dix nouvelles de ce volume qu'on avait pu lire déjà dans « Galaxie ». Deux autres en effet y avaient également paru, sous la signature de Finn O'Donnevan, pseudonyme de Sheckley. Ce sont : « Piège » (« Galaxie » n° 31, sous le titre « La souricière ») et « Les grands remèdes » (« Galaxie » n° 36, sous le titre « Erreur de traitement »).

Le nombre des inédits dans le volume de Denoël n'est donc plus que de quatre.

 

Pour terminer sur ce que nous évoquions en préambule, les avis sont contrastés à propos de l'ouvrage de Pauwels et Bergier "Le matin des magiciens". On pourra lire en Tribune libre du pour (Thomas Narcejac) et du contre (Gérard Klein). Mais l'influence et la polémique perdureront - Lepiez fera même la couverture du Fiction 87 d'après cet ouvrage, un poil trop tard...

13 novembre, 2024

Fiction n°085 – Décembre 1960

Robert Heinlein à l'honneur, avec le début de la parution du "Jeune homme et l'espace" que Fiction publiera en trois parties, et un article de fond de Demètre Ioakimidis, dont on voit poindre le futur anthologiste. Arrivée de Roland Topor, accompagné dans ce numéro de son ami Jacques Sternberg avec qui il fondera le théâtre "panique".

Bon sang, il y a un clic droit dans le tuyau !

Sommaire du Numéro 85 :


NOUVELLES

 

1 - Robert HEINLEIN, Le Jeune homme et l'espace (I) (Have Space Suit — Will Travel, 1958), pages 3 à 51, roman, trad. Michel DEUTSCH

2 - Jacques STERNBERG, Nous deux..., pages 52 à 67, nouvelle

3 - James BLISH, Le Serment (The Oath, 1960), pages 68 à 87, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

4 - Roland TOPOR, L'Amour fou, pages 88 à 92, nouvelle

5 - SAKI, Tobermory (Tobermory, 1909), pages 93 à 99, nouvelle, trad. (non mentionné)

6 - Jean RAY, Le Miroir noir, pages 100 à 115, nouvelle

7 - BELEN, Le Jour du Saigneur, pages 115 à 115, nouvelle

8 - Thomas OWEN, La Princesse vous demande, pages 116 à 122, nouvelle

 

CHRONIQUES


9 - Demètre IOAKIMIDIS, Robert Heinlein, historien du futur, pages 123 à 130, article

10 - Alain DORÉMIEUX & Demètre IOAKIMIDIS & Martine THOMÉ, Ici, on désintègre !, pages 131 à 135, critique(s)

11 - Alain DORÉMIEUX, De l'absurde au fantastique, pages 137 à 141, article

12 - F. HODA, Le Frankenstein du pauvre, pages 141 à 142, article

13 - (non mentionné), Table des récits parus dans « Fiction » - 2ème semestre 1960, pages 143 à 144, index


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Première partie de "Le jeune homme et l'espace", où l'on retrouve le ton juvénile que Robert Heinlein adoptait déjà avec bonheur dans "Transfuge d'outre-ciel" ; ici dans une histoire de jeune aspirant à l'exploration spatiale à qui il ne manque que le costume : le scaphandre (ici appelé "vidoscaphe"). Puis l'histoire s'emballe avec un rapt propre aux histoires traditionnelles de pirates. On attendra la suite au prochain numéro.

Dans "Nous deux", qui n'est pas la fameuse revue, Jacques Sternberg nous livre, avec le ton désabusé qu'il affectionne, les impressions à chaud de qui traverse le vide spatial sans rien avoir à y faire. Moins naïf que d'autres nouvelles, mais l'on comprendra à sa lecture en quoi l'appel de l'espace fait chou blanc dans le caisson d'isolation du vaisseau spatial proposé ici.

Avec "Le serment", celui d'Hippocrate en l'occurrence, James Blish pose la question de la reconstruction, après la Bombe dans cette histoire, mais aussi après la guerre, toute guerre. Peu de survivants, d'où peu de gens spécialisés dans des fonctions "essentielles", comme ici la médecine. Accompagné d'un repli territorial de petites communautés, le médecin d'après-guerre, voire post-apo, est investi d'un grand pouvoir de vie et de mort sur ses pairs. Ainsi : un médecin "marron", non diplômé, et qui, même !, n'hésiterait pas à pratiquer un eugénisme discret à l'encontre de certains patients, doit-il être ignoré ou intégré à l'effort de reconstruction ? Sans apporter de réponse, Blish semble sous-entendre que la reconstruction est vaine si elle ne fait que reproduire le modèle détruit - mais que, toutefois, ce modèle d'Avant puisse servir de Chant des sirènes, de représentation séduisante, attirante, mobilisante, mais fallacieuse.

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Entrée du talentueux Roland Topor dans le panthéon du PReFeG - catégorie auteurs des auteurs des années 60. La valeur allégorique de "L'amour fou", histoire de mutation de l'espèce humaine, n'est pas sans rappeler Sternberg, que Topor aura déjà illustré ; ils feront tous deux d'ailleurs partie, avec Arrabal et Jodorowski, du mouvement poético-théâtral intitulé "Panique". Nous vous proposons en petit bonus son recueil de dessins "Les masochistes", recensé dans ce même numéro par Alain Dorémieux.




On se rappellera de "Langue de chat" de Reginald Bretnor (Fiction n°9), à "Un chat sachant chapitrer" de John Collier (Fiction n°62), ou encore à "Holopherne" de Bernard Guillemain (Galaxie 1S n° 28). Avec "Tobermory", plaisante histoire de chat à qui l'on a appris à parler, c'est la question de l'indésirable que pose Saki en brossant le portrait d'une société mondaine bien hypocrite et intolérante à la vérité sans fard. Saki va même plus loin en débusquant l'air de rien les mécanisme qui mènent au génocide. Brillant et - comme toujours avec Saki - d'un humour très subtil. 

"Le miroir noir" nous ferait presque croire à une histoire de Harry Dickson en l'absence de Harry Dickson, tant les crimes demeurent impunis mais rattrapent leurs coupables tout de même. Dans cette histoire basée sur un objet occulte ayant appartenu au célèbre John Dee, le lecteur doit lui-même mener l'enquête. Le style, comme toujours avec Jean Ray, est impeccable. 

Comme souvent avec les contes ultra brefs, "Le jour du saigneur" évoque la blague à chute plus que l'ambiance ou le propos. On aura lu meilleur Belen.

De l'ambiance cette fois-ci, dans "La princesse vous demande", mais qui repose plus sur une cruauté anecdotique plutôt que sur de l'inquiétante étrangeté ou de la difficulté d'être. Le choix de Thomas Owen de désaffecter le récit y est sans doute pour quelque chose, mais on peine un peu à s'identifier aux protagonistes. 

Du côté des rubriques, on notera des précisions sur "Le Grand Prix International du Roman de Science-Fiction", qui ne nous apprennent rien de plus en fait (voir Fiction n°82) ; une belle recension de l'ouvrage de Roland Topor "LES MASOCHISTES", par Alain Dorémieux dans son ton de Sainte Nitouche au second degré, ainsi que, par le même Dorémieux, un éloge au film de Louis Malle "Zazie dans le métro" (F. Hoda n'est plus seul !).

On appréciera surtout la notice bio-bibliographiqe de Demètre Ioakimidis sur Robert Heinlein, que nous reproduisons ici sur notre page dédiée.

06 novembre, 2024

Fiction n°084 – Novembre 1960

Outre l'entrée de Michel Jeury dans le panthéon du PReFeG, on relèvera un bon nombre d'auteurs de SF s'adonnant ici au fantastique (Isaac Asimov, Albert Ferlin, Gérard Klein et un récit introuvable mais de qualité signé Anthony Boucher). On n'oubliera pas le très beau récit de Howard Fast, toujours aussi talentueux, et qui inspirera sans doute quelques années plus tard, le britannique Ian Watson…

Ne tirez pas sur le clic droit, enregistrez sous... !

Sommaire du Numéro 84 :


NOUVELLES

 

1 - Howard FAST, Les Premiers hommes (The First Men / The Trap (initialement), 1960), pages 3 à 29, nouvelle, trad. Anne MERLIN

2 - Arthur PORGES, Un spécimen pour la Reine (A specimen for the Queen, 1960), pages 30 à 40, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *

3 - Albert HIGON, Le Snant n'est pas la mort, pages 41 à 57, nouvelle

4 - Daniel KEYES, Le Miroir humain (Crazy Maro, 1960), pages 58 à 78, nouvelle, trad. Roger DURAND

5 - Albert FERLIN, Le Monde orphelin, pages 79 à 86, nouvelle *

6 - Anthony BOUCHER, La Chenille rose (The Pink Caterpillar, 1945), pages 87 à 97, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *

7 - Isaac ASIMOV, Jusqu'à la quatrième génération (Unto the Fourth Generation, 1959), pages 98 à 105, nouvelle, trad. Anne MERLIN

8 - Gérard KLEIN, Les Enfers sont les enfers, pages 106 à 121, nouvelle 

CHRONIQUES

9 - Louis PAUWELS, Préface au « Matin des magiciens », pages 123 à 130, préface

10 - Aimé MICHEL, Introduction à la psychologie sidérale, pages 131 à 134, article

11 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 135 à 138, critique(s)

12 - F. HODA, Vadim et Le Fanu, pages 139 à 141, article

13 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 142 à 144, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

« Vous savez, à ce que je vois, » ajouta le Dr. Goldbaum. « Peut-être vaudrait-il mieux que j'en parle. Je suis bien plus vieux qu'aucun de vous – et j'ai traversé, vécu les pires années d'horreur et de bestialité que l'humanité ait jamais connues. Quand j'ai vu ce que j'ai vu, je me suis demandé un million de fois : que signifie l'humanité – a-t-elle la moindre signification, n'est-ce pas seulement un accident, une complication de la structure moléculaire ? Je sais que vous vous êtes tous posé la même question. Qui sommes-nous ? Quel est notre destin ? Qu'y a-t-il de sain et de raisonnable dans ces lambeaux de chair en train de lutter, de s’agripper, de chair malade ? Nous tuons, nous torturons, nous blessons et nous détruisons comme ne le fait aucune autre espèce. Nous anoblissons le meurtre, le mensonge, l'hypocrisie, la superstition ; nous détruisons notre propre corps avec des drogues et des nourritures empoisonnées ; nous nous trompons comme nous trompons autrui – et nous haïssons, nous haïssons, nous haïssons.» Et voici que quelque chose s'est produit.

(in Les premiers hommes - Chapitre II ; Howard Fast)

Que savons nous de l'existence des mutants, et de la possibilité même de laisser muter les espèces ? La Société n'a jamais permis à de telles intelligences de se développer pleinement, nous ne pouvons donc savoir ce qu'elles auraient donné. Voilà le point de départ de cette très belle nouvelle, Les premiers hommes, dont l'intitulé fait le clin d'œil au philosophe Diogène qui cherchait des hommes véritables dans les rues de l'antique Athènes à l'aide d'une lanterne allumée en plein jour. Howard Fast, une fois de plus, ne se contente pas d'interroger la société ou les rapports humains, mais imagine un autrement possible. L'avènement du surhomme n'est pas l'écrasement d'une espèce contre une autre, mais la continuité d'un développement freinée et rendue impossible par les constructions sociales dont nous héritons. Cependant, l'Homme, dans cette histoire, reste aussi malheureusement ce qu'il est…

Quelques années plus tard, Ian Watson écrira sur ce même sujet son roman "L'enchâssement" (1973, VF 1974 - Calmann-Lévy collection Dimensions SF).  

Un spécimen pour la Reine aurait pu s'intituler "Le retour du ruum" ; Arthur Porges, peut-être un peu à court d'inspiration, développe les aventures de son robot collecteur initialement rencontré dans le n°5 de Fiction. Ç'aurait aussi pu être une aventure de Cergue et Arnaud, les "déparasiteurs" de planètes créés par Robert Sheckley. Une petite histoire amusante, donc.

Albert Higon, plus connu sous son vrai nom de Michel Jeury, et avant une carrière de romancier plus prolifique dans les années 1970, signe avec Le Snant n'est pas la mort la seule nouvelle qu'il fera paraître sous ce pseudonyme. Une nouvelle qui parait écrite à rebours, et qui tient à ses mystères et ses néologismes sans en dévoiler beaucoup, misant ainsi plus sur l'exotisme que sur la réflexion spéculative. 

Daniel Keyes toujours aussi fervent dans sa quête humaniste nous propose avec Le miroir humain le portrait d'un être d'exception, et en creux celui d'un homme qui n'aurait jamais cru en l'humanité. La métamorphose des deux, produite par leur rencontre, donne lieu à une fable morale assez touchante.

Exploration d'un monde mortifié, Le monde orphelin sacrifie sa jeunesse pour la conservation des vieillards. Au sortir de la Guerre et dans un contexte compliqué de décolonisation - une jeunesse française envoyée "pacifier" l'Algérie - le texte de Albert Ferlin résonne d'autant plus lugubrement. 

En débusquant La chenille rose, dernière nouvelle parue dans Fiction d'Anthony Boucher - bye bye Toto, on t'aimait bien - on joue aux devinettes et à l'interprétation des indices avec cette petite nouvelle qui, de fait, place l'épouvante a posteriori. Habile.

Jusqu'à la quatrième génération, Isaac Asimov fait un signe à son ascendance russe et juive, dans un récit qui pourrait être un épisode un peu tendre de la Quatrième Dimension, avec un New-York de carton-pâte et une obsession surgie comme de la réminiscence vague d'un cauchemar.

(...) l'enfer fut réorganisé. Les psychologues, les ingénieurs, les comptables, les économistes et leur armée de secrétaires, de dactylos, de calculateurs, d'adjoints, d'attachés, stagiaires et autres espèces mineures, défilèrent impassibles dans les sombres avenues du séjour infernal. Ils eurent lieu de beaucoup s'étonner. Les méthodes de travail n'avaient pas beaucoup évolué avec les siècles, en bas. Les uns s'effarèrent de l'absence de tout service de prévision, les autres s'inquiétèrent de l'état de la comptabilité et insistèrent sur la nécessité d'un calculateur électronique imposant et d'un service mécanographique, quoiqu'on eût pu leur objecter que si le compte Entrées était convenablement replet, le compte Sorties demeurait désespérément vide. Dans l'ensemble le travail en enfer fut considérablement simplifié. Les organisateurs imaginèrent un nouveau système de classement des damnés et préparèrent même un plan de graduation des souffrances incomparablement plus efficace que l'ancien. Ils glissèrent quelques timides phrases sur l'emploi de l'énergie atomique pour alimenter l'infernale chaudière, mais n'insistèrent pas trop car il s'agissait là d'un terrain tout neuf et encore mouvant, même pour eux. 

Quand la chasse aux contrats gouverne la santé du monde moderne, de son économie dirions nous, ne pourrait on dès lors s'imaginer vivre sous la sollicitation pressantes de démons interchangeables en quête de pactes faustiens ? Dans Les enfers sont les enfers, par Gérard Kleinla modernité s'attaque à la réorganisation de l'Enfer. Comme l'écrivait Jacques Higelin, "les diables et les dieux en sont réduits à douter d'eux-mêmes".

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Nous ignorons si Albert Ferlin cité plus haut fut, en 1960, un défenseur ou non de la paix en Algérie - formule risquée au vu de l'appellation d'une guerre qui ne disait pas son nom, et s'intitulait "pacification". Nous savons toutefois que l'auteur publié dans la Chronique littéraire de ce numéro fut l'un des signataires du Manifeste des intellectuels français pour la résistance à l'abandon, un mois auparavant, en faveur de l'intervention française. Il s'agit de Louis Pauwels, qui marqua son époque en compagnie de Jacques Bergier avec la publication de leur essai : "Le matin des magiciens". Comme l'écrit Pauwels lui-même dans la préface publiée dans ce numéro de Fiction, « Il y avait des quantités de sottises dans le bouquin de Pauwels et Bergier. » Voilà ce que l'on dira.

On ne pourra pas reprocher à Pauwels une certaine forme de lucidité à son propre égard. En effet, "Le matin des magiciens" rassemble, comme ce fut le cas pour Charles Fort en 1919 dans son "Livre des damnés", une belle collection d'interprétations abusives et depuis invalidées. Mais cet ouvrage, dont nous vous proposons ci-contre une copie numérique, a considérablement marqué le paysage culturel français des années 60, en suscitant en engouement pour les sciences occultes et l'ésotérisme, souvent "de bazar". On sait que Jacques Bergier, son co-auteur, bien qu'il fut un grand érudit et un scientifique reconnu, était aussi un falsificateur et un propagateur de fausses rumeurs. Sans doute l'admiration de Pauwels pour Bergier n'est pas étrangère au ton parfois totalement fantasque de ce livre. Mais son style est vif, emporte parfois l'imagination, et a le mérite d'avoir contribué aussi à faire une place honorable à la littérature de science-fiction. En témoignent les deux nouvelles reprise dans cet ouvrage : "Les neuf milliards du nom de Dieu" d'Arthur C. Clarke, et la nouvelle "Un cantique pour Leibowitz" de Walter Michael Miller.

Nous finirons par ce bon mot de Pauwels à propos de la critique des "modernes" : Ce qu'il faut être, pour être présent, c'est contemporain du futur.  Voilà qui donne tout son sens à la SF.

Après cette introduction au "réalisme fantastique", l'ufologue Aimé Michel répond aux critiques à son encontre formulées par Michel Ehrwein (Fiction n°82), lui tire même dessus à boulets rouges, sous la forme d'un article intitulé "Introduction à la psychologie sidérale". Réalisme fantastique et psychologie sidérale : voilà tout un assaut "new age" avant l'heure. Qu'en est-il de ce concept de psychologie sidérale ? Aimé Michel écrit tout bêtement, après avoir évoqué la psychologie animale : Mais alors, que peut-on dire du psychisme sidéral ? Soit : l'art de sortir une question du chapeau et de s'en faire le grand spécialiste. Ne nous méprenons pas, Aimé Michel écrit également : "une dizaine de gènes font, chez l'homme, le Nègre ou le Nordique". Bref, tout est dit, et nous prendrons donc ses propos avec les pincettes de rigueur. Infantile et futile.

La Tribune libre est aussi le lieu des polémiques. Après la publication du "Journal de Macha" de Fernand François, un mouvement de va-et-vient pro ou contre le bloc de l'Est gagne la revue. Fort heureusement, certains lecteurs ne manquent pas d'esprit, comme nous pouvons le lire dans une lettre humoristiquement dirigée (encore) contre Michel Ehrwein et sa nouvelle pastiche de Sherlock Holmes "Celui que Jupiter veut perdre". Jugez-en par vous-mêmes :

Un Jupitérien nous écrit…

Suite à la rubrique « Pas de politique, s.v.p. » parue dans votre dernier numéro, je désire moi aussi joindre ma voix au chœur indigné de vos lecteurs : il est inadmissible qu'une revue comme la vôtre publie sous forme de nouvelles de honteux articles de propagande. Il est évident que votre rédaction a été achetée pour répandre dans le monde l'ivraie des idées fausses et la haine de notre peuple, par l'intermédiaire d'un immonde agent provocateur : j'ai nommé Michel Ehrwein ! 

Eh bien non, je le crierai bien haut : vous en avez menti, votre littérature tendancieuse sera clouée au pilori et votre ignominie dévoilée publiquement. Non, nous ne sommes pas des monstres noirs aux hideux tentacules ; non, nous n'élevons pas des vers qui tuent ; nous sommes semblables à vous malgré le rideau d'azur qui nous sépare ; nous possédons ce que vous appelez le type nordique. L'animal que votre auteur décrit comme étant un Jupitérien est un « klebs », animal familier sur notre planète, très affectueux (il passe volontiers ses tentacules autour des épaules de ses maîtres) et très dévoué. Quant à la mort subite du soi-disant héros de votre nouvelle, je proclame hautement que les Jupitériens n'y sont pour rien : cet homme, entomologiste passionné, possédait un spécimen unique de chenille sud-américaine dont il surveillait jalousement l'évolution, attendant de la voir se transformer en chrysalide puis en papillon merveilleux. Aussi ne voulut-il pas l'abandonner lors de son voyage à Londres. Hélas, la boîte de verre où il la nourrissait fut brisée par un domestique maladroit, alors que celui-ci faisait la chambre de son client parti rendre visite à M. Sherlock Holmes. Cet homme ignorant, affolé de sa maladresse, déposa l'animal dans une vieille boîte d'allumettes vide et s'en fut, après avoir fait disparaître les débris de verre. M. Persano, de retour, trouva sa chère chenille empoisonnée par les traces de phosphore imprégnant la boîte d'allumettes. Il avait le cœur fragile. Et voici toute l'histoire, rétablie dans sa simplicité et sa véracité.

Aussi, au nom de mes compatriotes, je vous somme de cesser cette propagande déplacée ; décrivez-nous des guerres interstellaires si cela vous chante, faites-les se terminer où vous voudrez, fût-ce autour des ballofets (nous nommions ainsi les satellites – de Jupiter – qui sont comme la Lune), mais craignez la juste vengeance des Jupitériens si vous continuez à les décrire comme des monstres ridicules et hideux, toujours vaincus, toujours cruels et toujours colonisés.

Olympe Io.

Vallée des Éclairs.

P.S. – Surtout ne pensez pas que je me méprenne sur l'origine des subsides qui vous permettent de payer grassement les insanités de M. Ehrwein : nos ennemis héréditaires les Mercuriens poussent l'audace jusqu'à signer leurs infamies. À la première page de votre revue, cette mention : « Mercury Press » est plus qu'une raison sociale, c'est un aveu.

p.o.o. : J. Legault-Démare, Montléry (S. & O.)

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