Nous venons de la fêter : la lumière qui nous provient actuellement de Proxima du Centaure date de la naissance de ce Projet des Revues Fiction et Galaxie ; un éclat qui aura mis quatre ans à se révéler à notre perception, en parcourant ces 4 années-lumière. Et c'est ici notre 250ème article. Champagne !
Quant à ce numéro de Galaxie daté de Janvier 1965, c'est l'éclat de l'étoile Théta de la Petite Ourse qui en est le témoin, pour ces soixante ans de distance temporelle et spatiale.
La majeure partie des récits présentés dans ce numéro resteront sans publication ultérieure - seule exception faite pour la très bonne nouvelle de Clifford D. Simak, et qui ne sera reprise qu'en février 1975 sous le titre "Bile à gogo" dans la collection "Galaxie-Bis", devenue rare à son tour ; c'est dire que ce numéro est un trésor pour les collectionneurs. Et la qualité est au rendez-vous !
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Sommaire du Numéro 9 :
1 - Poul ANDERSON, Pour construire un monde (To Build a World / Strange Bedfellows, 1964), pages 2 à 58, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Gray MORROW *
2 - Clifford D. SIMAK, Les Pensées dangereuses (Worrywart, 1953), pages 59 à 71, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH
3 - Robert SHECKLEY, Un filon sur Vénus (Prospector's Special, 1959), pages 72 à 92, nouvelle, trad. Pierre BILLON *
4 - Daniel F. GALOUYE, Esprit de combat (Fighting Spirit, 1960), pages 93 à 114, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Dick FRANCIS *
5 - Allen Kim LANG, Les Hommes sans microbes (World in a Bottle, 1960), pages 116 à 151, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Dick FRANCIS *
6 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro parues dans l'ancien "Galaxie", pages 152 à 153, bibliographie
7 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 154 à 156, courrier
* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Dans Pour construire un monde, on reconnait la trame habituelle de Poul Anderson : un représentant qui agit dans l'espoir d'une nouvelle donne se retrouve malgré lui entre les griffes de son adversaire rétif au changement. S'ensuivent captivité et évasion, avec son lots d'agents troubles et équivoques ("Ah ! les femmes !"). Ici, l'enjeu est de terraformer la Lune, mais ça pourrait être bien d'autres aléas. Malgré du style, et des effets qui finissent par devenir détectables à force de "trucs qui marchent", on espère cependant à l'échelle d'une novella un peu plus d'inattendu de la part d'Anderson. Ses amateurs apprécieront toutefois, car l'auteur a du métier.

Les pensées dangereuses rendent sans le savoir un hommage au travail du PReFeG :
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| Illustration de Knoth. |
" Charley Porter est correcteur au Daily Times. Et c’est une drôle d’engeance, les correcteurs. Cela vous traque les virgules, cela vous dissèque les mots et cela vous passe les informations au crible. C’est un peu à mi-chemin entre une encyclopédie vivante et un répertoire alphabétique ambulant. Il peut arriver que l’on rencontre un reporter ou le rédacteur en chef d’un journal, que l’on voie leur photo ou que l’on entende parler d’eux. Mais l’on n’entend jamais parler d’un correcteur. "
Nous qui avons pour habitude de traquer jusqu'au moindre manque d'accent grave sur un
à, nous ne pouvions qu'être par avance fascinés par cette nouvelle d'un auteur déjà fort appréciable,
Clifford D. Simak (et nous nous rappelions déjà la nouvelle "Le correcteur" d'Isaac Asimov, in
Galaxie 1ère série n°62).
Simak, donc, fait, avec beaucoup d'autodérision, de son protagoniste principal un correcteur de presse ! Il y a aussi d'autres hommages, rendus ceux-là aux lecteurs de science-fiction, qui, dans les années 50 dites de "l'âge d'or", ne réalisaient pas toujours leur chance d'assister à l'essor d'un genre, que nos contemporains ont, moins d'un siècle plus tard, totalement intégré à la littérature "blanche". Et pourtant, à l'époque, on en avait même presque honte, comme nous le montre l'extrait suivant :
— « Que lisez-vous à présent, Cooper ? » s’enquit Charley.
— « Oh ! les journaux, les magazines d’actualité, des trucs comme ça. »
— « Ce n’est pas cela que je veux dire. Je voudrais savoir ce que vous lisez pour vous distraire. Qu’est-ce qui a remplacé le Chat Botté ? »
Après avoir fait quelques manières, Cooper avoua :
— « Je lis de la science-fiction. Cela m’est venu il y a quelque chose comme six ou sept ans. On m’avait donné une revue de S.F… non, il y a plutôt huit ans de ça. »
— « Moi aussi, je suis amateur de S.F., » jeta Charley pour le mettre à l’aise.
Et jusqu’au soir, tous deux parlèrent science-fiction.
Et Simak de poursuivre sur le plaisir de parcourir des revues de SF :
Regagnant sa chambre, une brassée de revues de S.F. sous le coude, il décida de fermer la porte à ses soucis pour une nuit au moins et de lire uniquement pour son plaisir.
Il s’installa au creux de son fauteuil, les magazines empilés à portée de la main. Il ouvrit le premier, notant non sans plaisir que le premier récit était de la plume de son auteur favori. C’était l’histoire terrifiante d’un Terrien tenant un poste extra planétaire avancé dans des conditions épouvantables. La nouvelle suivante narrait l’aventure d’un astronef qui pénétrait dans un nœud de l’espace et se trouvait précipité dans un autre univers.
La troisième dépeignait la Terre menacée par une guerre atroce ; mais le héros trouvait la solution : il créait les conditions physiques qui bannissaient l’existence de l’électricité, la rendant impossible dans l’univers. Sans électricité, les avions ne pouvaient pas voler, les tanks ne pouvaient pas avancer et les batteries ennemies ne pouvaient pas être détectées. Donc, pas de guerre.
On pourra comprendre comment, sans nommer le roman, Simak évoque peut-être "Ravage" de René Barjavel.
Après ces circonvolutions, et quoi qu'il en soit, parmi les histoires d'Escamotage - selon le titre d'une nouvelle de Richard Matheson (in Fiction n°29) - on retiendra avec bonheur ces Pensées dangereuses, tant celle-ci articule diverses questions à propos de celui qui aurait le pouvoir de modeler la réalité selon ses désirs. Tout d'abord l'énigme du bruit que fait la chute d'un arbre s'il n'y a personne pour l'entendre tomber. Ensuite, le point de vue forgé par l'expérience du chat de Schrödinger : tant qu'on ne peut pas observer les résultats d'une expérience, il se pourrait que toutes les probabilités coexistent dans la réalité. Enfin, quelle légitimité y aurait-il à agir non plus sur son environnement immédiat et sur son entourage (comme c'est le cas dans, pour ne citer que lui, la terrifiante nouvelle de Jerome Bixby : "La meilleure des vies"- in Fiction Spécial n° 3) mais sur le Monde, si l'intention était de vouloir rendre durable la Paix. Simak précipite tout cela, et cristallise aussi dans son récit la tentation de tout écrivain de SF de figurer le monde non plus comme il est, mais comme il sera, et de forcer ainsi la crédulité de ses lecteurs, de leur faire admettre une fantaisie pour une prédiction, de l'imagination pour un calcul de probabilité, et un point de vue pour une prévoyance.

La détresse du Prospecteur, criblé de dettes, rongé par la soif, au seuil de la mort, qui ne peut que s'entêter dans son désir de trouver le meilleur filon, et même Un filon sur Vénus. Mais que ce soit sur Terre dans les étendues glacées du Klondike ou dans les déserts brûlants de Vénus, les enjeux restent les mêmes. Robert Sheckley s'amuse avec l'absurde de la situation mais son humour ne met pas d'aplomb une intrigue un peu faible.

On se rattrape largement avec Daniel F. Galouye, qui emprunte un ton humoristique et donne la parole à un escroc présomptueux pour décrire une guerre inter espèces d'un genre particulier, où L'esprit de combat trouve tout son sens aux toutes dernières lignes de ce récit à chute.

Dans un centre de recherches sur des cobayes humains tous totalement aseptiques, Les hommes sans microbes, et ce depuis leur naissance, on déplore deux décès, suite à l'exposition volontaire et impulsive aux bactéries du "monde extérieur". Car ce qu'il semble manquer à ces êtres humains coupés de la jouissance du reste du monde, c'est un but qui les enthousiasme réellement. Et voilà qu'un explorateur découvre sur Mars un crâne humanoïde vieux de 20 000 ans, et qu'un signal sonore, organisé comme un algorithme, est capté en provenance de la Constellation du Centaure. Allen Kim Lang signe le récit parfaitement plausible de toute une chaîne d'événements qui ouvrirait à l'humanité la voie de l'exploration interstellaire, avec beaucoup d'humanité et des arguments scientifiques concrets.
L'auteur Allen Kim Lang sera un météore dans l'écliptique de la Galaxie. Trois nouvelles uniquement (une dans le n°132 de Fiction et une troisième dans le Galaxie n°14) seront publiées en France, malgré un talent prometteur et une rigueur scientifique assez notable.

C'est le Courrier des lecteurs qui fera les choux gras des extraits choisis de Galaxie pour ce numéro. Tout d'abord, à propos des couvertures, toutes pour le moment issues de l'édition américaine, on pourra lire :
Je vous le répète, ce n’est pas seulement une opinion personnelle, mais aussi l’opinion de gens cultivés qui lisent Galaxie en « privé », mais n’oseraient pas l’exhiber n’importe où.
On retrouve la "honte" du lecteur de SF qu'évoquait Simak. Pour ce qui est d'abandonner les couvertures américaines, il faudra attendre le Galaxie n°44 de décembre 1967 pour apprécier le travail d'un illustrateur français, et pas des moindres : Philippe Druillet ! Mais sans doute les lecteurs un peu prudes continueront-ils de cacher en public leurs couvertures parfois un peu déshabillées ! Prenons les paris que d'autres sauront les assumer, comme on put le remarquer pour les couvertures de Fiction et les "filles de Forest" (voir Fiction n°80 de Juillet 1960).
Sur le choix éditorial de ne publier que des auteurs anglo-saxons, transfuges de la revue américaine d'origine, un lecteur prévient :
Ceux qui sont chauvins n’ont qu’à lire Fiction ou les livres du Fleuve Noir.
Et en effet, bien que ça n'a pas été sa vocation de départ, c'est Fiction qui s'y collera pour publier les auteurs français (et bien entendu le Fleuve Noir, sur un tout autre registre cependant). Le choix des couvertures évoqué plus haut n'y est sans doute pas pour rien : Galaxie, pour ses lecteurs d'alors, c'est l'Amérique ! Comme quoi, le colonialisme culturel a la vie dure !
Enfin, sur la publication de "novellas" et romans à épisodes, on ne peut pas dire que le choix de Fritz Leiber avec sa "Guerre dans le néant" (Galaxie n°4 et n°5) ait été heureux. Bouc émissaire tout désigné dans ce courrier des lecteurs (et comme toujours pas pour les bonnes raisons : le récit était trop bavard pour justifier deux épisodes, mais il s'agissait cependant de SF inventive, intelligente, généreuse), on lira cependant un avis éclairé parmi ses détracteurs : Je n’ai pas tellement apprécié la Guerre dans le néant de Fritz Leiber, mais j’éprouve quelque appréhension quand vous dites que vous éviterez à l’avenir les récits « trop peu orthodoxes ». Quelle est l’orthodoxie en science-fiction ? Il ne faut pas que votre revue se confine dans d’étroites limites
Galaxie y mettra peut-être un peu de temps, mais parviendra à sortir de "l'orthodoxie anglo-saxonne de space-opérette" pour, à l'instar de Fiction, définir sa propre identité.