Un numéro très éclectique qui voit entre autre publiée la dernière nouvelle de Julia Verlanger dans Fiction, de la poésie de SF, Avram Davidson toujours apprécié, et un nouvel opus critique des Lettres d'Amérique par Alfred Bester.
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Sommaire du Numéro 118 :
1 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 2 à 2, bibliographie
2 - James WHITE, Mystère au rayon des jouets (Counter Security, 1963), pages 5 à 26, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
3 - James Henry SCHMITZ, Le Réfractaire (These Are the Arts, 1962), pages 27 à 42, nouvelle, trad. Christine RENARD *
4 - Julia VERLANGER, Chasse au rêveur, pages 43 à 50, nouvelle
5 - Fritz LEIBER, Si les mythes m'étaient contés (Myths My Great-Granddaughter Taught Me, 1963), pages 51 à 56, nouvelle, trad. Christine RENARD
6 - Colette GOUDARD, Le Rendez-vous, pages 57 à 62, nouvelle *
7 - Avram DAVIDSON, Une vengeance théâtrale (Mr. Stilwell's Stage, 1957), pages 63 à 74, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *
8 - Philip Maitland HUBBARD, La Brique d'or (The Golden Brick, 1963), pages 75 à 84, nouvelle, trad. Christine RENARD *
9 - Jean CASSOU, La Fille du roi d'Angleterre, pages 85 à 97, nouvelle *
10 - William Fryer HARVEY La Bête à cinq doigts (The Beast With Five Fingers, 1928), pages 98 à 124, nouvelle, trad. Françoise MARTENON & Roland STRAGLIATI
11 - Charles DOBZYNSKI, L'Opéra de l'espace, pages 125 à 135, extrait de roman
CHRONIQUES
12 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 136 à 153, critique(s)
13 - Alfred BESTER, Lettres d'Amérique, pages 154 à 159, chronique, trad. Demètre IOAKIMIDIS
14 - COLLECTIF, Le Conseil des spécialistes, pages 160 à 162, critique(s)
15 - F. HODA, Le Monde des idées, pages 163 à 167, article
16 - Jacques GOIMARD, Revue des revues, pages 167 à 174, critique(s)
17 - (non mentionné), En bref, pages 175 à 175, article
* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.
Mystère au rayon des jouets démarre en enquête policière menée par le veilleur de nuit d'un grand magasin pour basculer subitement en récit de Premier Contact. James White en profite pour faire état de certains clichés de la science-fiction, avec au passage une évocation de ceux de Lovecraft :
Tully eut un frisson en songeant à ce qu'il ressentirait si l'autre devait lui arracher les deux bras et une jambe, lui retirer un… Il s'efforça désespérément de chasser cette idée pour ne plus penser qu'à des êtres pacifiques, civilisés, mais son esprit était incapable d'oublier l'autre espèce. Cette race venue d'outre-ciel, que Lovecraft s'ingéniait naguère à décrire…Selon Lovecraft, la totalité de l'espace-temps était le domaine d'entités monstrueuses, d'êtres aussi glacés, aussi inhumains que les infinis interstellaires où ils vivaient. L'homme, avec son souci du bien et du mal, n'occupait qu'une place infime, cramponné à un minuscule grain de poussière, ignoré et ignorant dans ce continuum qui n'était qu'une obscénité blasphématoire. Tully n'aimait pas la cosmogonie de Lovecraft, mais ce dernier avait un tel talent d'écrivain que ses récits continuaient à le hanter malgré tout. Or les êtres pensés par Lovecraft étaient du genre même à dépecer une créature vivante, intelligente, sans plus de pitié que n'en montre un gamin écervelé quand il arrache les pattes à une mouche.
Un autre extrait de nouvelle, qui ne sera pas sans nous rappeler l'hypnose qui frappe la majorité de nos amis terriens :
(…) en cette ère de confort et d'abondance, les gens avaient un besoin croissant de sensations fortes et d'émotions, aussi les élucubrations les plus idiotes faisaient-elles l'affaire. Étant donné que tout le monde, même dans les coins les plus reculés, avait son poste de télévision, il s'ensuivait qu'une publicité bien montée pouvait retenir l'attention de l'univers entier. En général, cela durait un mois ou deux.
Une paranoïa toute dickienne fait balancer la lecture de Le réfractaire de la suspicion à un doute ironique. La chute n'en est que mieux ressentie. James Henry Schmitz est aussi mieux servi par la traduction de Christine Renard qu'à l'époque de ses parutions dans Galaxie.
Chasse au rêveur augure sans doute l'introduction à des aventures à venir pour Kern, le mercenaire au grand cœur (qu'on retrouvera en effet dans le recueil "Les oiseaux de cuir" sous le pseudonyme de Gilles Thomas, au Fleuve Noir). Un poil attendu, cette histoire se lit avec le même plaisir coupable ressenti en parcourant un volume de la collection Anticipation…
Ce sera, nous l'avons dit, la dernière nouvelle publiée dans Fiction de Julia Verlanger. Ce ne sera pas de l'ostracisme, en témoigne cette introduction (sans doute signée par Alain Dorémieux) :
Julia Verlanger n'écrit pratiquement plus, et c'est dommage. Elle avait démontré, il y a quelques années, un talent plaisant et rafraîchissant, portant sur un grand éventail de genres. Nous ne pouvons, en publiant cette dernière nouvelle d'elle extraite de nos réserves, que lui adresser cette requête : « Chère Madame, remettez-vous, de grâce, à votre machine à écrire ! »
Fritz Leiber, vivement, réinterprète les mythes nordiques sous l'angle de la guerre froide que traverse le monde en 1963, dans Si les mythes m'étaient contés. Il ne fait pas qu'en détailler les correspondances, mais donne un sens même à ce qu'il y ait des correspondances. Fort habile.
Bien qu'il y ait des allusions dans le décor à des éléments de SF, le Le rendez-vous que propose Colette Goudard bien que court, est passablement ennuyeux.
On se souvient de "La boîte à musique" de Odette Ravel (Fiction n°116), nouvelle à laquelle il manquait d'un enjeu satisfaisant pour emporter le morceau. Avram Davidson, avec une boîte magique de même acabit, dresse une diablerie de son goût, Une vengeance théâtrale autrement plus satisfaisante, toujours avec l'air de ne pas y toucher, en distrayant le lecteur avec un contexte de services aux inventions, et masquant son intrigue véritable.
Rapproché de Montague Rhodes James, Philip Maitland Hubbard signe en effet une histoire où le surnaturel surgit du quotidien. Un homme est isolé sur un bateau au large de la Cornouailles, et propose au narrateur de vendre pour lui La brique d'or, un lingot d'or pur…
Jean Cassou imagine une vie parallèle pour Elisabeth Princesse d''Angleterre, qui n'avait pas été couronnée quand la nouvelle fut écrite. La fille du roi d'Angleterre date de 1933 (in "Les cahiers du Sud n°150 -avril 1933). Elisabeth a 7 ans et ne sera couronnée qu'en 1952. Comme la nouvelle l'évoque majeure, on peut imaginer que Jean Cassou extrapole sur l'année 1946 environ. Le plus troublant est qu'il imagine Elisabeth épouser un roturier, et qu'en réalité c'est son oncle Edward en 1936 qui abdiquera pour des raisons assez similaires. Sans doute que Cassou a simplement eu besoin d'une véritable princesse moderne pour donner à son récit le sel voulu pour des gens qui courent après des chimères pour enchanter le monde et la vie.
Une ambiance oppressante pour un bourreau habile : La bête à cinq doigts est une main possédée et habité d'une vie autonome contre-nature. On y détecte aussi cet humour à froid typiquement anglo-saxon de la part du méconnu W. F. Harvey.
L'opéra de l'espace propose de la poésie de SF. La forme est suffisamment rare pour qu'on la signale. Et les vers sont bien rythmés. Une curiosité signée Charles Dobzynski.
La rubrique Livres d'Amérique signée Alfred Bester nous délivre toujours son lot de petites notes anecdotiques et croustillantes. En voici une, qui décrit l'univers éditorial SF des USA dans les années 30 :
Dans les années trente, lorsque les auteurs et les éditeurs de science-fiction avaient coutume de se réunir à déjeuner une fois par semaine, le soussigné était un débutant rougissant et timide qui écoutait avec vénération la conversation des grands. Il y avait Otto Binder, représentant la moitié d'Eando Binder qui écrivait effectivement ; Manly Wade Wellman, qui avait toujours à sa disposition un verre de vin et une centaine d'anecdotes sur le Sud ; Malcolm Jameson, officier naval jusqu'au bout des doigts, et sa jolie fille, vers laquelle convergeaient tous les regards ; et Edmond Hamilton, un gentleman austère, avec une mince moustache à la Clark Gable.
C'étaient là les auteurs actifs qui, avec quelques autres, assuraient les affaires des vieux magazines comme Thrilling Wonder, Startling, Astouding et Amazing Stories. Nous nous souvenons d'avoir demandé à un rédacteur en chef quelle était la qualité particulière qui rendait ces auteurs si précieux. Il nous avait répondu : « La régularité. Ils écrivent parfois une histoire véritablement mémorable, mais ils n'en écrivent jamais de mauvaises. Nous pouvons toujours compter sur eux. »
Savez-vous depuis quand existe la catégorie "Cinéma Bis" ? Il semblerait bien que cela soit depuis 1963. Jacques Goimard passe en revue les revues, et en extrait cette analyse :
(…) laissons parler Cinéma 63, la plus lue de toutes les revues de cinéma, donc celle qui peut faire le plus pour le cinéma fantastique, d'autant que ses positions généralement raisonnables (quelquefois trop) incitent mieux l'agneau-lecteur à se jeter sans méfiance dans la gueule du loup.
Cette revue ouvre, dans son numéro d'avril, le dossier du « cinéma-bis » : notion plus large que celle de cinéma fantastique ou SF, et qui recouvre en gros tout le cinéma fou, celui que les rédacteurs définissent, un peu restrictivement d'ailleurs (et Fritz Lang ?), par son incompatibilité avec les valeurs traditionnellement admises des historiens de cinéma.
Pierre Billard, dans son introduction, situe bien le moment historique : « Le moment a sonné des révisions déchirantes. Le cinéma tout entier est remis en question. Les films de second rayon voient s'ouvrir devant eux le purgatoire d'une projection dans un club de fanatiques, le paradis d'un numéro spécial dans une revue spécialisée. Le vrai, le grand cinéma de nos pères et de notre jeunesse, le cinéma parlant, pensant, adulte, académique, est contesté de tous côtés. Voici venir le règne du cinéma-bis, absurde, abracadabrant, fantastique, horrible, magique et charmant. » (p. 34).
En fait l'attitude de la nouvelle génération n'est plus exactement celle des amateurs traditionnels de fantastique : le « cinéma-bis » est devenu pour elle l'instrument d'une révolte généralisée contre le cinéma de papa. Pierre Billard, quant à lui, adopte une position nuancée, considérant cette remise en question comme stimulante, à condition de ne pas exagérer ; « à condition de ne pas remplacer l'académisme par un byzantinisme plus stérile encore. À condition de ne pas remplacer les faux dieux abattus par un culte tout aussi absurde du futile, de l'ornemental, du superficiel et du désinvolte bâclé. À condition de ne pas prendre l'insolence pour du génie, ni l'anti-intellectualisme pour de la culture « moderne ». (p. 34).