25 décembre, 2025

Cadeau bonus : Fiction spécial n° 6 : Anthologie de la science-fiction italienne (Novembre 1964)

Décembre 1962 : "The magazine of fantasy and science fiction" voit naître sa franchise italienne (l'équivalent de "Fiction" en France). Mai 1963 : une revue essentiellement italienne démarre : "Futuro", avec la possibilité pour les auteurs italiens de voir publiés leurs récits de SF. "Fiction" emboîte le pas à la revue "Lunatique" qui avait publié un article de Piero Prosperi dans son numéro 6 de février 1964 : "La science-fiction en Italie". Ajoutons aussi que la présence de Roland Stragliati dans l'équipe de traducteurs et de critiques à la rédaction a sans doute grandement contribué à la menée de ce numéro spécial. Bref, c'est dans une soudaine effervescence transalpine que "Fiction" publie ce numéro spécial consacré à la SF italienne - ce qui est grandement justifié d'autant que le vœu de développer une SF exclusivement européenne a déjà été formulé dans le Fiction Spécial n°5.


Sommaire du Fiction Spécial n°6 :


1 - Roland STRAGLIATI, Avant-Propos, pages 4 à 4, introduction

2 - Roland STRAGLIATI, Les Auteurs de ce numéro, pages 5 à 6, dictionnaire d'auteurs

3 - Lino ALDANI, Bonne nuit, Sophia (Buonanotte, Sofia, 1963), pages 7 à 29, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI

4 - Lino ALDANI, Un harem dans une valise (Harem nella valiglia, 1963), pages 30 à 41, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI

5 - Lino ALDANI, 37° centigrades (Trentasette centigradi, 1963), pages 42 à 75, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI

6 - Gianfranco DE TURRIS, Séduction (Seduzione), pages 76 à 84, nouvelle, trad. Sciuto G. GIOVANNI *

7 - Tiberio GUERRINI, Les Vagues de la mer (L'onda del mare, 1963), pages 85 à 96, nouvelle, trad. Sciuto G. GIOVANNI *

8 - Massimo LO JACONO, Le Journal intime (Il diario), pages 97 à 134, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI *

9 - Piero PROSPERI, Un prototype de cauchemar (Prototipo d'incubo, 1963), pages 135 à 144, nouvelle, trad. Sylvie PÉZARD *

10 - Piero PROSPERI, Le Capitaine Disraeli (Il capitano Disraeli, 1963), pages 145 à 152, nouvelle, trad. Romain DENIS *

11 - Giulio RAIOLA, Le Retour de l'aube (Il ritorno dell'alba, 1963), pages 153 à 180, nouvelle, trad. Sciuto G. GIOVANNI *

12 - Sandro SANDRELLI, La Forêt obscure (La selva oscura, 1964), pages 181 à 189, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI *

13 - Sandro SANDRELLI, Un homme vraiment bon (Joe il buono, 1964), pages 190 à 194, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI *

14 - Sandro SANDRELLI, La Faux (La falce, 1964), pages 195 à 206, nouvelle, trad. Roland STRAGLIATI *

15 - Gianfranco DE TURRIS, La Science-fiction en Italie, pages 207 à 221, article, trad. Roland STRAGLIATI


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Note éditoriale du Fiction Spécial n°6 :

La présentation de notre dernier numéro hors série (spécial no 5), consacré à la science-fiction française, s’achevait par ces mots : « L’histoire de la S.F. s’écrit maintenant aussi à l’échelon européen. »

Cette anthologie de la science-fiction italienne – la première du genre publiée en France – en sera, nous l’espérons, une confirmation de qualité.

Nous aurions souhaité y voir figurer un plus grand nombre d’auteurs. Ils ne manquent pas. Mais nous n’avons point eu la possibilité de tout lire. Et puis l’étiquette « S.F. » recouvre, au-delà des Alpes, tant de textes qui ne sont seulement que fantastiques, étranges ou insolites qu’il nous a fallu renoncer à certains récits au reste fort bons. D’autres encore, souvent assez abstraits, ont été écartés car ils se présentaient davantage comme des jeux intellectuels ou poétiques que comme de vraies nouvelles. C’est aussi un peu pour ces mêmes raisons, mais surtout parce qu’ils étaient excellents, que nous avons été amenés à donner plusieurs récits d’un même auteur. Nous croyons que le lecteur ne s’en plaindra pas.

Par ailleurs, on trouvera – pour la première fois – en fin de numéro, une étude documentaire : il s’agit naturellement en l’occurrence d’un panorama de la science-fiction transalpine. Et il nous semble bien qu’il vient opportunément combler une lacune.

On verra, à la lecture des notices biographiques des différents auteurs représentés, que deux générations nettement distinctes – celles des « vingt ans » et des « trente à quarante ans » – se partagent la totalité des pages qui suivent. Ces deux mêmes générations dominent également chez nos auteurs nationaux. Et cela, qui peut surprendre, prouve au moins qu’en Europe la science-fiction est l’une des formes d’expression les plus authentiquement jeunes.

Malgré qu’on puisse encore parfois lui reprocher un certain américanisme de surface (dans les noms de personnages et de lieux), la science-fiction italienne commence, elle aussi, à ne plus devoir grand-chose aux archétypes d’outre-Atlantique et à « vivre sa vie ». Elle y apporte, avec une ardeur, une fantaisie toutes latines, une personnalité qui, déjà, n’appartient qu’à elle.

Et Fiction a pensé qu’on ne pouvait plus l’ignorer.

Roland STRAGLIATI


" (...) toute une armée d’hallucinés, de gens qui ne travaillaient que trois heures par jour, dévorés d’angoisse et aspirant désespérément au silence de leur taudis : une chambre, un amplex, un casque. Et des bobines, des bobines d’onirofilm ; des millions de « rêves » d’amour, de puissance et de gloire."

Très similaire dans sa construction et son dénouement à "Surface de la planète" de Daniel Drode - sans ses néologismes toutefois - Bonne nuit, Sophia traite du spectacle envahissant et de la société qui se construit tout autour, décadente, délaissée, dans "l'ultra moderne solitude" comme l'écrit Alain Souchon. Ici, il nous est permis de l'observer depuis le point de vue de ceux qui la construisent, rêve après rêve, car il s'agit de cela : une société qui fabrique à la chaîne jusqu'aux rêves pour des citoyens laissés hagards et sous hypnose extatique. "J'me pose devant Netflix", comme le chante le poète Tristan de Launay. Mais Lino Aldani y parle aussi d'un épuisement du désir, comme l'évoque l'extrait suivant.

" Au vrai, depuis près d’un siècle, les hommes et les femmes observaient une chasteté physique presque totale. L’isolement, la pénombre, quatre misérables murs, et un fauteuil avec amplex incorporé : l’humanité n’en demandait pas davantage. Les attraits transcendants du « rêve » avaient vaincu les ambitions ; celles de posséder un appartement confortable, d’être bien habillé, d’avoir un hélicar et toutes sortes d’autres commodités. Pourquoi s’exténuer à tenter d’atteindre des objectifs réels, quand, avec un onirofilm d’un prix dérisoire, on pouvait vivre toute une heure comme un nabab, entouré de femmes merveilleuses, admiré, servi, honoré ? " 

L'AUTEUR tel que présenté dans ce numéro :

Lino ALDANI

Lino ALDANI. – Né en 1926. Vit à Rome, où il est professeur de mathématiques. A écrit, jusqu’à ces derniers temps, sous le pseudonyme de N. L. Janda. Ses récits ont été publiés par le magazine Oltre il cielo et dans l’édition italienne de Galaxy. Il a également collaboré aux cahiers d’Interplanet et à la revue Futuro, à la création de laquelle il a activement participé. Il continue au reste à lui donner des nouvelles et des critiques. On connaît de lui deux ouvrages : un petit livre, La fantascienza (La science-fiction, 1961), qui a fait grand bruit dans les milieux italiens spécialisés, et un excellent recueil personnel, Quarta dimensione (Quatrième dimension), où figure Bonne nuit, Sophia, qu’on pourra lire dans la présente anthologie. La Radiodiffusion suisse a retenu l’un de ses récits, Gli ordini non si discutono (Les ordres ne se discutent pas), pour l’émission de Pierre Versins Passeport pour l’inconnu. Aldani – qui prépare actuellement un roman et de nombreuses nouvelles – dit devoir beaucoup à Conrad, à Stevenson et, surtout, à Sartre dont Le mur et La chambre lui ont suggéré le point de départ de deux de ses récits. Pour ce qui est de la science-fiction proprement dite, il ne fait point mystère d’admirer Bradbury, non plus que d’avoir une prédilection pour le thème de la société de demain, – ainsi qu’en témoigne éloquemment 37° centigrades. Nous n’ajouterons pas qu’il a du talent : c’est l’évidence même. 

 

Dans Un harem dans une valiseet toujours sur le thème des rapports hommes-femmes et l'étrange esseulement que des rapports hypocrites font naître, Lino Aldani nous propose un petit constat sur ce qui pourrait nous pousser à préférer l'ersatz plutôt que l'original.


" Traite-les d’abrutis, si tu veux, disait Nico entre deux bouchées. N’empêche qu’ils vivent toujours à l’ancienne mode, eux. En plein air. Et ils savent ce qu’ils mangent et ce qu’ils boivent. C’est nous, oui, qui sommes de fichus crétins à vivre dans des villes, au milieu de la puanteur et du bruit. "

Sur le sujet de 37° centigrades, on repensera à"Sous le caducée" de l'excellent Ward Moore, où l'on retrouve la même "esculapocratie" ; rendre la prophylaxie obligatoire et faire de l'hygiénisme la Table des Lois peut devenir la base d'un monde cauchemardesque, et plus précisément peut laisser penser à ses citoyens que le monde hors des contraintes du "zéro risque sanitaire" est un enfer. Mais Lino Aldani va un peu plus loin ; la loi sanitaire ne s'applique qu'à ses "abonnés" qui paient le droit, comme pour une mutuelle, à la protection sanitaire gratuite, et sont mis à l'amende s'ils ne respectent pas les conditions prophylactiques de base. On pourra se rappeler du "port du masque obligatoire", mais dans 37°... réside aussi une profonde hypocrisie du pouvoir sanitaire : pousser à la tentation les citoyens pour s'enrichir d'un côté du budget de leur consommation débridée (ici les véhicules volants) et de l'autre du paiement d'amendes aux prix exorbitant. Un unique Léviathan distille ses injonctions paradoxales et plutôt qu'exercer un réel pouvoir sur la santé publique, infantilise les citoyens sous sa coupe et les laisse apeurés et bridés dans une crasse ignorance.


Séduction manque un peu de tenue dans le maintien du style et de l'intrigue. Dommage pour Gianfranco De Turris, car l'histoire aurait pu déployer de la poésie comme celle des histoires d'amants destinés l'un à l'autre que propose souvent Nathalie Henneberg.

L'AUTEUR tel que présenté dans ce numéro :

Gianfranco DE TURRIS
Gianfranco DE TURRIS. – Né à Rome en 1944. Fréquente actuellement la Faculté de Droit de sa ville natale, après avoir achevé des études classiques. Rêve de devenir journaliste. En attendant, il collabore déjà à diverses publications, comme le quotidien romain Il Tempo et le magazine Oltre il cielo qui accepta en 1961 son premier essai de science-fiction, et dont il assuma le secrétariat de rédaction en 1962 et 1963. Il écrit évidemment des récits, mais principalement des portraits d’auteurs et des critiques parfois assez vives, ayant tous trait à la science-fiction. Une grande partie en a été rédigée avec la collaboration de son ami Sebastiano Fusco. Et c’est également avec lui et, surtout, avec Sandro Sandrelli qu’il a participé au choix des textes de science-fiction européens présentés dans l’un des récents cahiers d’Interplanet (Interplanet 5 Europa). Dernier détail : De Turris et Fusco ont constitué de concert d’importantes archives communes de la science-fiction italiennes, constamment tenues à jour.

Les vagues de la mer de Tiberio Guerrini propose une planète piège de plus, le thème est connu, mais on y suit avec intérêt les tâtonnements de ce piège marin qui se construit en s'adaptant à ses proies.

L'AUTEUR tel que présenté dans ce numéro :

Tiberio GUERRINI
Tiberio GUERRINI. – Né à Rome en 1943. Études classiques. Suit présentement les cours de la Faculté de Droit de la capitale italienne. Ayant vécu dès l’enfance dans un milieu d’artistes et d’intellectuels – son père est à la fois architecte et peintre, sa mère s’occupe de littérature – il s’est d’abord essayé à la peinture. Mais il n’a pas tardé à s’apercevoir que la poésie et la nouvelle, surtout fantastique, lui permettaient de mieux s’exprimer encore. Il adore la « grande musique ». En littérature, ses préférences vont au classicisme, au romantisme et, plus particulièrement, au décadentisme – ce frère transalpin du symbolisme – dans lequel il voit, audacieusement, une synthèse de ces deux tendances. Tout ce qui est mythe, mystère, insolite, l’attire. Et c’est pourquoi il s’est mis, depuis quelque temps, à écrire des récits où il s’efforce de faire revivre, sur d’autres planètes que la nôtre, le monde merveilleux des légendes anciennes.

"Une société statique est une société dans laquelle un employé de septième classe le restera sa vie durant, tout en s’imaginant toujours avoir de l’avancement de six mois en six mois."

Dans Le journal intime, qui évoquera tour à tour Borgès, Bioy Casarès, Kafka ou encore Stanislas Lem, il est question de la permanence du pouvoir, de sa volonté de perdurer et de mettre fin à l'Histoire. On y évoque l’infaillibilité des machins, ainsi que la mise en scène d'une épidémie.

  « Tous les six mois, on est soumis à la vaccination obligatoire. On fait courir le bruit qu’une terrible épidémie s’est abattue sur le pays. Quel en est le virus ? C’est un détail, et peut-être bien qu’il s’agit toujours du même. Quoi qu’il en soit, après avoir été vacciné, personne ne se souvient plus de rien. Du moins pour ce qui concerne ce qu’ “ils” veulent qu’on oublie. Je crois… »

Le style nous fait vaciller sans cesse entre l'homme et son double, créé par l'amnésie partielle, ou par le jeu d'échanges d'identités consentis. Vertigineux exercice de voltige de Massimo Lo Jacono.

L'AUTEUR tel que présenté dans ce numéro :

Massimo LO JACONO

Massimo LO JACONO. – Né à Rome en 1937. Docteur en droit. A exercé diverses professions : chroniqueur, critique littéraire, employé de banque, avocat stagiaire, agent d’assurance, etc. Dirige aujourd’hui Futuro, la meilleure et la plus « italienne » des revues transalpines de science-fiction. A collaboré à différents quotidiens et revues. Ses récits, publiés par la plupart des magazines italiens spécialisés, l’ont presque tous été sous le pseudonyme – maintenant abandonné – de L. J. Maurizius. Admirateur de Jorge Luis Borges, il s’est essayé avec bonheur, dans L’ultima finzione di Basilide (La dernière fiction de Basilide) – signée cette fois Guido Altieri –, à recréer l’univers du maître argentin. La subtilité de ses inventions et son art du suspense font assurément de Lo Jacono l’un des chefs de file de la jeune science-fiction italienne. Notons, pour la petite histoire, qu’il pratique le tennis, le football et l’athlétisme.


Un prototype de cauchemar, signée Piero Prosperi, permettant de voyager à certaines vitesses qui pourraient nous amener à changer d'univers, voilà en quoi consiste cette nouvelle bon enfant.

L'AUTEUR tel que présenté dans ce numéro :

Piero PROSPERI

Piero PROSPERI. – Toscan, il est né à Arezzo en 1945. D’une insatiable curiosité intellectuelle, il s’est récemment inscrit à la section d’architecture de l’Académie des Beaux-Arts de Florence. Il explique ce choix en affirmant que des statisticiens soutiennent que l’architecte et le passionné de science-fiction appartiennent à une même catégorie d’esprits qui ne parviennent que difficilement à s’insérer dans notre société. Dès l’âge de quatorze ans, il s’intéresse déjà à la science-fiction et en écrit. Mais ce n’est que deux ans plus tard, en 1961, qu’il réussit à publier un premier récit dans Oltre il cielo. Trente autres le suivent en trois ans, aussi bien dans les pages des revues italiennes les plus réputées que dans diverses anthologies, dont Futuro et Interplanet. Bien qu’il soit encore très jeune, ses récits ingénieux et habiles témoignent d’une surprenante maturité. Et Prosperi est aujourd’hui l’un des écrivains italiens de science-fiction les plus appréciés et les plus prolifiques. Ses auteurs préférés sont Bradbury et Scheckley. Une seconde passion l’habite, pour le moins aussi impérieuse que l’est la science-fiction : la passion de l’automobile.


Piero Prosperi peine un peu à trouver de l'enjeu auquel le lecteur puisse s'intéresser, et l'on suit de loin la montée de dégoût et la démission d'un chef de guerre nommé Le Capitaine Disraeli.


Avec Le retour de l'aube, Giulio Raiola prend son temps pour dépeindre l'histoire du retour sur la Terre d'un astronaute, après des années d'emprisonnement sur un autre monde ; sur la Terre … ou plutôt dessous. Seul avec quelques uns de sa génération, il assiste à la métamorphose en ruche de ces villes enfouies qui ont servi d'abri. On repensera encore une fois à Daniel Drode, ou à Thx1138 de George Lucas, ou encore au célèbre mythe de la caverne…
Giulio RAIOLA

L'AUTEUR tel que présenté dans ce numéro :

Giulio RAIOLA. – Né en 1926. Journaliste, et partant envoyé spécial quand l’occasion s’en présente. Collabore régulièrement à deux importantes revues : Lo specchio et Il borghese. Enthousiaste, croyant fermement à tout ce qu’il entreprend, il a pratiquement créé à lui seul le Festival de Science-Fiction de Trieste. On a dit de certains de ses récits qu’ils faisaient un peu penser à Bradbury. C’est sans doute vrai quant à la chaleur humaine et à la tendresse, parfois ironique, qui s’en dégage ; mais cela, quoique flatteur, n’empêche cependant pas Raiola d’être avant tout un écrivain foncièrement original.


"Foutu pour foutu", dit une expression triviale. Sandro Sandrelli propose dans La forêt obscure  le versant lumineux du désespoir, quand il n'y a plus rien d'autre à espérer que le recours à l'imagination. 

L'AUTEUR tel que présenté dans ce numéro :
Sandro SANDRELLI
Sandro SANDRELLI. – Né en 1926 à Venise, où il vit. Diplôme de chimie industrielle. Journaliste. En dix-sept ans de carrière, il a donné des milliers d’articles de vulgarisation scientifique. Pionnier de la science-fiction italienne d’aujourd’hui, il y occupe une place fort importante. Son premier essai dans ce genre a été publié en 1949. Il dirige les cahiers d’Interplanet, qui sont de copieuses et intéressantes anthologies de science-fiction principalement transalpine. Après l’avoir souvent lu, entre autres, dans Galassia et dans Oltre il cielo, on retrouve maintenant Sandrelli au sommaire de Futuro. On lui doit deux recueils : I ritorni di Cameron Mac Clure (Les retours de Cameron Mac Clure) et, surtout, Caino dello spazio (Cain de l’espace), où un pathétique profondément humain s’allie avec bonheur à un humour parfois noir et à un sentiment poétique très personnel. C’est au reste de ce dernier ouvrage, dont beaucoup de récits sont de tout premier ordre, qu’ont été tirés ceux qui figurent dans le présent numéro spécial.

"L'homme est-il bon ?" se demandera le dessinateur Moebius, qui avait peut-être Un homme vraiment bon en tête, comme d'autres que nous tairons ici de peur d'en divulgâcher davantage. Concis et efficace récit de Sandro Sandrelli.


Une planète aux confins de la galaxie, jadis colonisés par des naufragés, se révèle vide de tout habitant, mais continue d'être animée par les machines construites alors. L'énigme est posée, et rappelle celle du vaisseau "La Marie Céleste" ; dans un même temps, Sandro Sandrelli pose la question de la perfection mécanique. Un ton acerbe et une chute qui tombe comme un couperet, La faux clôt ce recueil.
 

24 décembre, 2025

Galaxie (2eme série) n°011 – Mars 1965

Des textes de grande qualité (et qui seront repris dans des anthologies ou des recueils) accompagnent la suite et fin du "Prince des étoiles" de Jack Vance. Seul J. T. McIntosh bénéficie ici une publication exclusive - et l'on continue de s'étonner que les éditions Opta ne lui ait pas plus rendu hommage par la suite. Une fois encore, la nouvelle de Clifford Simak sera bien reprise en recueil, mais dans la rarissime collection "Titre/SF" de chez Jean-Claude Lattès ("Des souris et des robots" - 1981, et d'ailleurs beaucoup de nouvelles de ce recueil ne feront pas l'honneur de republication dans les compilations ultérieures de chez J'ai Lu).

C'est un robot ? C'est une humain ?
C'est une fusée ?
Non, c'est un epub !

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Sommaire du Numéro 11 :


1 - Jack VANCE, Le Prince des étoiles (fin) (The Star King, 1963), pages 2 à 78, roman, trad. Pierre BILLON, illustré par Ed EMSH

2 - Robert SHECKLEY, Le Balayeur de Loray (The Sweeper of Loray, 1959), pages 79 à 92, nouvelle, trad. GERSAINT

3 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro parues dans l'ancien "Galaxie", pages 92 à 92, bibliographie

4 - William TENN, Commandant de morts-vivants (Down Among the Dead Men, 1954), pages 94 à 118, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par William ASHMAN

5 - J. T. McINTOSH, La Justice des Spurciens (Kingslayer, 1959), pages 120 à 141, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Wallace (Wally) WOOD *

6 - Clifford D. SIMAK, Une mort dans la maison (A Death in the House, 1959), pages 142 à 160, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH, illustré par Dick FRANCIS


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Mars 1965 : Ludo le Hérisson a deux ans, et sans doute ne sait-il  pas encore lire. Un matin, depuis les bras qui le portent, il entrevoit distraitement chez un marchand de journaux, derrière le comptoir, la couverture bariolée du Galaxie n°11. Son contraste tranché, ses lumières crépusculaires enflammées, ses énigmatiques silhouettes, l'attirent irrésistiblement. Touché par la candeur du potentiel lecteur de SF, notre ami le Centaurien projette son esprit dans le passé et lui propose les avis suivants sur ce numéro.


Jack Vance fait poursuivre à son héros, dans cette suite et fin pour Le Prince des étoiles, sa quête de vengeance et de justice sommaire, en l'agrémentant fort heureusement d'objets de désirs et semant de l'adversité jusque chez ses adversaires, dont la fourberie les empêchera de rester soudés. Péripéties, aventures, ruses et astuces… Ce Prince des étoiles est fort agréable à lire.


Robert Sheckley raille l'anthropocentrisme qui transpire de certaines œuvres de SF, en imaginant un explorateur ethnologue qui assure que le taux d'intelligence des populations extraterrestres s'amenuise proportionnellement à la distance qu'elles ont avec la Terre. Mais bien évidemment, ce qu'on appelle "intelligence" n'est peut-être qu'un concept terrien, et qui ne résiste pas, par exemple, à l'avidité et à l'appât du gain. Le balayeur de Loray, lui, balaie déjà devant sa porte…

Notons que cette nouvelle fera l'objet d'une publication apocryphe, en septembre 1990, sous l'initiative de Francis Valéry et du site "Quarante-deux.org", sous la forme du numéro 66 de la première série de Galaxie tel qu'on aurait pu se le représenter. (Voir Galaxie n°65 et sur cette page chez Noosfere).

(…) si nous voulions maintenir le statu quo jusqu'à l'heure décisive, il fallait que notre moyenne des naissances fût en excédent sur nos pertes. Pendant la décade passée, il n'en avait pas été ainsi, en dépit des réglementations de plus en plus rigoureuses sur la Repopulation, lesquelles mettaient progressivement en pièces toutes nos lois morales et sociales. C'est alors que le service de la Récupération remarqua qu'à peu près la moitié de nos vaisseaux étaient fabriqués à partir des débris métalliques récupérés sur les champs de bataille. Où se trouvait le personnel qui avait constitué les équipages de ces épaves ?…

La logique du recyclage poussée à l'extrême croise dans Commandant de morts-vivants la volonté de "réarmement démographique" inhérente aux patries s'apprêtant à la guerre. Autant dire que le questionnement est loin d'être dépassé de nos jours, même si la conclusion du récit porte plutôt sur la stérilité. William Tenn est ici peut-être un peu plus grave qu'à son habitude, mais on y retrouve ses formules grinçantes comme celle-ci :

(...) en dépit de la science dont faisaient preuve les Éotiens, et qui en bien des secteurs surpassait la nôtre de fort loin, ils étaient psychologiquement incapables de concevoir qu'un voisin à l'aspect dissemblable du leur soit doué d'intelligence, de sensibilité et possède le droit à l'existence. Beaucoup trop d'humains leur ressemblent sur ce point.


Avec La justice des Spurciens, J. T. McIntosh propose une petite nouvelle à l'ancienne, où l'enjeu science-fictionnel ne sert que de décorum, et un poil machiste au vu du rôle un peu réifié de l'inévitable jolie jeune femme, mais l'ensemble demeure bon enfant et l'intrigue suffisamment rebondissante pour en faire un récit appréciable.


Une mort dans la maison est une nouvelle bien dans la veine humaniste de Clifford D. Simak, où l'humanisme signifie surtout respecter la dignité du vivant, quel qu'il soit. On repensera inévitablement à son roman "Au carrefour des étoiles" daté de 1963, et cette nouvelle initialement parue en 1959 en constitue une sorte d'ébauche bien menée.


Bon, excusez moi Ludo pour la petite blagounette du début ; notre Centaurien, depuis qu'il est de retour, a l'esprit plutôt farceur… Joyeux Noël tout de même !

17 décembre, 2025

Galaxie (2eme série) n°010 – Février 1965

Premier opus de la "Geste des Princes-Démons" de Jack Vance, et c'est tout son panache romanesque que l'on y retrouve déjà. Mais les meilleures surprises ne viennent pas d'un inédit de Van Vogt, qu'on pourra en effet laisser dans les tiroirs (bien qu'il connaîtra une suite), mais bien d'un autre inédit, de Floyd L. Wallace celui-ci, un bon cran au-dessus de ses autres nouvelles - qui étaient tout de même d'un niveau correct, rappelons-le.

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Sommaire du Numéro 10 :


1 - Jack VANCE, Le Prince des étoiles (The Star King, 1963), pages 2 à 69, roman, trad. Pierre BILLON, illustré par Ed EMSH

2 - Floyd L. WALLACE, Le Grand ancêtre (Big Ancestor, 1954), pages 70 à 95, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH, illustré par Ed EMSH *

3 - Jack SHARKEY, Les Dons du Twerlik (The Twerlik, 1964), pages 96 à 102, nouvelle, trad. Marcel BATTIN & Martine CHRISTIAENS *

4 - Damon KNIGHT, Autodafé (Auto-da-Fe, 1961), pages 103 à 110, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par Bob RITTER

5 - Charles VAN DE VET, Métamorphose (Metamorphosis, 1960), pages 111 à 123, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Bob RITTER *

6 - Alfred Elton VAN VOGT, Le Silkie (The Silkie, 1964), pages 124 à 151, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH, illustré par Gray MORROW *

7 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro parues dans l'ancien "Galaxie", pages 153 à 153, bibliographie

8 - (non mentionné), Référendum sur le n° 8, pages 155 à 155, notes


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.



Certains aspects du Prince des étoiles rappelleront la récente nouvelle de Jack Sharkey, "Une question de protocole", par la description de seconde main d'une planète où le règne du vivant passe par les états végétaux, insectoïdes puis humanoïdes, avec la même fragilité dans leur cycle de vie. Mais l'enjeu qui court tout du long de ce roman de Jack Vance est tout autre, puisqu'il s'agit de la justice, du maintien de la justice dans un univers corrompu, et ainsi de la tentation de la justice sommaire.
Ce passage, par exemple, décrit assez bien les mécanismes de corruption qui menacent les Gardiens de la Paix dans leur exercice policier :

Allocution du Seigneur Jaiko Jaikoska, président du Conseil Exécutif, à l'Assemblée Législative Générale, Valhalla, Tau Gémini, 9 août 1028 :
« Je vous engage à ne pas souscrire à cette sinistre mesure. L'humanité a fait à maintes reprises la triste expérience de ces forces de police aux pouvoirs démesurés… Sitôt que cette police échappe au contrôle diligent d'une tribune locale pointilleuse, elle devient arbitraire, implacable, et constitue un état dans l'état. Ses membres ne se soucient plus de justice ; ils ne pensent plus qu'à se donner le statut d'une élite privilégiée et enviée. Ils prennent pour de l'admiration et du respect l'attitude de méfiance et d'incertitude que la population adopte à leur égard, et on les voit bientôt jouer les matamores en brandissant des armes avec ostentation dans une mégalomanie euphorique. Le peuple, de maître, se transforme en esclave…
» Une telle force de police n'est bientôt plus qu'un agrégat de criminels en uniformes, d'autant plus redoutables que leur position est garantie par la loi. Ils ne considèrent plus l'être humain que sous la forme d'un objet qu'il convient de pressurer et d'exploiter avec le maximum d'efficacité. Le bien public perd toute signification. Les prérogatives de la police assument le statut de droit divin. Une entière soumission est exigée de chacun. S'il advient qu'un policier tue un civil, on considère cela comme un incident regrettable, le policier en question aurait fait preuve d'un excès de zèle. Si du contraire c'est un civil qui tue un policier, l'enfer se déchaîne dans toute sa violence. La police entière écume de rage. On se lance aux trousses du coupable, toutes affaires cessantes. Et lorsque l'abominable auteur du sacrilège est enfin arrêté, on commence, en guise d'introduction, par lui administrer une mémorable correction ou tout autre genre de torture, pour lui apprendre ce qu'il en coûte de commettre un crime de lèse-majesté aussi intolérable…
» La police se plaint d'être trop souvent impuissante et de voir des criminels lui glisser entre les mains. Mieux vaut cent criminels impunis que le despotisme sans frein d'une force unique de police. Je vous avertis encore une fois. Ne souscrivez pas à cette mesure. Et si vous le faites, j'opposerai sûrement mon veto. »

Et Vance va plus loin lorsque, prenant en considération la question du "maintien de l'ordre" dans un Empire à l'échelle galactique, il soumet la galaxie et une organisation globale des lois à un questionnement sur la libre-circulation des individus entre les astres - ce qui assurerait une relative impunité à tout criminel en fuite, quand la nécessité d'une police unique finit toujours par se comporter en élite au-dessus des lois. Cherchant un entre-deux avec l'expression d'une agence privée d'enquêteurs, Vance en déduit avec humour qu'un contre-pouvoir s'érige toujours face à une libéralisation policière, dusse-t-elle être mafieuse.

Des digressions comme l'extrait proposé ci-dessus agrémentent joyeusement l'ouverture de chaque chapitre. Et l'on sent que Vance s'amuse à parodier ses pairs, comme cette citation d'un certain, Freb Hankbert, et l'allusion transparente à Frank Herbert qui y est faite. (Une autre de ces mises en contexte décrit les Sarkovys, "qui étaient des empoisonneurs accomplis". Comme l'écrit Julien Raymond dans sa critique publiée sur Noosfere : "ce n'est pas tombé loin" !)

Faire justice, soi-même, au nom d'une définition du bien individuellement élaborée, pour venger tout un peuple et extirper les pires engeances du mal de cet univers. Voilà le projet du héros de Jack Vance dans Le Prince des étoiles, premier volume du cycle dit des "Princes démons". Vance aime son héros et facilite l'identification que peut en faire le lecteur. Du panache, un univers grand ouvert sur la diversité et l'exotisme de forme mêlé à quelque chose d'un peu médiéval, donnent cette impression de Fantasy dont Vance sera l'un des fers de lance. Le second volume du cycle, "La machine à tuer", ne paraîtra en France qu'en octobre 1969 dans la collection Galaxie-bis.

A partir de l'hypothèse un peu infantile d'une origine commune à toutes les espèces humanoïdes de notre galaxie, Le grand ancêtreFloyd L. Wallace nous embarque dans un voyage en compagnie de quelques représentants de ces espèces cousines, vers le présumé berceau des espèces. La révélation sera de taille, et même cyclopéenne pour reprendre un terme lovecraftien tant le schéma narratif peut rappeler "Les montagnes hallucinées" de Lovecraft. Un récit bien surprenant et très sarcastique.


Pavé de bonne intention, le Twerlik représente une planète piège d'un type peu commun. Court et efficace - on repensera à bien d'autres traquenards que renferment les galaxies - Les dons du Twerlik de Jack Sharkey se lit avec plaisir.


L'homme ressentit brusquement une douleur qui nouait sa poitrine. Il imaginait parfaitement les petits chiots avec leur grosse tête rassemblés autour du feu, le soir, écoutant leurs aînés tandis qu'ils leur parlaient de l'Homme. Il imaginait leurs grognements de désespoir en apprenant qu'il n'existait plus aucun homme dans le monde.
Non, il ne s'agit pas d'un extrait de "Demain les chiens" de Clifford D. Simak, daté de 1952. Mais Damon Knight ne saurait nullement ignorer ce classique lorsqu'il écrit Autodafé en 1961, pour prendre le contrepied de Simak avec cette histoire du dernier homme vivant et des derniers chiens pour serviteurs. L'humanisme y prend un coup, mais après tout, les autodafés aussi sont une invention humaine…


Un symbiote qui, comme on aimerait l'imaginer, développe les capacités physiques et intellectuelles de l'humain qui en est porteur ; voilà un point de vue de départ un peu simpliste et idéaliste. Charles Van De Vet ajoute une clause : l'effet ne dure pas. Là où un Daniel Keyes ou un Robert Silverberg aurait usé d'introspections et de tentatives de se mettre en empathie avec les parasites (on se rappellera aussi "Les mondes intérieurs" de William Morrison, in Fiction n°13) nous avons là finalement une histoire plutôt policière bien menée, mais Métamorphose reste un peu en deçà de son potentiel.


Monde étrange que le monde de la logique ! Pendant la plus grande partie de sa longue histoire, l'homme avait obéi à des mécanismes cérébraux et nerveux qu'il ne soupçonnait pas. Un centre de sommeil le faisait dormir. Un centre de veille le réveillait. Un mécanisme de colère le mobilisait pour l'attaque. Un complexe de peur le faisait fuir. Il y avait plus d'une centaine de mécanismes, dont chacun avait un rôle précis, dont chacun était parfait, mais que l'aveugle soumission de l'homme avait dégradés, avait réduits à ne plus être que des commandes se déclenchant au hasard.  
Tout au long de cette période, la civilisation consistait en codes d'honneur et de comportement, en tentatives, nobles ou viles, de rationaliser la simplicité de ces éléments sous-jacents et ignorés. Finalement, l'homme était arrivé à appréhender et à contrôler tour à tour chacun de ces mécanismes nerveux. 
Le véritable âge de raison était venu. 
Et, s'appuyant sur cette raison, Cemp se demanda si les Kibmadines se trouvaient à un niveau supérieur ou inférieur à celui du requin, par exemple.
Et l'on se demande de notre côté si Van Vogt considère son métier d'écrivain comme un simple exercice d'application mécanique de la logique, auquel cas on s'interroge  sur sa capacité à avoir dépassé le stade capricieux d'un enfant de cinq ans. Car à l'échelle de la nouvelle, les séduisantes extrapolations mentales des super-héros de Van Vogt ne fonctionnent plus, n'ont plus d'espace où déployer leur système tautologiques. S'ensuit un récit sans enjeu autre que sauver la terre d'une invasion, soit un sujet si surfait qu'il donne l'impression d'être parodique. Et son inévitable mutant est insupportable de suffisance. Un récit inepte.

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