26 mars, 2025

Fiction n°104 – Juillet 1962

Ward Moore s'amuse et Matheson catéchise, tandis que les auteurs et autrices francophones fréquentent les lisières de la folie, pour ce numéro de l'été 1962.  On notera que, pour quelques uns des auteurs de ce numéro, il s'agira de leur dernière publication dans Fiction - on sent qu'une page se tourne dans le domaine de l'étrange, comme le soulignera en vilipendant Alfred Bester dans sa chronique.. 

Voyagez entre les hachures ...

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Sommaire du Numéro 104 :


1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 3, bibliographie

NOUVELLES 

2 - Ward MOORE, Le Rebelle (Rebel, 1962), pages 4 à 12, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM

3 - Rick RUBIN, La Chatte interplanétaire (The Interplanetary Cat, 1961), pages 13 à 17, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM *

4 - Richard MATHESON, Le Voyageur (The Traveller, 1954), pages 18 à 28, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM

5 - Katherine MacLEAN, L'Équilibre naturel (Interbalance, 1960), pages 29 à 36, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM *

6 - Brian ALDISS, Le Monde vert - 5 / ...et revivre à jamais (Evergreen, 1961), pages 37 à 75, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH

7 - Zenna HENDERSON, Tournez la page (Turn the Page, 1957), pages 76 à 82, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *

8 - Roland TOPOR, Orages, pages 83 à 87, nouvelle

9 - Ilka LEGRAND, Fleur de cimetière, pages 88 à 97, nouvelle *

10 - John NOVOTNY, À malin, malin et demi (A Trick or Two, 1957), pages 98 à 105, nouvelle, trad. Daniel MEAUROIX

11 - René BARJAVEL, L'Homme fort, pages 106 à 115, nouvelle

CHRONIQUES

12 - Gil SARTÈNE, Réalisme fantastique ou fantastique idéalisme ? (à propos de "Planète"), pages 117 à 122, article

13 - Jacques GOIMARD, L'Œuvre exemplaire d'A. E. Van Vogt (2), pages 123 à 131, article

14 - (non mentionné), Le Prix Jules Verne 1962 / Club des bandes dessinées, pages 133 à 133, article

15 - Alfred BESTER, Livres d'Amérique, pages 135 à 138, chronique, trad. Demètre IOAKIMIDIS

16 - F. HODA, Infidèle fidélité, pages 139 à 143, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Le rebelle est une petite potacherie de Ward Moore, une fois n'est pas coutume chez cet auteur, qui s'amuse ici à inverser l'échelle des valeurs sociales et professionnelles (à la manière de Robert Sheckley dans "Tu seras sorcier", in Fiction n°18). Cela donne un discours qui nous laisse entendre des choses en creux, mais on aurait peut-être aimé lire aussi la description de cette société où le discours dominant est d'être principalement axé sur la pratiques des arts.

Une autre histoire d'humour, ici au sujet de la Dévoration, fléau cosmique qui engloutira tout… On s'attend un peu trop à la chute de La chatte interplanétaire, histoire gratuite signée Rick Rubin. Dommage car elle est écrite avec beaucoup d'humour.

Plus sérieusement maintenant. Richard Matheson tente, certes à travers Le voyageur, de démystifier le moment mythologique de la crucifixion de Jésus de Nazareth, mais ce n'est, en bon protestant, que pour rendre l'Homme seul encore plus surhumain. Michael Moorcock reprendra ce thème dans un esprit plus iconoclaste dans "Voici l'homme", en 1969. Cette même année, Kilgore Trout explorera aussi ce thème dans un obscur roman maintenant disparu : "Jesus and the time-machine" (dont le titre reste hypothétique - plus d'informations à ce sujet ici.)

Petite discussion sur L'équilibre naturel entre deux jeunes gens dans un cadre post-apo, comme pourrait en écrire Julia Verlanger. La fin que lui compose Katherine MacLean est trop abrupte cependant pour décrire un monde en reconstruction. On saluera l'autrice dont c'est la dernière publication dans la revue.

« Nous servir de monture est le sort de ceux de sa race. Préparé très jeune à cet office, il ne connaît ni ne souhaite rien d'autre. » Voilà qui rappelle le roman de Carol Emshwiller "La monture" (édité en 2002, mais sans doute composé bien avant). Quoi qu'il en soit, au détour de ce dernier épisode de Le monde vert de Brian Aldisson apprend que le feuilleton publié par Fiction était une version antérieure et non refondue par l'auteur du roman. 

Demeure toutefois la sensation qu'Aldiss a bifurqué pendant son écriture, et qu'il a cherché à rassembler les morceaux à la fin. Si certaines coupes seront en effet bienvenues, il pourrait manquer certains développements à d'autres moments. Mais ne boudons pas notre plaisir ! La lecture d'ensemble de ce Monde vert est très agréable, et puisque ici les protagonistes aspirent à la paix, et que l'on sait qu'ils n'y cultiveront pas leur jardin pour autant (ce serait plutôt l'inverse), on accepte qu'ils tournent le dos au changements malgré tous les signes indiquant la toute fin des temps - sur Terre tout au moins.

Une très jolie nouvelle que Tournez la page, sur les capacités des enfants à intégrer l'imagination dans la construction de la vérité, à l'image des contes de fées. Et toujours cette présence de la pédagogue atypique mais bienveillante, comme le fut sans doute Zenna Henderson elle-même, institutrice de son métier. 

 Côté francophonie, à présent : Comment peut-on savoir si l'on est fou ? Existe-t-il un moyen de se rendre compte ? Cette question que se pose avec justesse Roland Topor dans ces Orages rappellera la problématique que posera Philip Dick dans "Les clans de la lune alphane" deux ans plus tard. Très bien mené.

Du fantastique encore, mais qui n'intervient qu'en dernier recours, et une narratrice qu'on pourrait penser sujette à caution, sont les ingrédients bien salés de Fleur de cimetièreune romance malheureuse et avortée. On retrouve - pour la dernière fois dans la revue - les thèmes obsessionnels d'Ilka Legrand : l'emprise, et la conscience surnaturelle du règne végétal. On pourra aussi repenser à "Vertes pensées" de John Collier (in Fiction n°19).

Une autre potacherie, celle-ci traduite par Alain Dorémieux sous pseudonyme ; un poil machiste, si l'on ose le dire ainsi, mais l'honneur est sauf, dans À malin, malin et demi de John Novotny. Cette nouvelle sera la seule de Novotny reprise dans une anthologie ("Histoires parapsychiques" - de la série de la Grande Anthologie de la Science-Fiction, volume sous la direction de Demètre Ioakimidis).

Pour sa dernière parution dans Fiction, (et malgré l'annonce qui perdurera quelques numéros de la parution à venir de la nouvelle "La fée et le soldat"), René Barjavel nous conte l'histoire de L'homme fort, un surhomme - donc - et même un super-héros à la française, qui exerce son invincibilité sur le fait de guerre, afin d'assurer une paix universelle. Comme le dit l'histoire : "c'était un rêve".  

Nous évoquions la chronique Livres d'Amérique d'Alfred Bester en introduction. On ne peut pas dire que Bester souhaite se faire des amis. Voyons cette phrase, par exemple : "Et il nous reste une question à poser : une femme peut-elle écrire des romans d'action véritablement convaincants ?"  Ooooh, tout de même, Monsieur Bester, le jeu vaut-il la chandelle de se mettre à dos 50 % de l'espèce humaine ? Lisez donc Leigh Brackett, pour commencer...

Mais ne faisons pas notre Goimard en commentant des critiques qui ont plus de soixante ans d'âge. Plus "professionnellement" pour sa part, Bester note que les grands thèmes de la science-fiction semblent s'épuiser, et que de mauvais auteurs s'y accrochent toutefois comme un singe à un pain de sucre.

" On peut évidemment prétendre, au sujet des broutilles susmentionnées, que nous nous trouvons dans une période de transition. La science-fiction a utilisé la majorité des concepts scientifiques et, en ayant épuisé la substance, elle doit nécessairement marquer un temps d'arrêt. Le point est contestable ; cependant, si on l'admet, notre réponse est simple : cessez dans ce cas d'écrire de la science-fiction. Pour l'amour du ciel, taisez-vous si vous n'avez rien à dire. "

19 mars, 2025

Fiction n°103 – Juin 1962

Un quart de la collection Fiction ! Nous sommes tout d'abord très fiers d'avoir tenu cette échéance, en espérant que les moyens techniques continueront d'être fiables à l'avenir pour les 309 numéros restants !

Ce numéro 103 poursuit les métamorphoses éditoriales, ici avec la parution d'un roman dans son intégralité, et quel roman ! Il s'agit de "L'invention de Morel", de l'argentin Adolfo Bioy Casarès. Le thème en est unique. Nous retrouvons aussi "Le monde vert" de Brian Aldiss, toujours en feuilleton quant à lui, ce qui laisse peu de place aux autres nouvelles : deux seulement d'auteurs de langue anglaise, Kris Neville et Evelyn E. Smith. 

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Sommaire du Numéro 103 :


1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 2, bibliographie

NOUVELLES

2 - Adolfo BIOY CASARES, L'Invention de Morel (La invención de Morel, 1940), pages 3 à 63, roman, trad. Armand PIERHAL

3 - Charles FINNEY, Captivité (The Captivity, 1961), pages 64 à 71, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *

4 - Evelyn E. SMITH, Une journée en banlieue (A Day in the Suburbs, 1960), pages 72 à 79, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM

5 - Kris Ottman NEVILLE, Encore deux heures ? (Closing Time, 1961), pages 80 à 85, nouvelle, trad. Régine VIVIER *

6 - Brian ALDISS, Le Monde vert - Du côté de la nuit (Timberline, 1961), pages 86 à 114, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH 

CHRONIQUES

7 - Jacques GOIMARD, L'Œuvre exemplaire d'A. E. Van Vogt (1), pages 115 à 121, article

8 - COLLECTIF, Ici on désintègre !, pages 122 à 135, critique(s)

9 - (non mentionné), Tribune Libre, pages 137 à 137, article

10 - Jacques GOIMARD, Un fantastique peu nocturne, pages 139 à 143, article

11 - (non mentionné), Table des récits parus dans "Fiction", pages 143 à 144, index


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Jorge Luis Borgès tenait L'invention de Morel de son ami Adolfo Bioy Casarès pour un roman parfait. Il est vrai que le récit est fort bien mené dans sa progression et dans l'ultime allégorie de sa fin. Car, sans dévoiler l'intrigue, l'invention de Bioy Casarès est hautement allégorique, métaphysique de manière intelligente, sensible et subtile. Mais le plus remarquable est son propos sur l'écriture et la lecture, sur les moyens d'écrire et de lire, et sur ce qui nous écrit et nous lit. Situation ultime de l'art romanesque, ce récit nous propose sans intellectualisme tous les plaisir du lecteur : mener l'enquête, comprendre avant le narrateur pour nous conforter dans notre intelligence, nous évader (puisque le narrateur est un fugitif), nous projeter littéralement à la fois dans l'hédonisme et l'inquiétude, et se saisir, à la fin, au plaisir délectable de relire. Magistral. On notera que la revue aurait pu publier comme à son habitude ce roman en plusieurs parties, mais que cela aurait chevauché le feuilleton de Brian Aldiss. On se félicitera de l'entorse faite à cette règle de publier des récits au mieux moyennement longs, et de la qualité du récit choisi. L'enjeu vaut bien l'écart.

Là encore une histoire allégorique avec Captivité, de Charles Finney (dont ce sera la dernière publication dans Fiction). Un camp de prisonniers sans autres entraves qu'une haute barrière pour les empêcher de fuir. Pas d'autre privation ni de carence. Puis la captivité prend fin. On s'interroge sans cesse sur la nature rélle de ce camp, des pistes sont évoquées pour être abandonnées ensuite... Bien mené.

Lutte des classes ici de manière concrète, pour Une journée en banlieue. La banlieue, en expansion et en pleine mutation urbaine durant ces années 60, représente le terrain quasi somatique de la compétition sociale. Si Evelyn E. Smith spécule, elle a vu juste. Et toujours avec humour.

Kris Neville s'amuse d'un paradoxe mathématique en partant du postulat de la célèbre formule d'Einstein, E=Mc2. Les conclusions de Encore deux heures ? donnent un peu froid dans le dos...

Avant-dernière partie pour Le monde vert, de Brian Aldiss, peut-être un peu plus essoufflée que les précédentes, où l'on découvre l'orée du côté nuit de la Terre qui ne tourne plus rond du tout. Une face sombre forcément (?) moins vivante.




A propos de L'œuvre exemplaire d'A. E. van Vogt, article annoncé en deux parties qui sera finalement scindé en trois, par Jacques Goimard, prolifique nouvel intervenant dans l'équipe de Fiction.

L'article - le démontage, même - de Damon Knight sur l'œuvre de van Vogt parue dans le numéro précédent y trouve un rebondissement. Mais la mauvaise foi et l'attaque à charges que Jacques Goimard reproche à Damon Knight pourrait tout autant lui être retournée. Quoi qu'il en soit, la polémique, faussée par des temps d'expressions différents, (Goimard critiquant en 1962 un article datant de la jeunesse de Knight), montre que la S.F. n'a pas de style ou de thématique uniques, et qu'elle a la complexité de sa diversité - quitte à avoir aussi ses chapelles.

Nous ne résistons pas à l'envie de partager à la fois ce faire-part de naissance, et une copie numérique (pour une fois au format pdf) d'un nouveau fanzine (en 1962)  de très grande qualité, qui marquera durablement les esprits dans le domaine du fantastique et de la science-fiction. (Attention : Gros fichier de 255Mo).

Un clic droit sur l'image pour obtenir votre copie numérique.

 Une revue du cinéma fantastique.

À l'intention des cinéphiles amateurs d'étrange, signalons la parution d'une nouvelle revue : « Midi-Minuit Fantastique », spécialisée dans le cinéma fantastique sous toutes ses formes (éditions Le Terrain Vague). 

Le numéro 1 (mai 1962) est consacré à Terence Fisher, metteur en scène de « Frankenstein s'est échappé », « Le cauchemar de Dracula », « Les maîtresses de Dracula », « La nuit du loup-garou ». etc.

Le numéro 2 (juillet 1962) aura pour thème : les vamps fantastiques (femmes-chats, femmes-panthères, femmes-vampires, femmes-insectes, femmes-oiseaux et sirènes).

Quatre-vingts pages dont trente pages d'illustrations soigneusement imprimées sur papier couché.

Pour terminer ce tour de revue, nous vous proposons les très intéressants propos de Jean Ray au sujet de son œuvre maîtresse, Malpertuis, que cite ce numéro (extrait d'un entretien, sans doute avec Jacques Van Herp) :

« Ce roman a été composé au fil des années, dix ou douze ans peut-être, au fil des nuits et des voyages, par toute la terre. J'écrivais, jetais, brûlais, puis les ciseaux et le pot de colle entraient en jeu sur les survivants. C'est un vrai costume d'arlequin, car je suis incapable de donner un premier jet.

» Le cadre est venu d'abord, comme toujours chez moi. Malpertuis est une grande, vieille, sinistre maison de la paroisse Saint-Jacques, à Gand, et à côté d'elle, rue du Vieux-Chantier, une boutique de couleurs et vernis, tout à fait curieuse, tenue par un bonhomme tout aussi curieux, surnommé la Chèvre. Les autres cadres se situent un peu partout, les uns dans le vieux Gand, pas mal dans le Hanovre, à Hambourg et Hildesheim. L'abbaye est celle d'Averbode, en Campine.

» Nancy est ma sœur, une jolie fille qui se foutait du tiers comme du quart. Élodie, c'est la servante qui m'a élevé, me rossant trois ou quatre fois par jour, et que j'aimais bien. Les Euménides sont trois vieilles demoiselles, dont la plus jeune n'était pas mal du tout, qui tenaient une petite confiserie. Elles devenaient terrifiantes quand les gamins venaient les ennuyer. On les appelait les Choutz. Philarète, ou plutôt Philariaan de son vrai nom, était un taxidermiste habitant près du Ham, au milieu d'une sorte de jachère, une épouvantable maison en bois.

» Puis j'ai rassemblé tous ces éléments, épars dans l'espace et le temps, dans « Malpertuis », et pour les faire revivre j'ai fait appel au fantastique. Les Barbusquins sont une invention d'Élodie pour nous faire peur, mais je ne sais trop s'ils n'ont pas réellement existé. L'abbé Doucedamme, je le vois très bien, il n'avait rien d'un prêtre maudit, c'était un vieux petit conventuel, gourmand et amusant.

» Voilà les éléments de « Malpertuis ». Je n'ai pas d'imagination, quoi qu'on en dise. Si mon imagination n'est pas sollicitée par un fait, je reste impuissant. »

Jean Ray sans imagination ! Allons donc !

On découvre aussi, dans cette recension, l'air de rien, une note qui dévoile quelque peu le mystère de la paternité de Harry Dickson, comme s'il s'agissait d'un secret de polichinelle. (Comment ? On ne vous l'avait pas dit ?)

"L'effrayant mystère de la mort des dieux donne toute son ampleur cosmique au récit, car il trouve son écho dans bien d'autres œuvres de Jean Ray : « La vérité sur l'oncle Thimotheus », « L'aventure mexicaine » (John Flanders), « La résurrection de la gorgone » (Harry Dickson). La mort des dieux, traînant jour après jour les lambeaux d'une puissance rongée par le temps, pliant la nuque sous la verge de fer de Moïra, le Destin, dont la puissance leur est supérieure, obsède Jean Ray. Et « Malpertuis » résume tout l'univers de Jean Ray le voyant (Jean Ray le Mutant, disait de lui Ghelderode, qui projetait avant sa mort de lui consacrer un livre)." 

12 mars, 2025

Fiction n°102 – Mai 1962

Une longue nouvelle de Theodore Sturgeon à la lisière de la science-fiction ouvre ce numéro qui semble prendre son élan avant quelques remises en question éditoriales. On y appréciera la suite du Monde vert de Brian Aldiss, et une dernière note critique de Damon Knight envers van Vogt. 

Salut Fix ! ça clique ?

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Sommaire du Numéro 102 :


1 - (non mentionné), Nouvelles des auteurs de ce numéro, pages 2 à 3, bibliographie

NOUVELLES


2 - Theodore STURGEON, Les Enfants du comédien (The Comedian's Children, 1958), pages 4 à 41, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE

3 - Carol EMSHWILLER, Le Tueur et l'oiseau (You'll Feel Better ..., 1957), pages 42 à 45, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *

4 - Arthur C. CLARKE, Le Vol de la déesse sirène (Trouble With Time / Crime on Mars, 1960), pages 46 à 50, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM

5 - Francis CARSAC, L'Ancêtre, pages 51 à 53, nouvelle

6 - Brian ALDISS, Le Monde vert - 3 / La bouche noire (Undergrowth, 1961), pages 54 à 95, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH

7 - Jean RAY, La Nuit de Pentonville, pages 96 à 104, nouvelle 

CHRONIQUES


8 - Damon KNIGHT, A.E. Van Vogt, gâcheur cosmique (Cosmic Jerrybuilder: A. E. van Vogt, 1956), pages 105 à 116, article, trad. Pierre VERSINS

9 - Pierre VERSINS, Fanactivités, pages 117 à 121, chronique

10 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 122 à 134, critique(s)

11 - COLLECTIF, Le Coin des spécialistes, pages 135 à 136, critique(s)

12 - Jacques GOIMARD, Miscellâneries, pages 139 à 141, article

13 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 143 à 144, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

" Personne ne savait précisément comment Heri Gonza avait trouvé l’idée d’une épreuve d’endurance pour solliciter publiquement des fonds. Il n’avait pas inventé cette idée ; c’était un phénomène de l’ancienne télégraphie sans fil, phénomène qui avait obtenu un succès éphémère lors du mariage du visuel et de l’auditif, procédé primitif connu sous le nom de télévision. Les programmes, offrant jusqu’à quarante heures de spectacles entrecoupés d’appels pour tel ou tel fonds de secours, étaient dirigés par une célébrité qui jouait le rôle de maître de cérémonie et de mendiant-en-chef. Le nom de cette production était téléthon, terminologie bâtarde composée de la racine grecque télé et de la syllabe thon, qui ne signifiait rien par elle-même mais était en fait la dernière syllabe du mot marathon. Le téléthon, sensationnel au début, avait rapidement dégénéré, à cause de son utilisation par des quantités de publicistes avides de gain qui, pour le prix d’un appel téléphonique, avaient fait des affaires en réclamant des dons pour aider des malades, mais en même temps parce que l’impulsion de donner d’un grand nombre de citoyens n’avait guère survécu à leurs promesses téléphoniques. L’attrait de la nouveauté ayant passé, le public ne regarda plus le spectacle. Aussi, pendant près de quatre-vingts années, il n’y avait pas eu de téléthons et, s’il y en avait eu, on n’aurait guère trouvé de maladies qui pussent en bénéficier. "

Il est vrai qu'en France le téléthon est timidement passé de la sclérose en plaque aux maladies orphelines. Dans Les enfants du comédien, Theodore Sturgeon n'évoque pas, toutefois, la colonisation culturelle américaine. Ici, il s'agit du show-business qui entre en collusion avec les affaires de santé publiques, au bénéfice d'un pouvoir privé. Sturgeon très acide se sert même des poncifs de la S.F. - ici le voyage spatial - pour maquiller le crime commis. Habile et inattendu.

Dans Le tueur et l’oiseau, les procédés artificiels pour remonter le moral - lorsqu'ils sont comme ici issus d'une intelligence artificielle, ou du moins d'un procédé mécanique - n'ont finalement pas d'autre raison d'être que de faire l'économie d'un vrai rapport humain. Un constat concis et univoque de Carol Emshwiller.

Le vol de la Déesse Sirène n'est qu'une histoire de cambriolage sur Mars, par des procédés recherchés, ici par Arthur C. Clarke, mais qui malheureusement tombe un peu à plat après les «Joyaux de la couronne martienne » de Poul Anderson. Dommage que Fiction ait publié ces deux histoires dans un mouchoir temporel de poche.

L’Ancêtre, ou l'apparition du surhomme. Mais pour Francis Carsac, cette spéculation a plutôt des airs de "remplacement". On a lu mieux de sa part.


Brian Aldiss poursuit la description de ce monde végétal, Le monde vert, plus complexe que nous l'indiquent ses premières impressions, des apparences trompeuses érigées en pièges pour la plupart. On y comprend aussi le sens que l'auteur voulait glisser dans ses précédentes références au Jardin d'Eden et au serpent de la Genèse...

Dans La nuit de Pentonville, les morts invitent à plaidoyer contre la peine capitale. Un conte d'épouvante, par un Jean Ray qui lui aussi connût la prison, sans souffrir toutefois les angoisses des condamnés à mort. On retrouve l'ambiance brumeuse et la veulerie, plutôt comique, de l'humain confronté au surnaturel. 

Dernier article de la série de Damon Knight traduite par Pierre Versins, A. E. van Vogt, gâcheur cosmique est fort édifiant et lance un sacré pavé dans la mare. Quand on connait l'importance et l'influence de Boris Vian, Pierre Kast et France Roche au début des années 50, en tant qu'importateurs de la science-fiction, et comment van Vogt fut leur ambassadeur littéraire privilégié, Versins lance dans les pages de la revue une vraie petite bombe. 

Alain Dorémieux commandera à Jacques Goimard un long article réhabilitant van Vogt, qui paraîtra en plusieurs parties dans les numéros suivants. Cet article intronisera "pour de bon" Goimard dans le cénacle de la SF française. Ceci dit, admettons que les attaques de Damon Knight sont pertinentes, bien réglées, et argumentées.

Le n° 101 de Fiction faisait état de la parution de "Ce monde est nôtre" de Francis Carsac. Au vu du contexte français d'alors, Gérard Klein (et dans une moindre mesure Jacques Goimard, encore lui) ne purent que rapprocher le propos de Carsac avec les "événements" d'Algérie, comme on disait alors. La Tribune libre de ce numéro donne la parole au fidèle lecteur de Fiction qu'était Francis Carsac lui-même, qui précise son intention. 

" J’ai été, évidemment, heureux de la critique très favorable faite par Klein et Goimard de mon dernier livre : « Ce monde est nôtre ». Il me semble cependant qu’ils ont légèrement mal compris un point important, sur lequel je voudrais m’expliquer, car il risque, actuellement, de blesser de nombreuses sensibilités. 

D’abord, si étrange que cela puisse paraître, ce livre fut conçu, et le plan fait, en 1952, deux ans avant que n’éclate l’affaire algérienne, et les premières pages furent écrites le 23 février 1953. Il n’y avait, et il n’y a en lui, aucune intention politique, aucune thèse actuelle. Comment se fait-il qu’il n’ait paru qu’en 1962, dix ans après sa conception ? Eh bien, je ne suis qu’un écrivain amateur, et je n’ai pas beaucoup de temps pour écrire. Il me faut souvent plusieurs années pour un roman. Ensuite, j’en ai toujours deux ou trois en train simultanément, que je poursuis ou laisse, au gré de l’inspiration. « Ce monde est nôtre » fut achevé (premier texte) le 19 juillet 1959. Le temps de le re-écrire, le temps de lecture chez l’éditeur, le temps de l’impression, font qu’il n’a paru que maintenant. 

Klein veut y voir une allusion directe à la guerre d’Algérie. Elle n’y est pas ! Bien entendu, le sujet reste le fait colonial, que je connais bien, pour appartenir à une famille de coloniaux, avoir visité diverses colonies avant leur indépendance, et y avoir conservé des amis. Mais, et c’est là le point que Klein n’a pas vu, il s’agit du fait colonial entre humanités différentes, et non entre races ou peuples différents. En un ou deux endroits dans le livre (par exemple page 123), je dis que s’il y avait possibilité de métissage, le problème ne serait plus le même. La Loi d’Acier concerne des espèces, non des peuples. Pour les peuples, l’histoire montre que, après bien des péripéties, souvent sanglantes, on arrive à une fusion, et à un enrichissement : Gaulois et Romains, Gallo-romains et Germains, Saxons et Normands, etc. Mais que se serait-il passé si les Gaulois et les Romains avaient appartenu à deux espèces différentes ? Sur Nérat, comme je le fais dire à un de mes personnages, la rivalité Bérandiens-Vasks est secondaire, le seul vrai problème est entre les humains et les brinns (page 74). 

Il existe un moyen d’effacer le racisme entre populations humaines différentes, c’est la fusion. La « muraille de Chine » dont parle Klein, nous la voyons actuellement en œuvre en Afrique du Sud, avec l’apartheid, et si j’en crois des amis sud-africains, les résultats en seront explosifs sous peu ! Je ne la préconise pas. Mais justement le problème de Nérat, c’est qu’il ne peut pas y avoir de fusion. De là la Loi d’Acier. 

Toute ressemblance avec des événements contemporains ne pourrait se trouver que dans l’esprit du lecteur, ai-je dit dans l’avertissement. Je n’avais pas été plus explicite, ne voulant pas avoir l’air de m’excuser de traiter un sujet que justement je ne traitais pas ! J’ai sans doute eu tort. J’aurais dû dire : toute ressemblance étroite. 

Je n’ai pas le plaisir de connaître Goimard. C’est la première fois de ma vie qu’on me décrit comme un homme calme ! Merci ! 

P.S. Quand je parle de la fusion, cela ne veut pas dire l’assimilation d’un peuple par l’autre, mais la création de quelque chose de nouveau, qui emprunte aux deux peuples parents. "

FRANCIS CARSAC

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