15 octobre, 2025

Fiction n°126 – Mai 1964

Pour ce mois de mai 1964, Fiction propose un numéro spécial Jean Ray. Après Ray Bradbury, c'est donc un auteur francophone qui est ainsi mis à l'honneur, et pas des moindres ; on se souvient qu'à cette époque, Jean Ray est "redécouvert" par le biais d'une "intégrale" de ses œuvres, publiée chez Robert Laffont, et que Fiction (sous la plume de Jacques Van Herp) avait déjà fait prévaloir avoir été la seule revue pendant longtemps à avoir pris en considération cet auteur gantois hors-norme. Mais bien curieusement, ce seront là les dernières publications de Jean Ray dans les pages de Fiction. Par ailleurs, ce numéro rassemble aussi ses valeurs sûres (Fritz Leiber, Avram Davidson, Zenna Henderson...) pour des nouvelles de qualité qui resteront malgré tout sans publication par la suite. Un numéro d'exception, donc.

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Sommaire du Numéro 126 :


1 - (non mentionné), Nouvelles déjà parues des auteurs de ce numéro, pages 4 à 4, bibliographie

6 - Albert VAN HAGELAND, Si Jean Ray m'était conté..., pages 48 à 50, article

7 - Jacques VAN HERP, Qui est Jean Ray ?, pages 50 à 53, article

8 - Albert VAN HAGELAND, Quand Jean Ray commente John Flanders, pages 53 à 56, préface

9 - Jacques VAN HERP, Jean Ray parle, pages 56 à 59, article

10 - Albert VAN HAGELAND, Bibliographie de Jean Ray, pages 60 à 67, bibliographie

NOUVELLES


2 - Jean RAY, Bonjour, Mr. Jones !, pages 7 à 10, nouvelle

3 - Jean RAY, La Tête de M. Ramberger, pages 11 à 22, nouvelle

4 - Jean RAY, Croquemitaine n'est plus... (De Boeman is dod, 1948), pages 23 à 39, nouvelle

5 - Jean RAY, Têtes-de-Lune, pages 40 à 47, nouvelle

11 - Thomas OWEN, Au cimetière de Bernkastel, pages 68 à 77, nouvelle

12 - Keith LAUMER, Hybride (Hybrid, 1961), pages 78 à 92, nouvelle, trad. Michel DEMUTH *

13 - Kris Ottman NEVILLE, Jour de colère (Power in the Blood, 1962), pages 93 à 103, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

14 - Fritz LEIBER, Jardin d'enfants (Kindergarten, 1963), pages 104 à 106, nouvelle, trad. Christine RENARD *

15 - Avram DAVIDSON, Le Siège de Santiago (Fair Trade, 1960), pages 107 à 115, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

16 - Zenna HENDERSON, Le Dernier pas (The Last Step, 1958), pages 116 à 130, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

CHRONIQUES


17 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 133 à 142, critique(s)

18 - Jacques GOIMARD & F. HODA & Bertrand TAVERNIER, L'Écran à quatre dimensions, pages 143 à 153, article

19 - Anne TRONCHE, Dado : un voyeur extra-lucide, pages 155 à 155, critique(s)

20 - (non mentionné), En bref, pages 157 à 157, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Les quatre nouvelles ici proposées sont encore à ce moment-là des exclusivités. Elles seront reprise dans une édition ultérieure  : "Le carrousel des maléfices" aux éditions Marabout un peu plus tard en cette année 1964.

Bonjour, Mr. Jones ! décrit une rencontre insolite avec le Diable (seul lui pourrait même déclarer "Le chinetoque" sans prendre aucun recul, mais on retrouve ici le mépris ordinaire de Jean Ray, pas vraiment à propos dans ce cas-là) … Justicier, maître de la vie et bon vivant, on s'entendrait presque volontiers avec un surnaturel aussi prosaïque.

La tête de M. Ramberger, d'ambiance fantastique, révèle au final avec une explication plutôt S.F., et c'est même le grotesque qui ici l'emporte.

Maîtrisant bien son jeu de soupçons, d'indices, de persuasions et de révélation, Jean Ray nous propose avec Croquemitaine n’est plus une nouvelle riche et cruellement appétissante, et nous faire parvenir là où il l'avait souhaité.

Enfin, fantômes de l'avenir, narrateur sujet à caution, paradoxes articulant ensemble inepties et tragédies... Jean Ray n'est jamais si bon comme ici quand il plonge son lectorat dans une lecture attentive aux énigmes qu'il déploie, comme ici avec Têtes-de-Lune.


D'un style dynamique et concis, Keith Laumer compose dans Hybride une histoire de symbiose entre en humain chétif et un arbre extraterrestre. La fin en est même un peu inquiétante. 


Une famille qu'on croirait banale sont en fait des mutants, aux pouvoirs mal dégrossis mais cependant terribles, comme celui de simplifier le Monde. Kris Neville nous laisse en un Jour de colère un texte pleins de non-dits à décrypter.


Hasard étrange, une protagoniste de Jardin d’enfants est prénommée Bettyann - et ce sera le prénom d'une héroïne d'un roman éponyme de Neville.

Avant la nouvelle de Zenna Henderson, Fritz Leiber nous y évoque lui aussi une institutrice, et qui a l'air d'une magicienne... Mais la magie n'a pourtant pas cours. Brève et gentiment surprenante histoire.


Une bonne tranche de rigolade (une fois n'est pas coutume) pour cette nouvelle d'Avram Davidson qui sait se montrer aussi léger en S.F. qu'inquiétant en fantastique. Et pour une fois, René Lathière lui trouve avec Le siège de Santiago un très bon titre français !


On retrouve pour finir le goût de Zenna Henderson pour les appréciations du monde vu par des yeux d'enfants. Dans Le dernier pas, une institutrice revêche et mal aimée est la seule témoin d'un jeu d'enfants qui n'en est pas un : ils scénarisent la réalité à venir. S'ensuit un sentiment de fatalité écrasante.




C'est surtout par son côté documentaire que ce numéro de Fiction brille de sa proposition. Les articles de Hageland et Van Herp sont fort bien documentés, et l'intérêt pour tout amateur de Jean Ray est d'y trouver ici les textes fondateurs qui ont forgé la légende de l'auteur gantois, a qui l'on a prêté une vie sans doute beaucoup plus extraordinaire que sa réalité.

Notre page dédiée vous propose de retrouver le texte "Jean Ray parle" de Jacques Van Herp. Pour l'entendre véritablement parler, on peut retrouver une belle archive (qui date de 1965) sur Jean Ray ICI !


Plus prosaïquement, Fiction se défend toujours de ne pas pouvoir publier de soumission de manuscrit - ce qui témoigne sans doute d'une belle santé de la demande :

ENVOIS DE MANUSCRITS


En raison du très grand nombre de manuscrits qui nous ont été envoyés antérieurement, nous rappelons que nous sommes actuellement dans l’impossibilité absolue d’en examiner d’autres en vue d’une publication ultérieure. Nous prions donc nos lecteurs qui auraient l’intention de nous soumettre des textes de vouloir bien s’abstenir de tout envoi. Nous nous excusons à l’avance de ne pouvoir répondre aux auteurs qui ne tiendraient pas compte de cette recommandation.

Plusieurs lecteurs nous adressent aussi leurs manuscrits en nous demandant de vouloir bien leur en faire la critique et les conseiller. Malgré toute notre bonne volonté, il nous est malheureusement impossible de déférer à ce désir devant la multiplicité des envois.

08 octobre, 2025

Galaxie (2eme série) n°005 – Septembre 1964

Peu de nouvelles, mais un choix de qualité, avec une novella de William Tenn et les œuvres de jeunesse de Philip K. Dick tout particulièrement. Fritz Leiber occupe un bon tiers aussi des pages de ce numéro avec la fin de son roman "Guerre dans le néant", qui ne sera repris en recueil que plus de dix ans plus tard.
"Encore 10 000 parsecs et nous voilà à la maison, Roger !"

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Sommaire du Numéro 5 :


1 - William TENN, Les Hommes dans les murs (The Men in the Walls, 1963), pages 2 à 69, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE, illustré par Virgil FINLAY

2 - Jack SHARKEY, L'Univers intérieur (The Creature Inside, 1963), pages 70 à 82, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par Wallace (Wally) WOOD

3 - Wallace MacFARLANE, Le Dernier des humains (Dead End, 1952), pages 83 à 93, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

4 - Fritz LEIBER, Guerre dans le néant (2) (The Big Time, 1958), pages 94 à 137, roman, trad. Elisabeth GILLE, illustré par Virgil FINLAY

5 - Philip K. DICK, Les Défenseurs (The Defenders, 1953), pages 138 à 160, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par Ed EMSH


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.



L'initiation d'un jeune homme vers son statut d'adulte, dans une communauté d'êtres humains vivant comme des parasites dans les interstices entre les murs d'un monde d'échelle gigantesque, sert de fil rouge idéal pour la description d'une humanité destituée de sa place dominante. Mais, malgré le savoir-faire de William Tenn, la fin ouverte tourne un peu court. En réalité, Tenn complètera Les hommes dans les murs plus tard, en 1968 par deux autres chapitres, pour un roman qui paraîtra en France en 1970 dans la collection Galaxie Bis sous le titre "Des hommes et des monstres" (Notre illustration et notre bonus !)



L'univers intérieur, c'est là toute la S.F. des dix ans à venir tout du moins. Une machine rend probable l'imaginaire et en fait un univers de poche. Dick, Farmer, Priest ... feront de ce concept leurs gorges chaudes. La nouvelle de Jack Sharkey n'est pas la première de ce genre (citons pour exemple "La planète du Dieu" de P. J. Farmer in Fiction n°33) mais condense assez bien le thème. 

Petite coquetterie sans doute créée par un choix éditorial, le héros de "L'univers intérieur" s'appelle Norcriss, celui de la nouvelle suivante, Le dernier des humains, se nomme Norcross.

" Voilà donc les gens en état de pseudo-vie. Ils danseront jusqu'à la fin du bal masqué qui débuta voilà si longtemps. Tout a commencé lorsque la science des choses finies a créé un homme fini, un homme ersatz presque aussi bon que l'original. C'était la mentalité d'un siècle qui ne consentait à lire que des livres abrégés, puis a fini par abandonner la lecture en faveur de la télévision. Ils ont congelé les aliments, les ont cuits en usine tout en affirmant leur supériorité sur les légumes cueillis au jardin. Choisissez la voie facile, proclamaient-ils, sans se douter qu'en dernier ressort la voie difficile est toujours la seule. Pourquoi perdre son temps à soigner un malade mental lorsqu'on peut le mettre en état de pseudo-vie ? Ne laissez pas ses parents et amis en proie au chagrin, donnez-leur un succédané pour le remplacer. Il est exactement le même, disent-ils, avec cet avantage qu'il n'est jamais malade. Faut-il que l'homme meure ? Oh ! non, donnez un succédané de père à ces enfants, un succédané d'époux à cette épouse ! "

Le concept de pseudo-vie mis en avant dans cette nouvelle de Wallace MacFarlane suppose un arrêt de tout progrès, de toute recherche, de tout changement. C'est la Fin de l'Histoire, ce que nous fait fort bien comprendre l'auteur, dont on aurait aimé lire davantage de nouvelles en français. 


Un bien long développement pour le final philosophique et métaphysique pourtant fort intéressant de Guerre dans le néant ; mais Fritz Leiber aurait sans nul doute fort bien pu écrire une nouvelle plutôt qu'une novella certes toujours bien stylisée mais trop enlisée dans des digressions pas toujours trépidantes. Bref, de très bons moments en avoisinent d'autres plus pompeux et parfois ineptes. Mais Leiber a posé son cadre pour toutes les nouvelles de son cycle de la Guerre Modificatrice entre les Serpents et les Araignées.


" Désolé, » dit le chef, « mais c'est pour votre bien. Nous veillons sur vous, totalement. Vous devez rester en bas et nous laisser mener la guerre. En un sens, elle est devenue notre guerre. Nous la menons comme nous l'entendons. » "
Philip K. Dick poursuit dans Les défenseurs son tour d'horizon du thème "Le robot et la guerre", et décline la problématique de la victoire et du retour à la paix, de façon gentiment subversive. Terrés dans les profondeurs de la planète comme des taupes, les humains maintiennent l'état de guerre à travers les "soldomates", néologisme qui en dit long sur leur fonction. Bien que... Dick développera une bonne partie des problématiques soulevées ici dans "La véritê avant-dernière" en 1974, soit plus de 20 ans après l'écriture de cette nouvelle.

01 octobre, 2025

Galaxie (2eme série) n°004 – Août 1964

Keith Laumer, 28ème pilier de notre panthéon, fait une entrée en force dans Fiction comme dans Galaxie en cette année 1964. En qualité de piliers, comptons aussi Fritz Leiber qui nous gratifie d'un roman écrit six ans auparavant, le retour de Philip K. Dick dont on ressort des tiroirs les nouvelles des années 50, et Damon Knight pour une courte nouvelle, récente quant à elle. Ces piliers accompagnent et abritent un récit de Daniel Keyes, l'auteur du best-seller "Des fleurs pour Algernon", avec une vision très impressionnante de lucidité sur ce que l'on n'appelait pas encore les "intelligences artificielles".

… ça clique droit dans l'espace courbe !

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Sommaire du Numéro 4 :


1 - Fritz LEIBER, Guerre dans le néant (The Big Time, 1958), pages 2 à 49, roman, trad. Elisabeth GILLE, illustré par Virgil FINLAY

2 - Keith LAUMER, Tonnerre lointain (The Long Remembered Thunder, 1963), pages 50 à 80, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par Virgil FINLAY *

3 - Philip K. DICK, L'Imposteur (Impostor, 1953), pages 81 à 93, nouvelle, trad. Pierre BILLON

4 - Cordwainer SMITH, La Mère Hitton et ses chatons (Mother Hitton's Littul Kittons, 1961), pages 94 à 114, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Virgil FINLAY

5 - James McCONNELL, Condamnation à vie (Life Sentence, 1953), pages 115 à 126, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Dick FRANCIS *

6 - Damon KNIGHT, Citoyen de seconde classe (The Second-Class Citizen, 1963), pages 127 à 135, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Norman NODEL *

7 - Daniel KEYES, Le Procès de la machine (A Jury of Its Peers, 1963), pages 136 à 156, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par STALLMAN 


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.



" Croyez-moi, une opération temporelle n'a rien d'une amusette et, pour commencer, il n'y a pas une personne sur cent qui puisse supporter d'être arrachée à sa ligne de vie pour devenir un Dédoublé – un Démon, veux-je dire – aux yeux grands ouverts, encore moins un Soldat. Que faut-il à un être qui revient mal en point d'un dur combat ? Un individu qui s'occupe de lui, qui partage ses peines, qui lui remonte le moral, et tant mieux si cet individu appartient au sexe opposé : cela, c'est quelque chose qui dépasse les histoires de races. 
C'est la base même de notre existence, à nous, Hôtes et Hôtesses ; c'est aussi l'explication des curieuses méthodes qu'emploient les Stations de Récupération. Le terme « Hôtesse » peut induire en erreur, mais moi, il me plaît. Il ne suffit pas à une Hôtesse de savoir mettre de l'ambiance – quoique cette qualité lui soit indispensable – elle doit être aussi infirmière, psychologue, actrice, mère, ethnologue et quantité d'autres choses plus compliquées, ainsi qu'une amie sur qui on puisse compter. "
(Guerre dans le néant - Chapitre 5 : SID SORT SES FANTÔMES - extrait)

Très bavard, presque théâtral (un lieu unique et une action continue, et un passage en alexandrins assez envoûtant), Guerre dans le néant de Fritz Leiber semble vouloir poser les bases conceptuelles d'un ensemble de nouvelles à suivre. Un enjeu se révèle peu à peu, mais l'on attendra la suite avant de pouvoir en juger l'intérêt.

De l'action, une enquête, des enjeux cosmiques quasi lovecraftiens…. Tonnerre lointaindans un style simple et séduisant restitué par Michel Demuth, nous propose un divertissement fort agréable, composé par le "petit nouveau" Keith Laumer, qui rejoint les piliers de notre collection.


" Peut-être, en d'autres temps, lorsqu'il n'y aurait plus de guerre, les hommes n'agiraient pas de la sorte, ne précipiteraient pas un homme à la mort parce qu'ils avaient peur. Tout le monde avait peur. Chacun était prêt à sacrifier l'individu à la peur collective.
Ils allaient le sacrifier parce qu'ils n'avaient pas la patience d'attendre que la preuve de sa culpabilité fût établie. Ils n'en avaient pas le temps. "
Philip K. Dick, jeune quand il écrit L'imposteur, est déjà au travail sur les faux-semblants et les apparences trompeuses, sur la paranoïa aussi, sur être "malgré soi", sur ce qui fait de l'homme un robot et du robot un homme, ou sur l'antienne "tous ont tort et je connais la vérité". Cette petite nouvelle en est presque une quintessence.


Il y a déjà dans La mère Hitton et ses chatons un très bon condensé des éléments qui seront développés dans le cycle de nouvelles des "Seigneurs de l'Instrumentalité". Cordwainer Smith agence ainsi entre eux : la substance à freiner le vieillissement (le "stroon") et les élevages ovins qui en sont l'origine, la toute-puissance des dynasties familiales qui en sont les propriétaires, les unités de production à l'échelle planétaire, les rivalités qui tendent les rapports des peuples dans les colonies de la galaxie, et - comme souvent en toile de fond dans ce cycle - la tendre cruauté envers un règne animal asservi, modifié, aliéné, et aimé pour ses dociles performances.

Il est aussi question dans Condamnation à vie de vivre éternellement ; un grand rêve humain, pourquoi pas. Mais y être condamné pour payer ses crimes devient un calvaire, car contrairement à la nouvelle précédente, il ne s'agit pas ici de freiner le vieillissement, mais de vieillir sans fin, sans pouvoir mourir. Outre l'emprisonnement à peine évoqué ici, le plus terrible est en réalité de ne plus s'appartenir, et de voir son corps livré aux raccommodages récurrents et aux expériences d'une médecine qui sait ramener les morts à la vie, encore et encore. L'auteur, James McConnell, est, rappelons-le, psychologue et biologiste, et théoricien d'un étayage chimique des comportements. Grand bien lui fasse, si ce n'était - tout comme dans "Les statues dormantes" de Michel Ehrwein (in Fiction Spécial n°5) - qu'on pourrait y lire "en creux" un plaidoyer en faveur de la peine de mort.


Toujours en écho à Cordwainer Smith quant aux rapports de l'homme à l'animal, la courte nouvelle Citoyen de seconde classe rappelle inévitablement le roman de Arthur C. Clarke "Les prairies bleues", et pourrait même en être le prologue. Damon Knight y remet en question le dressage pour rapprocher les espèces animales de "l'humanité", comprendre "les asservir", sous les apparences d'accueillir ces autres espèces dans le cénacle anthropomorphique. Mais on y laisse la place à la revanche douce amère que la gent animale - ici les dauphins - seraient à même de prendre sur notre espèce si celle-là venait à perdre le contrôle de la situation.


On se souvient peut-être de "Plus besoin d'hommes", une nouvelle de Clifford D. Simak parue dans le n°17 de Galaxie - 1ère série. L'affaire rebondit :

Sera considéré comme un délit pour tout membre du corps enseignant employé par l'État de New Jersey le fait de défendre, d'exposer, d'enseigner, de déclarer, d'affirmer et de faire courir de quelque façon que ce soit, dans l'État souverain du New Jersey, la doctrine fausse, hérétique, athée et anti-sociale de la « pensée ordinatrice », selon laquelle des ordinateurs électroniques et leurs circuits posséderaient la faculté de penser indépendamment de la volonté de l'homme, ou seraient capables de corriger, d'influencer, de modifier ou d'exprimer de telles pensées indépendamment de la volonté de l'homme.
Voilà posé le ressort dramatique de ce récit du très subtil Daniel KeyesLe procès de la machine. Comme dans Le pianiste déchaîné de Kurt Vonnegut, l'humanité y déplore trop tard s'être laissée remplacer par la machine dans l'exercice des tâches ingrates. Aussi les pouvoirs publics légifèrent-ils pour encadrer et borner la mécanisation.
 
Keyes pose donc le problème du remplacement de l'agent humain par la machine, et celui de l'automatisation de son labeur. Mais en très juste visionnaire (il imagine déjà un super-ordinateur de taille réduite à celle d'une machine à écrire), "l'extension du domaine du remplacement" gagne les rivages de l'intellect. Penser, enseigner, transmettre, voire créer, pourraient à leur tour être considérés comme des tâches ingrates et laborieuses, et la tentation de déléguer leur exécution à "la pensée ordinatrice" demeure (ne serait-ce que pour voir).

En 1964, nous étions là en pleine science-fiction. De nos jours, ces questionnements ne nous semblent plus si incongrus ni fantasmatiques ; reste à se demander si l'on pourrait, par exemple, remplacer les chargés de cours par des "intelligences artificielles", si l'on ne pourrait pas d'autant remplacer les élèves par d'autres machines en formation. Mais à bien y réfléchir, "penser" est une chose, et "réfléchir" une autre. Keyes ne va pas jusqu'à remplacer le tribunal chargé de déterminer si la machine pense ou non, (même si le titre en v.o.  - "A jury of its peers" - le laisse supposer) mais il pose bien la problématique qui fait passer l'outil pour un rival, un "marteau sans maître".

Après "la pensée ordinatrice", après "l'intelligence artificielle", nous en viendrons sans doute à l'avenir à nous poser des questions sur la "personnalité de synthèse", si l'avatar obtient valeur de vecteur individualisant la machine. Pour le moment, admettons que manque encore à la machine la capacité de prendre des initiatives autrement que par réflexe. "I'm sorry Dave, I'm affraid I can't do that".

Mais ne nous montrons pas trop amers. Comme l'écrit Keyes lui-même dans cette très intéressante nouvelle : "son sermon contenait des parcelles de vérités semblables aux tessons de bouteilles dont il avait garni le sommet du mur qui entourait sa vie". Et aussi : "Qu'il s'agisse d'un homme ou d'un ordinateur, le proverbe est toujours vrai : fais ce que dois, advienne que pourra."


Dans l'article "Galaxie et ses lecteurs", la rédaction, après avoir acquis les droits d'exploitation du champ "Galaxy" américain, annonce avec fierté avoir mis la main sur de nombreuses nouvelles, et prévoit faire la part belle à une douzaine d'auteurs, pour le moment. Nous avons anticipé, puisque nous savons lire dans l'avenir du passé, et mesuré ce qui sera effectivement publié, et dans quelle mesure ces publications feront ou non l'apanage exclusif de ce Galaxie - 2ème série.

Voici pour les auteurs cités, les chiffres de leurs publications à venir. Deux "pétards mouillés" tout d'abord :
Arthur C. Clarke : 4 nouvelles seulement nous attendent, une seule paraîtra dans Galaxie.
Murray Leinster : 4 nouvelles également (une seule dans Galaxie) et un roman (dans Galaxie).

Les "honorables piliers" continueront d'être bien servis. 
Damon Knight : 12 nouvelles à venir, un peu plus de la moitié pour Galaxie.
Cordwainer Smith, 1 novella dans Galaxie, et 12 nouvelles, au trois quart dans Galaxie.
J.T. Mclntosh : un vieil habitué tant dans Fiction que dans Galaxie, 14 nouvelles et un roman à venir, celui-ci dans Galaxie, le reste pour deux tiers dans cette revue aussi.
Philip K. Dick : 17 nouvelles à venir, un tiers seulement dans Galaxie.
Brian W. Aldiss : 18 nouvelles et un roman à venir, partagé également entre Fiction et Galaxie.
Gordon R. Dickson : 24 nouvelles à venir, 14 le seront dans Galaxie.
Keith Laumer : le "petit nouveau", 24 nouvelles à venir, presque exclusivement dans Galaxie.
Poul Anderson : déjà très bien servi par Fiction, 26 nouvelles à venir, un tiers seulement dans Galaxie.
Fritz Leiber : 32 nouvelles et trois romans à venir (une vraie manne !), partagé également entre les deux revues.
Robert F. Young : champion toutes catégories avec plus de 50 nouvelles à venir, dont la grande majorité sera pour Fiction.
 
On le constate, l'aubaine éditoriale profitera aussi beaucoup à Fiction, qui continuera (et c'est légitime) de publier des auteurs anglo-saxons aux côtés des français. Toutefois, si notre galaxie s'appelle la Voie Lactée, la revue ne serait rien sans ses deux Roberts : on y retrouvera beaucoup Robert Sheckley et Robert Silverberg

Saluons pour finir le vœu pieu de retraduire la nouvelle de Robert Sheckley "Un billet pour Tranaï", qui "d'une longueur de 38 pages dans son texte original, fut ramenée à 20 pages." La promesse sera tenue, mais pas avant le n°36 d'Avril 1967.

24 septembre, 2025

Galaxie (2eme série) n°003 – Juillet 1964

Un florilège de textes restés inédits en recueil, à l'exception de celui de Cordwainer Smith, auteur remarquable et connu pour son cycle de récits intitulé "Les Seigneurs de l'Instrumentalité", et qui fait son entrée dans les colonnes du PReFeG. Ce numéro révèle une régalade orchestrée par Damon Knight, John Brunner y accompagnant de plus aguerris comme Jerome Bixby ou Idris Seabright sous son vrai nom de Margaret Saint-Clair.


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Sommaire du Numéro 3 :


1 - Damon KNIGHT, Le Visiteur du zoo (The Visitor at the Zoo, 1963), pages 2 à 85, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Ed EMSH *

2 - James CAUSEY, Colportage galactique (Teething Ring, 1953), pages 86 à 93, nouvelle, trad. Pierre BILLON, illustré par Dick FRANCIS *

3 - John BRUNNER, Virus mortel (Singleminded, 1963), pages 94 à 112, nouvelle, trad. René LATHIÈRE, illustré par Dick FRANCIS *

4 - Cordwainer SMITH, Où sont les autres ? (The Good Friends, 1963), pages 113 à 117, nouvelle, trad. René LATHIÈRE

5 - Roger DEE, Le Mur des lamentations (Wailing Wall, 1952), pages 118 à 131, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par Ed. ALEXANDER *

6 - Margaret SAINT-CLAIR, Hantise dans l'espace (Prott, 1953), pages 132 à 144, nouvelle, trad. Michel DEMUTH, illustré par John FAY *

7 - Bruce McALLISTER, Les Visages du dehors (The Faces Outside, 1963), pages 145 à 153, nouvelle, trad. Pierre BILLON *

8 - Jerome BIXBY, Les Parasites (The God-Plllnk, 1963), pages 154 à 158, nouvelle, trad. Marcel BATTIN *


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


Comme il est écrit dans l'annonce des prochains numéros de la revue : " FICTION et GALAXIE sont les deux revues de l'amateur averti. Ne manquez pas de les acheter l'une et l'autre chaque mois. " Pour le moment, Galaxie ne se distingue de Fiction que par son choix de publier des "novellas" (des courts romans), et de ne choisir que des auteurs anglo-saxons. On se souvient aussi du vœu de la rédaction de ne plus faire de coupes intempestives dans les textes, comme c'était malheureusement le cas pour la première série de Galaxie. Nous reviendrons sur cet aspect à propos de la novella suivante.

Sans donner d'explication au phénomène, Damon Knight raconte l'histoire d'un échange de personnalité entre un journaliste, Le visiteur du Zoo de Berlin, et un "bipède" extraterrestre qui y est "exposé". Bien entendu s'ensuit un chapelet d'événements cocasses, mais ce que l'on aurait pu subodorer comme une comédie devient un plaidoyer discret contre l'enfermement.
« C'est la façon dont ils me traitent – comme si je n'étais qu'une bête. Ils prétendent que je ne suis pas humaine et qu'il est juste de me tenir enfermée dans une cage pendant toute ma vie. » Elle leva les yeux. « Mais être humain, en quoi cela consiste-t-il ? Il me semble que j'éprouve des sentiments. Je parle. Je leur tape des lettres et pourtant cela ne suffit pas. » Son corps gracile frissonna.
Malgré une fin un peu abrupte, la novella se lit avec grand plaisir. 

On notera au détour de l'histoire un détail qui rappelle l'ancienne politique de traduction de Galaxie. Le protagoniste écrit à un collègue, sous cette adresse : "M. Frédéric Stein - PARIS-MIDI - 98 rue de la Victoire - Paris-9e (Seine)
 
Vérification faite en comparant avec le texte en version originale (dans le numéro américain de Galaxy d'Avril 1963), il ne s'agit pas, comme on pourrait le soupçonner, d'une traduction à la mode de Galaxie 1ère série, qui francisait bon nombre de propositions américaines. Rappelons que Damon Knight connaissait la France, parlait français, et le traduisait. Son héros écrit bien à un collaborateur d'un journal parisien, est né à Asnières, etc... L'adresse correspond même à celle des Editions Opta, avec lesquelles Knight a sûrement déjà traité, et est bien la même en V.O. Toutefois, le traducteur Pierre Billon a transformé le "Paris Soir" d'origine en "Paris midi" (peut-être pour ne pas faire penser au quotidien France-Soir ? On ne saurait l'affirmer.)
De fait, après avoir inspecté d'un peu plus près le texte original, nous avons relevé quelques coupes de texte qui ont été faites pour l'édition française (nous en avons déterminé trois, mais peut-être il y en a-t-il plus...). Les passages incriminés ne sont certes pas nécessaire à la compréhension d'ensemble, mais à chaque fois, il s'agit de faits d'actualités, et de l'évocation du contexte global dans lequel évoluent les personnages. On y parle par exemple d'une expédition sur Mars.
Nous ignorons si ces coupes sont le fait de Damon Knight ou celui de la rédaction, mais pour ce qui est du souhait de reprendre les nouvelles dans leur intégralité, comme présenté dans le manifeste éditorial, l'entorse a vite été faite…
 

Les approximations de traduction étaient aussi ce qu'on a pu reprocher à la première série de Galaxie. Ici, le travail est certainement mieux soigné, mais malgré tout, le choix des titres n'est pas toujours à la hauteur. C'est le cas de Colportage galactique, deuxième et dernière parution de James Causey dans la revue ; le titre en Vf dévoile malheureusement un peu trop tôt la petite coquetterie de la nouvelle. Quoi qu'il en soit, sur le ton de l'ironie, voilà une nouvelle charge sur l'ennui des femmes au foyer dans l'american way of life.

Quant à Virus mortel, là encore - et c'est encore René Lathière qui porte le chapeau - la traduction proposée du titre en français dévoile presque tout ce que John Brunner tente de minimiser dans son récit pour aboutir à sa chute au dernier paragraphe (le titre en version originale, "Singleminded", pourrait se traduire par "Déterminé", et c'est réellement tout le sel de l'intrigue qui est ici évoqué). Quoi qu'il en soit, cette histoire de virus qui accroit les capacités du cerveau, dans une base lunaire soviétique isolée, et dans un contexte de Guerre Froide très prononcé, est très bien scénarisée. Brunner développera ce "virus" dix ans plus tard, en 1973, pour son roman "The stone that never came down", traduit en France sous le titre (là encore réducteur et très "premier degré") de "Virus" (Presses de la cité - collection Futurama, 1976).


Entrée de Cordwainer Smith au PReFeG avec "Où sont les autres ?" - qui sera le dernier récit des Seigneurs de l'Instrumentalité dans la publication intégrale qu'en feront en 2018 les Editions Mnemos. On y évoque les avanies des voyages spatiaux, et ce que l'esprit est capable d'inventer pour palier les périls mortels. Une jolie histoire, où l'humanisme de Cordwainer Smith s'exprime à travers la camaraderie.
Illustration de Ed Alexander

Sur une ancienne colonie extraterrestre demeurent des communautés humaines conditionnées à l'asservissement - quand s'échoue un vaisseau terrien dont l'équipage constate les dégâts psychiques, en demeurant impuissants à briser le conditionnement… et dans l'incapacité de repartir. Le mur des lamentations est une bonne nouvelle du souvent convaincant Roger Dee.



La hantise, c'est bien la pensée obsédante qui semble douée d'une volonté propre et qui s'impose à l'entendement. Margaret Saint-Clair développe cette assertion dans Hantise dans l'espace, au travers des observation qu'un scientifique isolé dans l'espace fait sur une forme de vie télépathe. Sa confusion le pousse à dépérir. Glaçant.





Une mutation provoquée finit hors de contrôle. Si le ton de Les visages du dehors est plaisant, l'enjeu n'est pas très prenant du fait de protagonistes un peu trop éloignés de nos considérations. Pour ce qui est de l'auteur, nouveau venu parmi nos baroudeurs, Bruce McAllister est connu pour avoir, à 16 ans, envoyé à 150 auteurs un message demandant leur avis à propos d'une controverse qu'il avait avec son professeur d'anglais, au sujet du symbolisme. Parmi les 75 auteurs qui lui ont répondu figure Ray Bradbury…

… ce même Ray Bradbury allègrement parodié dans 
Les parasites, par un Jerome Bixby qui joue avec ce qu'un texte peut évoquer de néologismes pour ne pas avoir à décrire concrètement. Bien entendu, le lecteur n'est pas dupe de cette corde très usitée en science-fiction, mais même si l'on sent venir la fin, la réflexion qu'elle entraîne demeure intéressante.

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