22 juin, 2023

Cadeau bonus : « Un miroir pour les observateurs » - Edgar Pangborn 1954 (VF 1973 Editions OPTA, Club du Livre d'Anticipation))

Magnifique illustration originale de Caza  !

A l’occasion de la venue de l’été, et de la fête de la musique qui vient de se dérouler, nous vous proposons aujourd’hui une œuvre de 1954, mais qui ne connaîtra d’édition en France qu’en 1973, en n°44 de la jolie collection Club du Livre d’Anticipation, dite « C.L.A. », aux éditions OPTA.

(Un clic droit sur la couverture, et enregistrer sous... pour obtenir votre epub.)

« Un miroir pour les observateurs », par Edgar Pangborn, fait partie de ces livres devenus introuvables, et qui pourtant ont le mérite de passer les décennies sans prendre une ride. En 1973, il s’agissait déjà d’un livre de près de 20 ans d’âge, mais qui ne dénotait pas au milieu des Dick et des Moorcock très en vogue alors. C’est que l’auteur ne se pose pas comme voulant nous proposer un ouvrage de Science-Fiction ; d’entrée de jeu, son narrateur nous prévient que nous n’allons pas lire un énième clone d’aventures sidérales ou d’invasion martienne, bien  que plaçant l’existence d’extraterrestres comme pré-requis au récit.

C’est dans cette gare que j’ai débarqué. J’y ai acheté une revue de science-fiction. Ce genre de publications prolifère de plus en plus. Celle-ci était résolument tournée vers l’humour et j’en ai lu les nouvelles avec beaucoup de plaisir. C’est à croire que les galaxies sont trop petites pour les hommes. Et pourtant… (Première partie - Chapitre 1)

Et plus loin :

« Regardez ! » dit-elle, en me lançant son illustré, « croyez-vous vraiment que ça a pu exister, ce truc-là ? Je veux dire, pour de vrai ? » Les dessins représentaient une sorte d’homme de l’espace et une jeune femme très belle, mais très malheureuse. Elle avait été attachée à un météore par quelque monstre diabolique, devinai-je, et elle allait être écrasée par d’autres météores quand son sauveteur arrivait et lui épargnait un sort aussi terriblement cruel en détruisant les blocs rocheux avec son pistolet désintégrateur. Cela ne semblait pas un travail de tout repos. (Première partie - Chapitre 1)

 

Voyons la petite note que Fiction proposait dans son numéro 23 d’Octobre 1955 :

Le Prix International du meilleur roman de « science-fiction » a été décerné à M. Edgar Pangborn, pour son roman : « A Mirror for observers » (non traduit en français).  M. Pangborn est bien connu des lecteurs de notre revue-sœur « Mystère-Magazine » pour deux excellentes nouvelles : « La baguette chantante » (n°75) et « Le chat et le meurtrier » (n°92). M. Edgar Pangborn est critique musical, diplômé du « New England Conservatory of Music ». Il habite New York. Son livre est un roman décrivant la Terre vue par des yeux martiens. Il est, tout à fait remarquable et peut être considéré comme un des rares « romans science-fiction » ayant de hautes qualités littéraires.

A cette époque, rappelons que Ray Bradbury était le seul auteur américain de S.F. à être considéré comme digne d’entrer dans des collections « blanches ». L’éloge n’était donc pas moindre.

Malgré le prestige d’un prix international (qui ne récompensera toutefois entre 1951 et son abandon en 1957 que des auteurs de langue anglaise), Pangborn demeurera absent des éditions francophones jusqu’à son unique parution dans la collection C.L.A. (qui usait du principe d’accoler deux romans d’un même auteur en un seul ouvrage ; ainsi, « Un miroir pour les observateurs » paraîtra jumelé à «Davy », roman écrit en 1964).

Le quatrième de couverture ne lésinait pourtant pas sur ce qu’on aurait pu attendre de l’auteur :


Un miroir pour les Observateurs est le journal d'un de ces étrangers à notre monde, un de ces maîtres clandestins qui poursuivent sur toute la terre une guerre permanente dont l'issue demeure incertaine.

 (…)

Un miroir pour les Observateurs s'est vu décerner le Hugo international et Davy, a été salué par la presse américaine comme le roman le plus osé de la S.F., le Tom Jones du futur.

Edgar Pangborn, né en 1909 à New York, journaliste, chroniqueur et fermier, fut l'une des grandes révélations de l'âge d'or de la science-fiction.

Peut-être la critique qu’Alain Dorémieux en fera dans le Fiction n°241 de Janvier 1974 mettra-t-elle prématurément fin à la publication d’autres romans d’Edgar Pangborn. Voici l’extrait de la rubrique Diagonales en question :

Deux romans très disparates. Davy est une des œuvres les plus inutiles qu'on ait pu lire sous la plume d'un auteur de science-fiction. Les tribulations d'un héros picaresque à la Tom Jones dans un monde post-atomique essentiellement rural servent de trame (fort lâche) à une action inconsistante qui s'enlise dans les détails et se noie dans le prosaïsme. Par contre, dans Un miroir pour les observateurs, écrit dix ans plus tôt en plein milieu des golden fifties, Edgar Pangborn se montre un écrivain de SF réaliste et convaincant, qui donne une version supérieure du thème « ils sont parmi nous », avec une finesse littéraire remarquable (ces qualités valurent au roman un Hugo en 1955). Le contraste entre ces deux livres illustre une fois de plus le handicap du CL.A., que sa formule oblige vaille que vaille à réunir deux romans d'un même auteur, même si un seul des deux offre un authentique intérêt.

Alain DORÉMIEUX 

Le témoignage du singe
Outre la confusion entre le Prix Hugo et l’International Fantasy que Dorémieux ne fait que perpétuer, il nous faudrait tout de même préciser que Pangborn a aussi écrit quelques romans policiers (dont ‘Le témoignage du singe » parut au Masque en 1936 sous le pseudonyme de Bruce Harrison), fort peu en fait (on pourrait en dénombrer 9 en tout et pour tout), et que seulement 9 de ses nouvelles de science-fiction seront traduites dans les pages de Galaxie, Fiction, une dans la revue Marginal, et la dernière dans l’anthologie « Histoires de créatures » au Livre de poche.

Une visibilité, donc, fort réduite.

Avec "Un miroir pour les observateurs", nous aimerions toutefois vous faire découvrir un ouvrage assez ardu à résumer, du fait même de sa forme (un journal d’observations pour un destinataire mystérieux), où tout est dévoilé par petites touches subtiles. Mais la qualité littéraire est bien au rendez-vous, dans cette histoire d’observateur pris au piège de sa propre neutralité déontologiquement affichée, mais qu’il découvrira comme étant une posture impossible à tenir dès le moment où il se met à aimer nos semblables.

L’intrigue principale, en deux époques, surprendra par son parcours, et placera l’observateur a une place centrale de témoin dans la catastrophe mondiale qui avance dans l’ombre d’obscurs suprématistes. Vous le verrez, le thème de l’épidémie y est développé, avec le même type d’injonctions que nous avons pu subir ou intégrer ces trois dernières années (mais n’allez pas croire après cela que c’est une lubie du PReFeG, malgré les précédents bonus mettant en vedette Ward Moore ou Jacques Sternberg – par le grand Kreuhn Kormann, nous ne nous y attendions pas…). Mais pour conclure par quelques extraits, et raccorder à cette fête de la musique qui vient de passer, vous y trouverez de belles séquences sur la musique et l’art en général, vu comme un style de vie à même de contrebalancer la noirceur de l’aigre trace que peut laisser l’espèce humaine sur la planète. Une espèce humaine sur laquelle l’observateur portera toujours un regard indulgent (« les hommes n’ont pas su inventer un Dieu capable de les comprendre », écrira-t-il. Ou encore : « Personne n’est sacrifiable » - cœur du propos de l’ouvrage).

Drozma, vous avez dû souvent revoir les lois de nos Observateurs ? De quel droit nous introduisons-nous dans la vie d’Abraham, ou de quelque autre personne ?

Nous n’en avons aucun droit, à mon avis, puisque « droit », dans ce cas, impliquerait l’existence d’une autorité supramondiale qui dispenserait les privilèges et les interdits. Nous, Salvaïens, sommes des agnostiques nés. N’ayant aucune croyance ni aucune mécréance dogmatique en une autorité quelconque, nous intervenons dans les affaires humaines simplement parce que nous le pouvons ; parce que, avec ou sans vanité, nous espérons promouvoir le bien humain et diminuer le mal humain, dans la mesure où nous pouvons nous-mêmes distinguer le bien du mal. Et dans quelle mesure ?

Après trois siècles et demi, par une logique empirique, je n’ai pas trouvé de meilleur axiome : la cruauté et la bonté sont virtuellement synonymes. Les professeurs humains de logique ont décrété au long des siècles qu’un acte cruel est un acte mauvais, et les hommes, dans leur totalité, souscrivent à la doctrine ; peu importe combien de fois ils la violent. Il y a une révulsion inévitable contre toute tentative de faire de la cruauté une ligne de conduite. Des cruautés non reconnues, des cruautés provoquées par des frayeurs primitives ou sanctifiées par une habitude institutionnelle – ces cruautés-là peuvent continuer pendant des siècles ; mais, quand la nature humaine verra Caligula dans toute sa vérité, elle le vomira et sera malade à son seul souvenir. Réciproquement, je ne reconnais rien comme mauvais, si ce n’est la cruauté dans son élément dominant. Là, manifestement, l’humanité n’est pas aussi désireuse de suivre la logique. Pour suivre un ordre sémantique, on doit distinguer la cruauté involontaire de la cruauté malveillante. Un tigre qui mange un homme est une chose humainement mauvaise, mais le tigre est impersonnel comme l’éclair et l’avalanche ; il prend simplement son repas sans aucune malveillance. Un boucher tuant un agneau est une chose pareillement impersonnelle et je pense qu’il conclut un marché plutôt décent, bien qu’un agneau doté d’une parole pourrait me reprocher vivement de parler ainsi : la petite carcasse juteuse d’un agneau en échange d’une vie protégée, bien nourrie, et d’une mort plus clémente qu’aurait pu lui apporter la nature. Si le terme « cruauté » peut inclure les causes non malveillantes de souffrance, je pense que l’axiome est encore juste. Je remarque qu’une énorme part de la cruauté humaine est non malveillante, simple résultat de l’ignorance ou de l’inertie, ou simple mauvais jugement, interprétation erronée d’un fait.

Il ne s’ensuit pas que n’importe quelle conception modérée et limitée comme la gentillesse soit synonyme de bonté. Les hommes s’abusent en se donnant l’illusion que le bon et le mauvais sont des opposés absolus : un de ces raccourcis mentaux qui s’avèrent être des pièges mortels. Le bon est un aspect de la vie beaucoup plus large et global. À mon avis, sa relation avec le mauvais est un peu plus qu’une relation de coexistence. Mais le mauvais nous harcèle, nous obsède comme un mal de tête, alors que nous prenons le bon comme un dû, comme nous prenons la santé comme un dû, jusqu’à ce qu’elle nous lâche. Cependant, la boisson est bonne, n’est mauvais seulement que le poison qui se trouve quelquefois dans les fonds de verres : au cours de la vie, il est probable que nous secouons le verre – ce n’est pas la faute du vin. Il est bon de s’asseoir tranquillement au soleil : il n’y a là aucune contrepartie mauvaise. Où y a-t-il une contrepartie mauvaise à écouter une Fugue en sol mineur ? C’est aussi absurde que de demander : quel est l’opposé d’un arbre ? Reconnaissant de nombreuses ambivalences partielles entre la naissance et la mort, nous négligeons leur qualité partielle et nous sommes amenés par duperie à supposer que l’ambivalence est exacte et omniprésente. Il me semble que les hommes et les Martiens n’auront pas acquis la sagesse tant qu’ils ne pousseront pas leur pensée bien au-delà du langage mimique des images trompeuses et tentantes. Je défie quiconque de mesurer, comme une balance, le simple contrepoids du jour et de la nuit. (Deuxième partie - Chapitre 4)

 À moins d’être un gorille, n’intervenez pas dans les plaisirs des chimpanzés. La punition – voilà l’idée qui souille tout le système, les maisons de redressement, les prisons, les quatre cinquièmes du droit pénal. Soigner les curables, garder les incurables là où ils ne peuvent atteindre personne – tout le reste n’est qu’une humanité grignotant la douleur et se réjouissant à moitié de la peine. (Deuxième partie – Chapitre 6)

Comme il sera écrit plus tard dans Fiction, Pangborn est un auteur « sensible et poétique ».

Rapport du PReFeG :

  • Relecture
  • Corrections orthographiques et grammaticales
  • Note (*) ajoutée.
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Refonte de l’epub original reprenant l’édition CLA - OPTA
  • Amélioration des illustrations de CAZA (meilleure définition)
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteur, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

 

Nouvelles de Edgar PANGBORN

parues dans Fiction et Galaxie :

· Le Dernier homme de Manhattan   (Nouvelle, Galaxy Science Fiction, novembre 1954) The music master of Babylon, 1954

in Galaxie (1ère série) n° 46, NUIT ET JOUR 9/1957

· Les Collines rouges de l'été   (Nouvelle) The red hills of summer, 1959

in Fiction n° 100, OPTA 3/1962

· Une guerre sans importance   (Nouvelle) A war of no consequence, 1962

in Fiction n° 144, OPTA 11/1963

· La Corne d'or   (Nouvelle) The golden horn, 1962

in Fiction n° 141, OPTA 8/1965

· La Voglebête   (Nouvelle) Wogglebeast, 1965

in Fiction n° 147, OPTA 2/1966

· Invasion en bleu   (Nouvelle, Galaxy Magazine, octobre 1965) A better mousehole, 1965

in Galaxie (2ème série) n° 31, OPTA 11/1966

· Longs-Crocs   (Nouvelle) Longtooth, 1970

in Fiction n° 202, OPTA 10/1970

Prochain bonus : La route étoilée.


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