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En ce 17 septembre, nous rendons hommage à l'un des grands maîtres de la littérature francophone, Jean RAY, disparu le 17 septembre 1964 à l'âge de 77 ans.
Nous ne reviendrons pas ici sur le grand intérêt littéraire de Jean Ray. Vous pourrez vous en référer à notre article publié pour le n°9 de Fiction. Qu'il nous suffise toutefois de rappeler qu'en 1954, les aventures de Harry Dickson, mélangeant fantastique, policier, science-fiction et épouvante, n'étaient plus considérées autrement que comme une obscure publication d'avant-guerre, dont les lecteurs assidus avaient gardé un sentiment d'émerveillement, mais dont l'identité de l'auteur - anonyme sur les publication- demeurerait un insondable mystère...
Longtemps, ces fascicules bi-mensuels des années 30 seront la cible privilégiée de collectionneurs, amateurs de ces pépites littéraires jalousement gardées dans des alcôves occultées aux regards des béotiens. Harry Dickson aurait ainsi pu non pas tomber dans l'oubli, mais devenir une référence un peu mythique, dispensée par des experts s'adressant à un public qui n'aurait pas connu ce temps "que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître".
Fort heureusement, la donne va changer, notamment par les bons soins des Éditions Marabout entre 1966 et 1974, puis la Librairie des Champs-Élysées, entre 1980 et 1981, les Nouvelles Éditions Oswald, entre 1984 et 1986, et Corps 9, entre 1984 et 1990.
NOTE sur la présente « intégrale »
Si l’intégrale absolue des histoires du « Sherlock Holmes américain » Harry Dickson, telle qu’entreprise avec minutie par les Éditions Corps 9 et les Nouvelles Éditions Oswald, ne parait pas une tâche impossible, grâce aux bons soins de collectionneurs chevronnés, d’amateurs éclairés et d’éditeurs nombreux, la qualité littéraire soulevée par une bonne partie de ces dime-novels à la française peut cependant, quelques fois, laisser à désirer. Le personnage Harry Dickson lui-même, créé en 1927, aurait d’ailleurs sombré dans les limbes de l’oubli après-guerre sans les bons soins d’un auteur talentueux appelé à la rescousse pour leurs publications en France dans les années ’30, nommons ici Jean RAY.
Lisons ce qu’en rappelait un autre auteur de fictions populaires, son ami Henri VERNES, l’auteur de la série Bob Morane :
Henri Vernes en 1966 |
Lorsque naquit Harry Dickson, au début des années 30, la vogue des Dime Novels, née au siècle dernier, aux États-Unis, était passée depuis longtemps. (…)
En même temps que les fascicules d’origine américaine relatant les exploits de Buffalo Bill et de Nick Carter, les autres séries, en presque totalité d’origine allemande, furent traduites en français par les soins d’une certaine maison Eichler, installée à Paris mais dont les capitaux étaient allemands.
Vint la guerre 1914-1918. Après la défaite des armées de Guillaume II, les biens allemands en France furent saisis, et notamment les publications Eichler, qui devaient être mises sous séquestre. Lors de la liquidation de ce séquestre, la propriété des publications Eichler fut adjugée à l’encan. Un éditeur hollandais acheta les droits de Buffalo Bill, de Nick Carter, de Nat Pinkerton et de Lord Lister, un autre ceux des Dossiers Secrets du Roi des Détectives. Aussitôt, les aventures des quatre premiers héros, imprimées en Belgique, firent leur apparition sur le marché, où elles devaient être vendues encore jusqu’à ces dernières années, en des rééditions successives.
La quasi-totalité des Dossiers Secrets du Roi des Détectives n’avait pas été traduite en français. L’éditeur hollandais qui en possédait les droits se mit donc à la recherche d’un traducteur capable d’en tirer une version du texte original allemand. Par le truchement d’un distributeur gantois de ses amis, Jean Ray fut contacté. À cette époque, seuls les Contes du Whisky étaient parus, et Jean Ray accepta la proposition qui lui était faite (…) Il traduisit quelques dizaines des anciennes aventures apocryphes de Sherlock Holmes, mais devant la platitude des événements et du style, il se lassa vite et, comme à son habitude, il se mit à ruer dans les brancards. Au lieu de continuer à traduire les fades élucubrations originales, il imagina des aventures nouvelles. L’éditeur accepta cette décision mais, comme il avait acheté les clichés des anciennes couvertures, Jean Ray dut tenir compte du sujet desdites couvertures en écrivant ses nouveaux récits. C’est ainsi que, sur les couvertures des fascicules des Harry Dickson parus entre 1930 et 1940 et censés se passer à cette époque, les personnages portent des vêtements démodés, datant de la première décade du siècle.
En partie à bord, en partie au cours de ses escales à Gand, Jean Ray devait ainsi écrire 105 aventures de Harry Dickson, les marquant toutes de la griffe de son génie fantastique, les peuplant de goules, de vampires, de gorgones, de loups-garous, d’êtres quadri-dimensionnels, tous issus directement de la terrible mythologie rayenne (…)
Henri VERNES. (Extraits de la Préface à Harry Dickson 01 – Éditions Marabout - 1966)
Ainsi, c’est dans une parfaite démarche "inédiste" (*) que Jean RAY a déployé son génie au bénéfice d’un "sous Sherlock Holmes" à l’origine sans saveur et sans cela voué à un oubli résigné.
Car dès qu’il reprend les rênes de la série pour sa version française, Jean RAY y insuffle tout son talent (d’autant plus qu’il s’agit souvent de premiers jets, on peut féliciter l’excellence du métier de l’écrivain belge), y mêlant audace, humour, fantastique et science-fiction, galerie de personnages attachants, monstres au propre ou au figuré, à des décors souvent glauques, bien souvent empruntés à ce qu’on imagine comme faisant partie du vécu propre de l’auteur, aventurier par goût et écrivain par nécessité.
Il faut ainsi délibérément séparer l’ensemble des publications allemandes et flamandes du « Roi des détectives » à leurs traductions françaises, et séparer ces mêmes traductions entre tâches vulgairement automatiques et réécriture rayenne.
L’ensemble est ardu, d’autant que non crédité par les éditeurs d’origine. Voyons de nouveau ce qu’en disait Henri VERNES.
« (…) Et, en 1931 - j'avais 13 ans - un nouveau héros apparut, Harry Dickson, le Sherlock Holmes Américain. En gros, le fascicule ressemblait aux autres. Même format. Même nombre de pages. Même portrait du héros en médaillon. Mais avec une différence pourtant. Et de taille ! Le bandeau de titre, au lieu d'être en rouge, se présentait en bleu. EN BLEU !... Vous vous rendez compte !... Une révolution ! Et il y avait le contenu !
Les textes des dime-novels ayant résisté à la guerre, et de ceux qui n'y avaient pas résisté, se révélaient en général assez plats, écrits sur des canevas stéréotypés. Avec Harry Dickson, l’imagination éclatait ; dans une accumulation d'imprévus, de fantastique touchant à la démence. Un style plus nouveau aussi, plus riche en dépit des nombreuses coquilles qui, dans la hâte de la lecture, m'échappaient.
Tout cela portait la griffe de Jean Ray, mais je l’ignorais. J’ignorais alors encore tout de Jean Ray.
(…) Un jour, Jean Ray dînait chez moi. (Les Vingt-cinq meilleures histoires noires et fantastiques étaient en cours d’impression). Incidemment, je lui parlai des dime-novels, citai des titres, dont celui de Harry Dickson. Jean Ray me lança un regard qui se voulait terrible, grommela :
- Harry Dickson, mais c`est moi ça !
Surprise ! Je connaissais Jean Ray depuis une vingtaine d'années, depuis une vingtaine d'années je recherchais les Harry Dickson, et voilà que cette révélation me tombait dessus. J'allai chercher ma collection, nous la feuilletâmes ensemble. La mémoire de Jean Ray demeurait claire. Il me conta des anecdotes. Par exemple qu'il avait écrit La Terrible Nuit du Zoo en une nuit, à la mort de sa mère : les imprimeurs hollandais attendaient son texte.
(…) C'est ainsi que Jean Ray écrivit quelque cent cinq aventures originales de Harry Dickson. Il m'en cocha les titres au dos du cent soixante-douzième fascicule : Usines de Mort.
On considère que cette liste pourrait ne pas être exacte, que Jean Ray, après toutes ces années, se serait trompé pour certains titres, qu'il aurait perdu la mémoire. Je ne puis que nier cette dernière assertion. La mémoire de Jean Ray était excellente. Prodigieuse même. »
Henri VERNES. (Extraits de la Préface à Harry Dickson .1 – Éditions Lefrancq- 1994)
Si Usine de mort (dernier de la série) est crédité sur les bibliographies connues de Jean Ray comme étant le fascicule n°178 (et non le 172ème), ce serait plutôt de la mémoire de Henri VERNES dont on pourrait se défier. Quoi qu’il en soit, cette liste paraphée de la main même de Jean RAY a longtemps fait référence absolue pour la détermination de ce qu’il avait créé, adapté, ou plus simplement traduit dans l’ensemble des aventures du détective américain.
Jusqu’au travail de titan élaboré par André Verbrugghen et publié par l’Amicale Jean Ray, qui a consisté à reprendre les fascicules allemands et néerlandais et les comparer minutieusement avec les fascicules français. De là, quelques rares attributions abusives ont pu être débusquées, et d’autres modestes oublis de Ray lui-même lui revenir de droit. Mais sans ce travail, une « authentique » intégrale des Harry Dickson "travaillés" par Jean RAY serait restée hypothétique.
Pour finir, établir la chronologie des histoires de Harry Dickson n’est pas des plus ardues – Jean RAY écrivait dans l’urgence et ses nouvelles étaient publiées dans la foulée. Il suffit donc de suivre la numérotation des fascicules.
Leur datation, toutefois, s’avère plus problématique, une bibliographie officielle datant le numéro 178 – dernier de la série – du 1er Avril 1938 (Hervé Louinet, sur le site très documenté par ailleurs jeanray.noosfere.org), une autre, issue d’une recherche bibliographique plus exhaustive, de décembre 1937.
Là où la première proposition repose semble-t-il sur les bases d’un savant calcul de datation bimensuelle, voire même du 1er ou du 15 de chaque mois, comme indiqué un peu hâtivement dans l’intégrale incomplète (car interrompue) des Éditions Lefrancq, la seconde proposition fait état d’un jeudi sur deux, en précisant les dates, ce qui paraît nettement plus probable.
Cette intégrale repose donc sur l’authenticité présumée de la seconde datation, qui se réfère à une bibliographie telle que publiée en ligne sur le site du Bélial.
Parfois, certaines nouvelles peuvent être de fait et selon les sources attribuée à telle ou telle année, mais l’écart reste l’affaire de quelques mois.
Quant aux nouvelles retenues pour cette intégrale (et c’est le pourquoi de l’appellation « Une intégrale », car elle peut être remise en question comme ses prédécesseurs des Éditions NéO et Corps 9), elles le sont en vertu des recherches précédemment citées d’André Verbrugghen.
C’est en majeure partie l’Intégrale des Nouvelles Éditions Oswald qui nous a servi de corps de texte (malgré la critique souvent faite de ses corrections parfois invasives.) Quelques coquilles, dues davantage au travail de numérisation d’amateurs éclairés qu’aux éditions papiers ont été à l’occasion de cette relecture débusquées et corrigées après comparaison entre diverses éditions.
Comme d'habitude dans les publications proposées par le PReFeG, une relecture consciencieuse et une mise en forme guidée par le confort de lecture ont été menées. Il peut toutefois demeurer des imperfections, que vous pouvez nous aider à débusquer par vos commentaires en retour. Le PReFeG se fera un devoir de corriger coquilles et bugs...
ADDITIF du 19/09/2022 :
Les nuits de France Culture célèbrent à leur manière un hommage à Jean Ray en ce lundi 19 septembre, sous la forme de la rediffusion de l'émission "Cinéma retrouvé" à propos du projet d'adaptation des aventures de Harry Dickson au cinéma par Alain Resnais.
Fichier audio ICI
* Pour une définition de l'Inédisme, "ouvroir" d'inspiration, nous pourrions citer Jorge Luis Borgès, dans sa préface à "Fictions" : "Délire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres, de développer en cinq cents pages une idée que l'on peut très bien exposer oralement en quelques minutes. Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà, et en offrir un résumé, un commentaire." Pour aller plus loin, l'Inédisme consiste à feindre qu'un ouvrage existe déjà avant d'en révéler des extraits, des citations, ou tout ce qui évoquerait son existence. Pour les Harry Dickson de Jean Ray, c'est la couverture, dernière étape de publication, qui préexiste aux histoires, et sont la source d'inspiration pour l'auteur.
Prochain bonus : Cimetière de l'effroi.
Second volume de cette intégrale : 1933
Troisième volume (première partie) : Janvier-Juin 1934
Merci mille fois ! Cependant j'ai beau cliquer sans relâche , je n'obtiens aucun résultat. Quelque chose m'échappe, indiscutablement ! Comment y remédier ? Merci pour aide et votre sens du partage !
RépondreSupprimerPhilippe
Bonjour Philippe.
SupprimerMerci pour votre commentaire, et votre appréciation du partage - formidable creuset que pourrait être internet s'il n'était QUE cela...
Le petit bug est à priori corrigé (ça marche depuis mon poste...). Au cas où, vous pouvez aussi cliquer sur le texte en légende à l'image, ou encore tenter un clic droit "Enregistrer la cible du lien sous..." (sur la légende comme sur l'image).
De façon générale, je ne place pas le texte du lien en corps de texte pour éviter les aspirations intempestives. Dites-moi si cela fonctionne, ça me rassurerait (sur mes compétences informatiques, surtout !)
Le volume 2 (1934) des cette intégrale est en cours de finition. C'est un grand chantier, qui induit relecture complète et correction, compilation, comparaison des éditions papier... chantier que j'espère pouvoir achever parallèlement à celui du PReFeG (qui, lui, devrait être fini en ... 2034 !).
Activité très isolée que celle-ci, les commentaires sont ainsi très précieux pour garder la motivation intacte.
Au plaisir de vous proposer encore de sympathique trésors !
Marcel.
Parfait, merci ! La lente dramaturgie hypnotique de Malpertuis, la puissance et l'originalité des Contes du whisky ou encore l'intensité "maléfique" des derniers contes de Canterbury font de l'auteur flamand ce que l'on appelle un "incontournable" parmi les "maitres de la littérature fantastique" et, avec son détective de l'étrange (ou de l'occulte), les faiseurs d'intrigues, de Raffles à Conan Doyle, en passant par Sax Rohmer, Maurice Leblanc, Gaston Leroux, Edgar Wallace, etc. Harry Dickson rivalise, dans ce Londres mythologique bâti par Jean Ray, avec les John Silence, Thomas Carnacki, Jules de Grandin, etc. Londres en repaire de divinités cruelles, de fraternités secrètes, d'hommes-singes et de Thugs en quête de sacrifices humains !
SupprimerPhilippe
Je ne dirai pas mieux ! Merci Philippe !
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