04 septembre, 2024

Fiction n°75 - Février 1960

Une fort belle couverture de Jean-Claude Forest, et un numéro d'un très bon niveau d'ensemble. Nous en parcourrons cette fois-ci quelques extraits de la "Tribune Libre" qui dénotent bien de l'appétit du lectorat de SF en ce début des années 60, et du difficile équilibre que Fiction tente de marquer entre littérature et divertissement.

 

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Sommaire du Numéro 75 :


NOUVELLES

 

1 - Edward S. AARONS, Les Communicateurs (The Communicators, 1958), pages 3 à 22, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH *

2 - Howard FAST, Aux produits martiens (The Martian Shop, 1959), pages 23 à 41, nouvelle, trad. Michel DEUTSCH

3 - Gérard KLEIN, Retour aux origines, pages 42 à 47, nouvelle

4 - Robert ARTHUR, Le Jardin du Diable (The Devil's garden, 1959), pages 48 à 58, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *

5 - Robert ANTON, Le Phénomène, pages 59 à 59, nouvelle

6 - Lincoln J. PAINE, Prudence et célérité... (The Dreistein case, 1958), pages 60 à 63, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *

7 - J. T. McINTOSH, Les Marchands de sable (The Sandmen, 1957), pages 64 à 78, nouvelle, trad. Catherine GRÉGOIRE *

8 - Pierre VERSINS, Le Peuple du silence, pages 79 à 82, nouvelle *

9 - Henry JAMES, La Vraie chose à faire (The Real Thing, 1892), pages 83 à 94, nouvelle, trad. (non mentionné)

10 - Arthur BERTRAM CHANDLER, Les Frontières de la nuit (The Man Who Could Not Stop, 1959), pages 95 à 114, nouvelle, trad. Z. N. *

11 - Thomas OWEN, Le Manteau bleu, pages 115 à 124, nouvelle 

CHRONIQUES

12 - (non mentionné), Notre Référendum 1960, pages 125 à 125, chronique

13 - Jacques GRAVEN, Introduction à une biologie cosmique, pages 127 à 129, article

14 - Demètre IOAKIMIDIS & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 130 à 132, critique(s)

15 - F. HODA, Films en vrac, pages 133 à 135, article

16 - Jacques BERGIER & Alain DORÉMIEUX, Aux frontières du possible, pages 137 à 137, chronique

17 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 138 à 144, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Des manipulateurs d'opinion tiennent lieu de garde-chasse dans la jungle de l'exercice du pouvoir. Mais ce pouvoir s'exerce aussi sur eux, ici appelés Les communicateurs, mais qu'on pourrait tout aussi bien dénommer "Influenceurs" à notre époque... Bref, beaucoup d'intuition sur l'avenir - on y notera par exemple une allusion à la "Guerre des Dix Jours", quand la "Guerre des Six jours n'aura, elle, lieu qu'en juin 1967 - pour cette nouvelle et Edward S. Aarons, auteur de polars dont ce sera ici l'unique publication. 

Avec Aux produits martiens, Howard Fast signe une fois encore une nouvelle sur comment changer le monde, ici par le biais de la Fiction. Très intelligemment menée (on pourra repenser à l'enquête du Chevalier Dupin dans "La lettre volée" d'Edgar Poe), avec une once de rafraîchissante naïveté ; le postulat final inspirera même peut-être à l'avenir Colin Wilson dans "Les parasites de l'esprit" ou encore Alan Moore et ses "Watchmen".

Retour aux origines est une allégorie un peu cruelle, par un Gérard Klein plus proche ici du ton et des thèmes de Philippe Curval qu'aux siens propres.

Toujours autant d'humour british chez Robert Arthur, dans Le jardin du diable, une histoire d'emprise psychique.

L'espoir perdure en période post apocalyptique dans Le phénomène - par Robert Anton, une autrice autrichienne sous pseudonyme, dont le roman "Avant le premier jour..." paraîtra en cette année 1960 au Rayon Fantastique.

Une démonstration "à charge" des lenteurs administratives avec Prudence et célérité… de Lincoln J. Paine.

On retrouve avec joie un J. T. McIntosh toujours aussi friand d'inventer les mouvements psychologiques de ses personnages, et qui nous livre avec Les marchands de sable une petite nouvelle assez surréaliste sur les rêveries qui accompagnent la confrontation interespèces.

Le peuple du silence, par Pierre Versins, témoigne bien de l'injonction à la conquête spatiale qui devait avoir cours à l'époque. Et la Lune comme première planète piège.

Rédiger la biographie d'un mort, c'est évoquer sa présence, mais peut-être contre son gré. Henry James parvient, lui, à évoquer un fantôme sans qu'on n'en voit rien dans La vraie chose à faire.

Les frontières de la nuit est une histoire de bandit qui, comme à notre époque pré-spatiale, alimente le flux des colons vers les mondes ultimes. Très agréable à lire, par Arthur Bertram Chandler, qui évoque dans son histoire un Empire de Shaara - serait-ce un clin d'œil à l'auteur Michael Shaara ?

Le manteau bleu, par Thomas Owen, est une nouvelle fantastique aux protagonistes assez attachants, dont un "graveur sur mémoire" qui laissera sa trace dans l'esprit de l'autre.

L'affaire des frères TAVERA et leur roman "L'ogive du monde" rebondit. On rappellera que l'histoire avait été dénoncée comme plagiaire d'un autre roman par Gérard Klein. C'est Jacques Bergier qui enfonce le clou, mais de façon peut-être un peu plus arbitraire.  

TRIBUNE LIBRE

À PROPOS DE « L'OGIVE DU MONDE »

Une lettre de Jacques Bergier 

Mon cher rédacteur en chef et ami,

C'est avec beaucoup d'amusement que j'ai lu, dans le numéro 74 de « Fiction », l'article de Gérard Klein au sujet des étranges ressemblances entre « L'ogive du monde » de M. et F. Tavéra et « S'il n'en reste qu'un » de Christophe Paulin. Mais la triste vérité, c'est que ces deux livres sont tous deux copiés pratiquement mot à mot sur un troisième : « Le nuage pourpre » de M. P. Shiel, paru chez Pierre Lafitte vers 1910. C'est même de cet ouvrage que vient la belle expression « ogive du monde », sur la provenance de laquelle notre ami Klein s'interrogeait précisément. Il ne resté donc plus rien à l'actif de MM. Tavéra ! 

Très amicalement vôtre,

Jacques BERGIER.

Pour avoir lu et "Le nuage pourpre", et "L'ogive du monde", le PReFeG se permet de préciser  - bien que les thèmes y soient similaires - que ce rapprochement est très exagéré, et que l'expression d'ogive du monde (ni rien d'approchant) n'y a pas été repérée. Sacré Bergier toujours prompt à faire circuler les rumeurs…

Nous poursuivons ce survol de ce numéro 75 avec quelques extraits de la chronique Tribune libre qui cette fois-ci sont très axée sur la politique éditoriale en constant changement de Fiction. Nous commençons par le point de vue d'un lecteur, assez emblématique de ce que sera la publication de la SF dans la France des années 60 :

Ce n'est pas la foule des « fans » anonyme qui donnera au genre ses lettres de noblesse. C'est la publication des chefs-d'œuvre par les éditeurs en renom. Or, qu'ont fait Hachette, Gallimard et Denoël ? Ils ont ouvert des collections assez peu dynamiques qui semblent n'avoir qu'un but : être bien placées au cas où le genre prendrait un essor inattendu. Et ainsi on prend des options sur des titres qu'on ne publiera jamais, empêchant d'autres de les publier, et on « sort » des ouvrages plus ou moins opportunistes, en se moquant bien de la suite…

On ne le pressent pas encore, mais la collection "Le rayon fantastique" va être amenée à disparaître, laissant le champs libre à une collection "Présence du futur" assez controversée et peu amène envers les jeunes auteurs français. "Fiction", de même, va se retrouver seule revue à publier de la SF en France, après la disparition de "Satellite" en 1963. Il y aura donc fort à faire, et Fiction est consciente de sa responsabilité culturelle et éditoriale, et indique bien dans les extraits suivants qu'elle tient à satisfaire son lectorat autant qu'à le cultiver.

TRIBUNE LIBRE

NOS LECTEURS ONT LA PAROLE.

 

M. Henri Louis ANNONE,

Aix-en-Provence.

Ce n'est pas tant le désir de faire connaître une opinion personnelle plus ou moins valable, que l'intérêt que je porte à votre revue, qui m'incite à ajouter quelques précisions au questionnaire que je vous envoie.

Je tiens à vous signaler d'abord que la nouvelle de Sturgeon « L'homme qui a perdu la mer » a déchaîné l'enthousiasme des lecteurs aixois de « Fiction » de ma connaissance, et que mes camarades et moi avons beaucoup aimé également « Premier Empire » de Carsac, « Celui qui savait » de Sternberg et « Le cri » de Graves, nouvelles toutes trois excellentes tant par la richesse du contenu que par l'habileté de la composition dramatique et du style.

Mais il est décevant – et j'espère ne point être seul de mon avis – de découvrir sous la plume de Poul Anderson, dont j'ai pourtant beaucoup aimé « L'autre univers », une histoire aussi ridicule que cette salade archéologique sur Cyrus le Grand, bourrée d'inexactitudes historiques – sans parler de la platitude de l'expression et de la terrible lenteur de l'action. 

Il est vrai qu'étant étudiants en philologie de 3e année, mes copains et moi sommes peut-être trop difficiles en matières de civilisations archaïques romancées. Ensuite, qu'il soit dit à ce propos qu'on trouve parfois dans « Fiction » des récits vraiment trop « non littéraires » pour notre goût. C'est ici le cas de « Démons et chimères » et de « Un bon diable ».

Je ne prétends pas que la science-fiction doive nécessairement user d'un vocabulaire précis, d'idées hautement morales et d'un style balzacien. Plus qu'en un autre genre – et c'est pour cela que je l'aime extrêmement – la liberté y est de règle ; mais encore faut-il un certain talent. (« An premier, ère spatiale » contenait une puissance d'évocation, un souffle poétique que l'on ne retrouve absolument pas dans « Démons et chimères ».) 

Si l'on tient à ce que « Fiction » se répande largement, il faut compter sur le public dit « intellectuel ». Je n'aime pas ce mot qui sert à tout, mais je crois qu'il situe tout de même une réalité de pensée. Or, ledit public se moque en général de la science-fiction, et n'y vient pas, parce que trop souvent les romans ou les nouvelles du genre sont stupides et naïfs au point de ne même pas pouvoir faire l'objet d'un scénario de film américain ! Et je dois dire que, lorsque des gens non lecteurs de votre revue me voient avec « Fiction » entre les mains, ils arborent l'air d'un psychiatre en présence d'un catatonique. Cela tient, je crois – et je ne suis pas le seul parmi les étudiants aixois à le penser –, à la mauvaise présentation de votre revue, avec ses illustrations trop souvent aberrantes. Traduisez l'esprit, l'âme de la revue, et non un moment d'une nouvelle ! Faites que votre revue soit vraiment une revue « littéraire », en essayant de donner à sa page de couverture un aspect réellement artistique, au lieu d'en faire une élucubration digne d'un magazine pour enfants en mal de Martiens ! Des exemples précis, me direz-vous : eh bien, une couverture vraiment poétique, c'était celle qui illustrait « An premier, ère spatiale » (la forme féminine en moins « pin-up » cependant) ; et dans le numéro de janvier, il y avait dans « L'homme qui a perdu la mer » des idées de dessins vraiment magnifiques. 

C'est tout ce que j'avais à dire, et nous l'avons jugé suffisamment important pour l'intérêt à venir que l'on portera à la science-fiction, pour que je m'en sois fait le greffier.

NOTRE RÉPONSE 

Vous nous avez écrit une lettre bien sympathique, M. Annone. Nous sommes flattés de penser qu'il existe à Aix un groupe d'étudiants pour qui « Fiction » représente un prétexte à enthousiasme ou critique. Nous ne pouvons que souhaiter qu'il en soit de même dans toutes les Universités de France !

Cela dit, nous permettez-vous de vous dire que votre opinion, à notre avis, manque un peu de souplesse ? Vous faites en somme partie de ceux qui nous reprochent de n'être pas assez littéraires, de ne pas viser un public assez intellectuel. Nous vous accordons, en toute franchise, qu'il y a dans « Fiction » tout un contingent de récits qui servent plus à distraire l'imagination qu'à satisfaire les exigences de l'esprit. Mais admettez que de tels récits sont nécessaires dans une revue comme la nôtre. La science-fiction, c'est aussi (et même surtout, penseront certains) un délassement. 

En fait, la majorité des lecteurs qui répondent à notre référendum, n'étant pas comme vous des spécialistes en philologie et en archéologie, sont en train de classer « Le Grand Roi » en tête des nouvelles préférées de notre dernier numéro (vous verrez les résultats détaillés le mois prochain). Nous les comprenons parfaitement, car « Le Grand Roi » représente exactement le genre de récit attractif qu'on peut attendre de la science-fiction. On ne saurait donc nous en vouloir de publier des choses de ce genre.

Maintenant, s'il faut vous faire un aveu, nous ajouterons que, dans ce numéro de janvier, la nouvelle qui avait toutes nos faveurs, à « Fiction », était « L'homme qui a perdu la mer ». Nous tenons à publier des nouvelles de cette classe pour montrer que « Fiction » est aussi une revue littéraire, et nous en sommes récompensés, puisque tout un clan de lecteurs s'est enthousiasmé comme vous pour l'histoire de Sturgeon. Mais il n'en reste pas moins que si nous passions exclusivement des récits comme « L'homme qui a perdu la mer », notre chiffre de vente baisserait de moitié.

Et là, nous vous renvoyons aux commentaires que nous inspire, plus loin, la lettre de M. Robert Fruchard. Croyez bien qu'il existe d'autres lecteurs qui, au contraire, nous reprochent d'être trop « littéraires ». Et que toute notre tâche consiste à maintenir un équilibre aussi juste que possible entre les goûts et les aspirations de chacun – goûts dont le rôle de notre référendum actuel est de donner une image concrète.

L'équilibre entre littérature et divertissement est , nous le constatons, très fragile pour une unique revue (qui  plus est assujettie à son édition américaine dont elle s'individue courageusement). D'autant que les points de vue des lecteurs sont parfois très obtus :  

" Il est temps, messieurs, de revenir à une saine conception de notre littérature favorite, vous qui en étiez le seul bastion ; sinon, qui s'opposera, d'une part, à « La Tour Saint-Jacques » et à « Bizarre », et d'autre part au « Figaro littéraire » ? "

La marge de manœuvre de la revue est réduite, on le verra ici : 

" (…) nous n'avons pas le choix dans toute la production anglo-saxonne, étant simplement l'édition française d'une revue américaine et ne pouvant publier que les textes qu'elle nous envoie. Le fait même que presque tous les grands noms de la science-fiction aient pu, un jour ou l'autre, paraître au sommaire de « Fiction », prouve assez l'éclectisme et l'importance de cette revue américaine. Mais, nous le répétons, nous sommes tributaires d'elle."

Bref, dans les mois et les années qui suivent, nous allons assister à une transformation non seulement du genre, mais aussi (et surtout) de son champ éditorial, dont Fiction fera un témoin privilégié.

Rapport du PreFeG (Aout 2024)

  • Relecture
  • Corrections orthographiques et grammaticales
  • Vérification du sommaire
  • Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Ajout de la page "Notre référendum 1960" omise de l'epub d'origine.
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)

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A suivre : Fiction n°076.

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