25 mai, 2022

Fiction n°014 – Janvier 1955

Et si notre bonne vieille Terre venait à disparaître ? Et si nous le savions juste un peu à l'avance pour pouvoir organiser une migration massive sur Mars, mais pas assez pour pouvoir embarquer tout le monde... comment cela s'organiserait-il ?

 

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C'est le cruel dilemme que développe J. T. McIntosh avec une série de trois nouvelles, formant un roman à elles toutes : "Une chance sur trois cent", "Une chance sur mille" et "Brebis galeuses" (1953), restées inédites depuis leurs publication dans la revue. Les thèmes de McIntosh font souvent la part belle aux réactions humaines dans des conditions extrêmes, avec beaucoup de finesse dans la psychologie des personnages, et des points de vue parfois inattendus. Cette série court des numéros 14 à 17 de Fiction, et remportera le plébiscite de ses lecteurs.

Fait du hasard, d'une volonté éditoriale, d'une anxiété inconsciente, l'Algérie (dont les "événements" venaient de débuter et allaient bien vite se transformer en guerre) est évoquée par deux reprises dans ce numéro, comme pour narguer le silence des autres canaux d'informations de l'époque. 

Dans "Le crâne", du jeune Alain Dorémieux, traducteur et chroniqueur de la revue (il en deviendra le rédacteur en chef quelques années plus tard...), un homme découvre sur une plage d'Algérie le crâne d'un être qui aurait pu vivre là bien avant l'homme... Et dans "Diable d'histoire" de Lord Dunsany, c'est près d'Alger que le narrateur rencontre l'homme qui a vu le Diable. 

On pourra spéculer par la suite sur la connaissance de Dorémieux concernant Lord Dunsany, surtout au vu de la critique que le jeune chroniqueur français fera quelques mois plus tard de "Démons et merveilles" de Lovecraft, qu'il n'appréciera guère. La filiation évidente du style de Lovecraft avec celui de Dunsany ne sera alors pas même évoquée. Quoi qu'il en soit, et quel qu'en soit l'initiateur ou le traducteur, le grand mérite revient à Fiction de faire découvrir cet époustouflant auteur qu'est Dunsany, avec une histoire à chute très british (et qui aurait pu figurer dans "Les contes noirs du golf" de Jean Ray.), nouvelle restée depuis lors inédite, qui plus est ! Malheureusement, ce sera la seule histoire de ce maître du Merveilleux à être publiée dans ces pages.

 Toutefois, la grande majorité des nouvelles de ce numéro n'ont de même jamais été rééditées ensuite :  le drolatique "Quelque chose de plus que les autres…" par Esther Carlson; le charmant "Cantiques de Noël", par Raymond E. Banks, qui questionne l'archivage de l'art "vivant" un peu à la manière de la série télévisée "Twillight zone" ; la bonne petite nouvelle dans la série "Rien ne se crée, rien ne se perd" : "…mais le silence est d’or" par Alan Nelson, et qui parlera sûrement à tous les porteurs d'appareils auditifs ; le ton particulier et l'intrigue très bizarre du cocasse "cache-nez de caoutchouc" par Michel Carrouges, ou pour finir "Sa chance" par le finlandais Oliver Saari, qui interroge le modèle humain le mieux adapté aux voyages dans l'espace.

Grâce au travail de numérisation d'anonymes passionnés, il est possible dorénavant de redécouvrir ces petits trésors de la S.F. et du Fantastique.

 Pour clore ce tour d'horizon, un petit mot sur Jack Finney, et sa nouvelle antimoderne "Le troisième palier". Rare au sein des page de Fiction, on connait Finney principalement pour son roman plusieurs fois adapté au cinéma : "L'invasion des profanateurs" (1954). Hasard ou anxiété collective inconsciente encore une fois, le sujet en sera développé de façon similaire et durant les mêmes mois par Philip K. Dick, au travers de sa nouvelle " Le père truqué". Mais patience... Nous verrons tout cela avec le n°29 de Fiction.

 

Sommaire du Numéro 14 :

NOUVELLES
 

1 - J. T. McINTOSH, Une chance sur trois cents (One in Three Hundred, 1953), pages 3 à 40, nouvelle, trad. (non mentionné)

2 - Esther CARLSON, Quelque chose de plus que les autres... (Heads you win..., 1953), pages 41 à 48, nouvelle, trad. (non mentionné)

3 - Raymond E. BANKS, Cantiques de Noël (Christmas Trombone, 1954), pages 49 à 58, nouvelle, trad. (non mentionné)

4 - Alain DORÉMIEUX, Le Crâne, pages 59 à 66, nouvelle

5 - Alan NELSON, ...mais le silence est d'or (Silenzia, 1953), pages 67 à 78, nouvelle, trad. (non mentionné)

6 - Jack FINNEY, Le Troisième palier (The Third Level, 1950), pages 79 à 83, nouvelle, trad. (non mentionné)

7 - Michel CARROUGES, Le Cache-nez de caoutchouc, pages 84 à 91, nouvelle

8 - Lord DUNSANY, Diable d'histoire (Told under oath, 1953), pages 92 à 98, nouvelle, trad. (non mentionné)

9 - Oliver SAARI, Sa chance (The Space Man, 1953), pages 99 à 108, nouvelle, trad. (non mentionné)

 

CHRONIQUES

10 - Jacques BERGIER & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 109 à 111, critique(s)

11 - Alain DORÉMIEUX & Igor B. MASLOWSKI, Un "Fémina" très discuté, pages 112 à 113, critique(s)

12 - F. HODA, De la fantaisie à l'actualité, pages 114 à 115, article

13 - (non mentionné), Deux disciples oubliés d'Edgar Poe : Eugène MOUTON et Jules LERMINA, pages 116 à 121, article

14 - (non mentionné), Voyages dans le temps, pages 125 à 125, article

15 - COLLECTIF, Courrier des lecteurs, pages 126 à 126, courrier

 

Rapport du PReFeG :

  • Relecture, corrections orthographiques et grammaticales
  • Ajout de la note 12
  • Mise en gras des titres in "Revue des livres"
  • Mise au propre et noms des fichiers html
  • Mise à jour de la Table des matières
  • Vérification et mise à jour des liens internes
  • Mise à jour des métadonnées (auteurs, résumé, série, date d'édition, collection)

*

En mignardise de ce numéro 14, nous vous proposons, toujours dans cette intéressante histoire d'un genre littéraire qui cherche à se définir par lui-même, ce petit extrait qui pointe la distinction entre SF et Merveilleux (on pourrait dire Fantasy).

 

Domaine féerique.

On peut considérer le conte de fées comme une des formes à l’état pur de la littérature fantastique. On peut aussi l’aimer simplement pour sa valeur poétique. Quoi qu’il en soit, il offre à l’exégèse une matière extrêmement riche. L’excellente revue « Les Cahiers du Sud » nous l’a prouvé dans son numéro du mois d’août, consacré en grande partie au « domaine féerique ».

D’intéressants articles de Michel Carrouges, Louis-Paul Guigues, Michel Butor, René Alleau et Aimé Patri y étudient successivement le conte de fées sous son aspect psychologique et moral, social et magique, métaphysique et poétique.

Il y a dans l’article de Michel Carrouges une sorte de psychanalyse du conte de fées qui choquera les rêveurs, mais qui est bien savoureuse.

Il y a aussi, dans celui de L.-P. Guigues, l’esquisse d’un parallèle entre le conte de fées et la « science-fiction » dont nous reproduisons quelques extraits, bien que la comparaison n’y soit pas flatteuse pour la dernière :

" Notre âme est sans doute plus liée à la forêt, au château, à la rose, au roi, qu’aux tripodes et aux fusées. Le mystère à la Wells n’est qu’un aspect de notre ignorance devant certaines techniques ou pseudotechniques, le mystère des fables devient l’intuition de notre profondeur. L’un est véritablement mystère, l’autre n’est que secret de fabrication.

L’amateur de fusées me paraît moins exigeant que l’amateur de contes de fées. Que l’on fasse tenir le merveilleux dans les machines interplanétaires, voilà qui m’afflige. L’espace intersidéral ! Ce n’est jamais, à tout prendre, qu’une région un peu au-delà de mon village. L’énorme vaisseau interstellaire ? Ce n’est jamais qu’une charrette perfectionnée.

(…) Toutes les anticipations me semblent des démissions. Pressées de sauter par-dessus l’actuelle civilisation mécanique, leurs trajectoires étincelantes passent, avec trop de désinvolture, par-dessus l’homme.

Les récits de « science-fiction » remplacent aujourd’hui les récits d’« âme-fiction »."

M. Guigues est sévère. Pourquoi ne pourrait-on pas à la fois aimer le merveilleux magique et le merveilleux scientifique, celui d’hier et celui de demain, comme deux émanations d’une même et grande réalité : le fantastique ? (Mais M. Guigues ne nous croira pas, lui qui fait ensuite une subtile distinction précisément entre le fantastique et le merveilleux, en se réclamant du seul merveilleux de la Fable.)

 **

Nous ne résistons pas à l'appel de partager un autre zakouski : la critique du second recueil de nouvelles parues en français de H. P. Lovecraft, signée I. B. Maslowski.

 

« Dans l’abîme du Temps », de H. P. Lovecraft (Denoël), est la suite, si l’on ose dire, de « La couleur tombée du ciel », du même auteur, parue chez le même éditeur il y a quelques semaines. « Suite » est d’ailleurs un mot relatif, puisque ces deux titres ont été publiés groupés en langue anglaise. Ne se composent-ils pas de nouvelles indépendantes ? Le nouveau volume (fort bien traduit par Jacques Papy) se présente, comme le précédent, sous l’aspect de quatre récits dont le premier, « The Shadow out of Time », donne son titre au recueil. Son héros, Nathaniel Wingate Peaslee, professeur d’économie politique à l’université de Miskatonic, succombe un jour, en plein cours, à une crise d’amnésie et ne redevient lui-même que quatre ans plus tard. Et pendant ces quatre années, son comportement est des plus bizarres. En réalité, il est « possédé » par un de ces Anciens, nos prédécesseurs sur la Terre, mais n’ayant rien d’humain et qui, jouissant de facultés inconnues de l’homme, sont capables de se substituer à la personnalité de n’importe quel être, vivant dans n’importe quel temps, dans n’importe quel monde, cependant que celle de leur victime prend occasionnellement la place dans leur propre corps. Ce même Peaslee, voyageant en Australie quelques années plus tard, aura l’occasion de constater qu’il n’a pas rêvé, puisqu’il tombera sur des vestiges de la civilisation des Anciens, vieille de millions de siècles.

La deuxième nouvelle, « La maison de la sorcière » (The Dreams in the Witch House) – à ne pas confondre avec un roman au titre quasi similaire, dont nous parlons plus bas – est l’histoire d’un jeune étudiant, Walter Gilman, qui, vivant dans une maison jadis occupée par une sorcière, finit par effectuer des excursions dans l’inconnu où il rencontre l’ex-maîtresse de céans, son adjoint – un rat à face humaine – et, finalement, le diable lui-même qui veut lui faire signer un pacte – avec du sang, comme il se doit. Mélangé de rêve, d’irréalité et de semi-réalité, cette nouvelle n’en finit pas moins de façon très réelle et laisse le lecteur dans une certaine inquiétude, voire une certaine perplexité.

« L’appel de Cthulhu » (The Call of Cthulhu) est encore une histoire diabolique où il est question de possession, de culte vaudou, etc. Cthulhu est un génie du Mal, peut-être même le Malin en personne, dont l’aspect physique nous est révélé dans les dernières pages du récit. Habitude ou autre chose, mais cette histoire nous a semblé moins terrifiante que le reste.

« Les montagnes hallucinées » (At the Mountains of Madness) est la nouvelle la plus longue et aussi la meilleure du recueil (qui nous a paru légèrement plus faible que le précédent, tout en se classant à cent coudées au-dessus de l’ouvrage fantastique moyen). C’est l’histoire d’une expédition organisée au Pôle Sud et au cours de laquelle les explorateurs découvrent des montagnes plus hautes que l’Himalaya et les vestiges d’une civilisation antique, non humaine, et dont on ne peut dire exactement que ses représentants aiment l’homme. C’est un magnifique récit de terreur et de suspense, basé sur des données d’autant plus plausibles qu’elles paraissent scientifiques et offrant en outre tout le charme d’un documentaire.

*

MISE A JOUR du PReFeG (Septembre 2022) : 

Dans le numéro 22 de Fiction (Septembre 1955), on pourra lire la note suivante :

De… fiction à réalité.

Nos lecteurs se souviennent des curieux « cônes sonores » décrits dans la nouvelle « Cantique de Noël »(« Fiction » n°14). Une fois de plus, l’imagination d’un auteur de S.-F. préfigure partiellement la réalité, si l’on en juge par l’écho suivant, paru dans« Radar », le 29 mai 1955 :

La tour électronique inventée par le sculpteur Nicolas Schönner, captant tous les « langages » de la nature, se chargera de les transformer en flots d’harmonie ! Ses frêles poutrelles sont autant d’antennes « sensibles » au vent, aux couleurs, aux sons, aux changements de température, etc. Et ce sont ces « sensations » qu’un cerveau électronique traduira et diffusera en s’inspirant de seize motifs musicaux principaux.

En cliquant sur les noms des auteurs de ce numéro

retrouvez les bibliographies complètes de leurs parutions dans Fiction et Galaxie !

J. T. McINTOSH
Esther CARLSON


Raymond E. BANKS


Alain DORÉMIEUX
Alan NELSON

 

Jack FINNEY


Michel CARROUGES

Lord DUNSANY


Oliver SAARI

  

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