14 février, 2022

Cadeau Bonus spécial Saint Valentin : "Le triangle à quatre côtés" - William F. Temple 1949 (VF 1952)

Pour son deuxième cadeau bonus (le premier est ici), en ce jour dédié aux amoureux, nous vous proposons un roman publié en France en 1952, numéro 7 de la collection Le Rayon Fantastique, puis réédité 26 ans plus tard (en 1978, donc...) chez Presse Pocket. C'est ce volume que nous vous proposons en format epub, comme toujours ici.

William Frederick Temple (1914-1989) a très peu été traduit en France. "Le triangle à quatre côtés" est son roman le plus connu, et a été adapté au cinéma dès 1953 par le grand Terence Fisher.

La télévision française n'est pas en reste, puisque ce même roman a été adapté pour FR3 en 1982 dans la mini série "De bien étranges affaires".

Deux nouvelles de Temple sont parues en France, l'une dans l'anthologie historique "Escales dans l'infini", jamais rééditée depuis 1954 (suivre le lien pour voir notre article la concernant), l'autre dans le volume "Histoire d'extraterrestres" dans La Grande Anthologie de la Science-Fiction (Livre de poche).

Quant au roman proprement dit, je ne vous cache pas qu'il déborde d’eau de rose, sans être toutefois de la teneur d'un "Collection Harlequin". L'intrigue globale pourrait être résumée ainsi : "Quand Pygmalion rencontre Frankenstein". 

Deux savants un peu en marge (comme ceux que la « littérature d’anticipation scientifique » aimait tant déployer) découvrent le secret de la « réplication » de la matière, au point de parvenir à créer des répliques absolument parfaites de toute forme inerte… Bill (le plus « hanté » des deux) et Robin (l’aristocrate à qui tout a toujours souri) ne nourrissent que des objectifs nobles et humanistes : produire depuis le néant des matières premières rares et nécessaires à des fins thérapeutiques, ou copier en série les plus merveilleuses œuvres d’art pour les rendre accessibles aux plus modestes des foyers. Le risque de pouvoir dorénavant reproduire des armes atomiques (nous sommes à l'aube des années cinquante) voire des soldats en garnisons infinies en nombre, est contrebalancé par un étayage philosophique et métaphysique, parfois un peu redondant dans le roman, souvent personnifié dans la présence rassurante et paternelle du narrateur, un médecin de campagne à la retraite affectueusement baptisé « Doc », qui ne laisse pas de toujours prévenir nos deux jeunes amis des dangers d’une science sans conscience.

Nos deux jeunes gens, pour parfaire le cliché du scientifique coupé des contingences matérielles de la vie dite « quotidienne », sont célibataires. Or, Doc sauve un jour une jeune femme, Lena, d’un suicide, et n’a plus d’autre projet que de rendre à Lena sa joie de vivre en lui proposant pour but à sa vie de seconder les savants, de s’occuper de leur foyer (qui doit sentir le thé froid et la chaussette sale), et « plus si affinité ». Ça ne rate pas, la jeune femme séduit d’emblée le duo d’apprentis « réplicateurs », et sa présence est pour beaucoup dans la réussite de leurs expériences.

Eau de rose, disions-nous… Car l’amour va s’en mêler. Je ne vous cache pas ce que le titre sous-entend déjà, il pourrait s'agir d'un ménage à trois, mais la réplication va bouleverser la donne.

Le style de Temple est simple, agréable, très axé sur les dialogues (et l'on comprend la tentation d'en faire une adaptation cinématographique). Mais une mention plus spéciale revient au personnage féminin, Lena, indépendante, audacieuse, iconoclaste et imprévisible, qui fait tout le sel de cette romance (car c'en est une), et contrebalance agréablement la phallocratie guindée des deux savants et de leur "mentor" que représente Doc.

Une candide plongée dans l'immédiat après-guerre britannique, qui peinait à reconstituer son optimisme et sa sérénité.

ADDENDUM : Boris Vian nous parle du « Triangle à quatre côtés »

Boris Vian est bien connu pour sa modernité et son esprit profondément iconoclaste. Il parait presque évident qu’il se soit intéressé de près à ce « genre nouveau » qu’était la science-fiction dans les années 50 en France. Bien qu’on puisse ouvrir le débat sur cette soi-disant nouveauté de genre, différons cette problématique (brillamment étayée par Serge Lehman, au passage) pour nous pencher d’un peu plus près sur les propos de Boris Vian.

Plusieurs articles, compilés dans l’ouvrage « Cinéma science-fiction » chez Christian Bourgois, révèlent sa fascination pour la science-fiction. Or, il est amusant de constater que lorsque Vian cite des ouvrages, il s’agit toujours des mêmes, et ce malgré le passage des années. « Le monde des /A » de Van Vogt revient toujours (sans surprise : c’est Vian lui-même qui l’a traduit en français), mais aussi « Demain les chiens » de Simak, ou encore… « Le triangle à quatre côtés ».

(…)on s'aperçoit aussitôt que l'on  tombe, à l'intérieur de S.F., sur des subdivisions  absolument identiques à celles de la littérature  « réelle », ou tout au moins dont les éléments sont  terrestres, actuels ou passés. (…) il y a les  histoires d'amour... mais qu'elles sont peu nombreuses! Cependant, quelques-unes, comme Four-sided Triangle, apportent, on peut le dire, des éléments  nouveaux et valables.

(in « Un nouveau genre littéraire : la science-fiction » - en collaboration avec Stephen Spriel / Michel Pilotin ; Les temps modernes n°72 – octobre 1951)

Certes, les romances de science-fiction (authentiquement d’un genre ou de l’autre s’entend) ne sont pas légions. En 1951, le roman de Temple n’était pas encore traduit ; est-ce cette allusion de Vian qui a poussé Jacques Papy à le faire pour la collection « Le rayon fantastique » ? Contentons-nous de cette conjecture, et voyons ce que Vian en dit en 1953, quelques temps après sa parution en français. (Attention : divulgachage)

(…) comment ne pas  se réjouir de découvrir des thèmes tels que celui du Triangle à quatre côtés (roman assommant et raté,  mais dont le sujet est merveilleux : jugez-en! Deux  hommes, dont un biologiste génial. Une femme. Elle  aime l'autre. Solution : le biologiste décide de la  duplicater, d'en créer une réplique exacte. Il n'a  oublié qu'une chose, c'est que son travail étant parfait, la réplique aime aussi l'autre !... N'est-ce pas une  tragédie à écrire pour Racine ?)

(in « Aimez-vous la science-fiction ? » ; La gazette de Lausanne, 28-29 novembre 1953)

Roman « assommant et raté », le couperet tombe, ici on désintègre aussi. Et pourtant… pour un roman assommant et raté, Vian le citera une troisième fois, cinq ans plus tard, dans une interview croisée avec le cinéaste Pierre Kast. (Attention : divulgachage)

(…) Un élément nouveau qui apparaît  dans une situation classique, c'est un des termes de  la « fiction ». Une situation classique où, par exemple, tout d'un coup, on peut reculer dans le temps -  ou un problème comme celui du Triangle à quatre  côtés : le problème des deux savants qui sont amoureux de la même femme. Rien de plus simple pour  résoudre le problème, se dit l'un : il fabrique une  seconde femme exactement pareille mais, comme elle est exactement pareille, elle aime également le même.  Rien n'est résolu. 

 C'est exactement l'introduction d'une nouvelle  variable. Justement, la modification de la fonction  n'est pas ce que l'on avait prévu bêtement. C'est ce  que l'on aurait pu prévoir mathématiquement.

(…) Par exemple, reprenons le Triangle à Quatre  Côtés, c'est un admirable sujet de film, qui se passe  entre quatre personnages, dans un seul décor. C'est de cela qu'ils ne se rendent pas compte, c'est que l'esprit même de la fiction scientifique, l'esprit même  de l'aventure scientifique est un esprit qui est lié à  un renouvellement complet des schémas, un renouvellement complet des thèmes, un renouvellement  complet des situations dans les films, et que ce n'est  pas obligatoirement dans le Châtelet; il ne s'agit pas  obligatoirement de faire Ben-Hur dans les étoiles.  Ben-Hur c'est cher, Ben-Hur dans les étoiles sera aussi  cher.

(in « Pierre Kast et Boris Vian s'entretiennent de la science-fiction » interview menée par André S. Labarthe ; L'Ecran n° 1, janvier 1958.)

Un « admirable sujet de film ». Vian n’a manifestement pas vu l’adaptation de Terence Fisher en 1953. Petit budget, en effet, mais S.F. assurément !


Autres œuvres de William Temple :

  • Le Sourire du sphinx , 1954  (Nouvelle, Tales of Wonder n° 4, octobre 1938) The Smile of the Sphinx, 1938   

        in Escales dans l'infini, HACHETTE / GALLIMARD 3/1954

  • Une date à retenir , 1974  (Nouvelle, Thrilling Wonder Stories, août 1949) A Date To Remember, 1949 

        in Histoires d'extraterrestres, LIVRE DE POCHE 5/1974


Les adaptations cinéma et télévision, chez nos amis de l'UFSF :


 

2 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour ce cadeau bonus, une belle découverte. Un roman dans lequel, bien que daté de 1949(!), je me suis plongé avec plaisir. Le personnage de Léna est en effet très intéressant et change des stéréotypes des personnages de l'époque. Je vais maintenant voir ce que donnent les 2 adaptations.
    shocker

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  2. Merci beaucoup Shocker pour ce commentaire.
    Je vois que tu poursuis l'exploration consciencieuse de ce que nous mettons en ligne ; ça fait très plaisir.
    Si les adaptations ne sont plus en ligne sur l'UFSF, je guetterai une demande de reup de ta part et les reposterai, j'ai gardé - bien entendu - les fichiers sous le coude...
    Bonne continuation !

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