19 avril, 2023

Fiction n°036 – Novembre 1956

Lovecraft à l’honneur pour ce numéro d’automne 1956 de Fiction, avec une traduction originale signée Alain Dorémieux, et un article de fond de Jacques Van Herp.


Pas de pichenette sur la bille, un clic suffit !


Sommaire du Numéro 36 :

NOUVELLES

1 - Frank GRUBER, Sortilèges à Las Vegas (Piece of eight, 1955), pages 3 à 25, nouvelle, trad. Bruno MARTIN

2 - Richard MATHESON, Cycle de survie (Pattern for Survival, 1955), pages 26 à 30, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX

3 - Jean-Jacques OLIVIER, La Nuit de chance, pages 31 à 43, nouvelle

4 - J(ohn Cameron Audrieu) B(ingham Michael) MORTON, À la queue ! (On the Way to her Sister, 1954), pages 44 à 47, nouvelle, trad. Roger DURAND

5 - René LEFÈVRE, Houa, pages 48 à 61, nouvelle

6 - Chad OLIVER, Le Vent du nord (North Wind, 1956), pages 62 à 83, nouvelle, trad. Régine VIVIER

7 - Pierre VERSINS, La Bille, pages 84 à 93, nouvelle

8 - Howard Phillips LOVECRAFT, Celui d'autre part (The Outsider, 1926), pages 94 à 98, nouvelle, trad. Alain DORÉMIEUX

10 - André PICOT, L'Homme qui lisait "Fiction", pages 108 à 112, article


CHRONIQUES

9 - Jacques VAN HERP, H. P. Lovecraft, magicien de l'incommensurable, pages 99 à 107, article

11 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 113 à 115, critique(s)

12 - Jean-Jacques BRIDENNE, Les Cent ans de Lavarède, pages 119 à 123, article

13 - F. HODA, L'Infini garde son charme, pages 125 à 127, article



Sortilèges à Las Vegas, par Frank Gruber, étonnera sans doute les lecteurs : entre l'ambiance "côte ouest" et les sortilèges régulés par des pièces anciennes, nous voilà bien en présence avec un des inspirateurs des Tim Powers, K. W. Jeter et James Blaylock.


Cycle de survie est devenu un classique de Richard Matheson, habile pourvoyeur de points de vue. La notice de fin de nouvelle (peut-être de la plume de Dorémieux ici traducteur) est un peu trop explicite , mais ne nuit pas à la nouvelle.


Avec La nuit de chance, de Jean-Jacques Olivier, nous voilà confrontés à une tentative de conte de fée, mais qui ne vaut que dans ses évocations. Venise n'y est qu'un décor un peu plat, et l'intrigue se perd en surréalisme un peu creux. Dommage.


À la queue !, par J. B. Morton, nous interroge sur un aspect pour nous acquis voire suranné de nos vies urbaines : faire la queue. La chose était héritée des années de restrictions dues à la guerre, et est ici déclinée à l'absurde.


Houa, par René Lefèvre, vaut par son humour, mais le récit aurait eu plus de chien avec des figures de style plus maintenues.


L’ingérence impérialiste comme moteur de la colonisation dans Le vent du nord, par Chad Oliver. Une belle nouvelle axée sur la mission d'un bureaucrate exerçant sa tache sans affect.


La bille, par Pierre Versins, est une histoire d'échelle comme aurait pu l'écrire William Morrison, avec l'humour bon enfant de Versins en prime.


L'homme qui lisait « Fiction », par André Picot, avec son protagoniste qui s’appelle Laneret au début et Tluaner à la fin, est une potacherie sans prétention, totalement décousue, et qui ne vaut que par son très gros jeu de clés - 110 selon la rédaction.


Howard Phillips Lovecraft à l’honneur, disions-nous. Celui d’autre part, dans une belle traduction de Dorémieux, paraît ici pour la première fois en français. Cet hommage discret à Edgar Poe (et son conte Le masque de la mort rouge) sera repris en 1961 dans le volume qui portera son nom plus célèbre : Je suis d’ailleurs (Présence du Futur n°45 – Denoël).

Avec H. P. Lovecraft, magicien de l'incommensurable, Jacques Van Herp signe un travail méritoire qui fera sans doute référence durant un long temps. Outre une bibliographie quasi exhaustive (fait remarquable pour l’époque), Van Herp analyse les constructions lovecraftiennes dans leurs grandes lignes avec un esprit de synthèse de bon aloi.

Van Herp sait reconnaître les maîtres en matière de fantastique. On ne sera donc pas étonné qu’il puisse mesurer l’ampleur de l’œuvre de Lovecraft à l’aune de celle de Jean Ray. Et c’est cependant en les ramenant sans cesse dos à dos que le critique s’autorise, sans complaisance, à comparer les qualités et les faiblesses de ces deux auteurs qu’un océan sépare.

C’est aussi dans cette comparaison que cet article se perd sur des chemins que l’on sait depuis galvaudés. En posant face à face un Jean Ray aventurier et un Lovecraft puisant sa connaissance du monde dans des livres d’un autre âge, il conforte pour l’un comme pour l’autre des fictions biographiques qui auront la vie dure, à l’instar des notices biographiques sur Poe signée par Baudelaire (et tirée des campagnes de dénigrement de Griswold, pourtant exécuteur testamentaire de Poe).

C’est d’ailleurs principalement chez l’exécuteur testamentaire auto-proclamé de Lovecraft, August Derleth, éditeur et fondateur d’Arkham House, que Van Herp puise sa documentation. En témoigne sa citation du fameux texte dit « de magie noire », très souvent utilisé pour présenter Lovecraft par lui-même :

« Tous mes récits, bien que sans lien apparent, sont basés sur des légendes fondamentales : ce monde fut habité autrefois par des races différentes de la nôtre qui, par suite de la pratique de la magie noire, perdirent leur puissance et furent expulsées de la Terre. Mais elles persistent à vivre dans l'espace, rôdent aux abords de notre monde, toujours prêtes à reprendre possession de notre terre. »

Cette citation est devenue célèbre, tant elle semble explicite... Mais elle est en réalité de August Derleth, reprenant ce que lui restitua de mémoire le musicien Harold Farnese qui avait correspondu avec Lovecraft. On aurait aimé que Van Herp se réfère plutôt à une autre citation de Lovecraft, celle à l’éditeur de Weird Tales Farnsworth Wright, qui contredit ce point de vue d’un panthéon somme toute anthropomorphique :

« Toutes mes histoires sont basées sur l’idée fondamentale que les lois, les intérêts et les émotions partagés par l’humanité n’ont ni validité ni signification au niveau du cosmos. Pour moi il n’y a que puérilité dans une histoire où la forme humaine – et les passions, conditions et normes humaines – sont montrées comme natives à d’autres mondes ou d’autres univers. Pour atteindre l’essence d’une réelle altérité, que ce soit en termes d’espace, de temps ou de dimensions, il faut oublier l’existence même d’un certain nombre de choses : la vie organique, le bien et le mal, l’amour et la haine, et tous les autres attributs purement locaux d’une race négligeable et temporaire appelée humanité. » (Lettre du 05 Juillet 1927)


La critique de Van Herp vise principalement l’ordonnancement d’un panthéon, qu’il juge certes remarquable, mais trop matérialiste pour réaliser l’effroi attendu. Armé de cette citation à Wright, il aurait pu envisager le point de vue d’un sentiment d’horreur cosmique dépassant même la démarche froide et rigoureuse du matérialisme scientifique.

Un point, toutefois, mérite d’être relevé dans l’analyse critique de Van Herp, celui de l’usage d’un certain type de vocabulaire : blasphématoire, impie, jouxtant les grotesques et autres non-euclidiens.

« Or, rien n'est impie ou blasphématoire pour le matérialiste : un tel jugement n'est valable que dans un contexte religieux, c'est-à-dire avec référence à une réalité transcendante qui nous dépasse et nous échappe. »

Van Herp met bien là le doigt sur le paradoxe dans lequel avait été situé Lovecraft, à la fois matérialiste et, semblait-il, attaché à un salut de l’âme, du moins à une forme d’intégrité de la santé mentale à préserver dans un but transcendantal. Or, cette construction religieuse, du moins manichéenne sinon janséniste de « la mythologie de Cthulhu » (Van Herp traduit l'expression sans doute directement de l'anglais "Cthulhu mythos"), n’est que celle de Derleth, croyant convaincu et en cela radicalement différent d’un Lovecraft très matérialiste, impie lui-même, et souvent provocateur en matière de religion.

La vision de Derleth perdurera quelques décennies encore, avant que les travaux de S.T. Joshi, entre autres, fassent de Lovecraft une figure bien plus complexe que celle qui nous était vendue dans les années 50.


Rapport du PreFeG (Avril 2023)

  • Relecture 
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Frank GRUBER
Richard MATHESON
Jean-Jacques OLIVIER
J. B. MORTON
René LEFÈVRE
Chad OLIVER
Pierre VERSINS
H. P. LOVECRAFT
André PICOT,
Jacques VAN HERP
Jean-Jacques BRIDENNE



2 commentaires:

  1. Frank Gruber, auteur western et de polar hardboiled, surprend au sommaire de Fiction. La nouvelle relève clairement du registre polar mais avec une chute facile, mais inattendue. pas mal... un jour prochain, il faudra qu'on parle de Lovecraft, Derleth et consorts. Bises.

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  2. Avec plaisir Ogareff. Merci pour ton commentaire et ta lecture, et rendez-vous est pris pour une discussion lovecraftienne, toujours avec grand plaisir !

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