Les brumes de la folie sont explorées dans tous leurs aspects, des plus déroutants aux plus psychanalytiques, pour un numéro de Fiction aujourd’hui tout juste âgé de 66 ans – et pas une ride !
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Sommaire du Numéro 44 :
NOUVELLES
1 - André COYPEL, Le Brouillard blanc, pages 3 à 6, nouvelle *
2 - Julia VERLANGER, Brouillard qui tue, pages 6 à 18, nouvelle *
3 - Daniel F. GALOUYE, L'Asile (Sanctuary, 1954), pages 19 à 47, nouvelle, trad. Bruno MARTIN
4 - Theodore STURGEON, Et voici les nouvelles... (And Now the News..., 1956), pages 48 à 65, nouvelle, trad. Bruno MARTIN
5 - Robert F. YOUNG, Poète, prends ton luth... (Emily and the Bards Sublime, 1956), pages 66 à 75, nouvelle, trad. Evelyne GEORGES
6 - Michel JANSEN, Weerwolf, pages 76 à 81, nouvelle
7 - Alan Edward NOURSE, Le Cobaye (The Expert Touch, 1955), pages 82 à 95, nouvelle, trad. Roger DURAND *
8 - Robert BLOCH, Ève au pays des merveilles (All on a Golden Afternoon, 1956), pages 96 à 118, nouvelle, trad. Jacqueline PERRIN & Michel PERRIN
CHRONIQUES
9 - Gérard
KLEIN, Lewis Carroll, l'explorateur, ou les voies de l'imaginaire, pages
119 à 125, article *
10 - Alexandre KAZANTZEV, Préface à "Fahrenheit 451" de Ray Bradbury, pages 126 à 127, préface, trad. Jacques BERGIER
11 - Jacques BERGIER & Alain DORÉMIEUX & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 128 à 131, critique(s)
12 - Jacques BERGIER, La Critique des revues, pages 131 à 131, critique(s)
13 - (non mentionné), Service bibliographique étranger, pages 134 à 137, article
14 - F. HODA, Le Vingt-troisième siècle, pages 138 à 141, article
* Texte resté sans publication ultérieure à ce numéro.
On pense inévitablement au "Nuage pourpre" de M. P. Shiel en
lisant Le brouillard blanc, de André Coypel. Ici, le récit est fait
"de l'intérieur". Une nouvelle courte et efficace.
Fiction annonce son doublon : Brouillard
qui tue, de Julia Verlanger est
une bonne nouvelle d'épouvante, dans une ambiance provinciale bien rendue, mais
peut-être un peu creuse quant à son contenu.
Et voici les nouvelles... Theodore Sturgeon décline son thème de
l'inadapté social, en le confrontant au « réadaptateur » par essence
: le psychiatre. Effet garanti pour une nouvelle à chute qu'on ne voit pas
arriver.
Dans Poète, prends ton luth..., Robert F. Young, fin et cultivé, nous
propose non seulement un regard avisé sur la modernité en marche, mais encore
une alternative subtile à la déculturation. Ravissement de la démonstration que
la poésie soit la vraie loi.
Avec Weerwolf, de Michel Jansen - Fiction nous annonce qu’il
s’agit d’un pseudonyme de Jacques Van Herp – l’auteur belge nous propose un
condensé d'enquête à la Harry Dickson. Van Herp sait recycler ses maîtres...
Le cobaye, par Alan E. Nourse, nous propose une bonne
ambiance psychiatrique, mais il y manque un peu de l'expérience intérieure du
cobaye pour faire décoller le tout. Appréciable tout de même.
Dans Ève au pays des merveilles Robert Bloch pose une riche idée qui
ouvrirait sur une infinité de possibilités, et cette intuition déjà croisée
chez James E. Gunn que les mathématiques pourraient être l'écriture de la
magie. Du Robert Bloch pour une fois sans suspens ni épouvante, mais de
l'humour et de l'inspiration.
« Le rêve individuel est faible. Mais couchez-le sur le papier, partagez-le avec d'autres et vous verrez son potentiel s'accroître considérablement. En se combinant, les charges d'électricité tendent à créer un plan permanent, un continuum de rêve, si vous le voulez bien. »
On pourra retrouver cette idée dans la B.D. Providence de Alan Moore et
Jacen Burrows (oú il est question de faire advenir l'univers de Lovecraft).
Côté articles et chroniques, Jacques Bergier
propose une traduction d’une Préface à «
Fahrenheit 451 » parue en URSS. On ne comprend toutefois pas bien la
retenue de Bergier dans sa présentation . Cette préface est honnête mais n'a
rien d'exceptionnel non plus.
Deux extraits pour finir de vous allécher. Dans la revue des livres, on lira :
« M. René Poirier raconte l'histoire d'un prophète moderne, un évangéliste américain nommé John Hendricks, mort en 1903 et qui, un jour, prêchant à l'emplacement de la future cité d'Oakridge la décrivit dans tous les détails. Il annonça même qu'on y fabriquerait une bombe qui mettrait fin à la plus grande guerre qu'il y ait jamais eue… »
Outre qu'on puisse se demander ce qu'un prêcheur pouvait bien faire à
l'emplacement d'une future ville (dans le désert ?), encore une fois,
évoquons Alan Moore et son étonnant roman « Jerusalem ». Moore y postule
la possibilité d'entrevoir les temps passés et futurs d'un lieu à condition de
ne pas en bouger spatialement.
Un gros morceau à présent : Lewis
Carroll, l'explorateur, ou les voies de l'imaginaire, signé Gérard Klein. L’intégralité de cet
article est aussi reproduit sur le site (malheureusement sur pause)
quarante-deux.org (ici),
mais l’introduction à elle seule est très intéressante sur un plan
structuraliste, et replace la S.F.dans cette quête d'un monde où prévaut "l'infinité des possibles ".
Ce fut pour une large part la faute de Christophe Colomb. N'essayez pas de croire qu'il avait des circonstances atténuantes ou qu'un hasard malheureux le poussa dans cette direction désastreuse. Non. Ce fut bien sa façon de penser qui fut fautive. Ce fut bien Colomb qui déclencha l'effondrement du premier monde imaginaire. Honnie soit sa mémoire pour le meurtre des chimères.
Deux mille cinq cents ans plus tôt, le réel vivait de plain-pied avec l'imaginaire. L'inconnu commençait au-delà de la ligne des collines. Des êtres de feu dansaient juste en deçà de la grande rivière et à deux jours de marche, vers le nord, s'étendait le pays blanc des licornes. On pouvait y croire, somme toute. Personne n'avait été y voir. L'homme peuplait un immense damier où tout était possible. L'étrangeté était habituelle. Pourquoi la distance n'aurait-elle pas renforcé la différence et finalement sécrété le surnaturel ?
Du reste, les meilleurs témoignages concordaient. L'océanographe bien connu, Ulysse, nous a transmis par la plume de son biographe, Homère, bon nombre d'observations du plus haut intérêt scientifique. Il existait alors assez d'îles dans la Méditerranée pour abriter quelques dieux, quelques sirènes et quelques monstres. La surpopulation n'était pas telle qu'on dut les nier pour s'installer à leur place. On pouvait faire bon voisinage avec les gorgones et, le cas échéant, conclure de fructueux traités commerciaux avec le Minotaure. La volonté d'émerveillement faisait déjà place à la volonté d'effroi. Dans les premiers temps, l'homme en savait trop peu sur son habitat pour chercher à s'y accrocher et pour ne pas ménager ses voisins, même imaginaires ; une bonne façon de ne pas se faire d'illusions est de prévoir le pire. Mais le pire cesse rapidement de l'être, à moins qu'il ne se réfugie perpétuellement dans l'inconnu. Heureusement pour la curiosité et l'effroi, la Terre était, en ce temps, illimitée. Et sa connaissance était assez brumeuse pour que le fantastique puisse cohabiter avec le réel à la faveur de l'imagination.
Vinrent les Romains. Ils n'aimaient pas le fantastique. Ils étaient trop superstitieux pour y prendre goût. Ils voulaient bien croire aux fantômes, mais non à d'autres êtres capables de leur ravir l'empire du monde. Ils avaient surtout la manie de dresser des cartes et de découper la Terre en districts. Il n'y eut plus bientôt de place nulle part sur les bords de leur mer tiède pour le moindre petit être inquiétant né d'une cervelle égyptienne ou crétoise.
Mais la Terre était vaste encore. Le fantastique se réfugia dans le nord. Des populations nouvelles et mythiques surgirent. Des légions de nains sortirent des grandes forêts, où il restait assez de brouillard pour abriter une population inquiétante et croissante.
Puis ce furent les grandes années. Tandis que les forêts tombaient et que s'évanouissaient les nixes, les regards se portaient vers l'ouest et l'océan, et vers l'est et les terres tout aussi indéfinies de l'orient. On racontait d'étranges choses. Tout était probable. La Terre, plate, s'étendait au-delà de tout ce que l'esprit pouvait rêver. Et sous d'innombrables et variées constellations, des cités de verre s'élevaient, peuplées d'hommes bigarrés dont l'œil unique brillait d'un éclat fixe et insoutenable ; dans ce pays lointain, très au-delà des montagnes d'émeraude dont parle Hérodote et que cite Pline en se référant à une tradition presque oubliée des Égyptiens eux-mêmes, poussait l'arbre de vie ; en cet autre les plantes portaient en guise de fruit des gemmes. Tous les souhaits du corps et de l'esprit se trouvaient réalisés en quelque endroit lointain. Ce devait être une étrange et excitante sensation que de percevoir la Terre vaste à l'infini autour de soi, et le mouvement de ces peuples lointains et différents, et la houle anonyme de vaisseaux inconnus transmise après des siècles de voyage aux rivages aquitains par un océan plan, ainsi que nous arrive la lumière portée par les flots et l'écume du temps ; et les maléfices de ces êtres plus puissants que l'homme et l'avisant de ne point pénétrer en leur domaine, et dont on pouvait tout juste brûler les émissaires humains ; et l'immense rectitude de ces routes imaginaires conduisant, en une progression sans borne, à un ailleurs toujours reculé. Les Romains avaient éprouvé le besoin du monde fermé, enclos, protégé. Mais jamais, ils n'avaient pu éliminer la vague angoisse de l'inattendu qui peut surgir aux frontières. Et voilà que les murailles explosaient. Il était temps de tout craindre et de tout espérer. Il suffisait de se déplacer un peu pour découvrir les pays impensables.
Vint Colomb, qui se déplaça. Lorsqu'il toucha l'autre rive océane, des palais de cristal s'effondrèrent en silence. Lorsqu'il revint, les légendes sur le bout de la Terre devinrent de simples souvenirs. La Terre était ronde, c'était une chose entendue. Elle était limitée, on pouvait l'explorer, la parcourir pas à pas, éliminant les moindres traces, les derniers relents de cette longue cohabitation de l'homme et des êtres nés de son esprit. On ne pouvait plus croire au fantastique. Un monde limité n'engendre qu'une capacité limitée d'étonnement. Pendant plusieurs siècles, la Terre fut le paradis des géographes et des naturalistes. Les écrivains ne s'occupèrent plus que d'eux-mêmes. C'était une façon de perdre confiance en la richesse du possible. On sait le triste état de choses qui en résulta. Seuls les mathématiciens faisaient encore preuve, avec un courage inchangé par des événements qu'ils ignoraient, d'un reste de fantaisie.
Il n'était guère qu'un esprit aventureux qui pût tirer l'humanité de ce pot au noir. À l'explosion intellectuelle qu'avait entraînée la découverte d'immenses continents, succédait lentement l'industrieuse monotonie des pays sans illusions. Colomb et ses successeurs avaient démontré qu'il n'y avait nulle part sur la Terre de place pour le fantastique. Du moins l'avaient-ils fait croire. Quelques tentatives timides avaient bien eu pour objet de réintroduire des êtres étrangers au monde humain au sein de celui-ci. Mais les ficelles des Märchen allemands, du conte de fées français, puis du roman noir anglais étaient trop apparentes ; les véritables rêveurs n'ont pas l'humour de se dire : tout cela n'est rien, je vais me réveiller dans un instant.
Que pouvait-on donc introduire dans un monde supposé entièrement connu ? Rien, sinon quelques variations dans le détail. L'esprit piétinait, aussi sûrement emprisonné à l'extérieur d'une sphère qu'il l'eût été à l'intérieur. La situation était sans issue. On avait dérobé à la planète l'une de ses dimensions nécessaires, celle de l'infinité des possibles.
Plus avant, on pourra lire aussi :
Ce monde fantastique abstrait, résultat d'une longue évolution qui conduisit de l'Odyssée au Wonderland, a si bien pénétré notre manière de penser et excité notre curiosité qu'il a fini par modeler certaines de nos attitudes scientifiques.
Un très bon texte de Gérard Klein, donc, qui par le biais de Lewis Carroll renvoie
les littératures de l'imaginaire à leur capacité à nous surprendre (et notre
ouverture d'esprit à celle d'accepter être surpris).
Une dernière note, à propos de ce passage :
Lewis Padgett lui a emprunté les éléments de son étonnante nouvelle « Tout smouales étaient les borogoves », où il exprime l'idée que dans la première strophe du « Jabberwocky » se cache la clé de portes béant sur d'autres dimensions, que seuls les enfants peuvent atteindre.
La nouvelle en question, traduite par Boris Vian et signée par le pseudonyme
collectif de Henry Kuttner et Catherine L. Moore, est publiée, entre autres,
dans l'anthologie : "Histoires de la 4ème dimension" (Livre de poche).
Au cinéma ou à la télévision, une adaptation française de 1970, sur le site
(payant) de l'INA est visible ICI,
et une autre adaptation plus récente (2007) se retrouve chez nos insurpassables
archivistes de l'UFSF ICI.
Rapport du PreFeG (Juillet 2023)
- Relecture
- Corrections
orthographiques et grammaticales
- Vérification
du sommaire
- Vérification des casses et remise en forme des pages de titre
- Note (0) ajoutée, précision dans la note (2).
- Ajout
des pages de Service bibliographique étranger
- Ajout
de la page Déclaration de titres (reprise du scan originel)
- Vérification
et mise à jour des liens internes avec ajout de retour de notes.
- Mise au
propre et noms des fichiers html
- Mise à
jour de la Table des matières
- Mise à jour des métadonnées (auteurs,
résumé, date d'édition, série, collection, étiquettes)
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