29 janvier, 2025

Fiction n°096 – Novembre 1961

Avec la dernière nouvelle de William Morrison à paraître dans les pages de Fiction (ou même Galaxie), écrite en collaboration avec Frederick Pohl, et demeurée inédite depuis, on retrouve les valeurs sûres de Fiction, comme Julia Verlanger ou Jean-Louis Bouquet (dans une nouvelle de jeunesse), ainsi que Clifford D. Simak et Robert F. Young. En résumé, il n'y a pas de quoi bouder son plaisir ! 

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Sommaire du Numéro 96 :

NOUVELLES


1 - William MORRISON & Frederik POHL, Une situation d'avenir (Stepping Stone, 1957), pages 3 à 26, nouvelle, trad. Richard CHOMET *

2 - ARCADIUS, Deux heures de sursis, pages 27 à 31, nouvelle *

3 - Robert F. YOUNG, Les Sables bleus de la Terre (Hopsoil, 1961), pages 32 à 37, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE

4 - Julia VERLANGER, Une caisse de pruneaux, pages 38 à 44, nouvelle

5 - Clifford D. SIMAK, La Fin des maux (Shotgun Cure, 1961), pages 45 à 58, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE

6 - Jean-Louis BOUQUET, Asmodaï ou le piège aux âmes, pages 59 à 95, nouvelle

7 - Charles FINNEY, Les Petits monstres (The Gilashrikes, 1959), pages 96 à 100, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *

8 - Francis CARSAC, Une fenêtre sur le passé, pages 101 à 106, nouvelle

CHRONIQUES



9 - COLLECTIF, Ici, on désintègre !, pages 108 à 119, critique(s)

10 - Demètre IOAKIMIDIS, Critique des revues, pages 121 à 121, critique(s)

11 - Demètre IOAKIMIDIS, Notes de lectures, pages 121 à 123, critique(s)

12 - Alain DORÉMIEUX, Un film labyrinthe : "L'année dernière à Marienbad", pages 125 à 129, article

13 - F. HODA, Le Père et le Fils, pages 129 à 130, article

14 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 131 à 131, article

15 - Isaac ASIMOV, Jusqu'à la moelle (1957), pages 132 à 140, article, trad. (non mentionné) *

16 - Pierre VERSINSDamon KNIGHT et la quête aux merveilles, pages 141 à 143, article *


* Nouvelle / article resté(e) sans publication ultérieure à ce numéro.

 " L'ancien mode de vie se désintégrait et les mœurs du monde changeaient tous les jours – tout du moins les journaux l'affirmaient – car tout ce qui était permis était pratiquement obligatoire et presque tout ce qui n'était pas obligatoire était verboten. Les artistes devaient abandonner leur métier, celui-ci étant considéré comme « non-essentiel », et les musiciens se voyaient contraints de renoncer à la musique, jugée en haut lieu comme une « vaine dissipation d'énergie », et tout cela pour aller travailler dans les projets du vice-roi. "

On ne sera pas surpris, à la lecture de cet extrait de Une situation d'avenir, de constater que le discours sur "l'essentiel" ne date pas d'hier.

Cette nouvelle demeurée inédite depuis, démontre que toute tyrannie repose sur l'exercice de la peur, ainsi de la crainte d'être dénoncé arbitrairement aux autorités, ce qui mène les citoyens à l'usage sans scrupule de la corruption. Car l'argent est "un solvant universel", et tout pouvoir qui ne repose sur aucune autre valeur que la Terreur est voué à être dévoré de l'intérieur, comme un cancer, par ses propres agents. On retrouve l'aspect "idiocratique" que dénonce toujours Frederick Pohl, et la menée en droite ligne des agissements des personnages de William Morrison.

Dernière nouvelle traduite en français de William Morrison, on le retrouvera tout de même dans le numéro 305 de Fiction, avec une nouvelle traduction de "Les envoûtés" (parue dans Galaxie 1ère série n°26), sous le titre "Les drogués". On pourrait déplorer que cet auteur ne fut pas mieux connu dans l'espace francophone ; restées pour la plupart inédites après leurs parutions dans Galaxie et Fiction, il y aurait pourtant de quoi constituer un recueil avec les nouvelles de William Morrison, tant elles développent leurs sujets propres - bien souvent les confrontations d'échelles.

" Il comprenait maintenant ce qui était arrivé à cette fameuse planète transmartienne, qui n'était plus que des météorites plus ou moins gros tournant autour du Soleil. La même chose qui allait se passer pour la Terre. "

Dans Deux heures de sursis, Arcadius part de cette hypothèse - à propos de l'origine de la ceinture d'astéroïdes entre les orbites de Mars et de Jupiter - qu'il aurait pu s'agir des débris d'une planète qu'on a nommée Phaeton. Cette hypothèse est depuis tombé en désuétude, au bénéfice d'une autre explication proposant qu'il s'agit plutôt d'un vestige de la formation des planètes du système solaire, ces astéroïdes ne parvenant pas à s'agglomérer du fait de la relative proximité de l'imposante Jupiter - une sorte de nasse gravitationnelle en somme.

Malgré ce présupposé erroné, Arcadius pointe qu'aux instants qui précèdent la fin du monde, tout devient absurde, car pour accomplir ne serait-ce qu'un dernier caprice inassouvi, il faut un minimum de temps. Alors ne demeure plus qu'une écrasante résignation, à la façon d'un personnage des nouvelles de Sternberg, robots écœurés.

Parodie de Bradbury, Les sables bleus de la terre de Robert F. Young prend la peine de créer en miroir une Terre imaginée par les martiens, et même par un auteur de SF martienne ! Léger de ton, cette nouvelle n'en déborde pas moins du pathétique sentiment d'aigreur de celui qui n'est plus capable de s'émerveiller - thème semble-t-il transversal dans l'œuvre singulière de Young.

On retrouve dans Une caisse de pruneaux le ton populaire que Julia Verlanger affectionne dans ses récits à la première personne. Ici, l'autrice s'accorde une petite récréation légère loin de sa cruauté coutumière. Appréciable, bien qu'un peu gratuit.

Que faire d'un don littéralement tombé du ciel comme celui-ci: un remède unique à toutes les maladies ? À l'aube d'une vaccination de masse, un médecin s'interroge. Sans tout dévoiler, La fin des maux, par Clifford D. Simakrappellera sans doute "Servir l'homme" de Damon Knight. 

Asmodaï ou Le piège aux âmes est une novella sur un pacte faustien, une histoire de sorcellerie dans le Morvan. Il s'agit d'une œuvre de jeunesse de Jean-Louis Bouquet qui ne manque pas de style pour autant. Dans le recueil "Le visage de feu", Bouquet écrira à propos de cette nouvelle :

" Pour moi, tout en étant très satisfait de ce conte, je vois, en tant qu’auteur, fort peu de choses à souligner, parce que c’est la plus exotérique de mes affabulations, celle qui nécessite le moins d’éclaircissements d’auteur. À noter que c’est une « somme » de traditions, de croyances morvandelles. Le Morvan a relativement peu inspiré les littérateurs. Je crois que c’est le tableau le plus « poussé » qui en ait été fait dans ce sens (folklorique-mystique). À noter aussi que le Morvan, berceau d’une partie de ma famille, est l’une de mes sources d’inspiration, bien qu’à vrai dire je n’aime guère ce pays. " 

Les expérimentations animales qu'imagine Charles Finney dans Les petits monstres trouvent encore leur cadre dans une vie de quartier, comme dans "Le grand chien noir". Mais ici, l'animal n'est plus l'allégorie de la pulsion, mais bien plutôt celle d'un surmoi qui surveille et punit.  

Une fenêtre sur le passé rappellera, dans une version très courte, la novella "L'ombre du passé" de Ivan Efremov (in Fiction 53). Un archéologue y entrevoit, comme dans une sorte de prémonition inversée, les habitants d'une caverne dont il étudie les artefacts. On retrouve un Francis Carsac très à l'aise dans son élément professionnel.

Dans l'article Jusqu'à la moelle, Isaac Asimov nous alerte sur l'empoisonnement radioactif de l'atmosphère du fait des essais de bombes H. 

Pour terminer ce petit tour, notons que Pierre Versins propose un article sur Damon KnightDamon Knight et la quête aux merveilles, considéré non plus en tant qu'auteur, mais en tant que critique. Versins traduira en effet quelques uns de ses articles, qui paraîtront dans Fiction les mois suivants. Vous pouvez retrouver l'intégralité de ce texte sur notre page dédiée à Damon Knight.

Nous vous proposons en guise d'extrait, de lire la critique une fois de plus pertinente et fort bien documentée, de Demètre Ioakimidis, sur la parution du dernier recueil de nouvelles de James Blish (que nous vous proposons de surcroît en bonus !). 

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James Blish : Terre, il faut mourir. 

James Blish est un homme aux talents multiples. Il commença par étudier la biologie avant de se mettre à écrire, et cette dernière occupation le conduisit dans le domaine de la poésie aussi bien que dans celui de la science-fiction. Il s'occupa de « public relations », et il lui arriva également de composer de la musique. À quarante ans, il compte indubitablement au nombre des écrivains les plus brillants de la science-fiction actuelle. S'il n'est pas exclusivement composé de chefs-d'œuvre, le présent recueil est néanmoins d'un niveau très élevé, et il donne au lecteur une idée de la diversité des cordes composant l'arc littéraire de James Blish.

Les moins réussies de ces nouvelles sont « L'affaire du VS-1 » et « Le joueur de flûte ». Ce sont cependant des récits construits avec adresse – le premier utilise le suspense créé par un militaire dément qui, seul sur un satellite artificiel, croit devoir bombarder Washington, alors que le second brosse un décor plausible de vie souterraine, rendue nécessaire par les conséquences d'une guerre bactériologique – et c'est surtout par comparaison avec les autres nouvelles du livre qu'ils semblent quelconques. 

« Sautes de temps », « Les étoiles sont des prisons » et « Terre, il faut mourir » racontent trois épisodes d'une histoire commune, celle de la conquête de l'espace intersidéral. Dans le premier de ces récits, James Blish évoque avec une vraisemblance hallucinante les sensations d'un pilote pour lequel le temps paraît se dilater puis se contracter ; le second combine avec une ingéniosité considérable les thèmes du voyage intersidéral, de l'exploration de l'infiniment petit et de la communication télépathique, tandis que le troisième montre l'humanité en présence d'une race qui, tout en étant dépourvue d'intelligence, règne sur la plus grande partie de la Galaxie. Dans chacune de ces histoires, le dosage des divers éléments demeure à peu près constant, et donne une idée des préoccupations dominantes de l'auteur. La situation scientifique est minutieusement évoquée, rendue perceptible au lecteur par l'abondance et la précision des détails ; les personnages demeurent assez sommairement esquissés, et leur caractère n'a pas d'influence directe sur l'évolution de l'action ; enfin, le problème à résoudre – problème d'ordre scientifique – est énoncé avec clarté, de même que les raisons qui justifient le choix de la solution. Cette dernière, en revanche, n'intéresse que très modérément l'auteur : dans le second et le troisième de ces récits, James Blish se contente d'indiquer comment ses personnages s'y prendront pour se tirer d'affaire ; il ne montre pas en détail le processus de l'opération. C'est là l'attitude d'un homme qui fait confiance à l'humanité, et qui s'intéresse davantage aux grands mouvements par lesquels celle-ci progresse, plutôt qu'aux exploits individuels de ses héros. Dans sa trilogie (« Year 2018 », « Earthman come home » et « The triumph of time ») qu'on souhaiterait voir traduite en français dans son ensemble, on assiste à un phénomène analogue, sur une plus grande échelle : Blish ne s'attache aux personnages que dans la mesure où ils jouent un rôle – positif ou négatif – dans le progrès de l'ensemble.

Il ne faut cependant pas s'exagérer la simplicité des personnages créés par James Blish : « Œuvre d'art », par exemple, est un véritable chef-d'œuvre dans lequel l'auteur imagine ce que seraient les impressions et les réflexions de Richard Strauss s'il revenait à l'existence au XXIIe siècle. Le portrait qui nous est présenté du compositeur de « Till Eulenspiegel » est extrêmement vivant, et Blish témoigne de connaissances musicales solides. On se demandera peut-être où est la place de la science-fiction dans un tel récit ; il est difficile de répondre précisément à une telle question sans dévoiler l'excellent effet de chute ménagé par l'auteur. Mais que l'on veuille bien croire que « Œuvre d'art » se rattache, indubitablement, au genre littéraire qui nous occupe – et même que ce récit mérite d'en devenir un classique. 

Des deux récits restants, le premier, « Les pompe-cervelles », est un tableau assez sinistre, mais construit avec art : on y voit des savants s'efforçant, très littéralement, de pomper les cervelles des morts, en vue d'en extirper les connaissances qui pourront servir les intérêts de leur pays. Sans verser dans le grand-guignolesque, James Blish traite ce sujet étrange avec dextérité, et évite d'exagérer le caractère sinistre du fond devant lequel ses héros évoluent.

« Bip », enfin, constitue une variation extrêmement ingénieuse sur le thème de l'homme qui connaît l'avenir. James Blish ne recourt aucunement au fantastique, mais exploite uniquement un certain nombre de données scientifiques. Il possède à un haut degré l'art de mener insensiblement son lecteur des faits réels aux extrapolations imaginaires, et l'angle par lequel il aborde son récit n'est pas moins original que la teneur de celui-ci.

La diversité des thèmes présentés dans ces nouvelles, ainsi que la variété de leurs traitements, montrent que James Blish est une sorte de caméléon parmi les auteurs de science-fiction. Parti d'une conception assez van vogtienne – celle du héros qui ignore les limites exactes de ses pouvoirs, comme aussi la situation précise du conflit dans lequel il doit intervenir – qu'il développa dans un de ses premiers romans importants, « The warriors of day » - il en vint à une vision dans laquelle la science conditionnait la plupart des relations, et dictait l'optique du narrateur. Il en est parfois résulté une certaine froideur à l'égard des protagonistes ; non certes que ceux-ci fussent tenus pour négligeables, mais leurs destinées étaient considérées dans la limite où elles contribuaient à régler celles de leurs semblables.

Tel est le cas, dans ce recueil, de Garrard, le héros de « Sautes de temps » : il est le premier homme à revenir après un voyage qui l'a emmené dans un autre système planétaire (et, à ce propos, il faut féliciter Michel Deutsch pour l'intelligence avec laquelle il a traduit la syntaxe et les néologismes introduits par James Blish en marge de ce séjour sur le monde lointain), il a donc toutes les chances de laisser son nom dans l'Histoire. Or, que savons-nous de lui ? À part la lucidité de son esprit et son intégrité foncière, bien peu de chose en vérité. Garrard est typique d'une optique particulière, qui serait celle de Blish-le-philosophe : ce qui importe le plus à ce dernier, c'est que l'humanité aille de l'avant, et les actes de ses protagonistes l'intéressent principalement en fonction de leur rôle dans ce progrès.

Mais il y a aussi, en James Blish, un homme sensible que nous montre « Œuvre d'art » : ce n'est pas seulement l'amateur de musique qui obtient la sympathie du lecteur, mais bien l'écrivain qui réussit à décrire d'émouvante manière les pensées d'une grande intelligence créatrice perdue loin de son époque. Et dans les plus récentes des nouvelles réunies ici – comme « Les étoiles sont des prisons » et « Terre, il faut mourir » – on sent une préoccupation croissante à l'égard de l'individualité des protagonistes. Ceux-ci sont encore assez monolithiques, mais leurs réactions sont parfaitement plausibles, compte tenu d'événements que l'auteur leur fait affronter. 

Cet approfondissement progressif des émotions humaines constitue une preuve de l'évolution constante dont l'art de James Blish est en quelque sorte le théâtre. Sans égaler l'hallucination épique de van Vogt, l'assurant de témoin oculaire d'Arthur C. Clarke, ou le réalisme scientifique de Robert Heinlein, James Blish combine certaines qualités de ces trois auteurs, et possède en outre une lucidité qui n'appartient qu'à lui. Il est sans doute un des auteurs de science-fiction dont l'avenir semble le plus brillant : il possède en effet de la maturité, du métier et de l'individualité, en même temps que le désir d'aller de l'avant en enrichissant son registre d'expression. Le présent recueil en témoigne. 

Demètre Ioakimidis

22 janvier, 2025

Fiction n°095 – Octobre 1961

Pour ce 200ème billet du PReFeG, voici de très beaux morceaux de choix, tant en SF (un sommet de Clifford D. Simak) qu'en fantastique (Christopher Wood et sa mystérieuse Mrs Frost). Ces nouvelles agrémentent un numéro de bon niveau, qui révèle déjà par endroits le monde qui est le nôtre désormais. On notera aussi un article de Pierre Versins sur le "fandom", et sur son utilité pour la critique d'un genre en maturation.

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Sommaire du Numéro 95 :


NOUVELLES


1 - Clifford D. SIMAK, Le Dernier gentleman (Final Gentleman, 1960), pages 3 à 36, nouvelle, trad. Roger DURAND

2 - Michel EHRWEIN, Le Retour des cigognes, pages 37 à 41, nouvelle

3 - Richard WILSON, L'Ami de la famille (Friend of the Family, 1953), pages 42 à 56, nouvelle, trad. François VALORBE *

4 - Jean-Charles PICHON, Perfidies-blues, pages 57 à 73, nouvelle *

5 - Stephen BARR, Les Tortues en folie (Callahan and the Wheelies, 1960), pages 74 à 100, nouvelle, trad. Roger DURAND *

6 - Gérard KLEIN, Lettre à une ombre chère, pages 101 à 105, nouvelle

7 - Leslie BONNET, Le Moine et la déesse (Game with a goddess, 1959), pages 106 à 111, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM *

8 - Christopher WOOD, Miss Frost (Miss Frost, 1951), pages 112 à 122, nouvelle, trad. Anne MERLIN *

CHRONIQUES


9 - Pierre VERSINS, Fandom français, pages 125 à 129, article

10 - Demètre IOAKIMIDIS & Roland STRAGLIATI & Jacques VAN HERP, Ici, on désintègre !, pages 131 à 136, critique(s)

11 - F. HODA, Un cinéma mythologique, pages 137 à 139, article

12 - Alain DORÉMIEUX, Note sur l'irréalisme de quelques films récents, pages 139 à 140, article

13 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 141 à 144, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

La couverture, tout d'abord, a droit à un traitement particulier, du fait de sa nature : la reproduction d'une œuvre d'art exposée à Paris à cette époque, une composition photographique de Monasterio, intitulée « La cueva de la fuente del rey ».

" La couverture de « Fiction » ce mois-ci sort de l'ordinaire. Nous présentons ici son auteur, et sa singulière technique de « peinture photographique ».

« Ce n'est pas tous les jours que l'on découvre une étoile ou une planète nouvelle. J'ai juré que le prochain astre qui se présenterait à moi s'appellerait Monasterio. Et il est passé, lentement, devant moi, avec ses boules de neige et ses fleuves fixés comme de la pierre la plus dure. » Février 1960. C'est Man Ray qui parle, présentant en ces termes la première exposition à Paris de Monasterio. "

Suit un dithyrambe sur Alfredo Villa Monasterio, en page 2 et 3 de couverture, signé par François Garnier (sans doute le peintre né à Paris en 1914 et mort à Rennes en 1981).

" La race humaine est tout à fait capable, de son propre jugement, d'accepter ou de rejeter les prédictions de n'importe quel pontife humain. Mais notre société technologique a réussi à créer un réflexe conditionné selon lequel l'homme accepte l'infaillibilité des machines. "

Difficile d'en dire plus que ce court extrait sans dévoiler l'intrigue de Le dernier gentleman, qui commence comme un cauchemar kafkaïen où l'on reproche à un auteur fort apprécié d'avoir fait de sa vie une auto fiction - le problème étant qu'il ignore tout de cette démarche, et que ce qu'il croit réel n'existe pas, du moins pas tout à fait.
Nous avons là une excellente nouvelle qui manie gracieusement des motifs fantastiques et de science-fiction. Le lecteur sera peut-être troublé lorsque, habitué à la potentielle portée prophétique de la littérature d'anticipation, il réalisera celle de cette nouvelle en particulier. Car ce qui pouvait apparaître comme un exercice de fiction spéculative en 1961 nous donne plus de 50 ans après des arguments humains pour sortir de l'hypnose de masse qu'on appellerait "réseaux sociaux".
Quoi qu'il en soit, et tout complotisme mis à part, le véritable sujet de cette histoire est le Pouvoir, et ses corolaires : l'exercice du pouvoir et le langage en tant que modeleur de représentations. En bref : un sommet de Clifford D. Simak qui ne sera repris que dans son Livre d'or (Pocket - 1985), où l'on pourra lire à ce propos : "Il est d’ailleurs bizarre que nul n’ait songé à le rééditer depuis car il offre de Simak une image nouvelle et passablement inattendue. Pour tout dire, on croirait lire du Philip K. Dick ! Pourtant, c’est bien Simak qui tient la plume : une lecture attentive des signes qui jalonnent cette nouvelle aura tôt fait de vous le démontrer. Il n’empêche que l’on ne savait pas l’auteur de Demain les chiens sensible au charme très indiscret de la schizophrénie…"

Avec Le retour des cigognes, on aurait pu avoir un conte de relations inter espèces à la Dorémieux ou Farmer, mais le récit de Michel Ehrwein manque un peu sa cible, dirait-on, si tant est qu'il y en eût une. 

L’ami de la famille propose une petite histoire dystopique de Richard Wilson, qui pourra rappeler "Enfants sans âme" de W. M. Miller (in Galaxie n°14). Il y est aussi question de régulation des naissances, dans un style peut-être simple mais à travers des personnages attachants.

Dans Perfidie-BluesJean-Charles Pichon avance son récit et son univers par petites touches, et nous amène au seuil du Grand Soir, où le pouvoir en place - ici un matriarcat, mais l'inverse y est tout autant lisible - est affaibli par sa dépendance à la flatterie. On y retrouve aussi le rôle de pouvoir parallèle et secret de l'oracle, déjà évoqué dans la nouvelle de Simak.

" Mon intention est essentiellement de m'écarter d'une machine pourvue d'une série d'instructions prédéterminées et de les laisser s'éduquer par tâtonnements. C'est ce qu'on peut appeler le réflexe de survie. (…) Un calculateur reste assis sur sa grosse boîte et ne ressent jamais rien qui résulte de son activité ! On l'alimente avec une masse d'informations, mais ce n'est pas du tout la même chose. Ces grosses machines ne se déplacent pas et ne font rien ; si elles avaient un but, comme (mes) tortues qui cherchent à se recharger, elles penseraient au lieu de se contenter de calculer. La pensée véritable commence avec la réaction opérationnelle à l'environnement. " 

Dans Les tortues en folie, Stephen Barr imagine déjà nos "IA" actuelles qui fonctionnent ainsi par ajouts successifs mémorisés. L'environnement est sans doute ce qu'il leur manque encore, mais représente par contre le défi des sondes envoyées sur Mars ou dans l'espace. Dans cette histoire, la capacité d'apprentissage autonome de la machine l'amène ici au point de singularité de façon accélérée. Trépidant comme un thriller !

" Gérard Klein naguère avait transposé le mythe d'Ulysse. En guise de pendant, c'est ici du mythe de Thésée qu'il s'inspire. Hautaine dans sa forme et cryptographique dans son esprit, cette nouvelle n'est pas (ou plus) de la science-fiction. On peut y voir le reflet moral d'une angoisse très contemporaine. Chacun de nous, selon sa propre notion de cette angoisse, donnera le visage qu'il veut au Minotaure – le visage de l'un ou l'autre de tous les monstres modernes. Mais la philosophie de l'histoire n'est pas pessimiste, car le destin de Thésée n'est-il pas d'affronter le Minotaure ? Ce récit marque un achèvement. Cela veut dire qu'il est aussi l'aboutissement d'une voie et que Klein, par la suite, devra rompre avec son passé littéraire, quelle que soit l'orientation qu'il adoptera."

Telle est la curieuse note d'intro de Lettre à une ombre chère, note sans doute signée Alain Dorémieux. Nonobstant, la nouvelle suivante que Gérard Klein fera paraître dans Fiction ("Le dernier moustique de l'été", in Fiction n°106) ne sera pas pour autant du "Klein nouvelle manière" (ce sera même du Klein époque "bradburyenne", sous influence). La nouvelle présente est cependant bien travaillée - et l'on peut constater que l'adaptation des mythes aux échelles galactiques les rend plus épiques encore, sans les épuiser. C'est la démarche ici, qu'une Nathalie Henneberg transcende en hybridant ces mythes. Pendant ce temps, de l'autre côté de l'Atlantique, un Cordwainer Smith élabore déjà les formes mythiques nouvelles liées aux problématiques de l'avenir… 

Le moine et la déesse, par le Capitaine Leslie Bonnet, est un petit conte à l'orientale où les idoles de pierre s'animent pour le jeune moine chargé de les entretenir. Léger. 

 

Fort bien construite par Christopher Wood, Miss Frost est une histoire de réminiscences issues de l'enfance, avec une gouvernante un peu sorcière et des chiens pour familiers. Deuxième et dernière nouvelle traduite de cet auteur britannique, qu'il ne faut pas confondre avec Christopher Hovelle Wood, auteur de deux James Bond (source NooSFere).

« Dans la science fiction, la critique – et fréquemment d'une haute qualité – est apparue presque uniquement dans des publications d'amateurs ; certes la richesse du matériel critique, bibliographique et biographique qui a paru dans des fanzines, du Fantasy Commentator à Inside, est telle qu'une bibliothèque universitaire qui posséderait la totalité des fanzines publiés serait la Mecque des auteurs de thèses dans le XXIe siècle. »

Anthony Boucher,
Introduction à « In Search, of Wonder » de Damon Knight, 1956

C'est par cette exergue que Pierre Versins ouvre son article "Fandom français". La remarque de Boucher était déjà pertinente, quant à l'accession de la SF au monde universitaire - en France, des revues comme Res Futurae en sont une preuve somme toute assez récente au regard d'un travail similaire mais plus ancien sur le territoire américain.

Grand précurseur, Pierre Versins dresse ainsi très tôt un inventaire des fanzines francophones en 1961 (et c'est une chance que cet inventaire soit publié dans Fiction plutôt que dans un autre de ces fanzines difficiles à retrouver). On y retrouvera parmi d'autres les noms de Marcel Battin, Michel Ehrwein, et... Pierre Versins, qui avoue lui-même ne pas pouvoir juger de la qualité des fanzines, en publiant lui-même une imposante partie.

On se rappelle que Pierre Versins avait obtenu en décembre 1960 le premier Grand Prix International du roman d'Anticipation et de Science-fiction (voir Fiction n°82). Cependant, ce roman n'a jamais vu le jour, du moins semble n'avoir jamais été édité. Et voici ce que l'on découvre à la lecture de ce n° d'Octobre 1961 :

Pierre Versins nous prie de bien vouloir insérer le communiqué suivant :

" Un certain nombre de jeunes auteurs m'ayant demandé des renseignements sur le Grand Prix International du Roman d'Anticipation et de Science-Fiction, je crois utile d'attirer l'attention de ceux qui voudraient envoyer des manuscrits au Grand Prix en précisant certains points :

1. – Le fait d'être sélectionné par le jury ou d'obtenir un des prix (purement honorifiques) ne donnent à l'auteur aucun avantage de publication. En effet, les organisateurs du Prix ne sont pas en rapports avec une maison d'édition française et les lauréats devront trouver eux-mêmes un éditeur. Le fait d'avoir obtenu un prix étranger sur manuscrit rendra la chose plus difficile.

2. – Contrairement à ce qui a été publié dans la presse après la remise du Grand Prix 1960, j'ai renoncé à faire partie du jury du Grand Prix International du Roman d'Anticipation et de Science-Fiction, certaines clauses exigées des candidats me paraissant non conformes aux traditions commerciales de l'édition. "

On voudrait dénoncer poliment une arnaque qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Versins reste très courtois, mais ne cache pas une certaine amertume. On n'ose pas imaginer les réactions d'un Alain Dorémieux ou d'un Gérard Klein s'ils avaient concouru et gagné ce Grand Prix…

Souvent échauffés dans la "Tribune Libre", les auteurs (et les éditeurs) vont de plus en plus, durant cette décennie, être amenés à défendre leur droit à politiser le propos de la science-fiction. Ce droit pourrait paraître évident, mais il reste à noter qu'un certain statuquo politique régnait dans la société française à la fin des années 50 ; les crispations de la Guerre Froide, les "événements" et la "pacification" en Algérie, la fin d'un concordat gaullistes-communistes issu des années 1945 et suivantes, tous ces éléments impliquaient qu'on ne parlait pas de politique si l'on voulait "avoir la paix".

Quelques mois après le coup d'état manqué dit "des généraux", et avec la parution de textes faisant du fascisme non pas une dépouille du passé mais une bête toujours à l'affut, la Tribune Libre de Fiction s'échauffe quelque peu. Et l'on y lira dans ce numéro 95 cette courte profession de foi :

" Faut-il répéter que notre revue n'est pas une revue engagée, mais que d'autre part la SF, étant une littérature adulte, a le droit de traiter de thèmes politiques quels qu'ils soient – ainsi que nous celui de publier les textes basés sur ces thèmes. "

C'est bien là sans doute la métamorphose principale à venir de ce genre à peine baptisé "science-fiction". Quittant des velléités de distraction pour la jeunesse, la science-fiction réintègre sa fonction spéculative de proposer des visions, des perspectives et de l'autrement - vecteurs éminemment politiques. Dans le secteur des publications préjugées "pour la jeunesse et la distraction", la bande dessinée ne sera pas en reste, mais opèrera son virage un peu plus tard.

15 janvier, 2025

Fiction n°094 – Septembre 1961

Une majorité de raretés pour ce numéro, avec des auteurs anglo-saxons qui tiennent le haut du pavé, pour une science-fiction qui s'affranchit des codes de "l'âge d'or" (Chad Oliver et John W. Vandercook en tête). Les autrices et auteurs françaises ne sont pas en reste, entre autre avec une troublante prémonition signée Anne Merlin.

Un clic droit sur la couverture pour obtenir votre epub.

Sommaire du Numéro 94 :


NOUVELLES

 

1 - Chad OLIVER, Entre le tonnerre et le soleil (Between the Thunder and the Sun, 1957), pages 3 à 47, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM *

2 - John WYNDHAM, Nœud dans le temps (A stitch in time / Stitch in time, 1961), pages 48 à 59, nouvelle, trad. Elisabeth GILLE *

3 - Jérôme SERIEL, Les Calmars d'Andromède, pages 60 à 70, nouvelle *

4 - Algis BUDRYS, L'Épave d'un autre monde (The Edge of the Sea, 1958), pages 71 à 87, nouvelle, trad. René LATHIÈRE *

5 - Gaston LEROUX, Une histoire épouvantable, pages 88 à 99, nouvelle

6 - Anne MERLIN, Le Joueur de flûte, pages 100 à 100, nouvelle *

7 - Henri DAMONTI, Faut-il choisir ce métier ?, pages 101 à 109, nouvelle *

8 - John Womack VANDERCOOK, La Masse (The challenge, 1956), pages 110 à 127, nouvelle, trad. Roger DURAND *

9 - Sybil BANGOR, L'Œil, pages 128 à 129, nouvelle *

10 - Jean-Pierre KLEIN, Entre deux rideaux, pages 129 à 131, nouvelle *

CHRONIQUES


11 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 133 à 138, article

12 - Demètre IOAKIMIDIS & Pierre VERSINS, Notes de lecture, pages 139 à 143, critique(s)


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Dans Entre le tonnerre et le soleil, une loi terrienne interdit toute ingérence sur des mondes où les civilisations sont considérées techniquement inférieures ; mais que faire lorsque l'on constate qu'une famine menace ces mêmes civilisations du fait de leur arriéré technique ? La question du colon qui se donne bonne conscience en apportant sa science aux "pauvres peuples barbares" est ici posée avec toute sa complexité par un Chad Oliver au seuil des considérations écologiques encore en construction.

A ce propos, on notera, au travers du texte de présentation, qu'on parle d'œcologie (et pas encore d'écologie) pour présenter cette première nouvelle. (Voir aussi Fiction n°19 de juin 1955 : "L'oecologie " étudie l’interconnexion des diverses formes de la Vie. Elle montre de quelle façon les espèces vivantes s’imbriquent entre elles pour former ce que le savant américain John H. Storer a appelé « la toile d’araignée de la vie » (The web of life). Toute perturbation touchant un des fils de cette immense toile rejaillit sur tout le reste. L’expérience de l’insecticide DDT vient de le montrer de façon inquiétante : si le DDT a détruit certains insectes nuisibles, il a par ailleurs gravement influé sur le rythme vital d’autres espèces végétales et animales."). 

Perçue peut-être comme une science annexe au seuil de ces années 60, l'écologie sera par contre très prisée dans la SF des années 70, et en cela Chad Oliver est en avance sur les considérations des auteurs parmi ses contemporains.

Mais surtout, loin d'un pessimisme post-apocalyptique souvent reproché à cette littérature, Oliver imagine des forces de reconstruction écologiques, par l'introduction de tout un écosystème. Même si la chose pourrait paraître simpliste ou carricaturale pour un biologiste, force nous est de constater que nous n'en sommes à l'heure actuelle pas même arrivés au stade de pouvoir l'envisager.

Chad Oliver est aussi et surtout un humaniste, et possède un talent sûr pour décrire les sensations et les mouvements psychologiques. En témoigne ce beau passage sur la mise en hibernation et les sensations qui en découlent :

On le fit passer par un sas dans une pièce froide. Il s'y trouvait une dalle blanche, qui évoquait assez bien une table d'opération. Il s'étendit dessus après s'être déshabillé. Son dos s'était crispé en prévision du contact froid, mais la table avait été tiédie. 

Le médecin lui adressa son plus beau sourire professionnel, vérifia une dernière fois ses antécédents au point de vue maladie.

— « À dans cinq ans, » dit-il.

Il enfonça la seringue, une grosse aiguille. Cela fit mal, mais pas excessivement.

Schaefer ne constata d'abord aucun changement, mais quand les infirmiers le déposèrent sur une civière, il découvrit que son corps n'éprouvait plus aucune sensation. Il essaya de remuer les doigts. Ils ne bougèrent pas.

L'autre sas s'ouvrit.

Les infirmiers remontèrent la fermeture à glissière de leur costume et le transportèrent de l'autre côté.

Ils étaient maintenant dans l'hibernateur. Il devait y faire froid, car de la vapeur montait des vêtements des infirmiers. Mais le corps nu de Schaefer était insensible. Il ne pouvait pas tourner la tête ; cependant il en voyait assez. Il en voyait plus qu'il ne l'aurait souhaité.

Des catacombes.

Des parois luisantes percées à intervalles réguliers de niches où il y avait des silhouettes raides et immobiles. Il ne distinguait pas les visages ; ceux-ci étaient recouverts par des masques et des tubes.

Ils le firent glisser dans sa case et il ne sentit rien. Il les vit insérer deux tubes flexibles dans ses narines.

Puis, ce fut le masque.

Il ne voyait plus rien. 

Voilà ce que doit être la mort. Je ne peux ni voir ni entendre ni sentir. Je n'éprouve aucune sensation. Ni panique, ni peur, ni froid. Il n'y a rien. Je n'existe pas.  

Son esprit commença à s'engourdir. Il n'arrivait plus à penser de façon cohérente. Du tréfonds de lui-même naquit un certain respect pour l'amiral et pour tous les hommes qui voguaient dans cet océan plus étrange que tous les océans… 

Ce fut tout. 

Il avait cessé d'être.

Pour terminer sur Chad Oliver, on se souvient peut-être de ses nouvelles parodiques, écrites avec Charles Beaumont, qui s'amusaient allègrement des clichés de la science-fiction des années '30 et '40 ("Claude à travers le temps", puis "Claude l'invincible", in Fiction n°33 et 34). On retrouvera la même distance comique avec l'extrait suivant, sur un fond toutefois plus "sérieux". Mais au-delà de la plaisanterie, cet extrait renseigne toutefois bien sur la démarche de maints auteurs de SF de cette époque de dépasser l'infantile image d'une littérature pour adolescents attardés, et rendre le genre plus "adulte".

Comme c'eût été agréable, songea Schaefer, si tout avait pu se passer héroïquement et sans dommage, comme pour la Patrouille Spatiale à la télévision en 3 D. Vous atterrissez sur Argile VII, qui ressemble à la Terre, ses montagnes mises à part, dont les découpes en dents de scie ne pourraient exister sur une planète dotée d'une atmosphère. Vous enfilez votre uniforme impeccable, hachez menu une horde de reptiles visqueux à l'aide de votre désintégrateur, délivrez une femme ravissante mais chaste et mettez sur pied en cinq minutes une invention mirobolante. Puis tandis que l'ennemi se retire en désordre, vous arborez votre sourire énigmatique et disparaissez dans les étoiles et la réclame de la firme qui patronne votre émission. 

Le plan prévu était différent.

L'équipage devait rester à bord de la fusée. Schaefer et Sandoval prendraient des coptères pour aller étudier de manière approfondie leurs problèmes respectifs. Les hommes des Nations Unies quadrilleraient la région avec des caméras et autres appareils enregistreurs afin de vérifier divers points.

Nœud dans le temps évoque le miracle thermodynamique… À travers des brèches dans le temps, John Wyndham fait le double constat qu'on ne peut rien faire contre le flux des événements et qu'il est difficile d'accepter le devenir du monde (surtout abîmé par la guerre). Une histoire sur un ton très "twillight zone".

On passe sur le désuet et l'inepte de Les calmars d’Andromèdenouvelle sans style et sans surprise de Jérôme Sériel. Un bel exemple d'une SF datée et infantile…

L'épave d'un autre mondenouvelle un peu divulgachée par son titre français (dommage…), est palpitante, avec un protagoniste tenace et courageux qui lutte contre un ouragan pour conserver une découverte insolite rejetée par la mer. Le récit est signé Algis Budrys.

Une histoire épouvantable est une farce grandguignolesque qui rebondit sans cesse ; une histoire de marin ? Pas tout à fait. Un récit d'épouvante sur des puissances invisibles ? Et non. Des fantômes ? Pas davantage. Gaston Leroux "nous mène en bateau", sûr de son métier et de ses effets.

Il faut lire entre les lignes Le joueur de flûte d'Anne Merlin, qui de prime abord pourrait faire penser à un récit de rêve assez similaire à "Nyarlathotep" de Lovecraft. On peut se permettre de saisir l'éventuelle allusion aux manifestations populaires du 14 juillet, interrompues depuis celle de 1953 terminée par une répression sans concession envers les manifestants indépendantistes algériens - les forces de l'ordre tirent sur la foule Place de la Nation. Mais peut-être Anne Merlin parle-t-elle de tout autre chose. 

On ne peut toutefois qu'être troublé par la prémonition de l'autrice : en effet, dans la nouvelle d'Anne Merlin, on entraîne une foule dans la Seine. Un mois après la parution de ce texte, le 17 octobre 1961, des manifestants algériens défilent dans les rues de Paris, femmes et enfants compris, pour protester contre le couvre-feu qui frappe les citoyens algériens à Paris et sur l'hexagone ; la manifestation est très sévèrement réprimée, des manifestants sont jetés dans la Seine par les forces de l'ordre, sur ordre du Préfet de police Maurice Papon. Le fait historique mettra du temps à émerger dans le récit national officiel (il faudra attendre le procès de Maurice Papon pour ses méfaits de collaboration avec le régime nazi), et l'Etat français mettra 50 ans à reconnaître sa faute.

L'histoire de Faut-il choisir ce métier ? est celle d'un homme qui veut se faire prophète parce qu'il est paresseux, et que le "métier" en vaut bien un autre. Comme souvent avec Henri Damonti, l'ensemble est plaisant mais sonne creux. 

La Masse, initialement parue dans le Mystère-Magazine » n°71 de décembre 1953, est une histoire de force invisible, mais qui ne se contente pas d'être un conte d'épouvante et s'affirme aussi dans sa vertu d'allégorie. L'ensemble est brillamment mené conjointement sur ces deux niveaux de lecture par John Womack Vandercook.

Il est question de la présomption de l'esprit scientifique, lorsqu'il se targue de tout pouvoir expliquer pourvu qu'on le laisse expérimenter, dans le banc d'essai à Sybil Bangor qui nous propose L’œilC'est une plaisante nouvelle par sa concision, mais rien de plus. 

Un style concis là encore, et une façon d'entrer dans le vif sans exposition qui rappelle fortement le style de Buzzati, avec Entre deux rideaux, par Jean-Pierre Klein. L'histoire de cette chorale de "clones" confine au drame sourd sans en dire davantage. Intriguant. 

Deux extraits (et deux bonus leur correspondant !) vous sont proposés ci-après : 

Tout d'abord une petite note d'un lecteur qui évoque la bande dessinée de René Pellos intitulée "Futuropolis". Le nom rappellera sans doute aux lecteurs de BD le nom d'une célèbre maison d'édition de qualité, baptisée ainsi en hommage à ce travail. Mais ce sont les éditions Jacques Glénat qui feront un très beau travail de réédition de l'oeuvre en question ici. Voici donc la lettre parue dans Fiction (et l'ouvrage au format .cbz en bonus).

Un premier Bonus à la seconde !

Futuropolis

En ce qui concerne les dessins que Pellos a réalisés pour « Junior », j'avoue n'avoir conservé aucun souvenir de « J.J. Ardent athlète », mais je m'étonne par contre de ne vous voir faire aucune allusion à sa bande intitulée « Futuropolis », assez remarquable, à l'ambiance grandiose et échevelée5 . Le même Pellos a publié, dans les derniers numéros de « Jean-Pierre », une bande intitulée « Electropolis » dans laquelle la Terre, par suite d'un cataclysme épouvantable, se fragmentait en plusieurs parties ; sur celle emportant l'ancienne Europe, dans un Paris aux trois quarts détruits, des réfugiés construisaient aux pieds de la Tour Eiffel restée debout une ville sous cloche car ils avaient à lutter contre la nouvelle pression atmosphérique ; à noter que la réorganisation de l'atmosphère ayant déterminé des différences de potentiel considérables dans ses diverses couches, ces nouveaux Parisiens avaient la possibilité d'utiliser directement la Tour comme générateur ! Mais bientôt sortaient des entrailles du globe fracassé des êtres étranges aux pouvoirs manifestement redoutables, contre lesquels les humains allaient avoir à se défendre… lorsque l'invasion allemande de 1940 a tout interrompu.

Second bonus, ensuite, pour les "érudits" soucieux de parfaire leurs connaissances. Nous vous proposons de lire le petit article de Demètre Ioakimidis à propos d'un essai sur la science-fiction composé par le britannique Kingsley Amis. Le critique n'est pas tendre envers cette tentative de parler peut-être d'une SF un peu différente de celle qui parvenait à briller un peu dans la société littéraire d'alors. L'ouvrage sera traduit en 1962, et préfacé par Jean-Louis Curtis ; nous vous en proposons une version numérique en second bonus (un clic droit sur l'image ou sa légende, puis "enregistrer la cible du lien sous...").

Un second Bonus en prime !
Kingsley Amis, ainsi qu'à peu près tout le monde l'ignore sur le continent, est un écrivain britannique né en 1922, auquel trois romans à tendances comiques ont assuré un certain renom dans les pays de langue anglaise. Dans un ouvrage intitulé « New maps of hell », il prétend faire (et il convient de citer le sous-titre dans la langue originale) a survey of science-fiction. 

Or, ce mot de survey est susceptible de plusieurs traductions françaises, dont coup d'œil, examen, inspection et expertise. Celle qui convient le mieux au travail de Kingsley Amis est la première – à condition de préciser que son coup d'œil est très subjectif. En écrivant ces pages – ou en prononçant les exposés dont elles sont tirées – l'auteur a de toute évidence cherché à ménager la chèvre et le chou : il se déclare un fervent de la science-fiction (ce qui doit en principe lui attirer la sympathie des amateurs du genre), mais s'empresse de faire comprendre qu'il ne saurait s'agir là que d'une littérature inférieure (rassurant ainsi les lecteurs « sérieux ». et se conservant vraisemblablement leur estime). 

À la lecture de ce recueil, on peut se faire quelque idée, sinon de ce qu'est la science-fiction, du moins de ce qu'y voit Kingsley Amis. Il est d'abord évident qu'il en connaît un certain nombre d'œuvres et que, contrairement par exemple à R. M. Albérès de joyeuse mémoire, il ne traite point de ce qu'il ignore. Il est cependant tout aussi clair que la culture de Kingsley Amis est fort inégalement distribuée en ce domaine : il ne parle pas de plusieurs œuvres de tout premier plan, parmi lesquelles les « Chroniques martiennes » de Bradbury, « Les plus qu'humains » de Sturgeon, « À la poursuite des Slans » de van Vogt, « The city and stars » de Clarke, « To walk the night » de William Sloane, le cycle de l'« Histoire future » de Heinlein, celui de « Fondation » d'Asimov. Le lecteur qui parcourt « New maps of hell » ne peut s'empêcher de se poser la question : de telles omissions sont-elles volontaires ? Si non, elles sont difficilement excusables chez un auteur qui prétend examiner le genre actuellement appelé science-fiction ; si oui, que faut-il penser de l'échelle des valeurs de Kingsley Amis ? 

Qu'est-ce que Kingsley Amis veut bien considérer comme de la science-fiction ? Une lecture même superficielle du livre apporte promptement la réponse : ce n'est ni le récit de dépaysement ou d'aventures (il exclut le space opéra de son étude), ni l'extrapolation scientifique (il traite de Jules Verne sur un ton protecteur et paternel, plein d'un humour très involontaire) : ce n'est pas non plus ce qu'on appelle dans les pays anglo-saxons « l'angle humain » (pour lui, les récits de Wells ne sont que des « concrétisations », ce qui tend à signifier, probablement, que le grand écrivain anglais donnait du relief et de la vie aux situations qu'il traitait : selon Kingsley Amis, c'est là un défaut). Que reste-t-il ? Pas grand'chose, à tout prendre : l'aspect social de l'extrapolation, ainsi que son côté satirique.

Cela étant posé, plusieurs des jugements de l'auteur peuvent paraître cohérents : il apprécie manifestement l'œuvre de Robert Sheckley, chez lequel on trouve cette ironie un peu désabusée. Et il choisit « le plus régulièrement capable des écrivains révélés par la science-fiction, dans le sens moderne. » 

Que le lecteur veuille bien, à ce point, s'arrêter une minute pour chercher l'écrivain auquel lui-même décernerait un tel superlatif. Il y a de fortes chances pour que ce nom se trouve dans une liste qui comprendrait une douzaine d'auteurs : Ray Bradbury, Theodore Sturgeon, Robert A. Heinlein, A. E. van Vogt, Isaac Asimov, Arthur C. Clarke, James Blish, Henry Kuttner, Poul Anderson, et trois ou quatre autres. Il est à peu près certain qu'il se trouvera à peine un amateur de science-fiction sur mille pour penser, comme Kingsley Amis, que ce « plus régulièrement capable des écrivains » est Frederik Pohl, à peu près ignoré du public français. 

Ancien agent littéraire, Frederik Pohl s'est mis à taquiner sérieusement la machine à écrire pour son propre compte il y a une dizaine d'années environ. Un des premiers livres de science-fiction qui portent sa signature fut « Planète à gogos », lequel fut publié d'abord en feuilleton, au cours de 1952, dans « Galaxy ». Frederik Pohl collabora, lors de la rédaction de cet ouvrage, avec le regretté Cyril M. Kornbluth – Kingsley Amis cherche d'ailleurs à minimiser la part prise par ce dernier dans le travail. Ce même ouvrage – à en croire toujours « New maps of hell » – peut à plus d'un titre être considéré comme le meilleur roman de science-fiction écrit jusqu'à présent. À défaut d'autres mérites, les jugements de Kingsley Amis ont du moins celui de l'originalité…

Superficiellement, le fait qu'un écrivain aussi connu – dans les pays anglo-saxons ! – s'intéresse suffisamment à la science-fiction pour écrire un livre sur ce sujet, peut être considéré comme un symptôme positif de l'attention accordée à ce genre. Cependant, l'attitude protectrice et le ton inutilement ironique de l'auteur peuvent avoir, en fin de compte, une influence négative ; on a trop facilement tendance à croire sur parole ceux qui se sont fait un nom dans un domaine donné – même lorsqu'ils sortent du domaine de leurs compétences. Et, à en juger par « New maps of hell », la compétence de Kingsley Amis dans le domaine de la science-fiction est fort limitée. Ses vues, personnelles et souvent contestables, ne sauraient en aucun cas remplacer un examen historique, critique et littéraire du sujet. L'ouvrage définitif sur la question reste à écrire. Quant à ceux qui désirent un examen subjectif, le volume intitulé « The science-fiction novel » leur apportera des vues infiniment plus valables sur la question.

Demètre Ioakimidis.

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