15 mai, 2024

Galaxie (1ère série) n°062 – Janvier 1959

Première partie sur quatre d'un roman de Robert Sheckley, "Le temps meurtrier", qui fera office de chant du cygne pour la revue. Mais la relève montre déjà sa mobilisation, avec de jeunes talents comme Robert Silverberg, parrainé ici par le déjà classique Isaac Asimov ou les méconnus et pourtant productifs Richard Wilson ou Jim Harmon.

 

Un clic droit pour faire tourner court la chasse aux spécimens !

Sommaire du Numéro 62 :


NOUVELLES

 

1 - Isaac ASIMOV, Le Correcteur (Galley Slave, 1957), pages 2 à 28, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Dick FRANCIS

2 - Horace L. GOLD, Il fallait un calculateur... (Personnel problem, 1958), pages 29 à 37, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD *

3 - Robert SILVERBERG, Spécimens de galaxies (Birds of a Feather, 1958), pages 38 à 60, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD

5 - D. Walter CURLING, Dérive dans l'espace, pages 67 à 77, nouvelle *

6 - Robert SHECKLEY, Le Temps meurtrier (1ère partie) (Time Killer / Immortality, Inc. (version abrégée sous le titre, 1958/1959), pages 78 à 110, roman, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD

8 - Sélen SILVER, Sous un autre soleil, pages 113 à 122, nouvelle

9 - Jim HARMON, Pas de substitutions (No substitutions, 1958), pages 123 à 134, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par JOHNSON *

11 - Richard WILSON, Mes deux conquêtes (Back to Julie, 1954), pages 139 à 142, nouvelle, trad. (non mentionné)

CHRONIQUES


4 - Willy LEY, Cette planète insolite, pages 61 à 66, article, trad. (non mentionné)

7 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 111 à 112, courrier

10 - Jimmy GUIEU, La Rubrique de l'étrange, pages 135 à 138, chronique

12 - Maurice-Bernard ENDRÈBE, Livres d'aujourd'hui et de demain, pages 143 à 144, notes 


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

 

" Finalement, le robot tourna la dernière page. Lancing demanda :

— Eh bien, Bébé ?

Le robot répondit :

— C’est un livre très exact et je ne trouve que peu de choses à reprendre. À la ligne 22 de la page 27, le mot « positif » est épelé p-o-i-s-t-i-f. La virgule de la ligne 6, de la page 32, est superflue, alors qu’il devrait y en avoir une à la ligne 13 de la page 54. Le signe plus de l’équation XIV-2, à la page 337, devrait être un signe moins pour correspondre aux équations précédentes…

— Attendez ! Attendez ! s’écria le professeur. Que fait-il ?

— Hein ? fit Lancing, soudain en colère. Mais il a déjà fini ! Il a corrigé les épreuves du livre.

— Corrigé ?

— Oui. Dans le peu de temps qu’il a mis à en tourner les pages, il a relevé toutes les fautes d’orthographe, de grammaire et de ponctuation. Et il conservera indéfiniment le souvenir de ces renseignements, au pied de la lettre.

Le professeur était bouche bée."

A cette époque où les robots étaient imaginés comme des androïdes anthropomorphiques, Isaac Asimov appréhendait la résistance qu'ils pourraient soulever de la part d'une humanité qui pourrait se sentir spoliée. Nous savons qu'il n'en fut rien, et que c'est la fascination technologique qui l'a emporté. Pour ce qui est de cette nouvelle, Le Correcteur, le PReFeG est bien placé pour affirmer qu'une relecture humaine demeure irremplaçable… 

On ne peut pas dire que Il fallait un calculateur soit une nouvelle inintéressante. Mais cette histoire de mineurs sur un astéroïde, signée Horace L. Gold,  n'emporte pas vraiment le morceau.

Par contre, on reconnait bien l'imagination débridée de Robert Silverberg et sa bonne connaissance de la psychologie humaine dans cette très sympathique histoire de zoo galactique, Spécimens de galaxies.

Dérive dans l'espace est une enquête policière qui rebrousse chemin, par D. Walter Curling, un auteur sous pseudonyme, vieillot et franchouillard. On passera.

" Les cadavres ne devaient pas être forcés de répondre aux questions. La mort constituait un ancien privilège de l’homme, accordé à l’esclave aussi bien qu’à l’aristocrate. C’était la suprême consolation de chaque individu, son seul droit. Lui aurait-on retiré ce droit et la possibilité de s’évader de ses responsabilités en mourant ? "
Un démarrage sur des chapeaux de roues pour cette première partie d'un roman prometteur, habile et fort bien mené, Le temps meurtrier, que Robert Sheckley étoffera encore par la suite. Il y est question de la transmigration de l'esprit d'un corps vers un autre, scientifiquement et techniquement assistée - ce qui change le rapport à la mort de toute cette société humaine du futur. Le tout vécu par un contemporain de nos années 50. On y retrouve aussi un concept déjà décrit par Robert Chambers dans son célèbre recueil "Le roi en jaune" :
" Il remarqua une file de gens pauvrement vêtus, sales, pas rasés, ayant tous le même air de sombre désespoir.

Qu’attendaient-ils, ces mendiants ?

— Ils vont aux cabanes du suicide, lui apprit sa compagne en l’entraînant.

Blaine jugea le spectacle diablement désagréable pour son premier jour dans le futur. Les cabanes de suicide ! Il se jurait bien de ne jamais y pénétrer volontairement. Que penser d’un monde qui possédait une telle institution ? Et certainement gratuite, si l’on considérait la clientèle… "

Encore un pseudonyme d'auteur qui signera aussi dans la revue Satellite, en la personne de Sélen Silver. Sous un autre Soleil n'est pas d'un très haut niveau cependant, plutôt celui d'un Maurice Limat que d'un Philippe Curval que cette nouvelle sur une planète végétale pourra rappeler. On notera aussi que le trio "le savant, sa femme et son associé félon", rappellera celui - de meilleur cru - de "Une porte sur l'été" de Robert Heinlein (qui a été publiée à partir de Décembre 1958 dans la revue Fiction, soit un mois auparavant).

" Il m’annonçait à moi, superintendant du pays du Rêve, que ma propre vie en ce lieu n’était qu’une illusion pareille à celle dans laquelle j’entretenais mes prisonniers. "

Bien avant le film "Inception" (qui aura fait croire à un sujet original quand il n'était que rebattu depuis ces années 50), Jim Harmon  signe Pas de substitution ; la prison y devient psychique, soit une autre réalité conçue non pas comme châtiment mais comme lieu de détention. Ce sera l'un des concepts majeurs de Philip K. Dick. Une nouvelle fort intéressante, qui pourra aussi faire penser, par son jeu présumé de réalités gigognes, à "Simulacron 3" de Daniel F. Galouye.

On avait déjà remarqué, tant dans Fiction que dans Galaxie, la finesse et l'inventivité de Richard Wilson. Mes deux conquêtes est une petite histoire proche du synopsis sur les mondes parallèles et les talents que donnent la faculté d'y voyager. Une petite pique à la classe politique au passage.

Côté rubrique, dans la Rubrique de l'étrange, ce sacré Jimmy Guieu nous vide ses derniers cartons de fiches dans une interprétation pseudo ésotérique et embrouillée des statues de l'Île de Pâques. Bon sang de bois, Jimmy, fait donc plutôt voler les cailloux de ton imagination !

Dans la rubrique "Votre courrier", un lecteur interroge :

Qu’appelle-t-on exactement « astrométrie » ? (M.R. GÉNAIN, Port-Gentil.)


C’EST une branche de l’astronomie qui étudie systématiquement les variations périodiques de la position des étoiles par l’examen et la comparaison des « plaques de parallaxe » ou relevés photographiques exécutés à différentes époques de l’année.


Pour imaginer les difficultés d’une telle opération et la minutie qu’elle exige, il faut se rappeler que mesurer la parallaxe de Proxima Centauri, étoile la plus proche de la Terre, par exemple, revient à mesurer l’épaisseur d’un cheveu observé à la distance de 27 mètres. Pour Altaïr, autre étoile proche, le cheveu s’éloigne à 100 mètres. L’Américain Schlesinger, l’un des plus éminents spécialistes de ce genre d’investigations, est parvenu à calculer la parallaxe des 6.000 étoiles les plus proches, mesurant l’épaisseur du cheveu à 2.500 mètres !


L’astrométrie se propose, en outre, de rechercher si les déplacements relevés sont uniquement dus au mouvement de la Terre dans l’espace et s’ils ne révèlent pas des perturbations provoquées par des compagnons invisibles de l’étoile considérée. L’amplitude du tremblement, observé est souvent très inférieure à l’épaisseur du tracé, et sa périodicité peut s’étaler sur un an ou dix ans, ou même davantage.


C’est l’astronome suédois Holmberg qui donna, en 1938, la première impulsion à cette nouvelle forme de recherches.


En 1949, l’astronome français P. Baize dressait un premier bilan constatant que, sur les trente-huit étoiles les plus proches du soleil, on en connaissait déjà six ayant certainement des compagnons obscurs, dont trois de dimensions planétaires ou mégaplanétaires. Depuis, le nombre des découvertes du même genre a si bien augmenté qu’un autre astronome français, M. Jean-Claude Pecker, affirme que le compagnonnage planétaire doit être désormais tenu comme la règle générale en ce qui concerne les étoiles.


Ce procédé sera affiné à l'Observatoire de Genève et aboutira à la confirmation de l'existence des exoplanètes, en 1995.

Bien des jours (habituellement fêtés par des ouvrages bonus dans notre collection) sont "tombés" des mercredis. Ce fut le cas cette année du 14 février, du 1er mai et du 08 mai. Nous avons opté pour nos publications habituelles ces jours-ci.

Mais pour récompenser votre patience, votre lecture jusqu'à ce point de l'article, et pour illustrer l'extrait suivant de la rubrique "Livres d'aujourd'hui et de demain", nous vous proposons, en cliquant sur sa couverture comme à l'accoutumée, de télécharger une version au format pdf de l'anthologie présentée dans ce numéro 62 de Galaxie par Maurice-Bernard Endrèbe.

Nous tenons à préciser que cet exemplaire numérique n'a pas été numérisé par nos soins, ni corrigé. Nous remercions grandement le "scanneur" d'origine et détenteur de cet exemplaire n°1623.

clic droit - "enregistrer sous"

UNIVERS DE LA SCIENCE-FICTION (Club des Libraires de France). – Il s’agit d’une anthologie luxueusement présentée, avec des reproductions de Max Ernst, Miro, Henri Michaux, etc., en guise d’illustrations. Hubert Juin, qui l’a composée et dotée d’une très pertinente préface, ne s’est pas contenté de choisir seize nouvelles qu’il aimait : il a fait en sorte qu’elles englobent tous les grands thèmes de la science-fiction, lesquels composent les cinq parties de ce monde insolite : le temps, les éléments, les univers parallèles, les mutants, les ombres, monstres et robots.

La première partie est fortement illustrée par La patrouille du temps, de Poul Anderson. La seconde n’a pas grand éclat. La troisième est efficacement défendue par Ray Bradbury, Fredric Brown, et par deux auteurs français : Henneberg et Sternberg. Mais, en ce qui concerne Fredric Brown, pourquoi avoir détaché un chapitre de son roman l’Univers en folie, alors qu’il a écrit tant d’excellentes nouvelles ? Dans la quatrième partie, figure, notamment, Tout smouales étaient les borogoves, le célèbre texte de Lewis Padgett, qui eût gagné, peut-être, à ce que Boris Vian le traduise avec moins de laisser-aller. La dernière partie est la mieux fournie. On y trouve, notamment, l’obsédant Ruum, d’Arthur Porges ; la fameuse Couleur tombée du ciel, de Lovecraft, et ce Père truqué de Philip K. Dick, remarquablement traduit par Alain Dorémieux et que je considère, personnellement, comme un chef-d’œuvre de l’horrible.

08 mai, 2024

Galaxie (1ère série) n°061 – Décembre 1958

Dernière fournée de cinq numéros pour Galaxie (qu'on nommera par la suite 1ère série après la parution de sa reprise par les éditions OPTA en 1964). De beaux morceaux, par Robert Bloch et Damon Knight notamment, et les français ne sont pas en reste grâce à la prose sensible de Jeannine Raylambert.

Clic droit vers l'infini !

Sommaire du Numéro 61 :

NOUVELLES

 

1 - Damon KNIGHT, Une belle invention (Thing of Beauty, 1958), pages 2 à 28, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD

2 - Robert BLOCH, Vœu tragique (Block That Metaphor, 1958), pages 29 à 39, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par MARTINEZ

3 - Clifford Donald SIMAK, Pour sauver la guerre (The Civilization Game, 1958), pages 40 à 59, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Dick FRANCIS

4 - Frederik POHL, Les Magiciens de Pung (The Wizards of Pung's Corners, 1958), pages 60 à 83, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD

5 - Jeannine RAYLAMBERT, Demain, il fera jour, pages 84 à 105, nouvelle *

6 - William TENN, Conflits interplanétaires (Lisbon Cubed, 1958), pages 106 à 134, nouvelle, trad. (non mentionné), illustré par Wallace (Wally) WOOD *

8 - Maurice LIMAT, Planètes à vendre, pages 137 à 140, nouvelle *

 

CHRONIQUES


7 - COLLECTIF, Votre courrier, pages 135 à 136, courrier

9 - Jimmy GUIEU, La Rubrique de l'étrange, pages 141 à 142, chronique

10 - Claude VAUZIÈRE, Livres d'aujourd'hui et de demain, pages 143 à 144, notes.


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


" VERS 1 heure de l’après-midi, il y eut un décalage temporel en Californie du sud. M. Gordon Fish crut qu’il était dû à un tremblement de terre."

Dès l'incipit de Une belle invention, on repensera à "Tremblement de temps" de Kurt Vonnegut. Mais ici l'idée en reste là. Damon Knight part d'un accident temporel non expliqué pour développer l'idée de sa machine à dessiner. 

" Je présume que vous pensez à une machine qui créerait les dessins, qui ne se contenterait pas d’exécuter ce qu’on lui inculquerait d’avance. En premier lieu, il faudrait lui donner une « mémoire », une réserve extraordinairement riche. Par exemple, si on voulait que la machine dessinât un cheval, il faudrait qu’elle sût comment est fait un cheval, sous tous les angles et dans toutes les positions. Il faudrait ensuite qu’elle choisît celui qui conviendrait le mieux ; puis qu’elle le dessinât en proportion avec le reste du dessin, et ainsi de suite. Alors, bon sang ! s’il vous faut la beauté en plus, j’imagine que la machine devrait étudier les rapports entre les diverses parties, selon un principe esthétique quelconque.(…) Je pense que les physiciens resteront en dehors de l’art pendant encore un ou deux siècles."

Si cela prête à sourire (à considérer surtout que des progrès techniques n'aient pas été accompagnés par un souci de miniaturisation), cette nouvelle nous emporte toutefois dans une histoire du type "peau de chagrin". Efficace.

Avec Vœu tragique, et dans une situation unique, Robert Bloch parvient à évoquer et articuler ensemble les thèmes des extraterrestres, des robots, de la subtilité non mécanique de la pensée, de la pantropie, ou du vœu fait à un génie, avec une chute sinistre à souhait.

Puisque "La guerre constituait, elle aussi, une partie de la culture humaine, il convenait donc de l’entretenir, comme toutes les autres institutions, en vue d’une utilisation future." Ce prétendu jeu des traditions humaines, sauvegardé en temps de diaspora sur d'autres planètes de la galaxie, s'appelle , dans Pour sauver la guerre, chez Clifford D. Simak  : "Continuité". Une nouvelle un peu bavarde mais aux concepts fort intéressants.

" c’était un des triomphes de l’époque que la désuétude voulue ; le constant renouvellement des T.V. ou des voitures de Détroit s’étendit aux carabines et aux bazookas. C’était à la fois surprenant et inquiétant."

Les magiciens de Pung est un récit un peu embrouillé par une traduction sans grande inventivité, qui reprend les poncifs de Frederik Pohl déjà déployés dans "Planète à gogos" : les ravages de la publicité et de l'autopersuasion de son bien-fondé.

Demain, il fera jour ! est une belle nouvelle sur la toute puissance scientifique et l'orgueil qui l'accompagne. Jeannine Raylambert analyse avec doigté le chapelet de sentiments qui se succèdent chez un homme qui se ferait l'égal d'un dieu.

On attendrait un William Tenn plus inspiré dans Conflits interplanétaires, embrouillamini d'espionnage, bavard, et qui perd en force par des circonvolutions évitables.

On savait Maurice Limat loin de la qualité de bien des auteurs français. Planètes à vendre est une nouvelle simpliste et de peu d'intérêt, dont le titre n'évoque même pas le contenu.

Quant à la Rubrique de l'étrange, ce sacré Jimmy Guieu n'ayant plus rien à dévoiler se rabat sur les classiques et paraphrase Charles Fort. Allez ! Raccroche, Jimmy !


Dans la série : "Alors là, mon cher, vous êtes en pleine science-fiction !", la rubrique SAVIEZ-VOUS QUE… nous demande si nous savions que :

… une fusée-capsule mise au point par la Thiokol Chemical Corporation de Denville, et déclenchée par la pression du doigt, permettrait au fantassin des guerres futures d’accomplir des bonds de plusieurs mètres ?

LES premiers soldats ayant essayé cette invention (qui n’en est encore qu’à son stade expérimental) en sont enthousiasmés. Ils proclament que l’usage de cet engin leur donne l’impression de devenir des oiseaux. Plusieurs fusées, successivement mises en action, permettraient de franchir en quelques bonds des distances appréciables.

 Dans Votre courier, Galaxie nous amuse beaucoup par la non-pertinence de sa réponse. Voyez plutôt :

Pourriez vous me préciser les caractéristiques et l’adresse du fabricant du cérébrogramme 7 ? (M. PITOL.)

LES caractéristiques de ce genre d’appareil ont déjà été exposées dans une réponse donnée à un autre de nos lecteurs dans notre numéro de mai 1957. Pour obtenir d’autres précisions, notamment en ce qui concerne le cérébrogramme 7, vous pourriez vous adresser au Secrétariat permanent de l’Association Internationale de Cybernétique, 13, rue Basse-Marcelle, à Namur (Belgique), dont le président est M. Georges R. Boulanger, professeur à la Faculté Polytechnique de Mons et à l’Université de Bruxelles.

Vérifications faites, nulle trace de ce cérébrogramme dans ce numéro là, bien qu'on y évoque plutôt l'électrostyl.

01 mai, 2024

Fiction n°065 - Avril 1959

De nombreux textes restés inédits depuis, signés Leigh Brackett, Damon Knight, ou encore Poul Anderson, excusez du peu ! Et une nouvelle de Robert Bloch primé au Prix Hugo 1959 de la nouvelle en mignardise de choix...

Un clic de baguette magique sur la salamandre, un !

 Sommaire du Numéro 65 :


NOUVELLES

 

1 - Leigh BRACKETT, Les Immigrants (The Queer Ones, 1957), pages 3 à 37, nouvelle, trad. Roger DURAND *
2 - Robert BLOCH, Le Train pour l'Enfer (That Hell-Bound Train, 1958), pages 38 à 50, nouvelle, trad. Roger DURAND
3 - Kenneth BULMER & Damon KNIGHT, Le Jour où tout s'écroula... (The Day Everything Fell Down, 1957), pages 51 à 56, nouvelle, trad. CATHERINE *
4 - DODY, Réflexion, pages 57 à 61, nouvelle *
5 - Mildred CLINGERMAN, La Petite sorcière (The little witch of Elm Street, 1957), pages 62 à 70, nouvelle, trad. Régine VIVIER *
6 - Gérard KLEIN, Le Condamné, pages 71 à 72, nouvelle
7 - Chad OLIVER, Culbute dans le temps (Pilgrimage, 1958), pages 73 à 88, nouvelle, trad. Roger DURAND
8 - Thomas OWEN, Et la vie s'arrêta..., pages 89 à 94, nouvelle
9 - Poul ANDERSON, Sus à la salamandre ! (Operation Salamander, 1957), pages 95 à 119, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE *

 

CHRONIQUES


10 - Aimé MICHEL, Les Laboratoires battus par les colliers magiques, pages 121 à 123, article
11 - (non mentionné), Notre référendum - Résultats du mois de février, pages 123 à 123, chronique
12 - Gérard KLEIN & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 125 à 129, critique(s)
13 - Jacques BERGIER & Serge HUTIN & Gérard KLEIN, Vu et lu..., pages 130 à 132, article
14 - F. HODA, Monstres et vampires, pages 133 à 135, article
15 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 138 à 144, article

 

* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.


De nombreuses péripéties pour Les immigrants, histoire de Leigh Brackett qui fera écho avec notre monde contemporain, les USA forclos à l'immigration et les clandestins malgré eux embarqués dans un odieux trafic. Ici, l'invasion extraterrestre qui cache une malheureuse xenophobie devient un plan de malfrats à l'échelle interplanétaire.

On pourrait croire à une nouvelle histoire de pacte avec le diable, et son lot d'entourloupes, mais dans Le Train pour l'Enfer, mais le véritable sujet de cette bonne nouvelle de Robert Bloch est "la poursuite du bonheur".

Le jour ou tout s'écroula porte le constat que les femmes sont le mortier intime de toutes les constructions humaines... Avec beaucoup d'humour absurde de la part de Kenneth Bulmer et Damon Knight.

"(...)de l'autre côté du miroir, on trouve toujours le pays dont on rêve inconsciemment et que, dans ce pays, on se voit et on vit tel qu'on est réellement dans son essence propre." Un bon petit récit que Réflexion, par Dodysur les êtres contrariés par la banalité du quotidien.

Pour plus d'info sur l'artiste peintre Dody : https://www.coollibri.com/bibliotheque-en-ligne/veronique-luu/dody_179686

Une histoire au ton très enlevé, La petite sorcière, par Mildred Clingermanau sujet là aussi de la nature profonde des êtres entravée parfois par la scérosante vie quotidienne. Mais ici, c'est un démon qui joue les anges libérateurs.

On se rappelle l'histoire du soldat combattant métaphysiquement des puissances morbides (signée Albert Ferlin dans n°64). Gérard Klein décrit dans Le condamné un autre type de combat, tout autant métaphysique, mais voué à l'échec.

Chad Oliver, qui reprend la loi d'équivalence déjà rencontrée chez Poul Anderson ("Un travail de romain" - Fiction n°52) ou William Tenn ("Winthrop aimait trop le XXVème siècle" - Galaxie n°50) comme quoi "certains contemporains devaient alors être expédiés pour remplacer [les voyageurs du temps], en remontant le cours du Temps.", traite dans Culbute dans le temps du leurre de croire en un âge d'or révolu. Chad Oliver fait la démonstration qu'on ne peut justifier les choix pour le présent à l'aune des représentations du passé.

De l'ambiance, quelques portraits, mais rien de plus dans Et la vie s'arrêta,  texte mineur de Thomas Owen.

On pourrait imaginer J. K. Rowling lire Sus à la Salamandre ! de Poul Anderson et imaginer l'école des sorciers de Harry Potter ainsi que les matches de Quidditch. Quoi qu'il en soit, cette histoire est un peu plus futile que les autres, et malgré beaucoup d'action peut être un peu lassante.



On ne présente plus Pierre Versins et son impressionnante volonté de constituer un musée de la science-fiction. L'endroit existe bel et bien grâce à lui et à sa femme Martine Thomé, mais avant de se constituer en lieu ouvert, la collection Versins faisait déjà parler d'elle. Voici le témoignage de Gérard Klein à ce propos :

LA SCIENCE-FICTION
À LAUSANNE

Gérard Klein

 

 

Au cours d'un bref voyage à Lausanne, j'ai eu l'occasion de voir, d'admirer, de consulter l'admirable bibliothèque de SF de langue française que Pierre Versins a patiemment réunie. Les ouvrages des plus anciens aux plus récents, les revues, y compris celles d'avant-guerre qui publièrent tant d'œuvres malheureusement oubliées, y sont dûment catalogués, analysés. Le catalogue contient plus de dix mille fiches ; il constitue pour l'historien de la SF et pour le critique un outil de travail extraordinaire.

Quelques-uns l'ont compris, qui, de tous les coins du monde, envoient à Pierre Versins des ouvrages épuisés, difficiles à trouver, mais combien passionnants souvent pour le spécialiste.

Ainsi subsistent des livres qui eussent peut-être autrement disparu et qui apportent un témoignage précieux et parfois décisif. Ainsi peut-on lire des œuvres comme « l'Arche », d'André Arnyvelde, totalement oublié ou presque, et qui préfigure splendidement, pourtant, le thème du mutant qui surgit en notre époque. Il faudra bien qu'un éditeur ait un jour le courage de rééditer de tels romans aux titres parfois naïfs et souvent enchanteurs, dont une bonne proportion a conservé toute sa fraîcheur.

Mais Pierre Versins ne s'est pas contenté, on le sait, de cette tâche nécessaire de conservateur des utopies. Le club qu'il a créé, Futopia, international par essence, est en pleine expansion. Sa bibliothèque comporte un grand nombre d'ouvrages français et étrangers qui peuvent être prêtés aux membres, en quelque pays qu'ils habitent. Inutile de dire qu'ils voyagent beaucoup.

L'aspect le plus intéressant de l'activité du club est sans doute la revue « Ailleurs », dont le service est fait aux membres du club et qui semble avoir trouvé, après quelques tâtonnements, une heureuse formule dans son numéro 16. Les prochains numéros contiendront, d'après les projets que j'ai vus, divers contes et articles de quelques auteurs français et étrangers de renom. L'avantage d'un magazine de cette sorte est évidemment que son faible tirage le destine à une petite élite d'amateurs éclairés, et lui permet ainsi de faire paraître des textes remarquables, mais dont s'accommode mal la formule des revues professionnelles comme « Fiction ».

Les tentatives de Pierre Versins se sont transformées sur tous les plans en un acquit solide. Peut-être n'est-il pas inutile de signaler enfin qu'il collabore régulièrement, avec Roland Sassi, à une émission de science-fiction et de fantastique que transmet Radio-Genève en modulation de fréquence, et qui est infiniment supérieure à tout ce que j'ai pu entendre sur ce thème en France (quelques rares exceptions mises à part), à commencer par les insipides jérémiades de Jean Nocher.

Je souhaite qu'à la suite d'un accord, nous puissions entendre en France au moins une adaptation de Roland Sassi. Voilà un homme qui sait effrayer avec des sons. Je ne vois pas de meilleur compliment à lui adresser.

Pour tous renseignements, s'adresser à Pierre Versins, Primerose 80, Lausanne (Suisse). 


La nouvelle rubrique "Tribune libre" donne la parole à un jeune homme qui marquera profondément l'histoire de l'édition de la SF en France : Jacques Goimard. La revue Bifrost n°62, en Avril 2011, présentera l'homme sous ces termes :

"Normalien et agrégé d'histoire, spécialiste du cinéma américain, créateur de la « Grande anthologie de la science-fiction » au Livre de Poche avec Gérard Klein et Demètre loakimidis, initiateur du « Livre d'or » et directeur de collection chez Pocket pendant plus de vingt-cinq ans (remplacé depuis 2003 par Bénédicte Lombardo), Jacques Goimard est à l'instar d'un Gérard Klein, d'un Philippe Curval ou d'un Michel Demuth, de ceux qui ont fait le genre en France au tournant des années 60 et 70, de ceux qui l'ont d'une certaine façon, cristallisé. Dernier des « grands pionniers » à qui nous n'avions pas donné la parole dans nos pages (si l'on excepte un autre Jacques, dont il sera d'ailleurs ici beaucoup question, mais qui s'est déjà confié au sein de ses propres mémoires disponibles chez J'ai Lu - Jacques Sadoul), (...)  une carrière exceptionnelle en tant qu'éditeur (avec toutefois une spécificité de taille : il oeuvra principalement dans le domaine du poche), bien sûr, mais aussi, et peut-être même surtout en tant qu'essayiste et critique - il fut ainsi et par exemple critique littéraire au Monde dans les années 70."

 A noter pour finir qu'en ce mois de Mai 2024, Galaxie 2ème série fête ses soixante ans ! Rendez-vous le 06 août 2025 (croisons les doigts) pour commencer à en apprécier la publication dans les pages du PReFeG !

 

24 avril, 2024

Fiction n°064 – Mars 1959

Pas de nouveaux auteurs en ce printemps 1959, mais un ensemble de très bon niveau, avec des auteurs méconnus qui mériteraient davantage de notoriété (tels Charles L. Fontenay, Robert Young, Ward Moore, ou encore Carol Emshwiller et le français Albert Ferlin). Notons surtout l'entrée de Demètre Ioakimidis dans la rédaction de Fiction, avec un article consacré à Fredric Brown.

On clique droit sur la déesse de granit vue par Forest ! 

Sommaire du Numéro 64 :


NOUVELLES

 

1 - Damon KNIGHT, Contact avec l'inconnu (Stranger Station, 1956), pages 3 à 23, nouvelle, trad. CATHERINE

2 - Carol EMSHWILLER, La Cité des robots (Baby, 1958), pages 24 à 36, nouvelle, trad. Suzanne RONDARD

3 - Gabriel AUTHIER, Le Talisman, pages 37 à 39, nouvelle *

4 - Isaac ASIMOV, Poussière de mort (The Dust of Death, 1968), pages 40 à 51, nouvelle, trad. Roger DURAND

5 - Gali NOSEK, La Ville, pages 52 à 54, nouvelle *

6 - Ward MOORE, Un homme adapté (Adjustment, 1957), pages 55 à 74, nouvelle, trad. Roger DURAND *

7 - Albert FERLIN, De mémoire d'homme, pages 75 à 81, nouvelle *

8 - Charles Louis FONTENAY, Par un après-midi d'été (A Summer Afternoon, 1958), pages 82 à 86, nouvelle, trad. René LATHIÈRE

9 - Robert F. YOUNG, La Déesse de granit (Goddess in Granite, 1957), pages 87 à 106, nouvelle, trad. Catherine GRÉGOIRE

10 - Jacques BERGIER & Francis CARSAC, La Revanche des Martiens, pages 107 à 109, nouvelle

11 - Brian ALDISS, Le Cœur d'une ville (Secret of a Mighty City / Have Your Hatreds Ready, 1958), pages 110 à 123, nouvelle, trad. (non mentionné) 

CHRONIQUES


12 - Jacques BERGIER, Le Mystérieux nombre 5, pages 124 à 125, article

13 - Demètre IOAKIMIDIS, Fredric Brown, l'étoile filante de la S. F., pages 126 à 132, article

14 - (non mentionné), Notre référendum - Résultats du mois de janvier, pages 132 à 132, chronique

15 - Philippe CURVAL & Alain DORÉMIEUX & Gérard KLEIN & Igor B. MASLOWSKI, Ici, on désintègre !, pages 133 à 137, critique(s)

16 - COLLECTIF, Le Conseil des spécialistes, pages 138 à 139, critique(s)

17 - F. HODA, Hardi, Sinbad !, pages 140 à 140, article

18 - COLLECTIF, Tribune libre, pages 141 à 144, article


* Nouvelle restée sans publication ultérieure à ce numéro.

Terrifiant constat que d'être en état d'incompréhension de la vie extraterrestre. Et quels secrets accords ont-ils pu être passés entre les puissances en ce cas ? Une belle ambiance de station orbitale pour un Contact avec l'inconnu, par Damon Knight.

Dépendre de machines défectueuses quand on est un survivant, quelle ironie ! C'est le constat de Carol Emshwiller dans La cité des robots.

On joue au petit chimiste et à l'inspecteur Columbo, mais c'est tout, avec cette Poussière de mort sans grand intérêt d'Isaac Asimov, que l'on peut préférer quand il ne se mêle pas de polar.

La ville de Gali Nosek tente de nous faire penser que la peur de la Bombe équivaut dans notre vie moderne à craindre la Colère Divine, en réactualisant un thème biblique très connu. Mais Gali Nosek oublie que c'est bien un humain qui appuie sur le bouton rouge.

Il faut s'adapter. Cette injonction si moderne révèle toute son ambiguïté dans Un homme adapté de Ward Moore, fidèle à l'ironie de son ton pragmatique et à sa facilité de faire admettre même les situations les plus fantasmatiques comme des dus à la vraisemblance du récit.

Fiction nous présente Albert Ferlin ainsi : "Albert Ferlin, dont voici la première nouvelle dans « Fiction »". Les nouvelles "Télépathie" (in Galaxie 1S46) et "Un commando de Mars" (in Galaxie 1S50) avaient toutefois déjà été remarquées par leurs qualités thématique et narrative. Avec De mémoire d’homme, Ferlin signe un texte presque métaphysique, aux péripéties énigmatiques, dans le récit d'un guerrier mort combattant des forces morbides. Tout se dévoile (ou presque) dans les dernières lignes.

Comme dans la nouvelle précédente, c'est la forme de la mort, sa nature, qui est interrogée Par un après-midi d’été. Charles L. Fontenay propose un mystère opaque et hors du temps dont un enfant serait le témoin. Un petit cauchemar.

La déesse de granit est un texte au lyrisme bien dosé (illustré par la magnifique couverture de Forest), où Robert F. Young décline l'image de la déesse endormie en de multiples échelles. Fin et inspiré. 

C'est une suite, au ton très britannique, à "La guerre des mondes" de H. G. Wells que proposent Francis Carsac et Jacques Bergier, dans La revanche des Martiens qui supporte tout à fait cette forme courte et fait figure d'hommage et de palimpseste.

Beaucoup de bruit pour rien dans Le cœur d'une ville... Cette nouvelle de Brian Aldiss décrit la vacuité des productions de spectacles cinématographiques (ou autres pour l'avenir) et la vanité de leurs agitations. Malgré un ton assez neuf, et un traitement original, la nouvelle elle-même rend un son creux. 

Un nouveau venu pour ce numéro dans la rédaction de Fiction, en la personne du talentueux Demètre Ioakimidis. Il dirigera plus tard avec Jacques Goimard et Gérard Klein la célèbre anthologie en plusieurs volumes de poche "La grande anthologie de la science-fiction" ; les fameux recueils "Histoires de...". 

Nous vous proposons de retrouver en page dédiée à Fredric Brown son article "Fredric Brown, l'étoile filante de la SF". Mais pour parfaire la présentation de ce jeune journaliste, nous reproduisons ici un article qui lui rendait hommage, durant l'hiver 2012-2013, paru dans le numéro 662 du magazine Jazz Hot (car Ioakimidis, en plus d'être un fin critique de science-fiction, était un érudit en jazz).

" Notre ancien collaborateur, également écrivain et journaliste spécialiste de science-fiction, Demètre Ioakimidis s’est éteint le 15 décembre 2012 à Genève (Suisse) à l’âge de 83 ans.

    Demètre Ioakimidis était né le 1er octobre 1929 à Trieste, où sa famille s’était réfugiée après les graves exactions commises par l’armée turque pendant la guerre entre la Grèce et la Turquie (1919-1921) ; il en avait conservé sa nationalité grecque, par fidélité. Son vieil ami, Pierre Strinati qui le connut en 1937 a gardé le souvenir d’un élève brillant, réservé mais surtout d’un ami fidèle. Après ses études à la Faculté des Sciences de Genève, il entra dans le célèbre laboratoire du CERN à Genève. Il y travailla plusieurs années. Mais attiré par l’écriture et par les arts en général, il finit par choisir le journalisme, au Journal de Genève, à la rubrique scientifique écrivant des articles de vulgarisation scientifique. Parallèlement, il chronique des ouvrages de science-fiction. Il y assure aussi une chronique régulière de musique classique et de jazz, qu’il conserva jusqu’à la fin de sa carrière. A La Gazette de Lausanne, autre quotidien de langue française, ses importants écrits intéressent la musique classique moderne et contemporaine.

    C’est à l’école communale, avec son ami Pierre Strinati, que Demètre découvre la science-fiction, en lisant une bande dessinée, Robinson, qui est la première à y intégrer la science-fiction. Assez rapidement, ce fut Jules Verne...

    Son intérêt pour la musique en général, et le jazz en particulier, s’éveilla plus tard, à l’adolescence. Le disque et la radio (Radio Suisse Romande) lui ont fourni les bases de l’information et du savoir en la matière qu’il cultiva jusqu’à en devenir très jeune un authentique spécialiste.

    Il commença à publier dans le bulletin du Jazz Club de Genève, Jazz-Notes, en 1954. Après son entrée en journalisme (La Gazette de Lausanne et Le Journal de Genève), il eut l’opportunité de faire des conférences et des émissions de radio à Radio Genève et à la Radio Suisse Romande (1960 – 1990) : Anthologie du jazz, Diversités du Jazz, Europe-Jazz et Jaaaz. Dans la continuité de ses devanciers, Schindler, Choquart, Colbert…

    Conférences, émissions de radio, Demètre Ioakimidis était surtout, de par sa personnalité, un homme de l’écrit : musique, certes, aussi et surtout littérature de science-fiction, dont il devint un expert internationalement reconnu.

    Vers la fin des années 1950, Demètre Ioakimidis commence à collaborer à deux des plus grands périodiques spécialisés d’Europe et du monde dans leur discipline : Fiction, pour la science fiction, et Jazz Hot, pour la musique de jazz.

    C’est en avril 1957 que Demètre publie son premier article dans Jazz Hot ; une vingtaine d’années plus tard, en avril 1976, le dernier. Entre ces deux dates, cette longue collaboration au mensuel de Charles Delaunay représente plus de 120 articles, portant sur tous les sujets et tous les musiciens : de Django à Coltrane, des ellingtoniens Johnny Hodges, Rex Stewart ou Ben Webster… aux basiens Frank Wess, Frank Foster, Joe Newman, Lester Young… en passant par les boppers John Lewis, Miles Davis, Art Blakey… sans oublier les Art Farmer, Ray Bryant, « Cannonball » Adderley et les autres. Il y tient également une chronique de livres tout à fait remarquable.

    C’est vers la même époque, en mars 1959, que Demètre Ioakimidis commence sa collaboration avec Fiction. Elle se prolongera jusqu’en août 1974. Cette collaboration représente en une quinzaine d’années plus de cent articles, dont certains de référence sur des auteurs américains inconnus en Europe comme Robert A. Heinlein, Alfred Bester, Clifford D. Simak… et surtout Isaac Asimov, dont il est le découvreur. Il y assure en particulier une rubrique de lectures tout à fait essentielle pour l’établissement de ce genre littéraire méprisé. Au cours de cette période, il consacre également une grande partie de son temps à la réalisation de grandes expositions européennes, entre 1967 et 1968 à Berne, Paris, Berlin, Trieste… consacrées à cette littérature.

    La notoriété internationale de Demètre acquise en matière de jazz, du fait de ses publications dans la revue européenne de référence, Jazz Hot, d’une part, et dans Fiction, autre revue française de rayonnement international, d’autre part, lui permet d’acquérir un nouveau statut journalistique en Suisse. Ioakimidis est devenu un journaliste qui compte dans le monde de la presse : il écrit en bonne place dans deux des plus grands quotidiens suisses de langue française (La Gazette de Lausanne et Le Journal de Genève). On lui accorde régulièrement une page entière, voire plus, en tant que correspondant de ces publications pour toutes grandes manifestations jazziques qui se déroulent en Suisse et en Europe, pour tous les évènements (publications, expositions…) concernant la science-fiction.

    Demètre Ioakimidis peut alors s’adonner à un travail ambitieux et de longue haleine, l’œuvre de sa vie, fondamentale de son point de vue. Avec deux autres collaborateurs de Fiction, Jacques Goimard et Gérard Klein, il entreprend en 1974 la publication de la Grande Anthologie de la science-fiction, soit trente six volumes représentant les ouvrages ou extraits de plus de trois cents auteurs ayant publié depuis 1930. Pour parachever son travail, il publie dans la collection « Le Livre d’or de la science fiction » chez Pocket, deux anthologies : la première consacrée à Isaac Asimov (Pocket 1980), rééditée en 1989 sous le titre Prélude à l’éternité ; la seconde à Robert A. Heinlein (Pocket 1981), rééditée en 1989 sous le titre Longue vie.

    Depuis, Demètre Ioakimidis avait ralenti ses activités ; il ne s’était jamais vraiment retiré, notamment de la vie du jazz : il y paraissait peu et était d’une discrétion légendaire : reste de prudence, peut-être ? Il y a un an, il avait perdu son épouse et cette disparition l’avait beaucoup affecté.

    Demètre Ioakimidis a beaucoup écrit et beaucoup publié au cours de sa vie sur ses centres d’intérêt aussi multiples que divers. Sa démarche fut celle d’un passionné mais aussi celle d’un chercheur patient  et exigeant. Il travailla comme un moine : consciencieusement pour élaborer sa connaissance, pour approfondir sa culture et surtout pour la partager. Mais il s’effaça toujours devant son sujet d’étude, ne consentant à n’apparaître que pour les besoins de la cause : diffuser le savoir acquis. Il n’était pas avare de ses efforts. Je l’avais rencontré une fois au début des années 1980 avec Charles Delaunay, qui le tenait pour un « savant atypique ». J’ai gardé le souvenir flou d’un homme de taille moyenne, portant costume et cravate (c’était rare dans les milieux du jazz après 1968 !) avec de gros carreaux en forme de lunettes. Les deux hommes, qui se parlaient doucement avec respect, se ressemblaient un peu d’ailleurs : question d’histoire familiale hors du commun ? Je découvrais un individu assuré, intéressé et intéressant, mais mesuré, discret et même secret. Et le temps passa… Au point que, lorsque je me suis mis à la rédaction de cette biographie aussi indispensable que méritée à l’occasion de sa disparition, il me fut impossible de trouver la moindre information sur l’homme et l’auteur ; même sa notice à la Bibliothèque Nationale de France restait d’une imprécision déplorable. L’exploration de la toile me confirma cette réalité avec les appels désespérés de deux internautes qui résumaient parfaitement et la personne et sa situation dans le champ médiatique : « Je cherche des informations ou une petite biographie expliquant les postes occupés par Démètre Ioakimidis », écrivait l’un, et le second de lui répondre : « Demètre Ioakimidis est un personnage des plus discrets. Mise à part les nombreuses références à ses publications, c'est en écumant le Net qu'on peut grappiller quelques pièces éparses du puzzle et, avec imagination et persévérance, deviner un parcours ».

    J’ai donc fureté, beaucoup cherché. Et n’eût été l’intervention de quelques amis, qui informèrent Jazz Hot de sa mort, et la coopération amicale de personnes, qui entendaient lui rendre un juste hommage, la disparition de Demètre Ioakimidis aurait été ignorée. Que tous soient ici remerciés de ce témoignage d’amitié et d’estime pour cet homme qui, par sa persévérance et son enthousiasme serein a, en Europe et dans le monde, largement contribué, d’une part, à la reconnaissance de la littérature de science fiction, et non moins d’autre part, à celle du jazz et à sa diffusion. Le jazz en Suisse est en deuil d’un des ses promoteurs, la Suisse romande orpheline d’un des découvreurs historiques de la science-fiction.

    Jazz Hot est triste de cette disparition. La revue et son équipe présentent à sa fille Nicole, à ses parents et à ses amis, ses sincères condoléances.

Félix W. Sportis

 Cf. « 1 Frank + 1 Frank = 2 Franks », Jazz Hot n° 120, avril 1957, p 10-11.

 Cf. « Jazz - La Vicenda E I Protagonisti della Musica Afroamericana », Jazz Hot n° 326, avril 1976, p 32.

 «  Fredric Brown, l'étoile filante de la S.F. » (bibliographie), Fiction n° 64, mars 1959, p 126-132.

 Cet article doit beaucoup à l’intervention de nombreuses personnes que la disparition de Demètre a profondément attristés : notamment d’amateurs suisses de jazz, dont Yvan Fournier et Charles Hug qui sont intervenus auprès de M. Pierre Strinati, docteur es-sciences et ami d’enfance de Demètre Ioakimidis, qui m’a présenté un homme aussi discret que passionnant. A également indirectement contribué à cet hommage, Gérard Klein, écrivain de science-fiction qui collabora de longues années (1970-1980) dans la revue Fiction et qui œuvra  avec lui et Jacques Goimard à l’édition de l’Anthologie de Science-Fiction (Presses Pocket Poche - trente volumes). Que tous soient ici remerciés pour leur amicale coopération en l’honneur et pour la mémoire de notre ancien collaborateur, Demètre Ioakimidis. Nous devons les photos jointes à cet article à l’amitié généreuse de Pierre Strinati. FWS.

© Jazz Hot n°662, hiver 2012-2013."

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